17: Prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques

Chapitre 17 Prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques



La brûlure est sans doute l’un des traumatismes les plus graves qu’une personne puisse subir. Il s’agit d’une agression du revêtement cutané, véritable effraction pouvant se doubler d’une effraction psychique.


Déjà Freud, dans Au delà du principe de plaisir en 1920 [1], définit le moi comme une enveloppe psychique, qui, de la même façon que la peau est une enveloppe corporelle venant faire barrière aux agressions physiques, fait barrière à l’effraction psychique. Ce que Freud définit comme fonction de « pare-excitation ».


Didier Anzieu psychanalyste français, publie en 1985 un ouvrage intitulé Le Moi-peau dont l’impact fut déterminant [2]. Par analogie avec la peau, enveloppe corporelle, Anzieu décrit le « Moi-peau », enveloppe du psychisme, support de l’identité.


Selon Anzieu « La complexité anatomique, physiologique et culturelle [de la peau] anticipe sur le plan de l’organisme la complexité du Moi sur le plan psychique. De tous les organes des sens, c’est le plus vital : on peut vivre aveugle, sourd, privé de goût et d’odorat. Sans l’intégrité de la majeure partie de la peau, on ne survit pas. La peau occupe une plus grande surface que tout autre organe des sens : 2 500 cm2 chez l’enfant et 18 000 chez l’adulte. »


Le concept de Moi-peau est énoncé sur le modèle des fonctions de la peau : la peau a une fonction de contenant, de protection, de limites, de support de l’identité mais aussi un rôle d’échange entre l’extérieur et l’intérieur. La peau véhicule la sensorialité par le toucher, est le support de l’investissement libidinal et de l’agressivité qui est son corollaire.


Le psychisme de l’enfant se constitue dans les premiers mois de vie, à partir de l’expérience tactile et du contact « peau à peau » du bébé et de sa mère.


Il n’est alors pas très étonnant que, lorsque la douleur survient, comme par exemple lors de brûlures, peau et Moi-peau deviennent, comme Anzieu le souligne, « une enveloppe de souffrance », attestant de la double atteinte, physique et psychique de l’individu.


Nous tenterons de décrire dans ce chapitre les perturbations psychologiques et psychiatriques rencontrées chez les patients, adultes et enfants.


Nous apporterons une attention importante au syndrome de stress post-traumatique, en nous attachant à faire ressortir les facteurs de risque de son apparition, puisqu’il semble bien que la prévention (dite secondaire) de son apparition soit plus intéressante que le traitement du syndrome déjà installé.


Cela ne doit pas nous faire oublier que l’événement « brûlure » n’est pas le seul facteur traumatique.


La douleur, surtout intense et durable, est un facteur de désorganisation du psychisme, ainsi que la perte brutale d’autonomie, la séparation du milieu familial et social habituel.


Pour les brûlés les plus graves, la longueur de l’hospitalisation, les procédures de traitement physique et les interventions chirurgicales répétées sont en elles-mêmes traumatiques.


Dans une deuxième partie, nous énoncerons quelques principes de prise en charge de ces patients, aussi bien en terme médicamenteux que relationnels.


Dans la mesure où nous intervenons dans une unité de grands brûlés à partir d’une équipe de psychiatrie de liaison [3], nous insisterons sur la nécessité de la mise en commun du travail des « psys » dans l’ensemble de l’équipe. Le travail des psychiatres et des psychologues dans un service de brûlés n’a que peu d’intérêt s’il se limite à un échange singulier entre le patient et nous.


Tout l’enjeu est justement dans ce travail de « liaison » entre les différents acteurs du soin. Il est important pour les soignants qui vont justement approcher les patients, au plus fort de leur intimité et au plus près de leurs blessures physiques, de pouvoir se faire une représentation de leur fonctionnement psychique.



Troubles psychiatriques de l’adulte



Troubles préexistants à la brûlure


Les tentatives de suicide représentent 2 à 9 % des patients hospitalisés en service de brûlés. Parmi ces suicidants, la prévalence de troubles psychiatriques est élevée : schizophrénie, dépression et troubles de personnalité sont les trois diagnostics principaux.


Aucune étude n’a pu confirmer de « profil psychologique » particulier des patients hospitalisés pour brûlures mais certaines publications [4, 5] semblent affirmer que les brûlures sont plus fréquentes chez les adultes présentant des troubles addictifs (alcool, drogues illicites) et/ou déjà traités pour une pathologie psychiatrique.


Une revue de la littérature américaine de 1999 met en avant l’importance des troubles psychiatriques chez les brûlés [4]. L’éthylisme et l’abus de substance sont retrouvés chez 11 à 57 % des patients en fonction des études. L’éthylisme serait associé de façon significative avec des brûlures plus sévères, des épisodes confusionnels pendant l’hospitalisation et une mortalité plus importante. J. Magne, psychologue dans un centre de rééducation, fait état d’un pourcentage de 35 % de patients brûlés hospitalisés présentant des pathologies psychiatriques antérieures à la brûlure [5]. Il s’agit pour 16,25 % d’entre eux de psychose avérée, pour 8,75 % de dépression et pour 10 % de psychopathie et de conduites addictives.


Le même auteur précise que, lors de l’hospitalisation aiguë, la prise en charge très maternante des soins physiques contient souvent les émergences délirantes des épisodes psychotiques aigus. C’est plus tard, en rééducation, que la pathologie psychotique va devenir problématique : déambulations, port des orthèses compliqué pour des patients ayant au préalable déjà une image du corps très perturbée.


La psychopathie est la pathologie la plus difficile à gérer en institution : intolérance à la frustration, transgressions alternant en fonction des soignants avec de véritables capacités de séduction et de manipulation.



Troubles transitoires


Tout séjour hospitalier, en particulier en réanimation, constitue, indépendamment des causes qui y conduisent, un facteur de stress qui va mobiliser les capacités adaptatives du patient.


Les attitudes de régression permettent au patient de s’adapter à la perte totale d’autonomie et peutêtre de se protéger au moins initialement de la dépression. Le refus de cette perte d’autonomie exposerait le patient à ne pas tirer bénéfice de l’assistance qui lui est proposée et peut conduire à des attitudes agressives vis-à-vis du soignant vécu alors comme un persécuteur [6].


La symptomatologie psychiatrique en réanimation est souvent bruyante mais frustre, généralement transitoire et rapidement évolutive. Elle pose des problèmes étiopathogéniques et thérapeutiques complexes. Il s’agit de faire la part entre des étiologies souvent intriquées : troubles métaboliques ou toxiques, atteintes cérébrales lésionnelles ou fonctionnelles, décompensations de pathologies psychiatriques préexistantes ou vécu traumatique du séjour en réanimation.


Nous nous arrêterons essentiellement sur les épisodes confusionnels et les troubles délirants.



Épisode confusionnel aigu (ou délirium)


Le délirium est habituellement décrit comme un état réversible résultant de phénomènes organiques induisant une souffrance cérébrale. Il s’agit d’une altération de la conscience, avec perturbation du cycle veille-sommeil. Sa définition associe une désorientation temporo-spatiale et un délire onirique. Le délirium peut être associé à un état d’agitation, en général discontinu, plus fréquent la nuit. Les perturbations apparaissent sur un temps court, en général 3 à 7 jours après l’admission, et peuvent être fluctuantes dans la journée.


L’onirisme comprend des illusions, des interprétations et des hallucinations. Ces perceptions sensorielles erronées sont le plus souvent visuelles mais peuvent aussi toucher l’audition, l’olfaction, le toucher et le goût.


Le délirium survient environ chez 30 % des sujets admis en unité de soins intensifs. Le danger réside dans l’agitation qui s’y associe fréquemment, voire l’opposition aux soins.


Les causes principales sont d’ordre métabolique, ionique, toxique (syndrome de manque), cérébrale (épileptique, vasculaire), médicamenteuse.


De nombreux facteurs de vulnérabilité liés à des caractéristiques propres de la personne, ses antécédents ou des facteurs contextuels voire iatrogènes semblent favoriser la survenue d’épisodes confusionnels. Ces facteurs sont les suivants [6] :











Traumatisme psychique





Mécanismes psychiques en jeu dans le traumatisme : vécu de l’événement



Effroi


Un des mythes qui décrit le mieux l’état engendré par l’effroi est le mythe qui retrace l’histoire de Persée et de la Méduse [7].


Dans l’Antiquité grecque, la Méduse était l’une des trois Gorgones, divinités marines malfaisantes.


Le regard de la Méduse était si pénétrant et terrifiant que quiconque le croisait était saisi d’effroi et immédiatement changé en pierre.


C’est Persée, fils de Zeus qui, pour sauver sa mère Danaé, partit trancher la tête de la Méduse. Grâce à un bouclier poli qui lui venait d’Athéna et de sandales ailées offertes par les nymphes, Persée put s’approcher de la Méduse sans être vu. Se fiant au reflet dans son bouclier, il put tuer la Méduse sans jamais croiser son regard. Par deux fois, Persée brandit son trophée, la tête de la Méduse, et pétrifia ses ennemis. Il remit enfin celle-ci à Athéna, déesse de la guerre, qui la plaça sur son bouclier pour glacer ses ennemis d’effroi.


Ce qui caractérise l’effroi, c’est la peur extrême qui pétrifie, glace et immobilise ou « méduse » l’individu qui, par anticipation, se voit mort. L’effroi est lié à ce bref instant où l’homme se voit mort. Mais c’est aussi parce que cette peur survient par surprise. Si Persée échappe à la mort, c’est qu’il est averti du danger mortel, il maîtrise son regard, n’est pas pris au dépourvu. Freud accordait une grande importance à l’effet de surprise et pensait que l’angoisse pouvait faire barrage à l’effraction psychique.


L’effroi signe l’effraction psychique par une confrontation du sujet au réel de sa propre mort, une expérience de néantisation. « L’effroi, c’est la perte pour le sujet de sa qualité d’être parlant. » [8]





Clinique des troubles post-traumatiques immédiats



Classifications


La classification CIM 10 des troubles psychiatriques décrit les troubles précoces en position F43.0 « Réaction aiguë à un facteur de stress » et définit « un trouble transitoire sévère survenant chez un individu ne présentant aucun trouble moral apparent, à la suite d’un facteur de stress physique ou psychique exceptionnel et disparaissant habituellement en quelques heures ou quelques jours ».


Dans la classification américaine DSM IV, l’état de stress aigu ou « acute stress disorder » (308.3) dure au moins 48 heures et n’excède pas un mois. L’état de stress aigu est défini par la réunion de huit critères, de A à H (tableau 17-1), peu différents des critères de la CIM 10.


Tableau 17-1 Critères diagnostiques DSM IV du F 43. 0 [308.3] : état de stress aigu.














Le critère A définit l’exposition à un événement grave et la réaction à cet événement ; le critère B énonce les symptômes dissociatifs ; le critère C décrit les symptômes de répétition ; le critère D l’évitement des stimuli liés au traumatisme ; le critère E les symptômes anxieux et plus particulièrement l’hyperactivité neurovégétative ; le critère F l’altération du fonctionnement social, professionnel et familial. Le critère G est un critère de temps tandis que le critère H exclut les autres causes de perturbations (médicale, toxique ou psychiatrique).


Les auteurs français différencient dans cette symptomatologie immédiate stress adapté et stress dépassé [10].

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Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 17: Prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques

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