14: Retard de croissance intra-utérin

Chapitre 14


Retard de croissance intra-utérin



On entend par retard de croissance intra-utérin (RCIU) un ralentissement ou une croissance fœtale insuffisante pouvant conduire à un poids de naissance inférieur au poids attendu pour le terme. C’est un problème fréquent en médecine fœtale (10 % des fœtus si l’on utilise la définition du 10e percentile) et dont les répercussions peuvent être lourdes. En effet, outre le fait que le RCIU puisse être la traduction d’une atteinte fœtale chromosomique, génétique, infectieuse voire toxique mettant en jeu le pronostic de l’enfant à naître, il peut également être la traduction d’une insuffisance des échanges materno-fœtaux. Cette dernière cause, de loin la plus fréquente, et entrant dans le cadre large de l’insuffisance placentaire, explique que le RCIU soit la troisième cause de mortalité périnatale et la source d’une importante morbidité périnatale [1]. Un nouveau-né ayant un poids de naissance inférieur au 10e percentile aura une morbidité et une mortalité périnatale 5 à 30 fois supérieure à celle d’un nouveau-né dont le poids est compris entre le 50e et le 90e percentile. Ceux nés avec un poids inférieur au 3e percentile auront une morbidité et une mortalité périnatale 70 à 100 fois supérieure [2].


Le poids de naissance d’un nouveau-né à terme est prédéterminé par des facteurs génétiques communément rassemblés sous le terme de potentiel héréditaire de croissance, mais est également sous l’influence, tout au long de la grossesse, de facteurs maternels, fœtaux, placentaires et environnementaux. Tout se passe donc comme si le nouveau-né était programmé pour atteindre un certain poids de naissance (dépendant de l’ethnie, du sexe, du morphotype parental, …), à la condition que cette croissance ne soit pas perturbée par un facteur exogène ou une limitation de la fonction d’échange placentaire.



Définition


La définition du RCIU la plus utilisée est celle d’un poids fœtal estimé inférieur au 10e percentile. Toutefois, cette définition se heurte à plusieurs difficultés.



• Celle du choix du paramètre échographique. Alors que pour l’hypotrophie c’est bien le poids de naissance qui est utilisé, il faut garder à l’esprit qu’in utero le poids fœtal n’est qu’une estimation à partir d’une formule multiparamétrique. La formule la plus utilisée est celle de Haldlock et al. prenant en compte le diamètre bipariétal, la circonférence abdominale et la longueur fémorale [3]. Outre les variations inter- et intra-opérateurs pouvant intervenir sur la mesure de chacun de ces paramètres, il a été montré que cette formule (ou celles en dérivant) n’a une précision optimale que pour des gammes de poids fœtal situées entre 1 500 et 4 000 g. Au-dessous de 1 500 g, le poids fœtal a tendance à être surestimé dans des proportions pouvant aller jusqu’à 25 % [4]. Si l’on prend chaque paramètre biométrique fœtal séparément, celui ayant la meilleure sensibilité est le périmètre abdominal (PA). Un PA dans les limites de la normale exclut un RCIU, alors qu’inférieur au 5e percentile sa sensibilité en population à haut risque varie de 61 à 86 %, alors qu’elle n’est que de 48 à 67 % pour les mesures de l’extrémité céphalique [3]. La sensibilité de la longueur du fémur dans le diagnostic global des RCIU ne dépasse pas 45 % [5]. Il faut cependant garder à l’esprit que le premier signe d’un RCIU vasculaire peut être un fémur  <  5 e percentile.


• Celle du choix d’un niveau de seuil permettant d’assurer une sensibilité la plus élevée possible tout en ayant une spécificité acceptable. En population générale (risque confondu ou bas risque), il faut privilégier la sensibilité et c’est le seuil du 10e percentile qui doit constituer le seuil d’alerte, tout en gardant à l’esprit que la performance rapportée de la biométrie prénatale échographique dans ce type de population ne dépasse pas 50 % pour dépister des enfants dont le poids de naissance sera inférieur au 10e percentile [6]. En population à haut risque, dans la mesure où il s’agit d’une population déjà sélectionnée, il est préférable d’utiliser le seuil du 5e percentile ou du 3e percentile (-2 DS) afin d’éviter un trop grand nombre d’interventions et une iatrogenèse excessive.


• Celle de la courbe de référence permettant de situer l’individu dans la distribution au sein de la population. Certaines courbes de référence ont été effectuées pour des populations très spécifiques. C’est le cas, par exemple, des courbes de Lubchenco définies sur une population nord-américaine de faible niveau socio-économique et vivant à une altitude de 1 600 mètres, ou les courbes de Leroy et Lefort correspondant à la population française des années 1971. Actuellement, les courbes établies en France à partir du réseau sentinelle de l’AUDIPOG (pour le poids de naissance) [7] et les courbes biométriques du Collège Français d’Échographie Fœtale sont les plus utilisées [8]. Le choix d’une courbe de référence adapté est indispensable pour distinguer les fœtus « constitutionnellement petits » pour lesquels la discordance biométrique s’explique par des caractères ethniques ou parentaux et les fœtus en état de « restriction de croissance » qui représentent les vrais RCIU. Dans cette optique, certains auteurs ont proposé des courbes adaptées ou « customisées » au potentiel initial de croissance du fœtus (en fonction des paramètres biométriques de la patiente, du sexe fœtal, du rang de naissance) permettant de définir un seuil de restriction fœtal adapté à chaque fœtus [9]. L’intérêt d’une utilisation large de ces courbes reste toutefois encore à démontrer.


• Rappelons enfin que le diagnostic de RCIU suppose la connaissance précise du terme, donc de la date de début de grossesse. Cela suppose une datation basée ou confirmée par une échographie du 1er trimestre réalisée entre 11 et 13  +  6 SA avec une mesure précise et fiable de la longueur cranio-caudale et éventuellement du diamètre bipariétal.


En outre, la croissance fœtale étant un paramètre dynamique, la constatation d’un ralentissement de la croissance fœtale a une valeur plus importante pour le diagnostic de RCIU qu’une discordance sur un seul point de la courbe biométrique. Cette analyse dynamique permet de distinguer un « vrai RCIU » pour lequel il existe un infléchissement de la croissance fœtale, d’un fœtus « constitutionnellement petit » ou d’une erreur de terme pour lesquels la courbe de croissance suivra une évolution parallèle à la courbe de croissance normale.


Au total, on peut retenir qu’avec une datation précise du début de la grossesse, et en l’absence de facteurs ethniques ou parentaux, un RCIU est fortement suspecté devant une mesure biométrique inférieure au 10e percentile, principalement s’il s’agit du PA. Le RCIU est affirmé si ce paramètre est inférieur au 3e percentile ou si un contrôle à 2 semaines confirme l’infléchissement de la courbe de croissance.



Dépistage et population à risque


Quel que soit le paramètre biométrique utilisé ou la valeur seuil choisie, la valeur prédictive positive pour le diagnostic de RCIU sera d’autant plus forte que la patiente appartiendra à un groupe à risque. Il est ainsi important de faire préciser les antécédents obstétricaux (RCIU, pré-éclampsie, mort fœtale in utero inexpliquée, hématome rétroplacentaire…) dans ce type de situation, la fréquence de récidive d’un RCIU sévère grave peut être de à 20 et 30 %.


La recherche de prise de toxiques doit être effectuée systématiquement pour toute grossesse. Le tabagisme doit faire l’objet d’un questionnement et, s’il existe, doit être quantifié. De même, la consommation d’alcool ou d’autres drogues (cocaïne, héroïne, alcool, etc.) peut être à l’origine d’un RCIU.


Les antécédents médicaux peuvent également orienter le clinicien dès la première consultation. L’existence d’une hypertension artérielle chronique, d’une néphropathie chronique, d’une cardiopathie cyanogène, d’une hémoglobinopathie (thalassémie, drépanocytose), d’un syndrome des antiphospholipides ou d’un lupus, voire d’une autre maladie de système, doit faire classer la patiente dans un groupe à risque de RCIU. Plus discuté est le cas des patientes porteuses d’un utérus malformé.


De mauvaises conditions socio-économiques ou professionnelles (station debout, ouvrière…) peuvent également intervenir négativement sur la croissance fœtale, il est toutefois rare qu’elles soient à elles seules responsables d’un RCIU. De même, les troubles de l’alimentation (sous-alimentation, dénutrition ou déséquilibre alimentaire), les carences protéiques, vitaminiques ou autres, peuvent engendrer des RCIU de gravité variable (anémie ferriprive, carence en acide folique).


L’examen clinique (estimation pondérale clinique ou mesure de la hauteur utérine) ne détecte un RCIU que dans 44 % des cas [10]. Il est toutefois estimé que les mesures répétées de la hauteur utérine lors des examens obstétricaux consécutifs peuvent permettre d’atteindre de meilleures sensibilités de l’ordre de 41 à 86 % [11].



Étiologies et classification des RCIU


Il est habituel d’opposer deux types de RCIU.



• Le RCIU symétrique et global, encore appelé type I (20 % des cas), touche aussi bien le périmètre céphalique que le périmètre abdominal et la longueur fémorale. Il débute souvent précocement et son mécanisme passerait par une réduction du nombre total des cellules du fœtus. Ce type de RCIU oriente vers une cause génétique, une aneuploïdie ou une infection congénitale. C’est dans ce groupe que se retrouvent les RCIU de plus mauvais pronostic néonatal.


• Le RCIU asymétrique ou type II, prédominant sur le périmètre abdominal (80 % des cas), se révèle plus tardivement au cours du 3e trimestre et il est classiquement lié à une insuffisance placentaire responsable d’une diminution des réserves fœtales en glycogène (diminution de la taille du foie et de l’épaisseur de la graisse sous-cutanée) et d’une redistribution vasculaire du débit cardiaque aux dépens des territoires périphériques et splanchniques.


Cette classification reste toutefois un peu artificielle et c’est vraisemblablement plus le terme d’apparition du RCIU que sa cause qui va déterminer le type de ce dernier. Ainsi, certaines insuffisances placentaires sévères et précoces (syndrome des antiphospholipides, hypertension artérielle essentielle sévère, drépanocytose) peuvent se révéler par un RCIU précoce et symétrique [11].


Bien que l’étiologie prépondérante du RCIU soit l’insuffisance placentaire, il s’agit le plus souvent d’un diagnostic d’élimination après que les autres causes, fœtales et maternelles de RCIU ont été écartées (tableau 14.1) (certaines d’entre elles conduisant ou agissant sur la croissance fœtale par un mécanisme d’insuffisance placentaire) [12].




Causes fœtales (25 %)


Les aneuploïdies représentent 5 à 20 % des causes de RCIU ; triploïdie, trisomie 18, ou plus rarement trisomies 13, 21 ou monosomie X, ont un effet sur la croissance fœtale par une perturbation du potentiel de croissance mais également en raison d’un effet sur les villosités placentaires terminales. La trisomie 16, entraînant une fausse couche précoce lorsqu’elle n’est pas en mosaïque, peut être une cause de RCIU lorsqu’elle survient sous forme de mosaïque confinée au placenta. De même, pour la trisomie 9q en mosaïque placentaire. Des anomalies de structure des chromosomes peuvent également être retrouvées comme la délétion partielle du 4q connue sous le nom de syndrome de Wolf-Hirschhorn, celle du 5q ou syndrome du cri du chat.


Un grand nombre de syndromes génétiques peuvent s’accompagner d’un RCIU, comme par exemple les syndromes de Cornelia de Lange, Rubenstein-Taybi, Silver-Russel, Roberts, Fanconi et bien d’autres, en particulier les atteintes du tissu osseux (ostéochondrodysplasies). Les signes échographiques associés en particulier au niveau des membres, de la face et du cerveau pourront orienter la recherche étiologique dans cet axe. D’autres anomalies cytogénétiques plus subtiles, comme les disomies uniparentales pour les chromosomes 6, 14 et 16 ou certains polymorphismes génétiques, ont également été décrites à l’origine d’un RCIU [12].


Les malformations fœtales peuvent parfois expliquer un RCIU ; laparoschisis, anencéphalie, hernie diaphragmatique, cardiopathie fœtale… L’effet sur la croissance fœtale serait d’autant plus prononcé que le nombre de malformations fœtales est important.


Les infections fœtales seraient responsables d’environ 5 à 10 % des RCIU, dans les pays industrialisés les principales sont l’infection à cytomégalovirus (CMV), à parvovirus B19 et la toxoplasmose. L’infection à CMV agirait sur la croissance fœtale par cytolyse et perte du potentiel de croissance cellulaire alors que pour le parvovirus B19, c’est l’hypoxie chronique liée à l’anémie fœtale qui serait responsable [13]. La rubéole est plus rarement impliquée ne raison de sa rareté liée à la vaccination. Enfin, il ne faut pas oublier la syphilis en recrudescence dans certaines populations, ainsi que le paludisme qui serait responsable de 40 % des RCIU en zone endémique africaine ou en Asie du Sud-Est.


Enfin, les grossesses multiples sont à l’origine d’environ 3 % des RCIU en pays industrialisés.



Causes maternelles (15 %)


Les causes maternelles sont le plus souvent liées à une insuffisance du débit sanguin utéro-placentaire, à une réduction du volume sanguin circulant maternel ou à une réduction de la capacité de transport en oxygène ou en substrats pour l’anabolisme fœtal (glucose, amino-acides, lipides). Le diabète maternel pré-existant à la grossesse, en particulier insulinodépendant, peut être source d’un RCIU sévère. En plus de la vasculopathie diabétique maternelle, responsable d’une insuffisance de remodelage vasculaire utéro-placentaire et d’insuffisance placentaire au deuxième trimestre, il a été montré que les troubles de l’hydratation cellulaire résultant de l’hyperglycémie maternelle pouvaient avoir un rôle important dans l’origine du RCIU. Au cours des grossesses diabétiques, Pedersen et al. on montré que le RCIU précoce est corrélé au taux de l’hémoglobine glyquée, reflétant le mauvais équilibre glycémique, et qu’il est associé dans 15 % des cas à une issue périnatale défavorable contre 6 % en cas de croissance normale entre 7 et 14 SA [14].


Les causes toxiques maternelles principales sont le tabac, l’alcool et certaines drogues : principalement l’héroïne et la cocaïne à l’origine d’un RCIU dans respectivement 50 et 30 % des cas. L’effet du tabac passe par une réduction du transport en oxygène résultant de l’effet du monoxyde de carbone sur l’hémoglobine maternelle (réduction de la capacité de transport en O2). Il agit toutefois aussi sur les chaînes respiratoires mitochondriales réduisant la disponibilité en substrat énergétique et perturbant le métabolisme énergétique placentaire [15]. L’alcool additionne également souvent ses effets à ceux du tabac, la gravité de son effet tient aux perturbations associées de la multiplication neuronale responsable des conséquences neuropsychologiques ultérieures chez l’enfant. Tabac et alcool peuvent additionner leurs effets et être à l’origine d’un RCIU sévère [16].


Les conditions socio-économiques défavorables ainsi que les anomalies de l’équilibre nutritionnel maternel représentent des facteurs épidémiologiques statistiquement liés à d’autres causes expliquant la survenue d’un RCIU.



Causes placentaires (35 %)


On entend sous le terme de causes placentaires l’ensemble des mécanismes de RCIU faisant intervenir une réduction des échanges materno-fœtaux transplacentaires. On y retrouve principalement les insuffisances placentaires primitives ou liées aux pathologies hypertensives maternelles, aux néphropathies chroniques, au syndrome des antiphospholipides, aux pathologies auto-immunes comme le lupus. Les polymorphismes thrombophiliques maternels (déficit en anti-thombine III, facteur V Leiden, déficits en protéine C ou S, mutation G20210 A de la prothrombine) ne sont plus considérés comme associés au RCIU [17].


Certaines anomalies échographiques du placenta comme le placenta circum vallata, les tumeurs comme le chorioangiome placentaire, le placenta accreta, les infarctus ou thromboses de la chambre intervilleuse ou les images de décollement partiel (hématome décidual ou marginal) sont connues pour leur association possible à un RCIU. La majorité de ces images sont le témoin d’une insuffisance placentaire sous-jacente plus qu’à l’origine elles-mêmes de l’insuffisance placentaire.



Aug 1, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 14: Retard de croissance intra-utérin

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