Chapitre 17 Prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques
La brûlure est sans doute l’un des traumatismes les plus graves qu’une personne puisse subir. Il s’agit d’une agression du revêtement cutané, véritable effraction pouvant se doubler d’une effraction psychique.
Déjà Freud, dans Au delà du principe de plaisir en 1920 [1], définit le moi comme une enveloppe psychique, qui, de la même façon que la peau est une enveloppe corporelle venant faire barrière aux agressions physiques, fait barrière à l’effraction psychique. Ce que Freud définit comme fonction de « pare-excitation ».
Didier Anzieu psychanalyste français, publie en 1985 un ouvrage intitulé Le Moi-peau dont l’impact fut déterminant [2]. Par analogie avec la peau, enveloppe corporelle, Anzieu décrit le « Moi-peau », enveloppe du psychisme, support de l’identité.
Dans une deuxième partie, nous énoncerons quelques principes de prise en charge de ces patients, aussi bien en terme médicamenteux que relationnels.
Dans la mesure où nous intervenons dans une unité de grands brûlés à partir d’une équipe de psychiatrie de liaison [3], nous insisterons sur la nécessité de la mise en commun du travail des « psys » dans l’ensemble de l’équipe. Le travail des psychiatres et des psychologues dans un service de brûlés n’a que peu d’intérêt s’il se limite à un échange singulier entre le patient et nous.
Troubles psychiatriques de l’adulte
Troubles préexistants à la brûlure
Aucune étude n’a pu confirmer de « profil psychologique » particulier des patients hospitalisés pour brûlures mais certaines publications [4, 5] semblent affirmer que les brûlures sont plus fréquentes chez les adultes présentant des troubles addictifs (alcool, drogues illicites) et/ou déjà traités pour une pathologie psychiatrique.
Une revue de la littérature américaine de 1999 met en avant l’importance des troubles psychiatriques chez les brûlés [4]. L’éthylisme et l’abus de substance sont retrouvés chez 11 à 57 % des patients en fonction des études. L’éthylisme serait associé de façon significative avec des brûlures plus sévères, des épisodes confusionnels pendant l’hospitalisation et une mortalité plus importante. J. Magne, psychologue dans un centre de rééducation, fait état d’un pourcentage de 35 % de patients brûlés hospitalisés présentant des pathologies psychiatriques antérieures à la brûlure [5]. Il s’agit pour 16,25 % d’entre eux de psychose avérée, pour 8,75 % de dépression et pour 10 % de psychopathie et de conduites addictives.
Troubles transitoires
Les attitudes de régression permettent au patient de s’adapter à la perte totale d’autonomie et peutêtre de se protéger au moins initialement de la dépression. Le refus de cette perte d’autonomie exposerait le patient à ne pas tirer bénéfice de l’assistance qui lui est proposée et peut conduire à des attitudes agressives vis-à-vis du soignant vécu alors comme un persécuteur [6].
Nous nous arrêterons essentiellement sur les épisodes confusionnels et les troubles délirants.
Épisode confusionnel aigu (ou délirium)
De nombreux facteurs de vulnérabilité liés à des caractéristiques propres de la personne, ses antécédents ou des facteurs contextuels voire iatrogènes semblent favoriser la survenue d’épisodes confusionnels. Ces facteurs sont les suivants [6] :
Traumatisme psychique
Mécanismes psychiques en jeu dans le traumatisme : vécu de l’événement
Effroi
Un des mythes qui décrit le mieux l’état engendré par l’effroi est le mythe qui retrace l’histoire de Persée et de la Méduse [7].
Dans l’Antiquité grecque, la Méduse était l’une des trois Gorgones, divinités marines malfaisantes.
Le regard de la Méduse était si pénétrant et terrifiant que quiconque le croisait était saisi d’effroi et immédiatement changé en pierre.
L’effroi signe l’effraction psychique par une confrontation du sujet au réel de sa propre mort, une expérience de néantisation. « L’effroi, c’est la perte pour le sujet de sa qualité d’être parlant. » [8]
Culpabilité
Elle est toujours présente dans l’immédiat, de façon consciente ou inconsciente, formulée simplement de manière indirecte (masquée) ou carrément projetée, prenant alors la forme d’un reproche ou d’une attaque vis-à-vis d’un tiers. La culpabilité découle d’un sentiment d’arbitraire, du vécu d’impuissance. C’est une tentative de donner du sens à l’événement, de s’en réapproprier la maîtrise. La culpabilité va entraîner un surcroît de souffrance, pouvant inciter les thérapeutes à déculpabiliser ou dédramatiser. Cette attitude est, au mieux, inutile, au pire négative, avec le risque que le sujet se taise [9, 10]. Il convient donc de comprendre la culpabilité, de la respecter et la laisser s’exprimer [10].
Rupture du sentiment d’appartenance
L’expérience traumatisante, qu’elle soit individuelle ou collective (actes de terrorisme, incendie), isole le sujet. Les liens sociaux, familiaux et affectifs sont momentanément suspendus, le sujet décrivant un état de déréliction. Ce moment d’isolement, de rupture d’appartenance à l’espèce humaine ou à son groupe d’appartenance (familiale, sociale ou professionnelle) peut faire suite à un sentiment d’abandon (délai des secours, agression dans une rue déserte…). C’est ce sentiment qui peut être à l’origine du développement de phobies (agoraphobie, phobie des transports…) d’apparition précoce ou différée [9].
Clinique des troubles post-traumatiques immédiats
Classifications
Dans la classification américaine DSM IV, l’état de stress aigu ou « acute stress disorder » (308.3) dure au moins 48 heures et n’excède pas un mois. L’état de stress aigu est défini par la réunion de huit critères, de A à H (tableau 17-1), peu différents des critères de la CIM 10.
Les auteurs français différencient dans cette symptomatologie immédiate stress adapté et stress dépassé [10].