Chapitre 13 Fractures du tibia

Traduction :Simon Mouchel

Principes généraux 362

Fractures non déplacées chez l’enfant 363

Fractures en bois vert de l’enfant 364

Fractures tibiales déplacées chez l’enfant 364

Gypsotomies 365

Fractures peu déplacées chez l’adulte 366

Traitement orthopédique et technique d’immobilisation plâtrée 366

Surveillance des fractures tibiales 367

Fractures deplacees mais potentiellement stables chez l’adulte 367

Fractures peu déplacées mais instables 368

Enclouage centromédullaire à foyer fermé 369

Situations particulières 370

Fractures isolées de la fibula 371

Fractures ouvertes 372

Syndrome de loge 374

Classifications AO : tibia/fibula, diaphyse 376

Auto-évaluation 377

Réponses à l’auto-évaluation 378

FRACTURES DU TIBIA – PRINCIPES GÉNÉRAUX

1 Principes généraux (a) : Mécanismes lésionnels : Le tibia est sujet à des mécanismes de torsion (1) (blessures sportives), à des traumatismes indirects à travers le pied (2) (chutes de hauteur, accidents de la route, etc.), ou bien à des traumatismes directs (3) (accidents de la route, coups dus à des chutes de pierres, maçonnerie, etc.).

2 Principes généraux (b) : Bien que cela soit relativement rare, les fractures isolées, tibiales ou fibulaires, proviennent le plus souvent de traumatismes directs (1). Les traumatismes indirects conduisent le plus souvent à des fractures combinées du tibia et de la fibula (2), comme dans le cas des os de l’avant-bras. Il faut toujours obtenir des radiographies de toute la longueur du membre, afin d’exclure une lésion distale accompagnant une fracture proximale (3).

3 Principes généraux (c) : Noter que la face interne du tibia est sous-cutanée. Cela explique que les fractures de jambes sont très souvent ouvertes, soit de dedans en dehors, via un traumatisme indirect, où l’écaille pointue d’une fracture spiroïde tibiale traverse aisément le revêtement cutané interne ; soit de dehors en dedans, dans le cadre d’un traumatisme direct.

4 Principes généraux (d) : Les fractures obliques et spiroïdes du tibia sont fréquentes, et cela s’explique en partie par sa forme triangulaire, mais aussi par la fréquence des mécanismes lésionnels en torsion. Le tonus musculaire des muscles soléaire (1), gastrocnémien (2) et tibial antérieur (3) a tendance à produire le déplacement et le raccourcissement de ce type de fracture (4).

5 Principes généraux (e) : Le passage de l’artère politée (5) sous l’arcade du soléaire (6) constitue un point de fixité. Cela explique le risque de lésion artérielle des fractures de l’extrémité proximale du tibia (7), et la survenue d’un syndrome de loge de la jambe avec une rétraction en flexion plantaire permanente de la cheville. Les fractures du tibia peuvent être suivies d’une ischémie du fragment osseux distal (8) par l’interruption du flux sanguin dans l’artère nourricière (9).

6 Principes généraux (f) : Il est particulièrement important de corriger l’angulation des fractures survenant sur des segments osseux supportant le poids du corps. Une fracture fémorale faisant l’objet d’un cal vicieux (1) peut tout à fait être compensée au niveau de la hanche (2), alors que dans le cadre de fractures tibiales, l’angulation résiduelle (3) entraînera inévitablement une hyperpression nocive au niveau de l’articulation tibiotalienne (4) et/ou fémorotibiale, et qui, à terme, s’accompagnera de douleurs et d’arthrose secondaire.

FRACTURES DU TIBIA NON DÉPLACÉES CHEZ L’ENFANT

7 Fractures non déplacées (a) : En raison de l’épaisseur de la graisse sous-cutanée, du périoste, et de l’existence de corticales osseuses qui sont élastiques et plastiques, les fractures diaphysaires de l’enfant sont souvent fermées et/ou de type bois vert. Dans de nombreux cas aussi, les fractures restent peu déplacées. (Illus. : fractures distales en bois vert de l’enfant, avec fracture d’une seule corticale et rupture périostée en regard.)

8 Fractures non déplacées (b) : Devant l’existence d’une faible désaxation, le traitement orthopédique, avec mise en place immédiate d’une immobilisation plâtrée, est requis (1) (une sédation légère peut être nécessaire). Un coussin sous les fesses (2) peut être utile, pendant qu’un assistant tient les orteils (3) et soutient la jambe (4). Le genou est légèrement fléchi (5) et le plâtre peut être appliqué en une seule étape (6).

9 Fractures non déplacées (c) : Une hospitalisation peut être souhaitable du fait de la nécessité de surélévation du membre ainsi que de la surveillance régulière et minutieuse de l’absence de complications vasculonerveuses. Chez l’enfant, la reverticalisation avec mise en décharge du membre et l’utilisation de béquilles peut être autorisée dès qu’il n’y a plus de risque vasculaire lié à l’œdème (2 à 3 jours après le traumatisme). Par la suite, l’enfant doit être revu en consultation toutes les 2 à 3 semaines (le taux de complication sous plâtre reste élevé).

10 Fractures non déplacées (d) : Il est possible de réaliser une botte de marche lorsqu’il existe du cal précoce évident sur les clichés radiographiques (par exemple après 3 à 4 semaines chez l’enfant de 9 ans). Avant cela, il est nécessaire d’évaluer l’absence de risque de déplacement secondaire ou de complication liée à l’œdème. Mais toute hésitation peut parfois être dissipée avec la découverte de l’usure de la semelle du plâtre objectivant la reprise d’un appui précoce initialement non autorisé !

11 Fractures non déplacées (e) : Le délai moyen de consolidation est d’environ 4 à 5 semaines pour un enfant de 4 ans, 8 semaines pour un enfant de 8 ans, et 8 à 12 semaines pour un enfant de 12 ans. Après l’ablation du plâtre, généralement aucune autre immobilisation n’est nécessaire, mais certains se rassurent par l’utilisation de bandage. De plus, l’utilisation des béquilles durant les premiers jours est conseillée pour les enfants montrant une certaine timidité à la remise en charge, et il en est de même pour les parents.

12 Fractures non déplacées (f) : L’enfant doit être revu en consultation 2 semaines après l’ablation du plâtre. Dans la plupart des cas, il marchera sans aide. Les amplitudes articulaires du genou et de la cheville seront libres de toute raideur, et il existera une égalité de longueur des membres inférieurs. L’enfant pourra alors sortir et les parents auront l’assurance qu’aucune boiterie résiduelle ne perdurera et que les activités sportives pourront être reprises dans les 2 mois.

FRACTURES DU TIBIA EN BOIS VERT/DÉPLACÉES CHEZ L’ENFANT

13 Fractures en bois vert (a) : La réduction est obtenue par manœuvre externe, sous anesthésie générale. Une main est placée en contre-appui au niveau du foyer de fracture (1), pendant que l’autre, à la cheville (2), est utilisée pour corriger la déformation. Bien que le plan frontal soit le seul illustré, de toute évidence une déformation dans le plan sagittal devrait aussi être corrigée.

14 Fractures en bois vert (b) : Lorsque la traction exercée par la main sur la cheville est relâchée, aucun déplacement secondaire immédiat ne doit être remarqué (indiquant un périoste plastique intact). Cependant, si ce déplacement est retrouvé, il faut maintenir de manière précautionneuse la réduction pendant l’application minutieuse de l’immobilisation plâtrée. À l’opposé, une déchirure complète du périoste peut être entraînée par une surcorrection de la déformation initiale.

15 Fractures en bois vert (c) : S’il existe une certaine récurrence et systématisation des déformations, le plâtre peut être appliqué comme suit : un rouleau d’ouate est appliqué autour du membre depuis les orteils jusqu’au pli de l’aine (1) ; un assistant soutient le foyer de fracture et les orteils (2), pendant que le second maintient le poids de la cuisse (3). Le genou est fléchi à 15° et la cheville maintenue à angle droit (5). Les mains d’appui sont déplacées au cours de l’application des bandes de plâtre (6). L’utilisation d’un coussin sous les fesses est également possible.

16 Fractures en bois vert (d) : S’il existe une certaine élasticité du foyer de fracture avec difficulté de réduction, le plâtre doit être correctement moulé et ajusté pendant qu’il durcit. Cependant, chez les petits enfants, il est difficile d’appliquer un plâtre sur toute la longueur du membre, et d’arriver à bien le mouler au niveau du foyer de fracture pendant le temps de fixation. Une technique à deux étapes peut être utilisée : soit par l’application d’un plâtre suropédieux (1), secondairement moulé et appliqué sur toute la cuisse (2), soit par l’application d’un plâtre circulaire crural (3), qui est ensuite secondairement complété au segment jambier (4).

17 Fractures déplacées du tibia (a) : Un assistant réalise une forte traction sur le membre (1), pendant que l’autre réalise les manœuvres de réduction au-dessus (2) et en dessous (3) du foyer de fracture, pour corriger le déplacement. La traction est ensuite relâchée, afin de permettre l’impaction du foyer.

18 Fractures déplacées du tibia (b) : Le contrôle clinique de la réduction peut être difficile. Il faut essayer de palper le foyer de fracture, le long de la face interne souscutanée, ou sur la crête tibiale (1). Dans le cas d’une fracture transversale, il est possible de confirmer l’existence d’un problème en appréciant la résistance aux manœuvres de télescopage (2).

GYPSOTOMIES

19 Fractures déplacées du tibia (c) : Si la réduction obtenue par les manœuvres externes est quelque peu précaire, et qu’il est à craindre qu’un déplacement du foyer se produise pendant l’application des bandes de plâtre, il existe une technique qui consiste à placer le membre sur un coussin ferme (4), en le maintenant par les orteils (5), afin de pouvoir appliquer une épaisse couche de bande plâtrée sur la partie antérieure du membre (6) et qui, une fois durcie, permettra le bandage soigneux du reste du membre, avec l’épaisseur antérieure déjà réalisée.

20 Gypsotomie (a) : Dans certaines circonstances, une réduction imparfaite du foyer de fracture peut être tolérée chez l’enfant. Cependant, si les radiographies confirment l’existence d’une angulation résiduelle non tolérable, celle-ci doit alors être corrigée. Il est ainsi possible de réaliser une fenêtre au travers de l’immobilisation plâtrée, qui est maintenue en place, et de lui ajouter, en appoint, un système de calage. Il faut tout d’abord repérer le foyer de fracture, grâce au cliché radiographique, afin de marquer le plâtre circonférentiellement en regard du foyer (1).

21 Gypsotomie : correction d’axe autour d’une charnière (b) : Grâce à l’étude des clichés radiographiques, il faut ensuite observer avec attention la zone dans laquelle on va réaliser la fenêtre en coin, qui servira alors de charnière, pour corriger la déformation résiduelle. Par exemple, lorsqu’il existe une désaxation frontale en valgus (2), sans désaxation sagittale (3), la charnière devra se situer sur la face interne (4). Lorsqu’il existe une désaxation frontale en varus (5), associée à une désaxation sagittale en recurvatum (6), la charnière devra se situer à la face postérolatérale de la jambe (7).

22 Gypsotomie : maintien de la correction par un coin : (c) : Une fois le niveau repéré, réaliser une section sur les 7/8^e de la circonférence du plâtre, limitée à la zone charnière ; utiliser une scie à plâtre, ou bien une scie à métaux avec une lame fine. Il est ensuite possible d’ouvrir le plâtre en cette zone charnière sur 1 à 2 cm, puis de maintenir temporairement la position en plaçant un morceau de liège.

23 Gypsotomie : stabilisation par circularisation (d) : Il est nécessaire de réaliser des radiographies de contrôle après tout ajustement. Si la réduction obtenue est alors jugée satisfaisante, de la ouate est bourrée au niveau de la charnière, de part et d’autre de la petite cale en liège ; enfin, le plâtre est reconstitué avec l’utilisation de bandes de 15 cm autour de la gypsotomie.

(Illus. : correction d’une fracture du tiers distal du tibia, avec présence d’une angulation résiduelle non tolérable, grâce à la mise en place d’une cale conjointement à l’immobilisation plâtrée. Bien que le niveau de la charnière soit trop distal par rapport au foyer de fracture, une position quasi anatomique est atteinte.) Le recours à une anesthésie générale n’est pas nécessaire, mais une sédation légère est souhaitable. La surveillance doit correspondre à celle décrite dans le paragraphe sur les fractures non déplacées.

FRACTURES DU TIBIA CHEZ L’ADULTE – PLÂTRE DE SARMIENTO

24 Embrochage centromédullaire élastique stable (ECMES) (technique de Métaizeau, école de Nancy) : Certains chirurgiens préfèrent au traitement orthopédique la technique d’embrochage centromédullaire élastique stable, décrite par l’école de Nancy, afin de stabiliser des fractures déplacées ou initialement instables du tibia chez l’enfant. Anatomiquement, la diaphyse tibiale est triangulaire sur une coupe transversale, et cela explique les difficultés rencontrées au placement centromédullaire des broches, dans la configuration requise pour satisfaire aux principes de cette technique ; de plus, la présence de l’articulation tibiofibulaire proximale et le fait que la métaphyse proximale soit arrondie rendent difficile l’insertion antérograde de ces broches d’ostéosynthèse. La rigidité de la fixation est souvent loin d’être parfaite, et un système de contention supplémentaire est parfois nécessaire (c’est la raison pour laquelle certains critiquent cette méthode, considérant que les avantages de ce traitement semblent quelque peu marginaux).

Technique : Deux broches élastiques sont sélectionnées. Leur diamètre représente environ 2/5^e du diamètre du canal médullaire, et leur longueur est déterminée d’après les radiographies.

Elles peuvent dépasser à leur point d’insertion (pour faciliter leur ablation). La première broche est cintrée pour que le sommet de sa courbure soit situé dans le foyer de fracture. La seconde broche est conformée de manière identique pour placer le sommet de sa courbure en position diamétralement opposée dans le foyer de fracture. Une ouverture corticale est faite et la broche appropriée est introduite ; elle est poussée dans le canal centromédullaire jusqu’à ce qu’elle parvienne au niveau du foyer de fracture. Cela est répété sur l’autre côté. La fracture est alors réduite sous contrôle radioscopique et les broches sont alors poussées à travers le foyer de fracture. L’objectif est de placer l’extrémité de chaque broche de chaque côté de la métaphyse avec les sommets des courbures au niveau du foyer de fracture. La longueur de la portion extraosseuse doit rester suffisante pour permettre l’extraction des broches après la consolidation de la fracture. Du fait de l’absence de rigidité du montage, la formation précoce d’un cal abondant est en règle observée.

25 Fractures du tibia chez l’adulte (a) : Chez l’adulte, de nombreuses fractures du tibia peuvent être traitées de manière orthopédique, de bons résultats avec peu de complications étant dans ce cas la règle. Certains considèrent qu’il n’est pas judicieux de préconiser un traitement chirurgical avec les risques supplémentaires que cela comporte. Un traitement orthopédique peut, pour de bonnes raisons, être conseillé pour des fractures de fatigue, isolées (illus.), ainsi que pas ou peu déplacées.

26 Fractures peu déplacées chez l’adulte (b) : Une immobilisation plâtrée est appliquée le long de la jambe, des radiographies de contrôle sont réalisées, et le membre est surélevé (1) pendant 3 à 7 jours, jusqu’à disparition de l’œdème. Il faut surveiller si le plâtre est bien ajusté et le changer si nécessaire. Dès que le patient peut utiliser des béquilles, il est autorisé à rentrer chez lui (2). Une botte de marche peut être réalisée (3), généralement après 3 à 6 semaines (en fonction de l’évaluation de la stabilité), mais le plâtre est conservé jusqu’à la consolidation du foyer.

27 Plâtre de Sarmiento (a) : Après un délai d’immobilisation initiale de 4 à 6 semaines post-traumatisme, il est possible de relayer le plâtre cruropédieux par un plâtre de Sarmiento. Le patient est assis sur le bord de la table (1), le pied étant stabilisé par le genou de l’opérateur. Un jersey (2) et de la ouate sont enroulés, puis le plâtre est appliqué le long du genou (3). Celui-ci est fermement moulé (avant qu’il ne durcisse) le long du ligament patellaire (4).

28 Plâtre de Sarmiento (b) : Le plâtre est ensuite coupé du pôle supérieur de la patella (5) à la partie supérieure du mollet (6) ; vérifier que les mouvements de l’articulation fémorotibiale restent libres, avant de finaliser le plâtre sur l’extrémité du jersey. Ce plâtre autorise la reprise d’un appui avec une talonnette (7), et la mobilisation du genou, jusqu’à l’obtention de la consolidation du foyer fracturaire.

Only gold members can continue reading. Log In or Register to continue

Related

Related posts:

3: Techniques de réduction à foyer fermé et d’immobilisation dans la prise en charge des fractures 8: Lésions des os de l’avant-bras 1: Pathologie et consolidation des fractures 10: Rachis 15: Traumatismes du pied 6: Ceinture scapulaire et humérus

Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Join

Full access? Get Clinical Tree