17: Anémie fœtale

Chapitre 17


Anémie fœtale



Les principales causes d’anémie fœtale sont les anémies allo-immunes et l’infection à parvovirus B19. La surveillance des patientes à risque a pour but de dépister les anémies sévères avant l’apparition d’une anasarque fœto-placentaire. La prise en charge de l’anémie sévère repose sur les transfusions in utero ou sur une naissance provoquée si l’âge gestationnel le permet.



17.1


Anémie fœtale allo-immune


L’allo-immunisation érythrocytaire fœto-maternelle est une pathologie rare de la grossesse. Une à deux femmes sur 1 000 sont immunisées. Malgré la prévention instaurée depuis plus de trente ans, l’immunisation la plus fréquente reste celle dirigée contre l’antigène RhD (RH1) avec 6 cas pour 1 000 naissances vivantes aux États-Unis et environ 750 cas par an en France (88 % des immunisations) [1, 2]. Les autres allo-immunisations antiérythrocytaires les plus fréquentes sont les anti-Rh c, anti-RhE et anti-Kell. L’allo-immunisation est la première cause d’anémie fœtale. Les conséquences anténatales sont extrêmement variables en fonction du type d’anticorps, de sa quantité et de son affinité pour l’antigène correspondant allant de l’absence de retentissement à l’anasarque et la mort in utero.



Mécanismes physiopathologiques


L’allo-immunisation fœto-maternelle est liée à la production chez la mère d’anticorps (Ac) dirigés contre un antigène (Ag) de groupe sanguin dont elle est dépourvue (réponse immunitaire primaire). L’immunisation est le plus souvent secondaire à une hémorragie fœto-maternelle, plus rarement à une transfusion ou chez les toxicomanes par échange de seringues. L’hémorragie fœto-maternelle peut survenir lors de facteurs favorisants (avortement spontané, interruption volontaire de grossesse, traumatisme, geste invasif de diagnostic prénatal, accouchement….) ou être spontanée. Lors d’une nouvelle exposition à l’Ag, habituellement lors d’une grossesse ultérieure, une réponse immunitaire secondaire se met en place avec synthèse rapide d’Ac. Les Ac de type IgG passent la barrière placentaire et se fixent sur les hématies fœtales si elles possèdent l’Ag correspondant et sont donc responsables d’une anémie hémolytique fœtale d’installation progressive. Les conséquences fœtales sont d’autant plus importantes que le taux d’Ac est élevé et que leur affinité pour l’Ag est importante. La spécificité des Ac est, elle aussi, primordiale. Certains anticorps n’ont aucune incidence fœtale alors que d’autres vont être à l’origine d’une anémie fœtale sévère. Le risque est nul pour les auto-Ac, les Ac anti-Lewis et anti-P1 par exemple. Le risque est limité à un ictère néonatal pour les Ac anti-E, anti-CW. Une atteinte fœtale est possible pour les anti-RhD, anti-c et anti-Kell, etc. L’hémolyse est compensée au début par une augmentation de l’érythropoïèse médullaire et extramédullaire (foie et rate) responsable d’une hépatosplénomégalie. L’hépatosplénomégalie induit une hypertension portale et une obstruction veineuse ombilicale avec retentissement sur le placenta et diminution de la capacité de synthèse hépatique. Ceci entraîne une hypoprotéinémie et une hypoalbuminémie qui contribuent à l’apparition de l’œdème et de l’ascite. La diminution du contenu en oxygène du fait de l’anémie est à l’origine de mécanismes compensatoires hémodynamiques (augmentation du débit cardiaque fœtal, redistribution du flux sanguin vers le cœur et le cerveau…) dont le but est de maintenir l’apport en oxygène au niveau myocardique et cérébral. Une insuffisance cardiaque peut survenir si l’anémie se majore et concourir à la survenue d’une anasarque. L’anémie d’évolution progressive est bien tolérée surtout pendant la première partie de la grossesse. Si l’anémie est sévère, les mécanismes compensatoires sont dépassés avec apparition d’une anasarque fonctionnelle puis lésionnelle irréversible. Dans l’allo-immunisation anti-Kell, le mécanisme des conséquences fœtales est plus complexe. L’hémolyse fœtale est aggravée par une inhibition directe de l’érythropoïèse par les anticorps anti-Kell [3].


À la naissance, les Ac maternels persistent dans la circulation du nouveau-né plusieurs semaines. Le risque d’anémie persiste. L’hémolyse est responsable d’une libération de bilirubine à l’origine d’un ictère néonatal aux conséquences parfois graves (ictère nucléaire).



Diagnostic de l’anémie fœtale


La découverte d’une anémie fœtale peut survenir dans deux principales circonstances : lors de la surveillance d’une situation à risque (patiente immunisée) ou par découverte fortuite d’une ascite ou d’une anasarque fœtale en échographie.



Surveillance d’une patiente immunisée


Le but de la surveillance est de repérer les fœtus présentant une anémie sévère nécessitant une prise en charge anténatale ou une extraction avant la survenue d’une complication.


Les antécédents maternels sont importants. L’atteinte fœtale est à chaque grossesse généralement plus précoce et plus sévère.



Surveillance immuno-hématologique


La recherche des agglutinines irrégulières (RAI) est obligatoire pendant la grossesse (décret du14/02/1992). Elle doit être systématique à la première consultation prénatale quel que soit le Rhésus de la mère. En cas de RAI positives, une prise en charge spécifique s’impose. Elle repose dans un premier temps sur l’identification des Ac et leur concentration.



Identification des anticorps

Elle permet de préciser le risque d’anémie fœtale (Ac présentant ou non un risque d’atteinte fœtale, fœtus présentant ou non l’Ag correspondant). Le phénotype du père doit être demandé afin de vérifier s’il possède l’Ag correspondant et s’il est homozygote (100 % de risque d’atteinte fœtale) ou hétérozygote (50 % de fœtus positif). Si le père est négatif pour l’Ag correspondant, aucune surveillance n’est nécessaire si la paternité est certaine. Pour le RhD, si le conjoint est positif et si le couple a déjà un enfant RhD négatif, le père est hétérozygote. S’ils n’ont pas d’enfant RhD négatif, il est possible d’estimer le caractère homozygote ou hétérozygote par l’utilisation de table de fréquence d’hétérozygotie selon le phénotype (tableau 17.1) [2] ou de demander l’étude génomique du gène RhD sur prélèvement sanguin. Pour les autres Ag, le caractère hétérozygote est facile à déterminer. Par exemple : un sujet de Rhésus DCe est homozygote pour le C et le e négatif pour le c et le E.



Si le conjoint est homozygote, le fœtus a obligatoirement l’Ag à risque et une surveillance attentive devra être proposée. Si le conjoint est hétérozygote, le fœtus a une chance sur deux d’être négatif pour l’Ag à risque. Dans le cas où le conjoint est hétérozygote, il est alors important d’essayer de déterminer le statut du fœtus.


Pour le RhD et le Kell, il est possible de connaître le statut du fœtus par PCR sur sang maternel. Cette analyse est fiable, mais n’est actuellement réalisée que dans un nombre limité de laboratoires et n’est pas remboursée par la Sécurité sociale [4].


Pour certains Ag (RhD, c, Kell), une PCR peut être réalisée sur le liquide amniotique. La réalisation d’une amniocentèse expose cependant au risque d’avortement, de rupture prématurée des membranes mais aussi au risque de réactivation de l’immunisation.



Quantification des anticorps

Elle permet de préciser le risque d’anémie fœtale. Elle repose sur le titrage et le dosage pondéral. Le titrage des Ac (test de Coombs indirect) mesure la quantité d’Ac capable de se fixer in vitro sur les hématies. Il dépend de l’affinité des Ac, de la concentration en Ag et de paramètres techniques. Il est donc comparable dans le temps uniquement s’il est réalisé dans le même laboratoire avec une étude en parallèle avec le prélèvement précédant. Ce test est peu précis. Un risque d’anémie fœtale existe à partir d’un test de Coombs supérieur à 1/16. Le dosage pondéral permet de mesurer la concentration réelle en Ac. Il est disponible pour l’ensemble des Ac anti-Rhésus. Il repose sur un dosage automatisé reproductible. Un risque d’anémie fœtale existe à partir d’un dosage pondéral supérieur à 0,7 μg/mL (1 μg/mL  = 5 UI  = 250 U CHP (Centre Hémobiologie Périnatale). Le risque d’anémie fœtale en fonction de la concentration des Ac et de l’âge gestationnel est détaillé dans le tableau 17.2.



En cas de RAI positive, il est nécessaire de les contrôler régulièrement afin de suivre l’évolution des taux. La fréquence de surveillance dépend de la quantification initiale et de l’âge gestationnel. Une augmentation brutale est associée à un risque accru d’anémie fœtale.



Surveillance échographique


La surveillance échographique doit s’attacher à dépister une anémie fœtale avant l’apparition d’une anasarque témoin d’une anémie fœtale sévère.


Cette surveillance repose sur la recherche de signe de pré-anasarque (anses intestinales bien visibles témoin d’une ascite débutante, épanchement péricardique, œdème sous-cutané, augmentation du diamètre de la veine ombilicale, excès de liquide amniotique) mais surtout sur la mesure du pic systolique de vélocité (PSV) au niveau de l’artère cérébrale moyenne (ACM) par Doppler. L’augmentation de la vitesse en cas d’anémie est secondaire à la diminution de la viscosité sanguine et à l’augmentation du débit cardiaque.


Cette mesure est facile sous réserve de conditions de mesure strictes : coupe transversale du pôle céphalique, repérage du polygone de Willis à l’aide du Doppler couleur, tir Doppler sur l’artère cérébrale moyenne au niveau du tiers proximal (proche de l’origine) avec un angle inférieur à 20° par rapport au vaisseau (figure 17.1) [5]. Le correcteur d’angle peut être utilisé en cas de difficulté [6]. La vitesse est plus faible à la partie distale du vaisseau. La mesure peut être réalisée au niveau de l’ACM proximale (antérieure, sous la sonde) ou distale avec la même performance. Elle doit être réalisée en l’absence de mouvements actifs du fœtus et en évitant toute pression sur la tête du fœtus. Toute augmentation de fréquence du rythme cardiaque fœtal secondaire au mouvement augmente la vitesse surtout au troisième trimestre [7].



La mesure du PSV est variable en fonction de l’âge gestationnel et est exprimée en MoM (multiple de la médiane). La valeur en MoM est obtenue en divisant la valeur de la mesure du PSV par la médiane pour l’âge gestationnel. La médiane est connue à partir de 18 SA (tableau 17.3) [5]. La mesure en MoM peut aussi être obtenue sur le site « perinatalogy.com », rubrique « calculator ».



Sous couvert du respect des conditions de mesure, le pic systolique au niveau de l’ACM est corrélé au taux d’hémoglobine. Dans l’étude initiale de Mari [5], la mesure du PSV permet le diagnostic d’anémie modérée à sévère avec une sensibilité de 100 % au seuil de 1,5 MoM pour 12 % de faux positifs. Après 35 SA, le taux de FP semble plus élevé [8]. Une étude randomisée comparant le diagnostic d’anémie par la réalisation de l’indice optique sur liquide amniotique (gold standard avant l’étude de Mari) à la mesure du PSV a démontré la supériorité de l’échographie avec une sensibilité de 88 % et une spécificité de 82 %. Cette technique permet de réduire le nombre de geste invasif de 50 % [9]. Une anémie est considérée comme sévère quand la mesure du PSV est supérieure à 1,55 MoM.


En cas d’allo-immunisation, la mesure régulière en cours de grossesse (toutes les 1 à 2 semaines si le taux d’AC est élevé, en fonction de l’âge gestationnel et de la dernière mesure) et le report de cette mesure sur une courbe en fonction de l’âge gestationnel (figure 17.2) permet de suivre l’évolution de l’anémie fœtale et d’adapter la prise en charge. La mesure mais aussi la pente d’augmentation de la mesure du PSV sont importantes dans l’évaluation de l’anémie et la programmation de la prise en charge invasive. La surveillance échographique débutera dès que le test de Coombs sera à 1/32 ou le dosage pondéral à 0,7 μg/L ou dès 18 SA en cas d’antécédent de perte périnatale, de transfusion in utero ou post-natale [2].



L’échographie permet aussi de vérifier la vitalité fœtale. La diminution des mouvements actifs fœtaux peut être un signe d’appel d’aggravation de l’anémie.


D’autres signes échographiques peuvent évoquer une anémie fœtale sévère. Ils doivent être recherchés avec attention. Il s’agit d’une cardiomégalie, d’une hépatosplénomégalie, d’un œdème sous-cutané, d’épanchement des séreuses (ascite, épanchement péricardique ou pleural), d’un placenta épais, échogène et homogène, d’un excès de liquide amniotique et/ou d’un œdème du cordon. L’anasarque fœto-placentaire est définie par l’association de deux signes fœtaux ou d’un signe fœtal et d’un signe annexiel. Elle témoigne d’une anémie sévère dont la prise en charge doit être immédiate.




Monitoring


L’incidence des anomalies du rythme cardiaque fœtal (RCF) est corrélée au degré d’anémie. Toutes les anomalies peuvent être observées. La tachycardie est fréquente. En cas d’anémie sévère le RCF peut être sinusoïdal (figure 17.3). Une transfusion in utero ou une extraction fœtale doivent être réalisées en urgence en fonction de l’âge gestationnel dans ces situations. Les systèmes d’analyse informatisée du RCF ne permettent pas l’analyse du RCF sinusoïdal et ne doivent pas être utilisés dans cette indication.


Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 17: Anémie fœtale

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access