Chapitre 15 Pathologie cardiaque fœtale
Les malformations congénitales de l’appareil cardiovasculaire sont parmi les plus fréquentes. Après la naissance, l’incidence des cardiopathies malformatives est le plus souvent estimée entre 7 et 8 pour 1 000 naissances, mais s’élève à environ 11 pour 1 000 si l’on prend également en considération les malformations longtemps muettes, telle la bicuspidie aortique. Avant la naissance, chez le fœtus, elles sont encore plus fréquentes et rendraient compte de 143/1 000 avortements spontanés précoces. Après 16 SA, les morts fœtales in utero secondaires à une cardiopathie sont nettement plus rares, ne concernant qu’environ 5 % de celles-ci [1], mais leur fréquence est très variable selon la cardiopathie, pouvant atteindre 30 % quand s’associe une anomalie chromosomique, 40 à 50 % en cas de dysplasie tricuspide ou de maladie d’Ebstein et près de 100 % quand la malformation s’accompagne d’un bloc auriculoventriculaire complet.
Longtemps, le diagnostic des malformations cardiaques a été le parent pauvre du dépistage prénatal. La qualité de ce dépistage s’améliore progressivement et, dans les séries récentes, près de la moitié de l’ensemble des cardiopathies est dépistée avant la naissance, cette proportion s’élevant à plus de 70 % lorsque l’on ne considère que les cardiopathies significatives, c’est-à-dire qui nécessiteront un traitement médical ou chirurgical dans les premières années de vie [2, 3]. Actuellement, toutes les malformations cardiaques peuvent être reconnues in utero, sauf rares exceptions.
Au-delà du seul dépistage des malformations, la cardiologie prénatale s’intéresse plus largement à l’ensemble de la pathologie cardiovasculaire du fœtus. L’exploration de l’hémodynamique fœtale est devenue la règle dans certaines pathologies, comme le syndrome transfuseur-transfusé, les retards de croissance intra-utérins, le diabète ou l’hypertension maternelle. Au total, la cardiologie prénatale est devenue une véritable spécialité (impliquant échographistes, cardiopédiatres, généticiens, etc.) méritant pleinement l’appellation de « médecine prénatale » quand elle essaie de préciser le pronostic de la cardiopathie, d’organiser la prise en charge du fœtus et de sa famille, puis celle de l’enfant à la naissance et ultérieurement, et encore plus quand elle entreprend divers traitements in utero comme celui d’un trouble du rythme fœtal [4].
Déroulement et technique de l’examen du cœur fœtal
Examen en échographie 2D
2e étape : repérer le situs
Cette étape, comme les suivantes, a pour but de s’orienter et donc de préciser la position des organes non plus dans l’espace mais par rapport au fœtus. Ce repérage se fait dans une incidence abdominale haute transverse, passant par le foie et l’estomac. Normalement, l’estomac et la rate sont à la gauche du fœtus, le foie et la vésicule biliaire à sa droite, l’aorte descendante et la veine cave inférieure sont postérieures, vues en coupe transverse, l’aorte étant à la gauche du rachis et la veine cave inférieure à sa droite. C’est un situs solitus normal (fig. 15.1). L’emplacement de ces organes est inversé en cas de situs inversus, et plus variable et moins systématisé en cas de situs ambigus.
3e étape : aborder le cœur par la veine cave inférieure
Une rotation de 90° de la sonde permet de voir la veine cave inférieure dans son grand axe et de suivre son abouchement dans l’oreillette droite. Plus haut (par rapport au fœtus), on voit également l’abouchement de la veine cave supérieure droite normale. C’est le plan bicave (fig. 15.2) : on a repéré les entrées du cœur fœtal droit.
4e étape : étude des incidences 4 cavités
Une incidence 4 cavités bas située, proche du plancher de l’oreillette gauche, permet d’analyser le sinus coronaire, d’un diamètre normalement inférieur à 3 mm (fig. 15.3). Dans cette incidence, passant par leurs anneaux plus que par leurs feuillets, les valves auriculoventriculaires ne sont pas réellement analysables.
L’incidence des 4 cavités classique, plus haute, dégage bien les feuillets de la valve mitrale et de la tricuspide (fig. 15.4). Elle apporte plusieurs informations fondamentales en montrant :
Avant d’aller plus loin, on vérifie que les deux anneaux valvulaires ont un diamètre sensiblement équivalent, que les deux appareils valvulaires s’ouvrent largement en diastole et qu’ils ne présentent pas de fuite en systole (intérêt de l’examen Doppler couleur). On vérifie également que le septum interventriculaire ne présente pas de défect entre ces deux valves. Il s’agirait alors d’une communication interventriculaire (CIV) dite « postérieure » ou « d’admission », signant une anomalie du développement du canal atrioventriculaire et incitant donc également à rechercher une trisomie 21.
5e étape : incidence dite des 5 cavités (fig. 15.5)
Légèrement angulée vers le haut et la gauche par rapport à la précédente, cette incidence permet de visualiser la chambre de chasse du ventricule gauche et le départ du gros vaisseau qui en est issu (normalement l’aorte). En s’aidant du Doppler couleur réglé sur une échelle de hautes vélocités, on vérifie la perméabilité de la valve sigmoïde, l’absence d’aliasing qui pourrait faire craindre un rétrécissement de celle-ci et l’absence de fuite lors de la diastole.
6e étape : recherche du croisement des gros vaisseaux de la base et repérage de l’aorte et du tronc pulmonaire
Normalement, l’aorte et l’artère pulmonaires se croisent dès leur origine, l’artère pulmonaire se dirigeant vers la gauche et l’avant, l’aorte vers la droite et l’arrière (fig. 15.6). Ce croisement physiologique fait qu’il n’est jamais possible de voir les deux vaisseaux en coupe longitudinale dans le même plan de coupe (fig. 15.7).
Cette crosse aortique normale (fig. 15.8) doit être distinguée de la crosse présentée par le canal artériel et son abouchement dans l’aorte descendante (fig. 15.9).
7e étape : incidence dite « des 3 vaisseaux » (fig. 15.10)
C’est l’incidence transverse du thorax la plus haute de l’examen. Elle permet de visualiser en coupe trois lumières vasculaires (ce dont on peut s’assurer à l’aide du Doppler couleur), dans l’ordre et de gauche à droite, le tronc pulmonaire (ou le canal artériel selon le niveau de coupe), l’aorte ascendante et la veine cave supérieure droite. Cette incidence est utile pour préciser trois éléments :
Examen en échographie 3D ou en échographie Doppler couleur 4D
Ces deux techniques permettent, à partir d’un seul plan de coupe, l’acquisition d’un volume contenant toutes les structures que l’on souhaite analyser. L’échographie 3D, avec laquelle ce volume est figé, reste d’un apport limité dans l’étude d’un organe en mouvement comme le cœur fœtal. Plus prometteuse apparaît l’échographie 4D (ou STIC pour spatio-temporal image correlation) qui donne accès aux mêmes informations volumiques, mais tout au long d’un cycle cardiaque. L’apport est indéniable pour l’exploration des anomalies vasculaires, dont l’analyse est parfois difficile en échographie 2D, l’échographie 4D donnant des images dont la précision rivalise avec celle des examens TDM ou IRM postnataux [5].
Pour certains, l’intérêt principal de l’échographie 4D par rapport à l’échographie 2D est la possibilité qu’il offre de réunir toutes les informations habituellement obtenues à partir de plusieurs plans de coupe en un seul « package » informatisé qui pourra être exploité et réexploité a posteriori, autant que nécessaire et éventuellement après transfert vers un centre de compétence [6].
Principales cardiopathies malformatives
Anomalies du retour veineux systémique
L’incidence des 3 vaisseaux permet de confirmer ce diagnostic en montrant une 4e lumière vasculaire située à gauche du tronc pulmonaire (fig. 15.11). Cette veine surnuméraire peut remplacer la veine cave supérieure droite normale ou coexister avec elle (cas le plus fréquent).
Ces deux anomalies peuvent s’intégrer dans une malformation plus complexe, en particulier dans le cadre d’un syndrome d’hétérotaxie. En elles-mêmes, elles n’en modifient que rarement le pronostic. Lorsqu’elles sont isolées, ce qui est fréquent pour la persistance de la VCSG, elles n’ont ni conséquence hémodynamique péjorative (sauf exception), ni signification génétique, et ne doivent pas perturber le déroulement de la grossesse.
Plus rare et plus préoccupante est l’agénésie du ductus venosus [7]. Normalement, cette structure, interposée entre la veine ombilicale et la partie haute de la veine cave inférieure, joue un rôle de régulateur et d’accélérateur du flux en provenance du placenta. L’absence de ductus venosus est fréquemment associée à d’autres anomalies, cardiaques ou extracardiaques, et/ou à une aneuploïdie. Elle peut se présenter sous deux formes anatomiques distinctes :
Anomalies du retour veineux pulmonaires (1/17 000 à 1/20 000 naissances)
Les anomalies du retour veineux pulmonaire correspondent au drainage anormal de la veine pulmonaire commune dans une autre structure que l’oreillette gauche : oreillette droite (forme intracardiaque, 15 % des cas), tronc veineux innominae (forme supracardiaque, 40 %), sinus coronaire (forme rétrocardiaque, 15 %) ou, enfin, par l’intermédiaire d’un collecteur descendant en arrière du cœur et traversant le diaphragme dans le système porte, une veine sus-hépatique ou la veine cave inférieure (forme sous-diaphragmatique, 25 %). Ces différentes formes de retour veineux pulmonaire anormal total (RVPAT) n’ont que peu de conséquences durant la vie fœtale (moindre développement du cœur gauche dont les structures sont par ailleurs normales). Il en va tout autrement après la naissance, le RVPAT étant responsable d’un shunt gauche-droite massif. Parmi les différentes formes possibles, le RVPAT sous-diaphragmatique est la plus péjorative, le blocage de la circulation veineuse pulmonaire étant rapidement responsable d’une hypertension et d’un œdème pulmonaire sévères, ainsi que d’une hypoxie réfractaire.
Communications interauriculaires
On en distingue trois formes principales, dont deux ne sont pas, sauf exception, accessibles au diagnostic prénatal, ce qui n’a pas de conséquence péjorative, ces malformations étant habituellement bien tolérées dans la première enfance et n’ayant aucune signification génétique, sauf antécédents familiaux :
Malformations du canal atrioventriculaire
Certaines de ces anomalies peuvent rester isolées, CIA, fente ou CIV. Lorsqu’elles s’associent, on se trouve en présence d’un canal atrioventriculaire, partiel ou complet, dont la correction chirurgicale est de complexité croissante. La présence d’une fuite valvulaire significative dès la période néonatale, la constatation d’une asymétrie marquée des ventricules, l’association à une hétérotaxie, d’autres anomalies cardiaques (Fallot) ou extracardiaques (les formes syndromiques ne sont pas rares) sont autant d’éléments péjoratifs. Même en ne tenant compte que des cas où la grossesse est poursuivie, 7 à 20 % décèdent in utero et la survie des enfants nés porteurs d’un canal atrioventriculaire complet ne dépasse guère 30 % [9].
Dysplasies des valves auriculoventriculaires – Malformation d’Ebstein
En dehors des anomalies précédemment évoquées, les valves mitrales ou tricuspides peuvent être atrétiques, hypoplasiques ou dysplasiques. Les deux premières éventualités seront envisagées dans le paragraphe traitant des asymétries ventriculaires ; la troisième est rare, mais de pronostic habituellement péjoratif.
La valve mitrale apparaît moins fréquemment dysplasique que l’appareil tricuspide. À son niveau, les anomalies prédominent sur l’appareil sous-valvulaire, piliers et cordages et sont le plus fréquemment responsables d’une sténose, souvent méconnue in utero. L’exception est représentée par la dysplasie valvulaire observée dans les formes sévères du syndrome de Marfan où prédomine une insuffisance valvulaire.
L’anomalie ou malformation d’Ebstein (0,5 % des cardiopathies congénitales) se caractérise par une anomalie d’implantation des feuillets septal et postérieur de la valve tricuspide qui sont malformés, dysplasiques ou absents. Leur attache est déplacée vers la pointe du ventricule droit, à une distance plus ou moins grande de l’anneau auriculoventriculaire (fig. 15.13).
Les formes diagnostiquées in utero ont pour la plupart un pronostic très péjoratif, avec près de 50 % de mort fœtale et 30 à 40 % de décès néonataux. Les rares survivants présentent le plus souvent une forme mineure ou modérée de la malformation [10].
Asymétries des ventricules
Elles constituent le signe d’appel majeur de nombreuses malformations mais il faut se rappeler qu’une asymétrie modérée est physiologique chez le fœtus, aux dépens du ventricule droit en début de grossesse et à celui du ventricule gauche lors du 3e trimestre. Il n’y a donc lieu de ne considérer que les asymétries importantes ou disproportionnées par rapport à ce qui est attendu en fonction du terme.
Dilatation du ventricule gauche (ou des cavités gauches)
Souvent accompagnée d’une insuffisance mitrale, elle est secondaire à une insuffisance ventriculaire gauche qui elle-même peut reconnaître deux origines :
Dilatation du ventricule droit (ou des cavités droites)
Une insuffisance tricuspide est également fréquente et, comme pour le ventricule gauche, la dilatation peut relever :
Petit ventricule gauche
La crainte est alors de se trouver face à une hypoplasie du ventricule gauche mais il est impératif de ne retenir ce diagnostic qu’après avoir réuni plusieurs critères indispensables (voir plus loin) et avoir éliminé formellement les nombreuses autres causes de petit ventricule gauche.
Le ventricule gauche est petit et non fonctionnel. Aucun flux ne peut être enregistré dans sa cavité ou alors ce flux est animé d’un mouvement de va-et-vient au travers d’une CIV ou d’une valve mitrale fuyante. Le flux aortique, s’il est présent, est rétrograde, provenant du canal artériel. Au maximum, la cavité ventriculaire gauche n’est plus discernable, l’aorte ascendante extrêmement hypoplasique, l’oreillette gauche très petite avec une membrane du foramen ovale battant anormalement dans l’oreillette droite, tout ceci contrastant avec des cavités droites et un tronc pulmonaire dilaté : il s’agit alors très probablement d’une hypoplasie du ventricule gauche mais, avant de retenir définitivement ce diagnostic, on s’efforcera de réunir au moins trois des six critères diagnostiques de cette malformation (tableau 15.1) (fig. 15.14).
Membrane du FO battant dans l’oreillette droite – petite oreillette gauche |
Atrésie de la valve mitrale – flux mitral absent |
Ventricule gauche non fonctionnel, sans mouvement de flux dans sa cavité, sans contraction de ses parois (quand elles sont visibles) |
Atrésie de la valve aortique – flux aortique ascendant absent |
Aorte ascendante hypoplasique, d’un diamètre < 2 mm |
Présence d’un flux rétrograde dans l’aorte isthmique |