Ostéopathies fragilisantes
I ÉPIDÉMIOLOGIE
L’ostéoporose affecte 4 femmes ménopausées sur 10 (soit 2 à 3 millions) ITEM 120 et 1 homme sur 8 après l’âge de 50 ans (soit environ 800 000 hommes).
Après 80 ans, la moitié des femmes ont une ostéoporose.
Sur 100 femmes ménopausées, 40 feront au moins une fracture ostéoporotique, 17 une ou plusieurs fractures vertébrales, 18 une fracture du col fémoral.
On estime qu’en France il survient chaque année 50 000 fractures de l’extrémité supérieure du fémur, 35 000 fractures du poignet et entre 50 000 et 75 000 fractures vertébrales.
Les fractures ostéoporotiques sont à l’origine d’un excès de morbidité et de mortalité, avec perte d’indépendance définitive chez 50 % des patients ayant eu une fracture de l’extrémité supérieure du fémur et un risque de décès augmenté de 20 % dans l’année qui suit l’événement fracturaire.
Le taux de mortalité est plus important chez l’homme (de 10 % à 14 % contre 5 % chez la femme).
L’ostéoporose est un enjeu majeur de santé publique, puisqu’avec le vieillissement de la population, le nombre de fractures de l’extrémité supérieure du fémur devrait tripler.
II PHYSIOPATHOLOGIE
Le squelette est composé d’os cortical (la diaphyse des os longs, notamment le col fémoral) et d’os trabéculaire (os vertébral).
En plus de sa fonction de soutien, le tissu osseux a une fonction métabolique, notamment pour maintenir l’homéostasie calcique. Il existe un remaniement constant de ce tissu (remodelage osseux), surtout dans l’os trabéculaire.
Le remodelage osseux comporte schématiquement : une phase d’ostéorésorption assurée par les ostéoclastes, suivie d’une phase d’ostéoformation assurée par les ostéoblastes.
À l’état normal, il existe un équilibre permettant d’adapter la formation à la résorption ; ceci aboutit au renouvellement et à la réparation du tissu osseux. Dans les situations de déséquilibre, augmentation de la résorption (ménopause) ou diminution de la formation (corticothérapie), il existe une perte osseuse. En pratique, les deux mécanismes sont souvent intriqués.
L’acquisition de la masse osseuse se fait progressivement au cours de la croissance et atteint son maximum vers l’âge de 25 ans. Après un plateau d’une dizaine d’années, débute une phase de perte osseuse progressive qui s’accélère brutalement chez la femme après la ménopause (fig. 124-1).
Fig. 124-1 Évolution de la masse osseuse en fonction du temps chez l’homme et la femme.
Après la ménopause, il existe une perte accélérée de la masse osseuse chez la femme, alors que la perte reste linéaire chez l’homme. (Source : GRIO, groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses.)
Cette perte osseuse est sans conséquence pour certains mais peut entraîner une ostéoporose chez d’autres, surtout s’il existe des facteurs de risque.
L’ostéoporose est caractérisée par une insuffisance de trame osseuse à la fois qualitative (diminution du nombre de trabécules osseux) et quantitative (diminution de la masse osseuse).
L’ostéoporose correspond à un découplage des fonctions ostéoblastiques (ostéoblastes responsables de synthèse osseuse) et ostéoclastiques (ostéoclastes responsables de la résorption osseuse), mécanisme influencé par de nombreux facteurs, notamment hormonaux.
L’os ainsi fragilisé est à risque de fracture ostéoporotique, survenant lors de traumatismes de faible énergie (chute de sa hauteur, soulèvement d’objet…).
On distingue les fractures vertébrales des fractures périphériques (poignets, os longs, bassin, fémur).
Pour le clinicien, un certain nombre de facteurs cliniques (tableaux 124-I, 124-II) doit être pris en compte :
Tableau 124-I
Facteurs de risque de perte osseuse
Âge
Sexe féminin
Carence œstrogénique préménopausique, périodes d’anorexie, périodes d’aménorrhée avant la ménopause
Ménopause
Génétique (antécédents familiaux d’ostéoporose), ethnie (caucasienne et asiatique)
Inactivité physique
Carence vitaminocalcique, carence en calcium et protéines pendant la phase de croissance
Tabagisme
Alcoolisme
Faible poids et faible indice de masse corporelle (IMC), morphotype mince et grand, amaigrissement massif
Pathologies ou traitements inducteurs d’ostéoporose
Tableau 124-II
Facteurs de risque de fracture
Âge
Origine caucasienne
Ménopause avant 40 ans
Aménorrhée primaire ou secondaire
Antécédent familial de fracture par fragilité osseuse
Antécédent personnel de fracture
Faible poids
Troubles de l’acuité visuelle
Troubles neuromusculaires
Immobilisation très prolongée
Tabagisme
Corticothérapie
Faible apport calcique
Carence en vitamine D
Consommation excessive d’alcool
– un antécédent de fracture ostéoporotique personnel, quel qu’en soit le site, augmente significativement le risque de survenue d’une nouvelle fracture, indépendamment de la valeur de la densité osseuse ; cette augmentation est proportionnelle au nombre initial de fractures ;
– le vieillissement est un facteur de risque fracturaire primordial, indépendant de la densité osseuse ; ce risque est étroitement corrélé au risque de chute ;
– la carence œstrogénique joue, dans les deux sexes, un rôle déterminant dans les mécanismes de la perte osseuse liée au vieillissement. La chute brutale du taux d’œstrogènes à la ménopause est responsable, chez la femme, d’une accélération du remodelage osseux, notamment de la résorption, ayant pour conséquences l’amincissement des corticales et des travées osseuses, responsable d’une baisse de la densité osseuse et d’une altération de la microarchitecture du tissu osseux aboutissant à sa fragilité ;
– chez l’homme, la diminution de la sécrétion androgénique liée au vieillissement est plus progressive, ce qui explique une perte osseuse trabéculaire linéaire et une microarchitecture moins altérée ; la survenue d’un hypogonadisme peut cependant accélérer la perte osseuse ;
– la part de la génétique dans l’acquisition du pic de masse osseuse est de l’ordre de 80 % ; ainsi le risque de survenue d’une ostéoporose est élevé chez les descendants d’un sujet ostéoporotique ;
– une activité physique régulière, « en charge », augmente le gain de masse osseuse au cours de la croissance et contribue à préserver le capital osseux à l’âge adulte ; à l’inverse, l’immobilisation ou l’alitement prolongé induisent une perte osseuse ;
– l’hyperparathyroïdie secondaire correspond à l’augmentation réactionnelle de la sécrétion de parathormone en réponse à une hypocalcémie, souvent causée par une insuffisance en vitamine D par manque d’exposition solaire et diminution de la capacité de synthèse liée au vieillissement ; elle entraîne une augmentation du remodelage osseux, qui se traduit par une perte osseuse corticale et trabéculaire ; la correction de la carence en calcium et en vitamine D permet de prévenir ce phénomène ;
– le tabac et l’alcool sont toxiques pour le tissu osseux et induisent une perte osseuse en cas de consommation exagérée ;
– certains traitements favorisent la perte osseuse : c’est le cas des glucocorticoïdes, par diminution de l’ostéoformation par les ostéoblastes, et des HBPM ; de même, les traitements hormonaux de certains cancers comme les analogues de la GnRH sont responsables d’une castration chimique et, par leur propriété antigonadique, entraînent une ostéoporose ;
– des carences en protéines ou en apports calciques durant l’enfance et l’adolescence peuvent altérer l’acquisition de la masse osseuse et être responsables, après la ménopause, d’une ostéopénie voire d’une ostéoporose ; de même, un faible poids ou indice de masse corporelle (IMC) ou un amaigrissement peuvent aboutir à une perte de masse osseuse parallèle à la fonte musculaire.
III CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE
Devant la découverte d’une fracture* sur des radiographies ITEMS 92, 267, 356 :
– diagnostiquée devant des symptômes cliniques après un traumatisme de faible énergie : chute de sa hauteur ITEM 107, soulèvement d’objet (on parle de fracture pathologique) ;
– découverte de façon fortuite (plus de 50 % des fractures vertébrales) ;
– les fractures ostéoporotiques les plus fréquentes sont :
– les fractures suivantes ne sont jamais d’origine ostéoporotique :
Devant une déminéralisation osseuse sur des radiographies.
Devant les résultats d’une densitométrie osseuse prescrite en raison de facteurs de risque d’ostéoporose.
V EXAMEN CLINIQUE
En l’absence de fracture, le patient est asymptomatique.
Un antécédent de fracture vertébrale peut être responsable :
Une fracture vertébrale d’origine ostéoporotique* :
– est toujours au-dessous de T4 (au-dessus de T4 : suspecter une tumeur osseuse) ;
– donne une douleur localisée exquise à l’étage fracturé ;
– donne une douleur d’horaire mécanique ;
– n’entraîne pas de signe de compression neurologique ;
Les paramètres cliniques indispensables à relever sont le poids et la taille :
– une perte de taille fait suspecter un antécédent de fracture vertébrale ;
– un IMC bas (< 19 kg/m2) est un facteur de risque de perte osseuse.
L’examen clinique s’attache surtout à dépister une origine tumorale à une fracture ITEM 304 et une ostéoporose secondaire ; on recherche notamment à l’interrogatoire et l’examen clinique :
– une altération de l’état général ;
– des complications neurologiques ;
– des signes évocateurs de cancer ostéophile (sein, rein, prostate, thyroïde, poumon) ;
– des signes évocateurs de myélome ;
– des signes d’hypogonadisme (surtout chez l’homme) ;
– des antécédents ou signes de malabsorption, insuffisance rénale, hémochromatose ou mastocytose.
VI EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
A Examens biologiques*
Toute découverte de fracture survenant après un mécanisme de faible énergie et toute découverte d’ostéoporose densitométrique doit faire prescrire un bilan biologique.
Le but du bilan biologique est de rechercher une origine tumorale et une ostéoporose secondaire.
Le bilan biologique est normal lorsqu’il s’agit d’une ostéoporose primitive.
Le bilan biologique minimal à faire réaliser est :
– hémogramme : une anomalie de l’hémogramme fera suspecter une pathologie maligne, notamment un myélome ou un cancer ostéophile ;
– vitesse de sédimentation : une accélération de la VS traduit un processus inflammatoire dans le cadre d’une origine maligne ou bien une gammapathie monoclonale dans le cadre d’un myélome ;
– électrophorèse des protéines sériques : à la recherche d’un pic monoclonal dans le cadre d’un myélome sécrétant des chaînes lourdes ou d’une hypogammaglobulinémie dans le cadre d’un myélome à chaînes légères ;
– calcémie, phosphorémie, calciurie des 24 heures, phosphaturie des 24 heures : une anomalie du bilan phosphocalcique permet de faire suspecter une ostéoporose secondaire :
• en cas d’hypercalcémie associée à une hypophosphorémie et une hypercalciurie ou une calciurie normale, on suspecte une hyperparathyroïdie,
• en cas d’hypercalcémie avec hyperphosphorémie ou phosphorémie normale, on suspecte une étiologie maligne comme un cancer ostéophile ou un myélome,
• en cas d’hypocalcémie associée à une hypophosphorémie, on suspectera une carence en vitamine D,
• en cas d’hypocalcémie associée à une hypercalciurie, on suspectera une pathologie rénale de type tubulopathie,
• en cas d’hypophosphorémie associée à une hyperphosphaturie, on suspectera un diabète phosphoré ;