Chapitre 16 Plaies des nerfs et rééducation de la sensibilité
Pour que le kinésithérapeute puisse s’investir dans cette rééducation du système nerveux périphérique lésé, il doit nécessairement connaître les bases anatomiques, la physiologie, les mécanismes de dégénérescence et de régénération. Les techniques de rééducation lui apparaîtront alors d’une grande logique, ainsi que le besoin d’appareiller ces patients par des orthèses pour une longue période. Les séquelles fonctionnelles sont parfois importantes et, dans cette situation, il ne faut pas abandonner ces patients car ils peuvent encore bénéficier de transfert tendineux comme nous le développons au chapitre 17.
Anatomie et physiologie
Le nerf a une enveloppe conjonctive périfasciculaire appelée épinèvre (fig. 16-1A, B). Cette structure abondante porte les vaisseaux et est mécaniquement résistante.
L’unité nerveuse accessible à la réparation microchirurgicale est le « groupe fasciculaire ». Sous microscope opératoire, il est relativement aisé de reconnaître dans un nerf médian cinq à six groupes fasciculaires mais une étude histologique à plus fort grossissement permettrait d’individualiser vingt à vingt-cinq fascicules. Chaque fascicule est délimité par une enveloppe périneurale (périnèvre) qui est une véritable barrière entre le milieu intrafasciculaire, qui est l’expansion de l’espace sous-arachnoïdien, et le milieu extrafasciculaire, qui est constitué par le conjonctif épineural. À l’intérieur du périnèvre, se trouvent les fibres nerveuses (axone) myéliniques et amyéliniques au sein d’une matrice conjonctive dénommée endonèvre. L’agencement des fascicules au sein du tronc nerveux est complexe et soumis à d’importantes variations individuelles. Sunderland [14] a montré que les fascicules se divisent ou convergent pour créer un véritable réseau plexiforme de telle manière que, tous les 10 mm, il n’est plus possible de trouver une correspondance entre deux extrémités nerveuses. On comprend qu’une réparation nerveuse négligée en urgence et qui imposera secondairement la résection d’un névrome va altérer considérablement les chances d’une bonne concordance fasciculaire.
Bilan lésionnel
Classification de Sunderland
La nature du traumatisme peut léser partiellement ou totalement le nerf, ainsi une contusion avec un hématome va bloquer la conduction du nerf pendant quelques jours ou quelques semaines mais une récupération spontanée ad integrum surviendra. Plus délicats sont les étirements du nerf qui vont rompre les gaines de myéline et de Schwann avec dégénérescence de l’axone mais qui vont régénérer partiellement grâce aux tubes endoneuraux. Lorsque le traumatisme est plus sévère, la continuité endoneurale est rompue, la régénération nerveuse sera alors limitée et le résultat fonctionnel incomplet. S’il ne subsiste que l’enveloppe épineurale, la capacité de régénération nerveuse est quasiment nulle, empêchée par la formation d’une fibrose cicatricielle. La section totale va induire un processus complet de dégénérescence wallérienne et imposer une réparation microchirurgicale par suture directe ou par greffe. L’examen clinique combiné avec l’étude électromyographique va permettre, dès la troisième semaine, au terme de la dégénérescence wallérienne, de préciser la nature des lésions.
C’est la classification de Sunderland [14] en cinq stades qui rend compte avec précision de la réalité lésionnelle (fig. 16-2).
Principaux tableaux cliniques
Plaies du nerf médian
La paralysie haute est fréquemment associée à des lésions musculaires et vasculaires situées en amont du pli du coude. Elle crée un important déficit moteur et sensitif donnant un aspect de main qui bénit. La pronation de l’avant-bras et la flexion radiale du poignet est impossible. Les fléchisseurs superficiels des doigts longs (FDS) sont paralysés ainsi que les fléchisseurs profonds (FDP) de l’index et du majeur et le long fléchisseur du pouce. Au niveau des muscles intrinsèques, l’opposant (Op) et le court abducteur du pouce (APB) sont inactifs ainsi que le faisceau superficiel du court fléchisseur du pouce (FPB). La perte de la sensibilité concerne la face palmaire du pouce, de l’index, du majeur et de la moitié radiale de l’annulaire et la face dorsale de P2-P3 de l’index et du majeur et la moitié radiale de l’annulaire (fig. 16-3A, B).
Plaies du nerf cubital
Paralysie haute
Elle est provoquée par une lésion située en amont de l’épitrochlée. Elle se manifeste par une impossibilité de réaliser une flexion-inclinaison cubitale du poignet, une flexion de l’interphalangienne distale de l’annulaire et de l’auriculaire par paralysie des muscles extrinsèques. La paralysie des muscles intrinsèques est marquée par une perte de l’adduction du pouce, de l’abduction adduction des doigts longs et de la flexion active des articulations métacarpo-phalangiennes de l’annulaire et de l’auriculaire ; ceci est à l’origine de la déformation dite en « griffe cubitale » qui sera prévenue ou corrigée par une orthèse statique restrictive dite de « Zancolli » (fig. 16-4A, B, C).
Affaiblissement de la flexion de la MP du pouce
Il est dû à la paralysie du faisceau profond du court fléchisseur (FPB). La paralysie de l’interosseux palmaire du 3e espace provoque une abduction permanente de l’auriculaire réalisant le signe de Wartenberg, qui sera corrigée par la mise en syndactylie avec le 4e rayon (fig. 16-5A, B).
Perte de l’adducteur du pouce
La perte de sensibilité concerne la face palmaire de la main intéressant la moitié cubitale du 4e rayon et la totalité du 5e rayon. La face dorsale est insensible en dedans de l’axe passant par le 3e rayon, à l’exception de P2-P3 du majeur et du versant radial de l’annulaire qui sont innervés par le médian (fig. 16-3).
Plaie du nerf radial
Paralysie haute du nerf radial
Elle est le plus souvent la conséquence d’une fracture de la diaphyse de l’humérus, plaie par arme blanche ou par balle. Le poignet, le pouce et les doigts longs n’ont plus d’extension active, la supination de l’avant-bras est limitée, la perte de sensibilité concerne la face dorsale du pouce, de la 1re phalange de l’index et la moitié radiale du majeur (fig. 16-3). La stabilisation du poignet en position neutre par une orthèse statique antébrachio-métacarpienne palmaire évite le capotage du poignet et permet de préserver un minimum d’extension des doigts par le jeu des interosseux (voir chapitre 6).
Paralysie basse
Elle concerne les lésions situées en aval de l’épicondyle où le nerf radial se divise en branche motrice et sensitive. Dans ce cas, l’extension du poignet est préservée car le 1er et le 2e radial (ECRL et ECRB) sont fonctionnels. Seuls les extenseurs du pouce et des doigts longs sont paralysés. Par le jeu de l’effet ténodèse du poignet et l’action des muscles intrinsèques, les IPP et IPD s’étendent mais le déficit d’extension des MP est toujours présent.
Évaluation de la fonction musculaire
Le bilan d’une paralysie doit être précis car il doit être connu avant tout geste chirurgical et sa répétition est le seul moyen d’apprécier la qualité de la régénération nerveuse. Par ailleurs, cet examen a une valeur médico-légale avant tout geste thérapeutique afin que le patient ne puisse incriminer le thérapeute au sujet de son état déficitaire. Le British Council a proposé une cotation de M0 à M5 qui est toujours d’actualité au niveau international, adaptée à l’activité musculaire de la main elle se définit ainsi :
• M1 : contraction musculaire perceptible ne provoquant qu’un faible mouvement ;
• M2 : contraction partielle provoquant un mouvement partiel ;
• M3 : le mouvement est complet mais sans force ;
• M4 : mouvement contre résistance mais inférieur au côté sain ;
Le testing de la main et du poignet exige une bonne connaissance anatomique de chaque muscle à tester (voir chapitre 2), il convient d’être systématique dans la méthodologie en débutant toujours par le test des muscles stabilisateurs d’une articulation avant de tester les muscles mobilisateurs, c’est ainsi que l’on teste les muscles extrinsèques avant les muscles intrinsèques.
Évaluation de la sensibilité
Si le bilan sensitif est aisé dans une plaie totale en identifiant les territoires totalement anesthésiés par un test à l’aiguille dit du « piqué-touché » ; en revanche, une lésion partielle nécessite un bilan méticuleux faisant appel à des test de seuil et des tests fonctionnels. Cette batterie de test sera particulièrement utile pour évaluer la régénération nerveuse et les bénéfices obtenus par la rééducation de la sensibilité.