Chapitre 17 Transferts tendineux
Le devenir d’une réparation des plaies des nerfs périphériques est aléatoire et, dans de nombreux cas, le déficit musculaire et sensitif handicape lourdement le blessé. Dans plus de 40 % des cas, ces patients peuvent bénéficier d’une chirurgie secondaire par transfert tendineux, ce qui va transformer leurs capacités fonctionnelles. Cette chirurgie est d’autant plus performante que le patient a récupéré au moins une sensibilité de protection, d’où l’importance de le faire bénéficier des protocoles de rééducation de la sensibilité, comme cela a été développé au chapitre 16.
Principes biomécaniques des transferts tendineux
Plusieurs principes régissent les indications et la réalisation des transferts tendineux [3–8].
• L’équilibre fonctionnel est plus important que la force, c’est ainsi que les tendons fléchisseurs sont plus puissants que les extenseurs et pourtant ils travaillent en harmonie.
• La synergie est la contraction simultanée de plusieurs muscles qui permet d’accroître l’efficacité de chacun d’eux. Ainsi, il existe une parfaite synergie entre les fléchisseurs des doigts et les extenseurs du poignet et de même entre les extenseurs des doigts et les fléchisseurs du poignet.
• La force musculaire intervient dans le choix du transfert. Le cubital antérieur (FCU) est le muscle le plus puissant du poignet, sa valeur est 6 fois plus élevée que celle du petit palmaire (PL).
• La course du muscle et du tendon est fixe et ne peut être modifiée par le patient, le kinésithérapeute ou le chirurgien. L’exemple du cubital antérieur qui est utilisé dans les paralysies radiales pour réanimer l’extension des doigts a une excursion limitée à 3,3 cm alors qu’il en faudrait 4,5. Ce n’est que par l’effet ténodèse du poignet ramené en position neutre voire en légère flexion que l’extension totale des doigts est obtenue.
• Le moment fléchissant qui s’exprime en kg/cm est le produit de la puissance du muscle par la distance qui joint le tendon au centre de flexion de l’articulation. Le rôle des poulies qui rapprochent le transfert tendineux du squelette est important pour obtenir une amplitude maximale du mouvement.
Traitement des paralysies de la main
Paralysie radiale
Il convient de différencier une paralysie radiale haute qui inclut les extenseurs du poignet d’une paralysie basse qui ne touche que l’extension des doigts.
Correction de la paralysie radiale haute
C’est la technique de Merle d’Aubigné [7]-Tubiana [9] qui est la plus utilisée.
Elle consiste à transférer le rond pronateur sur le deuxième radial, le petit palmaire sur le long extenseur du pouce et le cubital antérieur sur l’extenseur commun des doigts. L’utilisation du cubital antérieur, qui est le tendon le plus puissant du poignet, peut être discutée car il entraîne une perte de force de serrage de la main de 30 % [3] (fig. 17-1A, B, C).
Une alternative proposée par Boyes [1] consiste à restaurer l’extension des doigts par le transfert des tendons fléchisseurs superficiels des 3e et 4e doigts passés à travers la membrane interosseuse. Le superficiel du 3e doigt rétablit la fonction du long extenseur du pouce (EPL) et de l’extenseur propre de l’index, le fléchisseur du 4e doigt active l’extenseur commun du 3e au 5e doigt (EDC) incluant l’extenseur propre du 5 (EDQ) (fig. 17-2).
Orthèse et rééducation
Avant l’intervention
La kinésithérapie a pour but de tonifier les muscles qui seront transférés et d’entretenir les articulations qui sont exceptionnellement raides dans ce type de paralysie. Durant cette période, le patient portera, s’il s’agit de son membre dominant, une orthèse dynamique de suppléance des extenseurs (voir chapitre 7) stabilisant le poignet en extension à 30°. Les MP sont rappelées en extension par le système élastique, les IP sont libres. Pour un membre non dominant, une orthèse statique antébrachio-métacarpienne stabilise le poignet à 30° d’extension. Cette orthèse ne doit pas être portée en permanence car le patient se prive alors des effets ténodèses du poignet qui, en flexion, amènent l’extension des doigts.
En postopératoire
Dès le 3e jour, l’opéré bénéficie d’une orthèse dynamique antébrachio-métacarpienne dorsale de suppléance des extenseurs, sous couvert de laquelle il réalise sa rééducation (fig. 17-3A). Cette orthèse supplée aux manques d’efficacité du transfert tendineux, elle maintient la position de détente des sutures et permet une mobilisation active des doigts en flexion. Cette mobilisation est analytique en flexion des MP contre la résistance des élastiques, c’est-à-dire progressive dans les amplitudes articulaires et surtout non douloureuse. La mobilisation en flexion-extension des IP est libre, les MP étant maintenues en extension. L’enroulement global des MP et IP est à proscrire (fig. 17-3B, C).
À J30
Au niveau de la colonne du pouce, c’est la rétropulsion-abduction et l’extension qui doivent être sollicitées. L’extension active des chaînes digitales doit se faire de manière simultanée en raison du transfert d’un seul tendon sur l’ensemble des extenseurs commun des doigts. Il faut vérifier qu’il ne se développe aucune compensation par les interosseux, ce qui entraînerait des déformations en col de cygne (fig. 17-4A, B, C).
Mobilisation en flexion des doigts et du poignet
Des exercices fonctionnels permettent de retrouver une utilisation spontanée du membre supérieur pour les activités de la vie journalière. Ensuite, on alterne des préhensions globales avec des préhensions tridigitales pour solliciter la mobilité des doigts. Une orthèse dynamique d’extension du poignet et des MP par lame de Levame est portée la nuit (voir chapitre 7).
Après J60
Le renforcement de l’extension du poignet contre résistance est indispensable pour obtenir sa stabilisation lors des préhensions. Au niveau des extenseurs des doigts, on privilégie les exercices de rapidité d’ouverture de la main. La dextérité est cependant limitée par l’absence de dissociation de l’extension de chaque doigt. La récupération des amplitudes articulaires en flexion des doigts ne doit pas se faire au détriment des amplitudes d’extension active, il convient de trouver un juste équilibre entre la récupération de la flexion et l’efficacité des transferts tendineux. Pour cette raison, la flexion complète du poignet n’est pas recherchée. S’il persiste une raideur importante de flexion MP, une orthèse dynamique de posture en flexion des doigts doit être prescrite, soit par bande longitudinale, soit par traction directe des MP avec le poignet en rectitude (voir chapitre 7). La récupération de la force de préhension est toujours longue.