Chapitre 15 Utilisation des antibiotiques chez le brûlé
Points essentiels
Les règles de bonne pratique de l’antibiothérapie chez le brûlé ont été précisées par la SFETB :
L’infection est un problème majeur dans la prise en charge des brûlés et en particulier celle causée par des bactéries hospitalières qui ont acquis la multirésistance aux antibiotiques. La multirésistance est en relation directe avec la consommation d’antibiotiques. Par ailleurs, lorsque ces bactéries sont des bacilles à gram négatif, les molécules les plus efficaces datent de 20 ans pour les plus récentes, sans espoir de mise à disposition de nouveaux produits, même à long terme. De ce fait, les antibiotiques encore actifs ne doivent pas être galvaudés. C’est pourquoi la SFETB a édicté les recommandations qui suivent [1].
Préambule
L’antibiotique ne doit pas faire émerger de résistances bactériennes ; il convient de limiter la pression de sélection et ainsi d’en réduire les conséquences en terme d’écologie bactérienne.
Règle 1 – Pas d’antibiotique en l’absence d’infection avérée
La réduction de la consommation d’antibiotique a montré son efficacité pour réduire l’émergence de résistances bactériennes [2]. Les critères usuels d’infection – fondés sur l’existence d’un syndrome inflammatoire – (hyperthermie, hyperleucocytose, élévation de la CRP) sont inopérants chez le brûlé et conduisent à la prescription d’antibiothérapies inutiles qui doivent être évitées [3].
Règle 2 – L’infection locale relève d’un traitement local
L’antibiothérapie prescrite pour prévenir l’infection des brûlures n’empêche pas l’infection de celles-ci et favorise l’émergence de bactéries multirésis tantes [4]. Les topiques locaux sont efficaces pour prévenir ou traiter l’infection des brûlures [3].
Règle 3 – Réduire l’inoculum bactérien
Au sein d’une population bactérienne, la probabilité d’apparition de souches mutantes résistantes aux antibiotiques n’est pas nulle et le risque d’apparition de mutants résistants augmente avec la taille de la population bactérienne (inoculum). Un des moyens de limiter cette probabilité est la réduction de l’inoculum [5]. Chez les patients brûlés, des inoculum très importants peuvent être observés, notamment en cas d’infection des brûlures.
Lors d’une colonisation d’un tissu par des bactéries, le passage de la colonisation à l’infection dépend aussi de l’importance de l’inoculum bactérien [6]. Réduire l’inoculum peut donc également contribuer à prévenir la survenue d’infections.
Dans tous les cas de figure, il convient de chercher à réduire l’inoculum bactérien.
Règle 4 – L’antibiothérapie des infections graves est une urgence thérapeutique
Il est bien établi qu’en cas d’infection grave (mal tolérée et/ou mettant en jeu le pronostic vital), l’antibiothérapie doit être débutée sans délai, c’est-à-dire au plus tard dans les 6 heures qui suivent le diagnostic d’infection [7, 8].
Dans cette situation, il est fréquent que l’infection ne soit pas documentée au plan bactériologique ; il faudra donc savoir mettre en œuvre les prélèvements nécessaires avant d’instaurer l’antibiothérapie mais sans la retarder car une antibiothérapie retardée accroît la mortalité [8, 9].
Règle 5 – Choisir de préférence des antibiotiques bactéricides
Le patient brûlé présente un déficit immunitaire, si bien que dans ces conditions l’antibiothérapie devra être efficace par elle-même, sans le secours des défenses immunitaires [10]. En outre, l’utilisation d’un antibiotique bactéricide permet de réduire l’inoculum. Pour ces raisons, les experts recommandent l’utilisation de molécules bactéricides.
Règle 6 – Associer les antibiotiques
L’association présente un certain nombre d’avantages théoriques :
Il est établi qu’en présence de certaines bactéries hospitalières multirésistantes les associations permettent d’éviter l’acquisition de nouvelles résistances [11].
Règle 7 – Adapter l’antibiothérapie
Dans l’attente de la documentation bactériologique, le choix des antibiotiques est probabiliste. La possibilité d’une antibiothérapie initiale inappropriée par spectre trop étroit existe, avec le risque, dans ce cas, d’augmenter la mortalité [12].
Il existe aussi un risque d’antibiothérapie excessive (molécule active alors qu’un produit à spectre plus étroit serait aussi efficace). Or le risque de sélection de germes résistants est plus important avec une antibiothérapie à large spectre [13]. De ce fait, l’antibiothérapie probabiliste doit être réévaluée dès la réception des résultats bactériologiques, habituellement à la 48e heure [7, 9, 11, 12, 14]. L’antibiothérapie doit alors être adaptée au(x) germes(s) présumé(s) responsable(s) de l’infection [14].
La stratégie proposée comporte donc deux temps [12, 15, 16] :
Règle 8 – Savoir pratiquer la désescalade/savoir arrêter l’antibiothérapie
Remplacer une antibiothérapie probabiliste à spectre large par une antibiothérapie adaptée à spectre étroit guidée par l’antibiogramme s’appelle la désescalade ; elle doit être réalisée chaque fois que cela est possible [7, 9, 12]. La désescalade poursuit deux buts : un bénéfice individuel (guérison du malade) et un bénéfice collectif (réduire l’émergence de résistances bactériennes) [12]. Ses conditions d’application sont au nombre de trois : documentation bactériologique disponible, documentation positive avec antibiogramme et si possible CMI et amélioration du tableau infectieux après 48 heures.
L’arrêt d’une antibiothérapie considérée comme inutile peut être assimilé à une désescalade [12, 17].
Les experts recommandent une durée d’antibiothérapie de 7 à 8 jours pour la majorité des cas d’infections rencontrées chez les patients brûlés, à condition que le traitement initial ait été approprié [18, 19, 20] En cas d’infection par des germes à risque (type Pseudomonas aeruginosa), une durée plus longue peut être nécessaire mais elle ne devra pas dépasser 15 jours [18, 21]. Il est également possible, dans ce dernier cas, au-delà de 7 à 8 jours de traitement, d’interrompre l’antibiothérapie après 48 à 72 heures d’apyrexie (ou de disparition des signes ayant fait porter le diagnostic d’infection).
Règle 9 – Respecter les modalités d’administration : posologies, rythme d’injection
Notions de pharmacocinétique
Ces modifications concernent toutes les classes de molécules et tous les paramètres qui conditionnent la pharmacocinétique des antibiotiques mais avec d’importantes variations interindividuelles [17, 18, 24–27]. Ce que l’on observe est une baisse des concentrations sériques et tissulaires par rapport aux valeurs habituelles, à l’origine d’échecs thérapeutiques et de l’émergence de souches résistantes [22, 28].
Notions de pharmacodynamie
Les antibiotiques peuvent être répartis en deux groupes selon leur cinétique de bactéricidie [27, 29].
Antibiotiques à bactéricidie concentration-dépendante (aminosides, fluoroquinolones et fosfomycine) [22, 24, 26]
La bactéricidie est proportionnelle à la concentration maximale obtenue, c’est-à-dire à la dose unitaire administrée : plus elle est élevée, plus la bactéricidie est intense. L’objectif à atteindre est donc la concentration la plus élevée possible (Cmax) par rapport à la concentration minimale inhibitrice (CMI), la seule limite étant les effets secondaires. Avec ce type d’antibiotique l’administration est discontinue ; l’intervalle entre deux administrations dépend de la demi-vie de la molécule : il ne doit pas dépasser trois fois la demi-vie d’élimination de celle-ci [30]. C’est ainsi que les aminosides sont habituellement administrés en dose unique journalière (DUJ) alors qu’avec les fluoroquinolones le schéma comporte plusieurs injections quotidiennes.