Chapitre 14 Brûlures
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ de définir les brûlures selon leur profondeur ;
✓ de définir précisément les zones atteintes par une brûlure ;
✓ de comprendre comment le froid intense peut aggraver la profondeur d’une brûlure ;
✓ d’estimer la surface brûlée en utilisant la règle des 9 de Wallace ;
✓ de calculer les volumes de solutés nécessaires pour la réanimation hydroélectrolytique des brûlés en utilisant la formule de Parkland ;
✓ de définir les règles de remplissage vasculaire chez les enfants brûlés ;
✓ de décrire les pansements qui peuvent être utilisés en préhospitalier pour les brûlures ;
✓ d’expliquer les particularités d’une brûlure d’origine électrique ;
✓ d’expliquer la prise en charge des patients présentant des brûlures circulaires ;
✓ d’indiquer les trois éléments particuliers à prendre en compte lors d’inhalation de fumées d’incendie ;
✓ d’appliquer les principes de prise en charge de patients brûlés sur des lieux d’intervention jugés dangereux ;
✓ d’indiquer les critères de transfert de patients vers les centres de grands brûlés.
L’inhalation de fumées est une lésion qui risque de mettre en jeu le pronostic vital ; ses conséquences sont généralement plus importantes que celles de la brûlure elle-même. L’inhalation de fumées toxiques est un facteur prédictif majeur de mortalité, plus important que l’âge du patient ou que l’étendue des brûlures [1]. Il est à noter que des volumes relativement faibles de fumées toxiques inhalées sont susceptibles de générer des lésions systémiques majeures qui peuvent n’apparaître que plusieurs jours après l’inhalation.
Environ 20 % des brûlés sont des enfants, et 20 % de ces enfants sont les victimes de brûlures intentionnelles ou de violences volontaires [2,3]. La plupart des personnels soignants sont surpris d’apprendre que les violences par brûlures sont classées au deuxième rang dans la typologie des violences physiques infligées aux enfants. Ce type de violences ne concerne pas que les enfants. Il est relativement courant de voir des femmes brûlées dans le cadre de violences conjugales. Il en va de même pour les personnes âgées, elles aussi victimes de maltraitances.
Anatomie de la peau
La peau a de multiples fonctions complexes, dont la protection du milieu environnant, la régulation des liquides, la thermorégulation, la sensation, et l’adaptation métabolique (figure 14-1). La peau couvre environ 1,5 à 2 m2 en moyenne chez un adulte. Elle est constituée de deux couches, l’épiderme et le derme. L’épiderme est une couche d’une épaisseur d’environ 0,05 mm dans les zones périoculaires par exemple ; elle peut atteindre 1 mm d’épaisseur au niveau de la plante du pied. Le derme est environ 10 fois plus épais que l’épiderme.
Caractéristiques des brûlures
La chaleur coagule les protéines ; c’est de cette manière que l’on cuit les œufs. C’est également le mécanisme primaire des lésions induites par la chaleur. L’œuf présente à l’état initial une apparence liquide et transparente. Lorsque cet œuf est exposé à des températures élevées, il devient rapidement opaque et se solidifie. Un processus similaire se produit lorsqu’un patient est brûlé. Dans le cas de l’œuf, les protéines changent de forme et sont détruites dans un processus connu sous le nom de dénaturation. Lorsqu’une brûlure survient chez des patients, l’élévation de la température, la radiation ou la présence d’un agent chimique entraîne des lésions importantes qui donnent lieu à la dénaturation protéique. La blessure de la peau peut se dérouler en deux étapes : l’une immédiate et l’autre à retardement. La peau peut supporter des températures de 40 °C pendant de brèves périodes. Cependant, une fois que les températures dépassent cette valeur, l’on constate une augmentation exponentielle de l’ampleur de destruction des tissus [4].
Une brûlure profonde intéresse trois zones de tissus cutanés (figure 14-2) [5]. La zone centrale est connue sous le nom de zone de coagulation ; c’est celle-ci qui sera majoritairement affectée. Cette zone est nécrotique et n’est pas capable de se régénérer.
Profondeur des brûlures
Brûlures du premier degré
Les brûlures du premier degré ne concernent que l’épiderme et sont caractérisées par une peau rouge et douloureuse (figure 14-3). Celles-ci sont également connues sous le nom de brûlures superficielles. Elles sont rarement significatives cliniquement, à l’exception des coups de soleil couvrant une grande étendue de peau. Dans ce cas, le patient ressent une douleur importante et risque la déshydratation s’il n’y a pas hydratation orale appropriée. Ces brûlures évoluent spontanément vers une guérison au bout d’une semaine et le patient n’aura pas de cicatrice.
Brûlures du deuxième degré
Les brûlures du deuxième degré, également appelées brûlures partielles, concernent l’épiderme et une partie plus ou moins importante du derme (figure 14-4). Les brûlures du deuxième degré peuvent être classées en superficielles ou profondes. Ces brûlures sont caractérisées par l’existence de phlyctènes (encadré 14-1) ou de zones brûlées dénudées, avec une base d’apparence brillante ou humide. Ces plaies seront très douloureuses. Dans la mesure où le derme n’est pas atteint, ces brûlures peuvent évoluer favorablement et guérir en 2 à 3 semaines. Dans ces brûlures intermédiaires, la zone de nécrose s’étend à tout l’épiderme mais également au derme dans des proportions variables. Si les soins ne sont pas adéquats, la zone de stase en rapport avec la brûlure peut évoluer vers une nécrose et donner lieu finalement à une brûlure du troisième degré. Une brûlure du deuxième degré superficielle guérit grâce à des soins appropriés. Une brûlure du deuxième degré profonde peut nécessiter une intervention chirurgicale.
Encadré 14-1 Phlyctènes
La conduite à tenir face à des phlyctènes fait l’objet de nombreux débats. Il s’agit notamment de savoir s’il faut les débrider et comment les traiter en cas d’association avec des brûlures partielles. La phlyctène se constitue lorsque l’épiderme est séparé du derme sous-jacent, processus qui s’accompagne d’une fuite de liquide vers l’extérieur. La présence de protéines osmotiquement actives dans la phlyctène provoque une inflation de la perte liquidienne qui va entretenir le phénomène et risque d’élargir cette cloque. Lorsque la phlyctène s’étend, cela crée une augmentation de pression au niveau des tissus blessés, avec pour effet une accentuation de la douleur. Beaucoup pensent que la peau qui recouvre la phlyctène agit comme une protection et contribue à prévenir l’infection. Au contraire, la peau qui recouvre la phlyctène n’est pas normale et, de ce fait, n’est pas en mesure d’assumer le rôle de barrière protectrice. Par ailleurs, maintenir ces phlyctènes en l’état empêche l’application locale d’antibiotiques directement au niveau de la zone lésée. Pour toutes ces raisons, les phlyctènes doivent être percées et débridées, mais pas sur le terrain [6].
Brûlures du troisième degré
Les brûlures du troisième degré peuvent prendre des apparences différentes (figure 14-5). Le plus souvent, ces plaies laissent apparaître une peau épaisse, sèche, blanche et tannée, indépendamment de la couleur de peau (figure 14-6). Dans les cas graves, la peau peut avoir une apparence carbonisée et on peut voir des thromboses des vaisseaux sanguins (figure 14-7). Ce type de brûlure est également appelé brûlure profonde parce qu’il concerne toute la profondeur de la peau. On pense généralement, à tort, que les brûlures profondes ne sont pas douloureuses parce que, du fait de sa profondeur, une telle brûlure détruit les terminaisons nerveuses dans les tissus brûlés. C’est une perception erronée de croire que les brûlures du troisième degré ne provoquent pas de douleur. Les patients avec des brûlures au troisième degré souffrent. Les zones de brûlures du troisième degré sont généralement entourées de brûlures d’épaisseur partielle et superficielle. Les nerfs de ces zones sont intacts et continuent de transmettre des sensations de douleur à partir des tissus endommagés. Des brûlures de cette profondeur sont susceptibles de mettre en jeu le pronostic vital. Une excision chirurgicale rapide et une rééducation dans un centre hospitalier spécialisé sont requises.
Évaluation et prise en charge d’une brûlure
Évaluation primaire et réanimation
Évaluation secondaire
Estimation de l’étendue d’une brûlure
L’estimation de l’étendue d’une brûlure est nécessaire afin de prendre en charge correctement la réanimation du patient et d’éviter les complications d’un choc hypovolémique dû aux brûlures. La méthode la plus communément appliquée est celle connue sous le nom de règle des 9. Cette méthode repose sur le principe que les régions importantes du corps de l’adulte représentent 9 % du total de la surface corporelle (figure 14-10). Le périnée ou les organes génitaux représentent 1 %.
La table de Lund-Browder est un diagramme plus précis, qui tient notamment compte des variations de surface en fonction de l’âge (figure 14-11). Cette méthode nécessite d’établir un schéma des brûlures et de convertir ce schéma en une zone calculée de surface brûlée. La complexité de cette méthode rend son utilisation difficile en situation préhospitalière.
De petites brûlures peuvent être évaluées grâce à la méthode des paumes. L’utilisation de la paume du patient est largement répandue et utilisée depuis longtemps pour estimer l’étendue des petites brûlures. Il n’y a pas de consensus quant à la définition d’une paume et à sa taille [7]. La surface moyenne d’une paume seule (sans les doigts étendus) est de 0,5 % de la surface du corps chez les hommes et de 0,4 % chez les femmes. Si l’on considère la paume entière les doigts ouverts compris, on arrive alors à une surface de 0,8 % chez les hommes et 0,7 % chez les femmes. En plus de la différence de taille de paume entre les sexes, la taille de la paume varie également en fonction du poids du patient. Ainsi, si l’indice de masse corporelle du patient augmente, la surface de peau totale du patient augmente et le pourcentage de surface de la paume diminue. Dans la plupart des cas, l’on considère donc que la paume doigts compris d’un patient représente environ 1 % de sa surface corporelle.
Transport
Les patients présentant des blessures multiples en plus de leurs brûlures doivent être orientés vers un service d’urgences adéquat, dans lequel toute atteinte des fonctions vitales pourra être traitée, le cas échéant. Ce n’est qu’une fois stabilisés que ces patients pourront être transférés vers un centre spécialisé dans la prise en charge des brûlés. Les critères de transport ou de transfert vers un centre de brûlés édictés par l’American College of Surgeons sont indiqués dans l’encadré 14-2. Dans les zones où les centres de brûlés sont difficiles d’accès, la régulation médicale déterminera le choix du lieu de transfert.
Encadré 14-2 Lésions nécessitant le recours à un centre de traitement des brûlés
2. Brûlures intermédiaires affectant plus de 10 % de la surface corporelle totale.
3. Brûlures profondes (troisième degré), quel que soit l’âge.
4. Brûlures situées au niveau de la face, des mains, des pieds, des organes génitaux, du périnée ou des principales articulations.
5. Brûlures d’origine électrique (y compris foudroiement).
7. Patients brûlés avec des pathologies médicales préexistantes qui pourraient compliquer la prise en charge, prolonger la durée du traitement ou affecter la mortalité.
8. Patients présentant une association brûlures et traumatisme et chez lesquels les brûlures représentent l’atteinte qui risque le plus de compromettre le pronostic vital. Si les lésions traumatiques associées sont prévalentes, la stabilisation préalable dans un trauma center s’impose avant le transfert vers un centre de traitement des brûlés.
9. Enfants brûlés en l’absence d’équipements adaptés et de personnels suffisamment qualifiés dans l’hôpital de proximité.
10. Patients brûlés chez qui la nature de la brûlure nécessitera une difficile et longue prise en charge spécialisée dans le domaine social, émotionnel et de la rééducation.