Chapitre 17 Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés
Existe-t-il une base concrète à ce concept ? La réponse est « oui ». Cependant, il est important de comprendre que le patient n’a pas toujours le luxe de cette « golden hour ». Un patient souffrant d’une plaie pénétrante du cœur peut n’avoir que quelques minutes pour que soient débutés les soins définitifs, avant que l’état de choc causé par la lésion ne devienne irréversible. À l’opposé de cette situation, on trouve le patient qui souffre d’une hémorragie interne faiblement active provenant d’une fracture du fémur. Un tel patient dispose de plusieurs heures avant le traitement définitif et la réanimation. Parce que l’heure d’or n’est pas stricto sensu une période de 60 minutes, mais varie d’un patient à l’autre en fonction des lésions, il est plus approprié de parler de « période d’or » (« golden period »). Si un patient gravement blessé peut bénéficier du traitement définitif (réanimation et contrôle chirurgical de l’hémorragie) durant cette période d’or, ses chances de survie sont considérablement augmentées [1].
il fournit des façons de procéder pour la prise en charge des patients traumatisés fondées sur des preuves scientifiques (evidence-based medicine) ;
il procure une approche systématisée pour l’établissement de priorités dans le traitement d’un patient souffrant d’atteintes de plusieurs systèmes du corps humain ;
il fournit un schéma organisationnel pour les interventions.
Pourquoi les patients traumatisés meurent
Les études qui analysent les causes de la mort de patients traumatisés ont plusieurs thèmes communs. Une étude russe sur plus de 700 morts traumatiques a trouvé que la plupart des patients qui succombent rapidement à leurs blessures appartiennent à trois de ces catégories : perte sanguine massive (36 %), blessure grave des organes vitaux comme le cerveau (30 %), obstruction des voies aériennes et défaillance ventilatoire aiguë (25 %) [2]. Dans une analyse portant sur 753 patients traumatisés morts de leurs blessures dans des trauma centers de niveau I, le Dr Ronald Stewart et ses collaborateurs [3] ont trouvé que 51 % des patients traumatisés étaient morts d’un traumatisme grave du système nerveux central (SNC ; par exemple un traumatisme craniocérébral), 21 % d’un choc irréversible, 25 % d’un traumatisme grave du SNC conjointement à un choc irréversible, et 3 % d’un syndrome de défaillance multiviscérale.
Mais que se passe-t-il chez ces patients au niveau cellulaire ? Comme nous l’avons vu dans le chapitre 8, le processus métabolique du corps humain fonctionne grâce à de l’énergie comme n’importe quelle autre machine. Tout comme les machines, l’organisme génère sa propre énergie, mais a besoin de carburant pour cela. Les carburants du corps sont l’oxygène et le glucose. Le corps peut stocker le glucose (glycogène) et de la graisse pour l’utiliser plus tard. Cependant, l’oxygène ne peut pas être stocké et doit être constamment délivré aux cellules de l’organisme. L’oxygène contenu dans l’air atmosphérique est conduit dans les poumons par l’action du diaphragme et des muscles intercostaux. Il diffuse alors à travers la membrane alvéolocapillaire, se fixe sur l’hémoglobine contenue dans les globules rouges, et est transporté vers les tissus par le système vasculaire. Les cellules, en présence d’oxygène, « brûlent » le glucose au cours de cycles métaboliques complexes (glycolyse, cycle de Krebs et transport d’électrons) pour produire l’énergie nécessaire à toutes les fonctions du corps. Cette énergie est stockée sous forme d’adénosine triphosphate (ATP). S’il n’y a pas assez d’énergie (ATP), les activités métaboliques essentielles ne fonctionnent plus normalement et les organes commencent à devenir défaillants.
L’état de choc est considéré comme une défaillance de la production d’énergie dans le corps. La sensibilité des cellules à la privation d’oxygène est variable d’un organe à l’autre (encadré 17-1). Les cellules au sein d’un organe peuvent être lésées de manière fatale, tout en continuant à fonctionner pour un certain laps de temps. Cette mort cellulaire retardée, menant à des défaillances d’organes, est ce à quoi faisait référence le Dr Cowley dans ses propos cités plus haut. Les complications des états de choc sont traitées de façon plus complète dans le chapitre 8. La situation décrite par le Dr Cowley, « l’état de choc », menait au décès du patient si elle n’était pas traitée rapidement. Sa définition comprenait le transport du patient en salle d’opération pour réaliser l’hémostase chirurgicale. Le Committee on Trauma de l’American College of Surgeons (ACS–COT) a utilisé ce concept de l’heure d’or pour insister sur l’importance du transport de ce type de patient vers un hôpital où une prise en charge chirurgicale est immédiatement disponible.
Principes d’or des soins préhospitaliers aux patients traumatisés
1 Assurer la sécurité du patient et des intervenants
S’assurer de la sécurisation des lieux de l’intervention doit rester la première priorité de l’intervenant préhospitalier (figure 17-1). Cela inclut non seulement la sécurité du patient, mais aussi celle de l’équipe. À partir des informations données par le centre de traitement de l’alerte, les risques potentiels peuvent souvent être évalués et intégrés avant d’arriver sur les lieux. En cas d’accident de la circulation, ces risques peuvent inclure le trafic routier, la présence de matières dangereuses, le risque d’incendie ou l’existence de lignes électriques ayant chuté au sol. En cas de fusillade ou d’agression, il faut rester conscient du fait que le ou les agresseurs peuvent être encore présents sur les lieux. En cas de violence avérée, les forces de l’ordre doivent être les premières sur la scène de l’intervention. En cas d’imprudence, le membre de l’équipe soignante peut devenir à son tour une victime, ce qui ne sera d’aucune utilité pour le patient. Sauf circonstance exceptionnelle, seuls des personnels spécialement entraînés devraient effectuer des sauvetages périlleux.
3 Reconnaître la cinétique ayant produit les lésions
Le chapitre 4 explique comment l’énergie cinétique peut se traduire en lésions pour le patient traumatisé. Dès lors que l’on approche le lieu de l’accident et le ou les patient(s), la cinétique de l’accident doit être prise en compte (figure 17-2). La compréhension de la cinétique permet une meilleure évaluation du patient. La connaissance des mécanismes lésionnels spécifiques aide à « prédire » les lésions et à savoir où examiner. Cette évaluation du processus de l’accident ne doit pas retarder l’évaluation et la prise en charge du patient, mais peut être incluse dans l’évaluation globale des lieux de l’intervention, dans les questions adressées au patient et aux témoins. La cinétique peut également jouer un rôle important dans la détermination de l’hôpital de destination du blessé (protocole de triage par critères de lésions vers les centres de traumatisme). Les aspects clés de la cinétique notés sur les lieux doivent aussi être relayés à l’équipe qui réceptionne le patient à l’hôpital.
4 Utiliser l’approche « examen primaire » afin d’identifier les conditions menaçant la vie
Le concept central dans le programme PHTLS est l’insistance sur la notion d’examen primaire, empruntée au cours Advanced Trauma Life Support (ATLS) développé par l’ACS-COT. Cette surveillance brève permet d’évaluer rapidement les fonctions vitales et d’identifier les affections menaçant la vie, à travers l’évaluation systématique des voies aériennes, de la fonction respiratoire, de la circulation, de la fonction neurologique puis de l’exposition à l’environnement et de la protection contre ce dernier (encadré 17-2). Au fur et à mesure que l’intervenant préhospitalier s’occupe du blessé, il reçoit différents types d’informations (visuelles, auditives, sensitives, odorantes, etc.) qui peuvent être replacées dans un schéma de prise en charge des urgences vitales ou fonctionnelles, afin de commencer à planifier une prise en charge logique et organisée.
Encadré 17-2 Patient traumatisé en état critique. Temps passé sur les lieux : 10 minutes ou moins
Présence d’au moins une des situations suivantes, menaçant potentiellement la vie :