17: Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés

Chapitre 17 Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés



À la fin des années 1960, le Dr R. Adams Cowley conceptualise la notion d’une période cruciale durant laquelle il est important de débuter la prise en charge définitive d’un patient traumatisé en état critique. Il déclare lors d’une interview : « Il existe une heure en or (golden hour) entre la vie et la mort. Si vous êtes gravement blessé, vous avez moins de 60 minutes pour survivre. Vous ne mourrez peut-être pas tout de suite, ce sera peut-être dans 3 jours ou dans 2 semaines. Mais quelque chose d’irréparable se sera produit dans votre organisme. »


Existe-t-il une base concrète à ce concept ? La réponse est « oui ». Cependant, il est important de comprendre que le patient n’a pas toujours le luxe de cette « golden hour ». Un patient souffrant d’une plaie pénétrante du cœur peut n’avoir que quelques minutes pour que soient débutés les soins définitifs, avant que l’état de choc causé par la lésion ne devienne irréversible. À l’opposé de cette situation, on trouve le patient qui souffre d’une hémorragie interne faiblement active provenant d’une fracture du fémur. Un tel patient dispose de plusieurs heures avant le traitement définitif et la réanimation. Parce que l’heure d’or n’est pas stricto sensu une période de 60 minutes, mais varie d’un patient à l’autre en fonction des lésions, il est plus approprié de parler de « période d’or » (« golden period »). Si un patient gravement blessé peut bénéficier du traitement définitif (réanimation et contrôle chirurgical de l’hémorragie) durant cette période d’or, ses chances de survie sont considérablement augmentées [1].


Aucune intervention, aucune scène d’intervention et aucun patient ne sont identiques. Chacune et chacun requièrent une certaine flexibilité de la part de l’équipe dans son action et sa réaction aux différentes situations qui se développent. La prise en charge des traumatismes dans le cadre préhospitalier doit refléter ces contingences. Cependant, les objectifs n’ont pas changé : 1) accéder au patient ; 2) identifier et traiter les lésions menaçant la vie ; et 3) conditionner et transporter le patient vers la structure appropriée la plus proche, dans les délais les plus courts possibles. La majorité des techniques et des principes abordés dans ce livre ne sont pas nouveaux, et une grande partie de ceux-ci sont enseignés dans les programmes de formation initiale des intervenants préhospitaliers. Cependant, cet ouvrage est différent sur plusieurs points :



Le programme Prehospital Trauma Life Support (PHTLS) enseigne que l’intervenant préhospitalier peut adéquatement juger une situation, ce qui permet d’améliorer le devenir du patient, à la condition que cet intervenant ait une bonne base de connaissances. Le fondement du programme PHTLS est que les soins au patient devraient être conduits par le jugement et non dictés par des protocoles ; cela explique les données médicales enseignées dans ce cours. Ce chapitre traite des aspects clés des soins préhospitaliers aux traumatisés, et les rassemble ici.



Pourquoi les patients traumatisés meurent


Les études qui analysent les causes de la mort de patients traumatisés ont plusieurs thèmes communs. Une étude russe sur plus de 700 morts traumatiques a trouvé que la plupart des patients qui succombent rapidement à leurs blessures appartiennent à trois de ces catégories : perte sanguine massive (36 %), blessure grave des organes vitaux comme le cerveau (30 %), obstruction des voies aériennes et défaillance ventilatoire aiguë (25 %) [2]. Dans une analyse portant sur 753 patients traumatisés morts de leurs blessures dans des trauma centers de niveau I, le Dr Ronald Stewart et ses collaborateurs [3] ont trouvé que 51 % des patients traumatisés étaient morts d’un traumatisme grave du système nerveux central (SNC ; par exemple un traumatisme craniocérébral), 21 % d’un choc irréversible, 25 % d’un traumatisme grave du SNC conjointement à un choc irréversible, et 3 % d’un syndrome de défaillance multiviscérale.


Mais que se passe-t-il chez ces patients au niveau cellulaire ? Comme nous l’avons vu dans le chapitre 8, le processus métabolique du corps humain fonctionne grâce à de l’énergie comme n’importe quelle autre machine. Tout comme les machines, l’organisme génère sa propre énergie, mais a besoin de carburant pour cela. Les carburants du corps sont l’oxygène et le glucose. Le corps peut stocker le glucose (glycogène) et de la graisse pour l’utiliser plus tard. Cependant, l’oxygène ne peut pas être stocké et doit être constamment délivré aux cellules de l’organisme. L’oxygène contenu dans l’air atmosphérique est conduit dans les poumons par l’action du diaphragme et des muscles intercostaux. Il diffuse alors à travers la membrane alvéolocapillaire, se fixe sur l’hémoglobine contenue dans les globules rouges, et est transporté vers les tissus par le système vasculaire. Les cellules, en présence d’oxygène, « brûlent » le glucose au cours de cycles métaboliques complexes (glycolyse, cycle de Krebs et transport d’électrons) pour produire l’énergie nécessaire à toutes les fonctions du corps. Cette énergie est stockée sous forme d’adénosine triphosphate (ATP). S’il n’y a pas assez d’énergie (ATP), les activités métaboliques essentielles ne fonctionnent plus normalement et les organes commencent à devenir défaillants.


L’état de choc est considéré comme une défaillance de la production d’énergie dans le corps. La sensibilité des cellules à la privation d’oxygène est variable d’un organe à l’autre (encadré 17-1). Les cellules au sein d’un organe peuvent être lésées de manière fatale, tout en continuant à fonctionner pour un certain laps de temps. Cette mort cellulaire retardée, menant à des défaillances d’organes, est ce à quoi faisait référence le Dr Cowley dans ses propos cités plus haut. Les complications des états de choc sont traitées de façon plus complète dans le chapitre 8. La situation décrite par le Dr Cowley, « l’état de choc », menait au décès du patient si elle n’était pas traitée rapidement. Sa définition comprenait le transport du patient en salle d’opération pour réaliser l’hémostase chirurgicale. Le Committee on Trauma de l’American College of Surgeons (ACS–COT) a utilisé ce concept de l’heure d’or pour insister sur l’importance du transport de ce type de patient vers un hôpital où une prise en charge chirurgicale est immédiatement disponible.



Encadré 17-1 Choc


Lorsque le cœur est privé d’oxygène, les cellules du myocarde ne peuvent plus produire assez d’énergie pour pomper le sang vers les autres tissus. Prenons l’exemple d’un patient ayant perdu un volume sanguin important, donc une quantité significative de globules rouges, à la suite d’une plaie par arme à feu au niveau de l’aorte. Le cœur continue à battre pendant quelques minutes avant de s’arrêter. Remplir le système vasculaire après que le cœur a été privé d’oxygène pendant plusieurs minutes ne restaurera pas la fonction des cellules myocardiques lésées. Ce processus est appelé choc irréversible. La condition spécifique du cœur est appelée activité électrique sans pouls. La fonction cellulaire est encore présente ; cependant, elle n’est pas suffisante pour pomper le sang vers les autres cellules du corps. Le patient présente un rythme d’ECG mais n’a pas assez de force contractile pour éjecter le sang du cœur vers le reste du corps.


Un autre exemple de processus de ce type mais avec une issue moins grave est la défaillance cardiaque congestive. De nombreuses cellules cardiaques ont été endommagées par l’ischémie secondaire à la maladie des artères coronaires, mais d’autres ne le sont pas. La lésion n’est pas complète, donc assez de cellules intactes sont présentes pour poursuivre le processus d’éjection du volume sanguin.


Bien que l’ischémie, constatée lors d’un état de choc sévère, puisse léser virtuellement tous les tissus, le dommage aux organes n’apparaît pas en même temps. Au niveau des poumons, un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) se développe souvent dans les 48 heures suivant une lésion ischémique, alors que des défaillances rénales ou hépatiques aiguës n’apparaissent typiquement que plusieurs jours plus tard. Bien que tous les tissus du corps soient affectés par le manque d’oxygène, quelques tissus sont plus sensibles à l’ischémie. Par exemple, un patient souffrant d’une lésion traumatique de l’encéphale peut développer un œdème cérébral qui provoque des lésions permanentes au cerveau. Bien que les cellules du cerveau cessent de fonctionner et meurent, le reste du corps peut survivre pendant des années.


La période d’or représente un laps de temps au cours duquel le choc s’aggrave, tout en restant presque toujours réversible si des soins appropriés sont donnés. L’absence de traitement visant à améliorer l’oxygénation et à contrôler l’hémorragie, ou l’échec de ce traitement, permet au choc de progresser, devenant irréversible. Pour que les patients traumatisés aient les meilleures chances de survie, la prise en charge doit débuter sur les lieux de l’intervention, se prolonger au service d’accueil des urgences, au bloc opératoire et, enfin, en service de réanimation. La prise en charge de patients traumatisés est un « sport d’équipe ». Le patient « gagne » lorsque tous les membres de l’équipe (du terrain jusqu’à l’hôpital) travaillent ensemble dans l’intérêt d’une seule personne : le patient.



Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés


Les chapitres précédents traitent de la prise en charge de patients souffrant de lésions d’un système organique précis. Bien que ce livre présente chaque système du corps humain individuellement, il est fréquent qu’un patient soit polytraumatisé et souffre d’atteintes simultanées de plusieurs systèmes d’organes. Un intervenant préhospitalier doit reconnaître et prioriser le traitement de patients présentant des lésions multiples. Les principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés sont présentés ci-après.



1 Assurer la sécurité du patient et des intervenants


S’assurer de la sécurisation des lieux de l’intervention doit rester la première priorité de l’intervenant préhospitalier (figure 17-1). Cela inclut non seulement la sécurité du patient, mais aussi celle de l’équipe. À partir des informations données par le centre de traitement de l’alerte, les risques potentiels peuvent souvent être évalués et intégrés avant d’arriver sur les lieux. En cas d’accident de la circulation, ces risques peuvent inclure le trafic routier, la présence de matières dangereuses, le risque d’incendie ou l’existence de lignes électriques ayant chuté au sol. En cas de fusillade ou d’agression, il faut rester conscient du fait que le ou les agresseurs peuvent être encore présents sur les lieux. En cas de violence avérée, les forces de l’ordre doivent être les premières sur la scène de l’intervention. En cas d’imprudence, le membre de l’équipe soignante peut devenir à son tour une victime, ce qui ne sera d’aucune utilité pour le patient. Sauf circonstance exceptionnelle, seuls des personnels spécialement entraînés devraient effectuer des sauvetages périlleux.



Un autre aspect fondamental de sécurité implique l’emploi de règles basiques de protection. Le sang et les autres liquides organiques peuvent transmettre des infections comme le VIH ou une hépatite. Les équipements de protection doivent toujours être employés, plus particulièrement lors de la prise en charge de patients traumatisés s’il y a du sang.


La sécurité du patient et l’existence potentielle de situations dangereuses doivent également être identifiées. Même si un patient ne présente pas de lésions menaçant la vie lors de l’examen primaire, une extraction rapide peut être requise si des risques pour le patient sont identifiés, comme un risque important d’incendie ou la position instable du véhicule.




3 Reconnaître la cinétique ayant produit les lésions


Le chapitre 4 explique comment l’énergie cinétique peut se traduire en lésions pour le patient traumatisé. Dès lors que l’on approche le lieu de l’accident et le ou les patient(s), la cinétique de l’accident doit être prise en compte (figure 17-2). La compréhension de la cinétique permet une meilleure évaluation du patient. La connaissance des mécanismes lésionnels spécifiques aide à « prédire » les lésions et à savoir où examiner. Cette évaluation du processus de l’accident ne doit pas retarder l’évaluation et la prise en charge du patient, mais peut être incluse dans l’évaluation globale des lieux de l’intervention, dans les questions adressées au patient et aux témoins. La cinétique peut également jouer un rôle important dans la détermination de l’hôpital de destination du blessé (protocole de triage par critères de lésions vers les centres de traumatisme). Les aspects clés de la cinétique notés sur les lieux doivent aussi être relayés à l’équipe qui réceptionne le patient à l’hôpital.




4 Utiliser l’approche « examen primaire » afin d’identifier les conditions menaçant la vie


Le concept central dans le programme PHTLS est l’insistance sur la notion d’examen primaire, empruntée au cours Advanced Trauma Life Support (ATLS) développé par l’ACS-COT. Cette surveillance brève permet d’évaluer rapidement les fonctions vitales et d’identifier les affections menaçant la vie, à travers l’évaluation systématique des voies aériennes, de la fonction respiratoire, de la circulation, de la fonction neurologique puis de l’exposition à l’environnement et de la protection contre ce dernier (encadré 17-2). Au fur et à mesure que l’intervenant préhospitalier s’occupe du blessé, il reçoit différents types d’informations (visuelles, auditives, sensitives, odorantes, etc.) qui peuvent être replacées dans un schéma de prise en charge des urgences vitales ou fonctionnelles, afin de commencer à planifier une prise en charge logique et organisée.


May 27, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 17: Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés

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