18. Euthanasie et problématiques associées



Introduction383


Euthanasie : les différents aspects383


Euthanasie : les soignants397


Problématiques associées406


Conclusion411



INTRODUCTION



L’euthanasie est l’une des questions les plus difficiles et les plus controversées de la médecine auprès des malades terminaux (Cerruti, 1987). Heuse écrit : «Le XX e siècle aura été essentiellement le siècle de l’avortement et du birth control alors que le XXI e siècle sera celui de l’euthanasie et du death control.» Il ajoute que «le meilleur moyen de retarder le death control est le bon usage de l’euthanasie» (Heuse, 1979). Une réflexion sur la signification de ce bon usage doit être suscitée non seulement chez tous ceux qui se préoccupent des questions éthiques et de l’avenir de la médecine dans nos sociétés, mais également chez les professionnels de la santé, quotidiennement confrontés à ce problème.

L’euthanasie n’est pas pour la médecine un problème récent : depuis la fin du siècle, un débat contradictoire oppose les partisans et les adversaires de sa moralisation. Les composantes de ce problème, où il s’agit de juger la valeur éthique de l’euthanasie active et passive, sont multiples : elles dépendent de l’évolution de la morale, de la religion et du droit; elles varient selon l’évolution des mentalités, des manières d’être, et des techniques de réanimation et de traitement de la douleur, toujours en progrès.

Les problématiques de la fin de vie, et l’euthanaise en est une, doivent se penser très globalement. Les attitudes, préférences et comportements qui lui sont liés varient en fonction des cultures (Phipps et coll., 2003).


EUTHANASIE : LES DIFFÉRENTS ASPECTS



Aspects Historiques


L’euthanasie dérive du grec eu qui signifie «bon» ou «doux», et de thanatos qui signifie «mort» : étymologiquement, elle signifie donc la «bonne mort». Les différentes représentations que l’homme et la société se font d’une bonne mort constituent la première limite à une utilisation univoque de ce concept. Lowental relève chez les Grecs anciens que ker, la mort violente et douloureuse, s’opposait à thanatos, la mort naturelle et aisée (Lowental, 1974). Chez les romains, lethum, le dieu infernal de la mort, s’opposait à mors, le processus terrestre et naturel de la mort. Morin a montré, en anthropologie, que les systèmes de croyances traduisent la profonde ambivalence de l’homme face à sa mort et la difficulté pour celui-ci de la reconnaître (Morin, 1970). Les origines historiques du concept de «bonne mort» sont pour Gruman étroitement liées à la pratique de la mort volontaire et du suicide. Il rappelle la pratique, inaugurée par les stoïciens dans l’Antiquité, d’une mort libre et belle, digne du philosophe qui se suicide pour être délivré de la déchéance physique et morale. Il rappelle également une autre forme de mort répandue dans le monde antique, l’abandon ou la mise à mort des personnes «séniles» et des «invalides», ou, comme à Cos, des vieillards conviés par le Sénat à un ultime festin où circulait une coupe de poison (Gruman, 1973). Dans le même sens, More écrit en 1516, dans L’Utopie, «si la maladie est non seulement inguérissable, mais pleine de douleurs continuelles et angoissantes, les prêtres, les magistrats, conseillent à l’homme de se dépêcher hors de cette vie, ou bien de permettre aux autres de l’en délivrer» (More, 1982).

Le concept de mort volontaire doit être entendu dans deux sens différents selon qu’il s’agit d’une mort bonne pour l’individu ou pour la société. L’idée de laisser à la société le soin de faire mourir pour son bien, plutôt que pour leur bien, certaines personnes, remonte à La République de Platon qui défendait «une discipline et une jurisprudence se bornant à donner des soins aux citoyens bien constitués de corps et d’âme; quant à ceux qui ne sont pas sains de corps, on les laissera mourir» (Platon, 1966). De janvier 1940 à août 1941, un programme d’euthanasie fut appliqué en Allemagne sur 70 000 malades mentaux; il dut être interrompu, contraint par la résistance inattendue d’une grande partie de la société allemande; il servit de banc d’essai aux exterminations à grande échelle qui suivirent en 1942 (Poliakov, 1951). L’idée même de l’euthanasie est depuis lors entachée d’un soupçon qui mène Brehant à distinguer l’euthanasie agonique centrée sur le mourant, et dont la figure la plus ancienne serait celle du suicide stoïcien, de l’euthanasie eugénique à caractère social et politique (Brehant, 1978).

La première utilisation du terme «euthanasie» remonte au philosophe Bacon en 1620 et son sens est celui du soulagement au moment de l’agonie. Fye propose de baptiser cette étape du terme «euthanasie spirituelle» en se référant aux premières définitions des dictionnaires médicaux, comme celui de Blanchard en 1708 où l’euthanasie retient de son étymologie la notion d’un «passage doux et aisé hors du monde, sans convulsions, ni souffrances» (Fye, 1974). Ce n’est qu’au cours du XIXe siècle que l’euthanasie retient véritablement l’attention de la médecine : le médecin devient le personnage principal au chevet du mourant.

Progressivement, la connaissance du pronostic des maladies est devenue de plus en plus précise. Le pouvoir du médecin, considérable déjà de par ses connaissances, s’est accru avec le développement des traitements et des techniques de survie. Dans ce contexte, la notion vague d’«euthanasie spirituelle» fit place à la notion d’«euthanasie active» au cours d’une polémique qui éclata en Angleterre en 1870. L’objet en était la promotion de l’euthanasie active au rang d’une activité sociale soutenue par un discours rationnel et pragmatique. La majorité des médecins s’opposaient déjà alors à la tentation de disposer de la vie et de la mort de leurs malades. L’assimilation de l’euthanasie active à des homicides volontaires commis avec préméditation leur semblait offrir une garantie de protection contre les abus qui auraient été liés à la levée des interdits juridiques et moraux. L’impératif moral de ne pas tuer, issu à la fois de la tradition chrétienne et hippocratique, a entraîné le rejet de l’euthanasie active par la médecine. Il n’a pas pu empêcher la recherche de compromis, débouchant ainsi sur la notion d’«euthanasie passive». Le problème de l’euthanasie dans sa double composante, éthique et psychologique, fut alors clairement posé dans un éditorial de 1884 du Boston Medical and Surgical Journal : «Il est peut-être logiquement difficile de justifier une forme passive plutôt qu’une forme active d’euthanasie; mais cela répugne certainement moins à nos sentiments.» Un siècle plus tard, l’essence du problème est toujours la même.


Définitions


Les distinctions les plus courantes des euthanasies s’articulent autour des pôles passif-actif, positif-négatif, et volontaire-involontaire. Le couple «euthanasie active-euthanasie passive» constitue la distinction la plus utilisée bien qu’elle soit la plus problématique. L’euthanasie active consiste en un «agir» qui procure la mort; l’euthanasie passive, quant à elle, consiste en une abstention d’agir, dont la mort est le résultat. En conséquence, la première pourrait s’assimiler au meurtre et la seconde à un abandon, voire à une non-assistance à personne en danger. Entre «tuer» et «laisser mourir» s’ouvre toute la problématique éthique et psychologique de leur équivalence ou différence. Une distinction très courante dans la littérature anglo-saxonne est celle de l’euthanasie positive et de l’euthanasie négative. Brown les définit dans un questionnaire adressé à des médecins américains de la façon suivante : «l’euthanasie positive est l’ensemble des moyens utilisés par le médecin qui hâtent la mort» et «l’euthanasie négative est l’omission par le médecin des moyens qui prolongent la vie» (Brown, Bulger et coll., 1970). À première vue, ces définitions ne se distinguent pas du sens couramment attribué au couple actif-passif; il est néanmoins légitime de ne pas les confondre et de réserver les termes «positif» et «négatif» à la discussion des aspects techniques et opératoires des euthanasies, les termes «actif» et «passif» au débat proprement éthique. Avec les termes d’euthanasies active et passive, les connotations psychologiques et sociales, associées à la notion de l’action, de l’intentionnalité ou de la volonté, apparaissent bien plus nettement qu’avec les termes plus neutres d’euthanasie positive ou négative.

L’euthanasie volontaire et l’euthanasie involontaire se distinguent principalement sur le plan psychologique. L’euthanasie volontaire se réfère à la demande d’euthanasie émise par un patient en pleine possession de ses facultés. Il s’agit de l’expression spontanée et libre d’un désir de pouvoir mourir en cas de souffrance intolérable, ou d’inconscience irréversible, quels que soient les moyens positifs ou négatifs qui seraient utilisés. L’euthanasie volontaire s’exprime parfois dans le cadre d’une préoccupation limitée à la crainte de l’acharnement thérapeutique. L’euthanasie involontaire est, quant à elle, définie par une absence de requête ou de consentement provenant du malade. Les catégories de patients concernés par ces conditions sont, d’après Beauchamp, les malades gravement handicapés, physiquement et/ou mentalement, les patients en coma profond et irréversible, les enfants ou les nouveau-nés malformés. Il ajoute que l’euthanasie est également involontaire lorsqu’elle est pratiquée par un nonmédecin, qu’il y ait ou non requête ou consentement de la part du patient. L’agent de l’euthanasie n’est pas alors qualifié pour présumer des facteurs objectifs et médicaux qui sont à la base de l’euthanasie (Beauchamp, 1975). Il apparaît, à la différence de la définition de l’euthanasie volontaire, qui est centrée sur le patient et sur sa capacité à requérir un acte et à consentir à sa réalisation, que l’euthanasie involontaire concerne avant tout l’agent, médecin ou non-médecin. Les processus de décision à la base de l’euthanasie volontaire ou involontaire sont très différents : le premier est interactionnel et met en scène le désir du principal intéressé, alors que le second apparaît bien plus comme la résultante d’une décision dont le malade est exclu. S’il s’agit d’un non-médecin, la situation est alors claire : il ne peut être juge des faits et risque de se tromper et de méconnaître les véritables conditions qui dissocient meurtre et euthanasie. S’il est médecin, l’euthanasie n’est involontaire que dans la mesure où elle renvoie à des catégories de malades présentant, à des degrés divers, des troubles de la conscience et du jugement, les mettant dans l’incapacité de participer au processus de décision.

Si le médecin est seul juge et unique acteur de la situation, ne risque-t-il pas d’être influencé dans ses attitudes et comportements par des critères extramédicaux? En d’autres termes, dans le domaine des euthanasies involontaires, le risque est grand de glisser des euthanasies agoniques, centrées sur le mourant et sur son confort physique et moral, à des euthanasies eugéniques définies pour des catégories de patients (nouveau-nés ou enfants débiles, vieillards déments, malades comateux ou mentaux, etc.). Il serait pratiquement possible d’imaginer certains «services charitables» d’euthanasie avec leurs violences potentielles contre les libertés individuelles. L’euthanasie involontaire est sans doute un concept utile dans les discussions éthiques concernant les cas de patients se trouvant dans un état de mort cérébrale irréversible, rendant impossible toute requête ou consentement (mais alors pourquoi parler encore d’euthanasie, de bonne mort, pour ceux qui sont en quelque sorte déjà morts?). Le terme d’involontaire se doit d’être défini précisément pour éviter un risque potentiel de dérapage pour les handicapés, malades mentaux et autres «incompétents». Les conditions qui définissent l’euthanasie posent des difficultés non seulement en raison de situations médicales complexes sur le terrain, mais aussi de l’influence des valeurs morales ou sociales dominantes. La notion d’euthanasie involontaire est critiquée : Fletcher propose ainsi de repenser la frontière entre l’avortement et l’euthanasie appliquée à des nouveaux-nés car les situations pré et postnatales sont similaires du point de vue éthique (Fletcher, 1975).








Tableau 18-1 Euthanasie : facteurs intervenant dans les définitions.
Éléments relatifs au statut du patient



– Age (nouveau-né, enfant, adulte, vieillard, etc.)


– Type de maladie (handicap physique, mental, etc.)


– Symptômes de la maladie (coma, insuffisance des fonctions vitales, etc.)


– Moment de l’évolution (phase préterminale, terminale, etc.)

Éléments relatifs au statut du traitement possible



– Curatif (patient curable)


– Palliatif (patient non curable)

Éléments relationnels



– Qualité des relations médecin-patient-famille


– Information complète-non complète


– Consentement-non consentement patient-famille


– Requête-non requête patient-famille

Éléments relatifs à l’acte euthanasique



– Statut du sujet actant (médecin, infirmière, autre)


– Mobile : apaisement des souffrances


– Moyen : positif-négatif


– Résultat : mort avec-sans douleur, mort rapide-lente, etc.

Beauchamp et Davidson ont fondé leur tentative de définition sur l’exclusion des éléments empiriques, moraux ou évaluatifs de l’euthanasie (Beauchamp et Davidson, 1980). L’exclusion des éléments évaluatifs signifie qu’en dépit de son étymologie de «bonne mort», l’euthanasie ne serait pas à situer sur une échelle d’évaluation de type bon ou mauvais. Une définition acceptée universellement permettrait ensuite de porter plus aisément des jugements sur des situations singulières. On pourrait dire que, même si l’euthanasie est la «bonne mort», les euthanasies ne sont pas nécessairement toujours de «bonnes» ou de «mauvaises» morts. L’exclusion des éléments empiriques est, quant à elle, destinée à ne pas faire dépendre le concept de ses usages dans la réalité et à le mettre, dans la mesure du possible, à l’abri des contre-exemples.

Sept conditions nécessaires et suffisantes à une définition de l’euthanasie ont été proposées : un sujet actant (a), une intention d’induire ou de provoquer la mort activement (euthanasie positive) ou par omission (euthanasie négative) (b), une évidence d’un état de souffrance physique ou morale ou d’un état de coma irréversible présent ou prévisible chez le patient (c), une motivation d’y mettre fin (d), une utilisation de moyens non violents (e) pour parvenir à une mort rapide et sans douleur (f), la condition que le patient ne soit pas un fœtus (g) (Travis, Noyes et coll., 1974). La condition (g) distingue conceptuellement l’avortement de l’euthanasie. La condition (d), mettant l’accent sur la motivation du sujet actant de mettre fin à un état de souffrance, est sans aucun doute l’élément le plus central de l’euthanasie, celui qui la pose dans son universalité et dans sa spécificité et la distingue du suicide, du suicide assisté et du meurtre. C’est cependant elle qui fait les frais de la suspicion immédiate concernant la noblesse des intentions du sujet actant.

Les conditions (a) (c) et (d) sont l’objet d’un accord quasi unanime : la présence d’un sujet actant et la motivation de celui-ci de mettre fin à l’état de souffrance d’un patient constituent les éléments d’une définition «minimale» de l’euthanasie. Les terminologies utilisées aujourd’hui tiennent compte principalement de trois conditions : l’existence éventuelle d’une demande exprimée par le malade concernant la fin de sa vie, la compétence du malade – c’est-à-dire sa capacité de comprendre, de communiquer et de juger – et l’intention ou non du médecin de donner la mort. L’euthanasie involontaire se différencie ainsi de l’euthanasie non volontaire car cette dernière implique une non-compétence du malade et une intention de donner la mort suite à la demande de ses proches. L’euthanasie non volontaire peut ainsi se justifier sur le plan éthique alors que l’euthanasie involontaire ne peut l’être dans aucun cas. Le tableau 18-2 clarifie les conditions associées aux terminologies les plus fréquemment utilisées.















































Tableau 18-2 Euthanasie : types.
*Il s’agit plutôt d’un accord du patient concernant le risque d’un double effet. NA : non applicable.

Demande d’un Compétence du malade Intention du médecin de
Donner la mort

Malade Proche
Euthanasie volontaire oui NA oui oui
Euthanasie non volontaire NA oui non oui
Euthanasie involontaire non non NA oui
Suicide assisté oui NA oui oui
Double effet d’un traitement palliative* NA NA NA non



Aspects Sociaux


Tout le monde s’accorde à penser que le tabou de la mort a contribué au progrès social. Les interdits ont certainement comme fonction de renforcer la cohésion et la reliance sociales. La levée du tabou du meurtre pourrait certainement dans l’absolu avoir des conséquences sociales négatives. Il faut s’interroger cependant sur les interférences de ce tabou avec la clinique de la fin de vie. En matière d’euthanasie, cette considération doit être revue à la lumière des nombreux changements qui ont marqué la société au cours de ces dernières années.

L’un de ces changements – l’allongement de l’espérance de vie – est particulièrement déterminant dans la discussion concernant les risques sociaux qui pourraient être associés à une dépénalisation dans certaines conditions de l’euthanasie. Quel est l’impact de l’accroissement de la durée de survie? L’être humain jouit en effet, depuis quelques décennies, d’une exceptionnelle et particulière longévité. Cette longévité va s’accroître encore au cours des prochaines décennies. Toute discussion concernant l’impact de cet accroissement de longévité implique de considérer la qualité de cette survie qui n’est pas toujours bonne. De plus en plus de malades en effet survivent grâce à de nombreuses interventions médico-chirurgicales et continuent malgré tout à expérimenter des souffrances directement ou indirectement liées à leurs problèmes médicaux et aux traitements.

Ces changements ont modifié la perception pour un sujet donné de son corps, de sa survie et de ses relations aux autres. Tout d’abord, le rapport au corps a changé. L’être humain expérimente actuellement un corps qu’il peut contrôler. Jamais dans la courte histoire de l’humanité, l’homme n’a été autant en mesure de maîtriser son fonctionnement corporel et cela grâce aux progrès des thérapeutiques médicales et chirurgicales. Le rapport aux professionnels de la santé a dès lors changé aussi. Cette relation est devenue tout à fait particulière car c’est au travers de leurs interventions qu’il bénéficie de sa longévité.

La survie, découlant de l’accroissement de l’espérance de vie implique parfois des souffrances qui perdurent alors qu’elles étaient autrefois souvent limitées dans le temps. Le malade a alors acquis une perception de sa survie : il la juge et lui attribue des valeurs diverses. Si sa vie se prolonge douloureusement, il porte tout naturellement un jugement sur sa qualité et considère souvent ses souffrances comme indignes. L’évaluation de la qualité de sa vie se modifie tout au long de l’épreuve de la maladie : ce qui reste à vivre est évalué en fonction de ce qui a été vécu, de ce qui est encore attendu, souhaité et possible. Dès lors, l’évaluation de la qualité de la vie d’un individu qui a souffert de manière prolongée est très différente de celle des malades qui ont eu peu de problèmes médico-chirurgicaux et/ou peu de contacts avec la médecine.


Les changements décrits plus haut sont aussi associés à des modifications profondes au niveau des concepts liés à la fin de la vie qui se sont fort diversifiés et enrichis. En d’autres mots, des concepts nouveaux liés directement à l’allongement de l’espérance de vie et à l’accroissement de l’efficacité des thérapeutiques médicales, ont vu le jour. Ces concepts ne sont plus uniquement centrés sur la finitude de la vie et sur certaines dimensions subjectives liées à la mort : sens donné à la souffrance, à la mort et croyance par rapport à l’après-mort. Le concept de mort inclut aujourd’hui, particulièrement chez les personnes malades et âgées, des préoccupations liées aux conditions de confort de la vie finissante. Une compréhension d’une expression d’un désir de mort ou d’une formulation de demande d’euthanasie doit tenir compte du développement de ces concepts.

La mort autrefois crainte peut à notre époque être désirée activement – «j’aimerais mourir, aidez-moi» ou passivement – «que la mort vienne rapidement». Le désir de mourir peut se construire sur une perception d’avoir déjà joué un certain nombre de tours à la mort et d’avoir, à plusieurs reprises, maîtrisé ou vaincu la mort. Le sujet peut aussi avoir le sentiment qu’il a déjà vécu ou qu’il est déjà mort – et que ses souffrances présentes ne valent plus la peine d’être vécues. Les distinctions et nuances entre «mourir» et «être tué» n’ont plus pour lui la même pertinence. Les solidarités, issues de soutiens émotionnels et instrumentaux, sont particulièrement attendues et valorisées. Dès lors, la mort a perdu dans certains contextes son statut de risque à éviter à tout prix. Lorsque la vie devient exclusivement un état de souffrance vécu comme interminable et insupportable, la mort peut alors se faire désirer. L’être humain ne se positionne ainsi plus par rapport à la représentation qu’il a de la mort; il juge la réalité objective de sa vie. Recevoir la mort d’un tiers peut être ainsi considéré comme une solidarité. Un développement similaire des concepts liés à la fin de vie peut être observé chez ceux qui sont les témoins de ces survies marquées par la souffrance, et chez ceux qui assurent professionnellement la charge de cette solidarité.

Le tabou du meurtre chez un sujet atteint d’une maladie incurable est ainsi, et d’une façon tout à fait compréhensible, réexaminé dans la perspective de sa souffrance. Ceux qui souffrent et ceux qui ont frôlé la mort revendiquent souvent le fait de pouvoir mourir dignement. De plus en plus de professionnels de santé, particulièrement ceux qui vivent avec empathie la souffrance d’autrui, revendiquent de pouvoir un jour professionnellement poser un acte de solidarité dans certaines conditions : notamment lorsqu’un malade, présentant une affection médicale incurable et des souffrances irréductibles, décide de solliciter une assistance au suicide ou une euthanasie après y avoir mûrement réfléchi et après en avoir parfois discuté ouvertement avec ses proches.

Chez la grande majorité des malades qui font ce type de demande, il n’y a certainement pas de fascination pathologique pour la mort. Il y a souvent simplement le désir de rester un homme libre en toute circonstance, même dans certains contextes où cela peut ne plus être le cas (institutionnalisation, limitation physique importante). Il peut y avoir aussi le désir de pouvoir se donner le droit de mourir dans la dignité. À l’échelle individuelle, les tabous sociaux perdent leur raison d’être lorsqu’ils dissonent avec une réalité objective. L’association de l’euthanasie à l’homicide n’a plus beaucoup de sens dans la pratique clinique autour de la fin de la vie. La vie peut en effet devenir durablement insupportable, malgré les thérapeutiques de confort.

Chez les soignants, qui doivent faire face à ces demandes, il y a tout naturellement une conviction : la préservation de la vie doit primer et la mort doit être évitée. Cependant, il y a des états morbides nécessitant une modification de cette conviction. Des états particuliers de dégradation extrême et de souffrance peuvent mener les soignants à désirer la mort de certains de leurs malades. Ils doivent se préparer à ne pas se laisser porter par leurs sentiments. Ils doivent pouvoir se former à communiquer à propos de la mort avec leur malade et n’agir bien sûr qu’en cas de demande explicite d’euthanasie ou d’assistance au suicide, et après avoir décodé le ou les sens associés à cette demande.

Enfin, si pour certains, tuer ou laisser mourir peut s’équivaloir sur le plan éthique, il convient de reconnaître qu’il faut différencier ces actions sur le plan de leur faisabilité clinique. Un patient souffrant d’une dyspnée majeure devrait, pour ne citer qu’un exemple – vu la non-faisabilité d’une euthanasie passive pouvoir bénéficier, s’il le souhaite, d’une euthanasie active pour interrompre ses souffrances. C’est ainsi souvent le contexte médical objectif qui détermine l’expression d’un désir de mourir, d’une assistance au suicide ou d’une demande d’euthanasie. Ceux qui souffrent d’une limitation physique importante, lorsqu’ils sollicitent une euthanasie, souhaitent souvent uniquement que leur droit au suicide soit restauré. C’est le contexte médical objectif qui devrait donc indiquer la pratique d’une euthanasie active, passive ou d’une assistance au suicide. Beaucoup de médecins, exposés régulièrement à ces demandes de morts dignes, revendiquent le fait de ne plus être considérés comme des auteurs d’homicides.


Travis et coll. recueillent en 1974 les réponses de 1 602 médecins de l’état de l’Iowa aux États-Unis à un questionnaire portant sur leurs attitudes face aux malades terminaux. Malgré une fréquence peu élevée (18 %) de demandes de patients qui ne souhaitent pas que leur vie soit prolongée, 44 % des médecins disent avoir omis fréquemment de telles mesures de prolongement (ou en d’autres termes avoir pratiqué l’euthanasie négative). 6 % des médecins rapportent n’avoir jamais pratiqué l’euthanasie négative et 77 % rejettent l’idée de procédures visant à accélérer la mort d’une façon active, même dans l’éventualité d’un changement dans les attitudes sociales en faveur de l’euthanasie positive. Il est intéressant de remarquer que les médecins ayant une importante expérience clinique sont ceux, à la fois les plus susceptibles de pratiquer l’euthanasie négative, et les plus opposés à lever l’interdit de l’euthanasie positive. Ils affirment que la responsabilité d’assumer la mort du patient à travers une omission thérapeutique ne peut pas être comparée à celle qui consiste à tuer le patient (Travis, Noyes et coll., 1974). Une enquête de Rea et coll. de 1975 montre enfin chez 151 médecins la tendance, pour 68 % d’entre eux, de rejeter l’idée d’utiliser systématiquement l’acharnement thérapeutique et de préférer au prolongement artificiel de la vie du patient, l’œuvre de la nature qui, «apporte la mort à son heure» (Rea, Greenspoon et coll., 1975).

Ces quelques données sont peu comparables tant au point de vue des populations que des questions posées. Elles nous laissent néanmoins percevoir qu’une différence d’attitudes existe, favorable à l’euthanasie négative et défavorable à l’euthanasie positive. Il est remarquable de constater la stabilité des attitudes sociales du corps médical dans son refus de l’euthanasie positive ou active depuis un siècle, malgré une pratique non négligeable de celle-ci. Une attitude ne signifie pas toujours un avis raisonné. Celle-ci peut être ainsi le reflet d’un sentiment. Il est dès lors possible d’affirmer qu’aujourd’hui les sentiments des professionnels de la santé ne sont certainement pas de nature à s’accorder avec une participation active dans une euthanasie. Cependant, la pratique médicale ne s’accorde pas toujours avec les sentiments. Ceci se reflète dans les quelques études disponibles concernant la pratique de l’euthanasie. La réalité clinique détermine donc les comportements, même s’ils déplaisent à la raison et aux sentiments.

Aux Pays-Bas, une fréquence de 2000 à 10 000 cas d’euthanasie active par an a été rapportée (De Wachter, 1989). Une estimation plus précise est difficile. Une étude datant de 1986 rapporte que 25 médecins généralistes de La Haye ont été confrontés à 17 demandes d’euthanasie active au cours d’une année. Ils rapportèrent avoir répondu favorablement à neuf de ces demandes. Un pourcentage de 2 % de décès par euthanasie active a en conséquence été estimé sur la base de 500 décès par an dans la pratique de ces 25 médecins généralistes (Oliemans et Nijhuis, 1986). Par ailleurs, 125 cas d’euthanasie active auraient été déclarés au procureur en 1987 dont 1 à 2 % seulement ont fait l’objet de poursuites judiciaires (Feber, 1988). Une étude menée dans ce pays a confirmé quelques-unes de ces données, notamment le fait que 1,8 % des décès pouvait être attribué à cette cause (ce pourcentage équivaut à 2300 cas recensés en un an ou faisant suite à 9000 demandes d’euthanasie) (Van Der Maas, Van Delden et coll., 1991).


Les nouvelles mesures légales aux Pays-Bas ont été évaluées récemment (Van Der Maas, Van Der Wal et coll., 1996). Entre 1990 et 1995, il a tout d’abord été noté un accroissement de 37 % des demandes d’assistance pour mourir exprimées d’une manière anticipée au cas où les souffrances deviendraient intolérables (25 100 en 1990 et 34 500 en 1995), et de 9 % des demandes de ce type avec un souhait de mourir dans un délai bien précis (8 900 en 1990 et 9 700 en 1995). L’évaluation met ensuite en évidence un léger accroissement de la fréquence de la pratique de l’euthanasie (1,8 % des décès en 1990 et 2,4 % en 1995) et de l’assistance au suicide (0,3 % des décès en 1990 et 0,4 % en 1995). Notons enfin une légère diminution du nombre de décisions de mettre fin à la vie d’un patient sans sa demande explicite (0,8 % en 1990 et 0,7 % en 1995). Les hypothèses avancées pour expliquer les tendances observées sont : l’accroissement de la mortalité comme conséquence du vieillissement de la population, l’accroissement de la proportion de décès liés aux affections cancéreuses (en relation directe avec la réduction des décès liés aux affections ischémiques du cœur et avec accroissement du nombre de décès au cours de la période étudiée de 5 %), l’augmentation de la possibilité de recourir aux techniques de prolongation de la survie et le changement des attitudes des patients. La conclusion des auteurs de ce travail est qu’il n’existe pas pour l’instant de «pente glissante» vers des pratiques inacceptables. La mise en place d’une évaluation régulière de celles-ci pourra probablement mettre en évidence les effets positifs et négatifs de l’expérience hollandaise.

Dans l’État de Washington, une proposition d’amendement des lois en vigueur (Natural-death act) concernant l’euthanasie fut cosignée par 150 000 personnes. Ce projet d’amendement dénommé «Initiative 119» demandait une légalisation de l’euthanasie permettant aux médecins d’aider leurs malades à mourir dignement dans certaines conditions : une demande écrite en présence de deux témoins – du malade au moment où il exprime son souhait de mourir et deux examens médicaux certifiant par écrit que le malade présente une affection en phase terminale entraînant un décès endéans les six mois (Misbin, 1991). Le référendum organisé en novembre 1991 recueillit 46 % de votes favorables à cette initiative, qui fut dès lors rejetée.

Le Territoire du Nord en Australie a légalisé l’euthanasie volontaire le 1er juillet 1996. C’est la première fois qu’un État reconnaît une pratique de l’euthanasie active à certaines conditions. Le Northern Territory Act précise qu’un certain nombre de conditions doivent être réunies pour autoriser l’euthanasie active. Citons parmi celles-ci : l’âge (être âgé de plus de 18 ans), la capacité de comprendre, juger, décider (être «compétent»), l’incurabilité de la maladie, le statut terminal de l’affection, et le caractère insupportable des souffrances. La législation a prévu aussi une période de sept jours pour permettre à toute personne qui requiert l’euthanasie de revoir sa décision. L’avis d’un médecin spécialisé dans le traitement de l’affection présentée par le patient est aussi requis. Signalons enfin qu’un psychiatre doit également intervenir pour exclure qu’une dépression soit à la base de la demande d’euthanasie. Les instances parlementaires et sénatoriales fédérales n’ont pas ratifié cette reconnaissance rendant l’euthanasie active à nouveau illégale en Australie.

En septembre 2002, une loi sur la dépénalisation de l’euthanasie à certaines conditions est entrée en vigueur en Belgique (loi du 28 mai 2002, publiée au Moniteur belge du 22 juin 2002). Elle a été couplée à une loi visant à développer les soins palliatifs (Loi du 14 juin 2002, publiée au Moniteur belge du 26 septembre 2002). Par ailleurs, une loi sur «les droits du patient» réglementant notamment les modalités de refus de traitement et de représentation du patient incapable de s’exprimer a été promulguée le 22 août 2002. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour autoriser l’euthanasie active. Le patient doit être majeur (ou mineur émancipé), conscient et capable au moment de sa demande. Celle-ci doit être réfléchie, volontaire et répétée, sans pression extérieure. La situation médicale du patient doit être sans issue (maladie accidentelle ou pathologique grave et incurable), sa souffrance physique et psychique insupportable et constante. Il doit avoir été informé par le médecin de sa situation médicale et de son pronostic. Un dialogue entre le patient et le médecin doit avoir lieu et avoir été centré sur la demande d’euthanasie, les possibilités de traitements encore envisageables et les soins palliatifs. Plusieurs entretiens doivent avoir été réalisés dans un délai raisonnable. Un deuxième médecin doit avoir été consulté pour statuer du caractère incurable et grave de la pathologie. Si le décès n’est pas prévu à brève échéance, une demande écrite de la part du patient est requise. Un délai d’un mois entre la demande écrite et l’euthanasie est demandé. Un deuxième médecin doit également être consulté pour un avis sur la souffrance physique et psychique et le caractère volontaire, réfléchi et répété de la demande.


Une commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’application de cette loi a été créée. Cette commission se réunit régulièrement pour l’examen des déclarations qui lui sont adressées. Récemment, un rapport de cette commission établissait que 428 personnes ont été euthanasiées en Belgique en 2006, soit 37 par mois. Parmi ces 428 personnes, 86 % étaient des malades présentant une affection cancéreuse et seuls 17 % avaient plus de 80 ans. 40 % de ces euthanasies ont eu lieu à domicile.


Aspects Psychologiques


La discussion des aspects psychologiques de l’euthanasie souffre d’une absence de casuistique traduisant le malaise des médecins par rapport à une pratique sanctionnée tant moralement que juridiquement. Les cas les plus connus et, sans doute, les mieux documentés concernent très souvent des personnages publics. Parmi les euthanasies les plus commentées, citons celle de Freud rapportée par Schur, médecin personnel et ami de celui-ci. «Le lendemain, 21 septembre, tandis que j’étais assis à son chevet, Freud me prit la main et me dit : «Mon cher Schur, vous vous souvenez de notre première conversation. Vous m’avez promis de ne pas m’abandonner lorsque mon temps serait venu. Maintenant ce n’est plus qu’une torture et cela n’a plus de sens». Je lui fis signe que je n’avais pas oublié ma promesse. Soulagé, il soupira, et gardant ma main dans la sienne, me dit : «Parlez de cela à Anna». Il n’y avait dans tout cela pas la moindre trace de sentimentalisme ou de pitié envers lui-même, rien qu’une pleine conscience de la réalité. Selon le désir de Freud, je mis Anna au courant de notre conversation. Lorsque la souffrance redevint insupportable, je lui fis une injection sous-cutanée de deux centigrammes de morphine. Il se sentit bientôt soulagé et s’endormit d’un sommeil paisible. L’expression de souffrance avait disparu de son visage. Je répétais la dose environ 12 heures plus tard. Freud était manifestement à bout de forces. Il entra dans le coma et ne se réveilla plus. Il mourut le 23 septembre 1939 à trois heures du matin.» (Schur, 1972). Schur accepte la demande de Freud de quitter ce monde avec décence, probablement contraint par son devoir de médecin et d’ami; il porte assistance à une personne en danger de mauvaise mort. Son acte, réponse à la demande de ne pas souffrir, est une euthanasie à part entière. En injectant la morphine destinée à soulager la douleur, même si la vie de Freud fut raccourcie de quelques heures, son acte apparaît bénéfique et tire sa justification de ce fait. Il faut souligner qu’il ne s’agit probablement pas d’une euthanasie active, et ce en raison des faibles doses de morphine utilisées (20mg). Rappelons aussi que Freud avait 83 ans au moment de son décès et que son affection cancéreuse située au niveau de la tête et du cou évoluait depuis 16 ans.

Feinstein, médecin également, rapporte, en 1986, le cas de sa mère âgée de 96 ans, confuse et désorientée suite à un accident vasculaire cérébral, maintenue en vie dans un nursing home aux États-Unis. Elle avait exprimé son désir de mourir dignement et tenait plus que tout à ne pas être un poids pour ses proches. Ses préoccupations furent communiquées tant à sa famille qu’à ses médecins à plusieurs moments de la dégradation de son état physique qui avait débuté à l’âge de 90 ans. Toutes ses demandes furent ignorées ou repoussées.

Ces deux situations extrêmes posent les questions de la signification de la dignité de mourir et de la valeur des souhaits de mourir. Thomas se demande si l’idée de «mourir à son heure» procède d’un concept biologique ou d’un fantasme culturel (Thomas, 1978). Dans le même ordre d’idées, il peut également être fait l’hypothèse d’un fantasme individuel traduisant à la fois l’impuissance fondamentale, face à un processus inconnu sur le plan cognitif, et une prise de contrôle désespérée sur celui-ci. La demande de «mourir à son heure» et si possible, d’une «bonne mort», est, quant à elle, l’expression d’un choix conscient et volontaire, impliquant une conscience de la mort. Elle peut tout aussi bien traduire une certaine acceptation de la mort qu’une fuite dans la mort afin d’éviter une souffrance morale ou physique.

La représentation de la mort n’existerait pas : l’homme appréhenderait mieux l’irréalité de son immortalité que la réalité de sa mort! Les représentations existantes ne sont souvent que des analogies liées à des phases du développement de l’individu. Les représentations de la mort se construisent au travers des expériences vécues de la mort des autres et pour certains, d’expériences personnelles antérieures (Lang, 1978; Maurer, 1966). L’acceptation de la mort, si un tel état existe, passe par un travail de deuil tant de ses objets d’amour, que de dimensions plus narcissiques, tel le renoncement à sa toute-puissance. Elle s’associe à des affects anxieux et dépressifs. Certains préparent leur mort, prenant les devants sur les problèmes qu’ils risquent de devoir affronter. Les dernières volontés, transmises par écrit ou oralement, incluent des choix concernant souvent aussi leurs proches et leurs biens. Actuellement, certains choisissent des options relatives à un mode de mourir dans le cas où ils seraient plus tard incapables de participer à un processus de décision. Le souhait de mourir se manifeste très différemment d’un individu à l’autre. Le refus de traitement, la demande d’euthanasie et l’idéation suicidaire sont des expressions élaborées de ce souhait. Mais souvent, celui-ci reste non élaboré, vague ou réprimé. Selon l’environnement familial, médical et culturel, le souhait de mourir peut se traduire par une euthanasie, un suicide assisté, un suicide, un refus de traitement ou une acceptation par le malade de renoncer provisoirement ou définitivement à son souhait.

La demande d’euthanasie, souvent associée à une dépression de sévérité moyenne, peut masquer un appel à rompre une détresse ou une solitude difficile à vivre. Une écoute appropriée suffit le plus souvent à faire tomber une demande d’euthanasie prématurée. Le désir de mort qui s’exprime dans la demande «tuezmoi» ou la demande «laissez-moi mourir» est une constituante du face à face de l’homme avec sa mort. C’est ainsi que les observations de Weisman et Hackett, de Kübler-Ross et de Berger ont montré que la vie psychique des grands malades ou des mourants était dominée par une alternance de phases d’espoir et de désespoir, de confiance et d’abattement (Berger, 1978; Berger et Beetscheen, 1979; Berger et Beetscheen, 1980, Kübler-Ross, 1975 and Weisman et Hackett, 1961).

Les demandes d’euthanasie peuvent être des manifestations de la détresse générée par la confrontation non seulement à sa propre mort, mais également à la menace de la perte de ses proches et à l’invalidité de la maladie. Il peut être dès lors extrêmement difficile pour un soignant de juger du fondement rationnel d’un désir de mourir qui peut fluctuer au cours du temps. Rare est sans doute la situation décrite par Schwartzenberg où il n’y aurait pas de doute quant à la demande, celle où «le malade parfaitement conscient, mais incurable et condamné, demande avec insistance à mourir. Il le fait en toute connaissance de cause, il y revient sans cesse, confirme et appesantit sa requête» (Schwartzenberg et Viansson-Ponte, 1977).

Le refus de traitement s’apparente également à l’idée de bonne mort. Les refus de traitement peuvent avoir de nombreuses significations et peuvent survenir lors de la proposition d’un premier traitement ou, bien plus tard, dans l’évolution de la maladie, et ce, quel que soit le pronostic. Quand le pronostic est bon, les refus de traitement apparaissent le plus souvent comme irrationnels et suicidaires; un examen approfondi de ces malades peut mettre en évidence, parfois, une tentative de suicide dans les antécédents, une concomitance de problèmes existentiels ou des troubles psychiatriques. Le plus fréquemment cependant, c’est une ambivalence face au souhait de vivre à tout prix, qui pousse le malade à refuser un traitement de façon prématurée. Cette ambivalence se retrouve fréquemment dans la phase diagnostique, période dominée par de nombreuses préoccupations existentielles. Des affects dépressifs ou des réactions de peur peuvent être aussi à l’origine des refus de traitement, et il est fréquent qu’à leur disparition, le malade accepte ce qui fut refusé dans un premier temps. Si certains refus de traitement sont particulièrement compréhensibles, d’autres peuvent l’être moins. Ainsi, certains refus peuvent être l’expression d’un ressentiment face à une perception, par le patient, d’un abandon de la part de sa famille. Une fois cette dimension exprimée et/ou éventuellement reformulée en d’autres termes, il n’est pas rare d’observer des changements d’attitudes. Enfin, il arrive qu’un patient refuse d’accepter l’évidence de son état de malade, et que, poursuivant sa logique, il aboutisse, en niant son cancer, à refuser tout traitement. D’autres malades, poussés par un désir de maintenir à tout prix une intégrité corporelle, refuseront certaines procédures chirurgicales, préférant ainsi la mort à toute dégradation de leur image. Quand la mort est proche ou imminente, les refus de traitement s’apparentent plus nettement aux situations d’euthanasie proprement dite. Dans ces situations, éthique et psychologie forment un nœud difficilement démêlable, si certaines positions éthiques de base ne sont pas prises en considération. Ainsi, si l’on reconnaît le droit du malade à être informé, il est probable qu’un droit au refus de traitement sera lui aussi reconnu, même dans les cas où le traitement proposé est curatif. L’arrêt rendu par la Cour suprême de Floride, dans le cas Perlmutter, accorde ce droit au malade pour autant qu’il soit «compétent», sans mineurs à charge (ceux-ci pourraient avoir un droit de veto lié à la promesse implicite de l’offre de soutien) et en accord avec sa famille. Cette formulation, discutable, peut être particulièrement utile si le malade refuse un traitement curatif ou s’il formule une demande d’euthanasie prématurée. Elle s’avère peu utile dans le cas de malades en phase terminale et ne répond sûrement pas à la question : «Que faire si la famille d’un malade s’oppose à la décision de celui-ci d’interrompre ses traitements?». Le refus d’un traitement peut s’apparenter au suicide et entraîne alors des considérations culturelles et juridiques variant d’une condamnation du suicide, à une dissociation de celui-ci, du crime auquel il est souvent associé. Dans l’optique d’une reconnaissance sans restriction des libertés individuelles, l’aide psychologique prend un sens tout différent de celle qui reconnaîtrait à la médecine un paternalisme et un droit à refuser au malade une liberté, si l’on considère qu’elle est mal utilisée. Une investigation psychologique est donc indiquée, chaque fois que se présente un refus de traitement ou une demande d’euthanasie prématurée, car il convient en effet d’exclure, outre bien sûr tout trouble psychiatrique majeur, une incompréhension par le malade du diagnostic, des traitements et une perception troublée des risques et bénéfices respectifs de se faire ou non traiter.


Aspects Familiaux








Tableau 18-3 Euthanasie demandée par les familles : facteurs favorisants.
Engagement en rapport avec :



– une promesse


– une conviction

Peurs anticipées en rapport avec :



– une douleur qui pourrait s’intensifier


– une solitude qui pourrait survenir au moment de la mort

Deuil anticipé en rapport avec :



– une longue prise en charge


– une problématique relationnelle

Compassion en rapport avec :



– une souffrance


– une déchéance


– un vécu dépressif


– une perte de dignité

Épuisement en rapport avec :



– une longue prise en charge


– une douleur irréductible et chronique


– un inconfort permanent

Trouble psychiatrique (dépression, etc.)
Intérêt financier en rapport avec :



– un potentiel bénéfice (par exemple, lié à un héritage)


– un potentiel coût (par exemple, lié aux soins)

Dans ces cas extrêmes, la famille ou les proches se trouvent coupés du désir du principal intéressé et obligés de recourir à leurs perceptions et souvenirs de ce qu’il aurait souhaité. Il leur est difficile de différencier ces perceptions et souvenirs de leurs valeurs propres, de leurs sentiments envers le malade et de leur état d’épuisement au moment du processus de décision. Il existe en effet une difficulté inhérente au fait de devoir prendre une décision à la place d’un tiers, surtout si ce dernier est proche. Dans une étude simulant une telle problématique sur la base de situations hypothétiques, une très faible concordance entre les décisions qui seraient prises (une fois sur trois seulement) de part et d’autre est mise en évidence. Dans la plupart des situations, le proche accepte des traitements non désirés par le malade. De plus, les facteurs influençant ces décisions semblent bien différents : le fait d’être une charge pour ses proches semble être le facteur déterminant les éventuelles décisions d’un malade, et la douleur du malade déterminant celles des proches qui doivent se substituer à lui dans l’hypothèse où il serait incapable (Hare, Pratt et coll., 1992). Dans des cas moins extrêmes, si le processus de décision intervient à une période où la famille n’a pas encore perçu la gravité de la situation, l’invitation, qui leur est faite de participer au processus d’une décision d’euthanasie, risque d’ouvrir une crise menant difficilement à l’émission d’un avis serein. La participation de la famille au processus de décision devant aboutir à une forme d’euthanasie constitue, lorsqu’elle n’est pas précipitée, une dernière contribution à l’effort mené dès le début de l’affection, pour assurer à l’être cher le maximum de confort et de qualité de vie. Un processus de décision, évoluant dans un climat favorisant les échanges, permet probablement une résolution optimale d’une situation menaçant à plus d’un titre l’équilibre des intervenants. Des relations harmonieuses entre le système médical et le système familial participent également à une déculpabilisation maximale de la famille et des médecins œuvrant ensemble pour une qualité de vie de toutes les parties en cause. Toutefois, sur le plan psychologique, cette participation reste difficile en raison des valeurs remises en question dans cette phase, des tensions accumulées, surtout si le cours de l’affection est chronique, et du processus de deuil souvent en cours à cette période. Cette situation devient particulièrement fréquente en raison des progrès de la médecine qui prolonge dans un nombre considérable de situations la survie en fin de vie. Ceci engendre un épuisement considérable, troublant le jugement des acteurs de cette situation. Ainsi, en miroir aux demandes d’euthanasie formulées par les malades qui ne veulent plus être une charge pour leur entourage, il n’est pas rare que certains proches du malade revendiquent l’euthanasie. Les revendications émanent souvent de ceux qui ont le plus soutenu le malade tant affectivement que pratiquement. Il est réaliste de penser que le soutien psychosocial des familles puisse éviter ces épuisements générés non seulement par le cours chronique de bon nombre d’affections, mais également par le déficit en ressources psychosociales ou par la difficulté d’y accéder ou d’y recourir.


Il est quelque peu naïf de croire qu’on doive toujours rencontrer, autour du lit d’un malade en phase terminale, un consensus concernant les moyens d’assurer la meilleure mort possible. Ce consensus, s’il doit bien sûr être recherché dans certains cas, ne doit certainement pas empêcher une euthanasie. Il existe en effet un risque de voir les professionnels de la santé nier la différenciation des personnes en présence avec, comme conséquence, le refus d’assister le choix du malade en voulant éviter les conflits. Cette situation est compliquée par le fait que bon nombre de familles se sentent coupables de leur désir de transgresser un tabou et répriment leur souhait de demander une euthanasie. Lorsque certaines agonies sont rendues difficiles par un mauvais contrôle symptomatique (douleurs difficilement contrôlables), il n’est pas rare de voir se développer, chez les professionnels de la santé, un malaise entraînant un jugement négatif sans justification réelle des attitudes de certains membres de la famille.

La transgression de l’interdiction «tu ne tueras point» de notre société judéo-chrétienne peut entraîner d’importantes réactions psychologiques voire psychopathologiques. Rainess cite le cas d’une femme hospitalisée après une tentative de suicide par arme à feu, dont la mère en coma irréversible avait été déconnectée de ses appareils de survie avec son autorisation (Rainess, 1977). Cette euthanasie, qui n’est que passive, a suffi à actualiser chez la patiente «le potentiel de culpabilité liée à l’imulsion la plus terrible : l’homicide». Baruk rapporte un cas d’accès mélancolique survenu pendant six ans chez une femme pour laquelle «un acte a porté sur toute sa vie un voile sombre de deuil et de remords» qui fut l’euthanasie de ses parents dans le ghetto de Varsovie alors qu’ils étaient condamnés à la déportation (Baruk, 1971). Ces cas relevant de la psychopathologie associée à l’euthanasie montrent certains vécus extrêmes de cette période.

Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 18. Euthanasie et problématiques associées

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