Chapitre 15 Plaies des tendons fléchisseurs
Les lésions des tendons fléchisseurs de la main sont fréquentes et exigeantes sur le plan de la chirurgie, de l’appareillage et de la rééducation. Elles nécessitent de bonnes connaissances anatomiques et une collaboration étroite entre le chirurgien et les kinésithérapeutes pour déterminer le meilleur protocole de rééducation, compte tenu des éventuelles lésions associées et de la nature même des lésions. La qualité de l’appareillage postopératoire doit assurer la protection des sutures tendineuses pour obtenir une bonne cicatrisation tout en évitant l’enraidissement des chaînes digitales.
Anatomie – Biomécanique et nutrition des tendons fléchisseurs des doigts
Anatomie topographique
C’est la classification de la Fédération internationale des Sociétés de chirurgie de la main (IFSSH) qui est adoptée, elle divise les doigts longs en cinq zones et le pouce en trois (fig. 15-1).
Fléchisseurs des doigts longs
Gaines synoviales (fig. 15-2)
Les gaines synoviales sont essentielles à la nutrition et au glissement des tendons fléchisseurs. Ces gaines sont étanches et fermées à leurs extrémités, formant un cul-de-sac dont le feuillet pariétal tapisse le canal digital et le feuillet viscéral adhère totalement au tendon. L’index, le majeur et l’annulaire ont une gaine individuelle occupant le canal digital de chacun des doigts. Le long fléchisseur du pouce a sa gaine propre allant de la zone 4 à la zone T1. Enfin, l’appareil fléchisseur du 5e doigt est dans une gaine commune aux fléchisseurs des doigts longs en zones 3 et 4 et dans le canal digital.
Poulies
Les poulies sont essentielles à la flexion totale des doigts car elles appliquent l’appareil fléchisseur contre le squelette et évitent ainsi le phénomène de corde à arc. Ces poulies sont constituées de bandes de tissu fibreux d’épaisseur, de largeur et de configuration variables, renforçant la gaine synoviale. On distingue cinq poulies annulaires et trois cruciformes auxquelles il faut ajouter la poulie de l’aponévrose palmaire et celle formée par le ligament annulaire du carpe.
Les poulies A2 et A4 des doigts longs sont les plus importantes pour assurer une flexion quasi complète du doigt. Elles doivent être systématiquement préservées au décours de toute intervention chirurgicale ou reconstruites lorsqu’elles ont été lésées (fig. 15-3).
En regard de chaque articulation du pouce, on retrouve une poulie annulaire, A1 au niveau de la métacarpo-phalangienne, A2 pour l’interphalangienne. La poulie oblique O3 croise la diaphyse de la première phalange. Elle est, avec la poulie A1, la plus importante sur le plan biomécanique (fig. 15-4).
Examen clinique
Le fléchisseur profond est testé (fig. 15-5A) en maintenant en extension MP et IPP et en demandant au patient de fléchir l’interphalangienne distale, seul le fléchisseur profond est capable, lorsqu’il est en continuité, d’activer la flexion.
Le test du fléchisseur superficiel exige que tous les doigts soient maintenus en extension, sauf le doigt examiné. Il est alors demandé au patient de fléchir ce doigt, seul le fléchisseur superficiel peut fléchir l’interphalangienne proximale (fig. 15-5B). Dans un tiers des cas, ce test est négatif au niveau de l’auriculaire, car le tendon superficiel est soit déficient, soit absent.
Le test clinique permettant d’évaluer la flexion active du long fléchisseur du pouce est simple (fig. 15-5C). Il consiste à demander au patient de plier l’IP du pouce. Cependant, si le long fléchisseur est rompu au niveau de P2 et si la vincula courte reste attachée à la plaque palmaire, il est possible d’obtenir une flexion sans force mais effective de l’interphalangienne. C’est pour cela que le test clinique du long fléchisseur du pouce doit s’effectuer contre la résistance du doigt de l’examinateur.
Lorsque les poulies ont été lésées, en particulier A2 et A4, apparaît un effet de corde à arc que les Anglo-Saxons appellent « bowstringing » [7]. Il est dû au déplacement du fléchisseur profond qui n’est plus au contact des phalanges. Après réparation des poulies, il convient de mobiliser les patients en appliquant un contre-appui au niveau de celles-ci.
Traitement chirurgical
La réparation est à quatre brins et associe un point en cadre avec une suture axiale de type Tsuge. Le péritendon est suturé par un surjet continu (fig. 15-6A, B).
La réinsertion du tendon fléchisseur profond en zone 1 est confiée à une ancre résorbable ou au principe du « pull out » de Bunnel (fig. 15-6B).
Pansement et techniques de mobilisation protégée
Prise en charge postopératoire après chirurgie des tendons fléchisseurs de l’adulte
Durant les trois premiers jours postopératoires, le pansement doit être compressif afin d’éviter l’hématome qui est une des complications les plus redoutables de la chirurgie de la main. Une attelle est incorporée au pansement et protège les sutures. Cette attelle plâtrée est dorsale, elle fléchit le poignet à 30° et fixe les métacarpo-phalangiennes à 40° et les IP à 30° de flexion. C’est la position de détente pour l’appareil fléchisseur.
Au 3e jour, le pansement est enlevé et si l’état cutané et l’œdème de la main l’autorisent, l’attelle plâtrée laisse place à une orthèse en matériau thermoformable adaptée à l’anatomie dorsale de la main et du poignet pour protéger les sutures tendineuses et leur cicatrisation tout en autorisant la réalisation des techniques de mobilisation protégée selon le principe de Duran [1] (voir chapitre 6fig. 6-406-416-42 et 6-44) de Kleinert [5, 6], de Strickland [9] ou Elliot [3] (voir chapitre 7). Mais, autant il est possible de réaliser un protocole de Kleinert, Strickland ou Elliot, lorsque les lésions associées vasculo-nerveuses siègent en zones 1, 2 et 3 car la flexion des métacarpo-phalangiennes protège les sutures vasculo-nerveuses d’une tension excessive, en revanche, au niveau du poignet, la mise en flexion de celui-ci peut être nuisible à la réparation nerveuse. Après 4 semaines d’immobilisation en flexion du poignet, lorsque celui-ci se retrouve en position neutre, ou en dorsi-flexion, les tractions exercées au niveau de la suture nerveuse peuvent altérer de manière non négligeable la régénération. C’est pour ces raisons que nous préférons immobiliser le poignet en position neutre pendant 2 semaines pour assurer une cicatrisation nerveuse de qualité et autoriser ensuite une mobilisation protégée.
• mobilisation passive selon le protocole de Duran modifié ;
• mobilisation activo-passive selon le protocole de Kleinert
• mobilisation active selon le protocole de Strickland ou Elliot ;
Le principe du traitement est de favoriser la cicatrisation intrinsèque par rapport à la cicatrisation extrinsèque à l’origine des adhérences qui sont cependant nécessaires à la cicatrisation du tendon. Ces principes sont particulièrement valables pour la zone 2 où les tendons fléchisseurs réparés sont accolés l’un à l’autre et où les risques d’adhérences sont plus élevés par rapport aux autres zones. Des études expérimentales [4] démontrent la supériorité de la mobilisation postopératoire précoce, qu’elle soit passive ou active, par rapport à l’immobilisation.
Rééducation des fléchisseurs de J3 à J30
Protocole de Duran modifié ou mobilisation passive protégée (fig. 15-7)
Les mobilisations passives sous orthèse sont effectuées par le kinésithérapeute et enseignées au patient afin qu’il les réalise quotidiennement. L’orthèse est retirée en respectant l’attitude de protection (poignet, MP et IP en flexion). Le kinésithérapeute mobilise le doigt lésé de manière passive et analytique en flexion-extension, d’abord l’IPD puis l’IPD et l’IPP et en global les doigts sains et le poignet. Selon Duran, cette mobilisation permet le glissement des sutures des tendons l’une par rapport à l’autre et par rapport au canal digital ostéo-fibreux et favorise l’organisation longitudinale des adhérences. En fait, cette approche est plus théorique que pratique car la mobilisation passive n’entraîne pas obligatoirement la zone de suture, le tendon peut se plisser comme un accordéon sans glisser. Lors de la mobilisation en extension des MP et IP, les articulations sus- et sous-jacentes seront maintenues en flexion pour ne pas exercer de traction sur la suture. Il faut insister sur la mobilisation en extension de l’IPP car le flessum est fréquent en raison de l’œdème, des douleurs et de la cicatrisation tendineuse. (exemple : extension de l’IPP en gardant le poignet et la MP en flexion, inversement extension de la MP avec IPP et IPD en flexion).