Chapitre 13 Prise en charge des femmes à risque
Reconnaître les femmes à haut risque relève d’une attitude diagnostique et de prévention spécifique visant à réduire la mortalité par cancer du sein. La reconnaissance des facteurs de risque (FR) au travers de l’histoire personnelle (mode de vie, statuts hormonaux), des singularités génétiques, histologiques et radiologiques permet d’identifier des groupes de femmes à risque. On fait la différence entre le risque absolu (RA) correspondant au risque qu’une femme a de développer un cancer du sein au cours de sa vie et le risque relatif (RR) par rapport à une population témoin. Certains définissent le haut risque par un RA supérieur à 20 %. Ce sont ces chiffres qui servent de base pour les recommandations de prise en charge françaises et internationales [1].
On considère qu’il existe quatre facteurs de risque significatifs ordonnés de façon décroissante : le risque génétique, certaines lésions histologiques, l’âge et la densité mammaire. L’importance de ce dernier facteur fait encore l’objet de discussions et on reste dans l’attente de résultats d’études incontestables. Les autres facteurs sont : d’origine exogène (surpoids, alcool, alimentation), hormonaux, l’allaitement, la contraception, le traitement hormonal de la ménopause, environnementaux et les radiations ionisantes. Le calcul du risque permet de proposer aux patientes une prise en charge personnalisée.
Facteurs de risque majeur
Génétiques
En France, les cancers du sein dits sporadiques représentent environ 90 % de tous les cancers mammaires et les formes familiales « héréditaires » 6 à 10 %. Parmi ces dernières, les mutations BRCA1/2 ne sont retrouvées que dans environ 20 % des cas. Les mutations de TP53, PTEN, STK11 sont beaucoup plus rares. Le reste correspond à d’autres mutations non identifiées à ce jour. L’orientation vers une consultation d’oncogénétique (tableau 13.1) se fait devant une histoire individuelle évocatrice, elle permet d’adapter la prise en charge. Cette consultation a été bien cadrée par l’expertise collective Inserm-FNLCC en 1998, revue en 2004 [2].
Antécédent | Score |
---|---|
Mutation de BRCA1/2 identifiée dans la famille | 5 |
Cancer du sein chez une femme avant 30 ans | 4 |
Cancer du sein chez une femme entre 30 et 39 ans | 3 |
Cancer du sein chez une femme entre 40 et 49 ans | 2 |
Cancer du sein chez une femme entre 50 et 70 ans | 1 |
Cancer du sein chez un homme | 4 |
Cancer de l’ovaire | 3 |
Additionner les poids respectifs par branche : paternelle ou seulement maternelle. 1 même personne, atteinte de plusieurs cancers est comptabilisée en ajoutant les scores de chaque cancer. Score : 5 = excellente indication ; 4 ou 3 = indication possible ; 2 ou 1 = utilité médicale faible |
Deux situations se présentent en pratique courante :
• les femmes porteuses d’une mutation BRCA1/2 identifiée : les mutations délétères BRCA1/2 exposent au risque identifiable le plus élevé de cancer du sein. Le risque au cours d’une vie pour une femme porteuse de mutation de BRCA1 de développer un cancer du sein est de l’ordre de 60 % et un cancer tubo-ovarien de l’ordre de 40 %. Pour une femme porteuse d’une mutation de BRCA2, ces chiffres sont respectivement de 40 % et 10 % [3] ;
• les femmes dont l’histoire évoque une prédisposition héréditaire mais dont l’analyse BRCA1/2 est négative : cette situation est la plus fréquente. En France, près de 20 000 tests BRCA1/2 ont été réalisés entre 2003 et 2007 selon le rapport d’activité oncogénétique de l’INCa. Cinq mille cent vingt-trois mutations ont été détectées. Il y a donc près de 15 000 femmes dont les histoires familiales ont justifié une analyse moléculaire mais qui n’ont pas de mutation identifiée.
Lésions histologiques à risque
Ces lésions sont classées en fonction de leur RR. Le risque faible correspond à des RR de 1,5 à 2, le risque modéré à des RR de 4 à 5 et le risque élevé à des RR de 8 à 10. La distinction entre des lésions à risque et des lésions précancéreuses n’est pas toujours facile.
Les lésions histologiques à risque plus élevé peuvent être subdivisées en deux groupes, comme elles ont été redéfinies par la classification de l’OMS en 2003, et qui correspondent aux néoplasies mammaires intraépithéliales de type canalaire et lobulaire (lésions épithéliales atypiques) [4]. Mais cette classification n’est pas universellement acceptée par tous les pathologistes en particulier pour les néoplasies canalaires car les carcinomes canalaires in situ et les hyperplasies atypiques y ont été regroupés (certains conservent la différenciation atypie versus CCIS) [5].
Néoplasies mammaires intraépithéliales de type canalaire (tableau 13.2)
Dans ce groupe, de lésions seules les néoplasies canalaires sont considérées comme une authentique étape précancéreuse (développement du cancer invasif dans le même site que la néoplasie canalaire).
• Métaplasie cylindrique atypique (MCA) ou atypie épithéliale plane : ce groupe comprend des lésions à terminologie multiple siégeant au niveau du lobule souvent associées à des microcalcifications, leur signification à long terme n’est pas connue. Leur reproductibilité diagnostique est imparfaite.
• Hyperplasie épithéliale canalaire atypique (HCA) : dans ce groupe l’architecture et les aspects cytologiques évoquent un CCIS de bas grade sans en avoir tous les critères. Le diagnostic différentiel fait également intervenir d’autres critères (taille : atteinte sur 2 mm ou deux canaux atteints). Le diagnostic parfois difficile peut être amélioré par l’immunohistochimie utilisant des anticorps anticytokératines CK5/6 (disparition des cellules CK5/6 dans les lésions atypiques et carcinomateuses in situ).
• Carcinomes canalaires in situ de bas grade, de grade intermédiaire et de haut grade : ce groupe est hétérogène et correspond à des lésions précancéreuses.
Terminologie traditionnelle | Néoplasie intraépithéliale de type ductal |
---|---|
Métaplasie cylindrique atypique (MCA) | DIN 1A |
Hyperplasie canalaire atypique (HCA) | DIN 1B |
Carcinome canalaire in situ (CCIS) de bas grade | DIN 1 C |
CCIS de grade intermédiaire | DIN 2 |
CCIS de haut grade | DIN 3 |
DIN : ductal intraepithelial neoplasia.
Néoplasies mammaires intraépithéliales de type lobulaire (tableau 13.3)
Ces lésions sont généralement découvertes de façon fortuite sur pièce opératoire, en période préménopausique ; elles sont souvent multicentriques et bilatérales. Longtemps considérées comme un marqueur de risque certain à cause de la prolifération cellulaire marquée surtout en cas de nécrose, d’atypie nucléaire et/ou de calcifications et/ou de cellules en bagues à chaton (LIN 3), elles apparaissent actuellement plutôt comme une lésion précancéreuse, posant en outre toujours le problème du diagnostic différentiel avec le CCIS.
Terminologie traditionnelle | Néoplasie intraépithéliale de type lobulaire |
---|---|
Hyperplasie lobulaire atypique (HLA) | LIN 1 |
HLA/CLIS | LIN 2 |
Carcinome lobulaire in situ (CLIS) | LIN 3 |
LIN : lobular intraepithélial neoplasia.
Groupe de lésions histologiques à faible risque relatif (< 2)
Il comporte des lésions bénignes. Certaines posent un problème radio-pathologique du fait de leur signal particulier en imagerie (corrélation avec une masse et/ou des calcifications), ou encore de leur visualisation partielle sur des prélèvements de petite taille, ou bien en raison de la présence de lésions atypiques associées dont le risque vient se surajouter à ce risque faible. Ce groupe comprend : papillome, centre prolifératif d’Aschoff ou cicatrice radiaire, adénose sclérosante, adénofibrome complexe.
Âge
C’est le premier facteur clinique à prendre en compte. L’âge peut être traité comme un facteur de risque indépendant (encadré 13.1). Le risque d’avoir un cancer du sein avant 40 ans est faible et augmente de façon linéaire jusqu’à 69 ans. L’âge peut être aussi traité comme un paramètre parmi d’autres contribuant à l’estimation globale du risque. Dans des situations à risque, telles que les prédispositions familiales, la variation du risque en fonction de l’âge est bien documentée. La mortalité due au cancer du sein évolue de façon parallèle à l’incidence jusqu’à 80 ans, puis elle augmente fortement.
Encadré 13.1
Risque du cancer du sein par décade d’après Remontet et al.*
• Risque à 40–49 ans : 1,80 %.
• Risque à 50–59 ans : 2,80 %.
• Risque à 60–69 ans : 3,20 %.
• Risque à 70–79 ans : 3,20 %.