Chapitre 12 Dépistage des cancers du sein
L’organisation des dépistages répond à des objectifs de santé publique et dans le cas du cancer du sein à une réduction de la mortalité spécifique liée à ce cancer. On trouvera des informations détaillées sur les aspects théoriques et pratiques du cancer du sein dans la deuxième édition de l’ouvrage coordonné par B. Seradour [1].
Les informations concernant les données épidémiologiques, les recommandations et le suivi du programme national de dépistage du cancer du sein sont disponibles sur les sites Internet de l’INCa, de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et de la Haute Autorité de santé (HAS) pour les professionnels et les usagers du public.
Nous n’envisagerons ici que le dépistage organisé dans la tranche d’âge 50–74 ans.
Le rationnel du dépistage mammographique du cancer du sein
L’histoire naturelle des cancers du sein est connue de longue date [2]. Les études montrent qu’il y a des délais longs entre la naissance d’un cancer du sein et le moment où il est possible de le détecter par l’examen clinique. Malgré des variations d’une tumeur à l’autre, il est possible d’estimer la proportion de disséminations métastatiques qui pourraient être évitées grâce au dépistage (fig. 12.1).
Fig. 12.1 Histoire naturelle des cancers du sein.
La période préclinique est longue, ce qui rend possible le dépistage.
En dehors des cas de cancer d’origine génétique (en particulier mutations BRCA1et BRCA2), les autres facteurs de risque sont accessoires (ces aspects sont développés au chapitre 13).
L’existence d’antécédents familiaux augmente le risque mais d’autres facteurs peuvent influencer modérément le risque d’apparition du cancer du sein : l’absence de grossesse, l’âge tardif de la femme au premier enfant, une ménopause tardive, une alimentation riche en graisses et un excès de boissons alcoolisées, mais au final la démarche du dépistage du cancer du sein se décline essentiellement selon le facteur de risque principal qui est l’âge.
Chez les femmes sans symptômes ni facteurs de risque identifiés, le dépistage peut être pratiqué entre 40 et 50 ans sur la base d’une réflexion individuelle après information de la femme concernant les bénéfices et les risques de l’examen. Les personnes présentant des risques particuliers sont suivies hors dépistage et on parle alors de surveillance (encadré 12.1). Ces cas sont recensés dans le cahier des charges du dépistage.
Encadré 12.1
Suivi spécifique hors dépistage. Liste des patientes non suivies dans le cadre général du dépistage organisé
• Surveillance d’une image anormale (lésions bénignes exclues).
• Femmes traitées ou surveillées pour un cancer du sein.
• Antécédents personnels de cancer du sein.
• Néoplasie lobulaire ou hyperplasie épithéliale atypique.
• Gène de prédisposition familiale.
• Probabilité élevée de gène de prédisposition (trois antécédents au premier degré et au deuxième degré dans la même branche).
• Deux antécédents familiaux dont l’un au moins avant 40 ans ou cancer du sein et de l’ovaire, ou plusieurs cancers de l’ovaire.
Il n’y a pas que des avantages au dépistage mammographique de cancer du sein mais, de l’avis presque unanime des spécialistes sénologues, la balance risque–bénéfice penche très largement en faveur du dépistage. L’existence d’un surdiagnostic est le principal argument des adversaires du dépistage des cancers du sein. Son importance est difficile à évaluer. Il se situerait entre 5 et 10 %. Ce thème a été au centre des discussions au 33e Congrès de la Société française de sénologie et de pathologies mammaires de 2011 qui a permis d’aboutir à des conclusions plutôt rassurantes, mais qui pointe aussi les difficultés que cela peut poser dans la communication avec les femmes. Le surdiagnostic correspond à des cancers qui n’auraient pas évolué ou des cancers qui ne seraient pas devenus symptomatiques avant qu’une autre pathologie ne provoque le décès de la patiente. Il concerne surtout les cancers in situ et serait moins préoccupant qu’on ne le prétend dans certaines publications [3].
Organisation du dépistage
Il y a de nombreuses recommandations de sociétés savantes qui sont toutes convergentes en faveur du dépistage. Suivant les pays, il y a de nombreux modèles d’organisation du dépistage mammographique selon des modes individuels ou collectifs, centralisés ou non. Nous disposons en Europe de recommandations très détaillées pour sa mise en place [4]. Le système français repose sur l’ensemble des praticiens privés ou publics qui pratiquent l’imagerie. Le programme a été établi par la Caisse d’Assurance-maladie des travailleurs salariés et la Direction générale de la santé (DGS) en 1994 après une période expérimentale et généralisé à l’ensemble du territoire en 2004 assurant ainsi l’accès de toutes les femmes au dépistage quel que soit leur lieu de résidence. Il y a eu plusieurs étapes jusqu’à la publication du cahier des charges en 2006 et de l’introduction du numérique en 2008 (encadré 12.2).
Encadré 12.2
Historique de la mise en place du dépistage organisé du cancer du sein en France
• Début des années 1980 : démarrage du dépistage individuel.
• 1987 : deux programmes dans le Rhône et le Bas-Rhin.
• 1988 : création du fond national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire (FNPEIS) et premières évaluations dans les départements pilotes selon les critères européens (Commission européenne).
• 1994 : programme national français avec un comité de pilotage et premier cahier des charges (travail de la DGS).
• 2000 : le plan cancer prévoit la généralisation.
• 2001 : nouveau cahier des charges.
• 2004 : intégration de tous les programmes dans le programme national.
• 2006 : nouvelle version du cahier des charges (annexe de l’arrêté du 29 septembre 2006 publié au JO du 21 décembre 2006).
Les femmes de 50 à 75 ans sont invitées tous les 2 ans pour leur examen de dépistage. Le dépistage organisé des cancers du sein est coordonné au niveau local par une structure de gestion (SG) couvrant un ou plusieurs départements. Les SG sont missionnées par le ministère de la Santé et l’Assurance-maladie (qui sont les financeurs). Les missions des SG sont détaillées dans le cahier des charges national et récapitulées dans l’encadré 12.3. L’INCa est le coordonnateur et l’InVS analyse et recueille les données issues du dépistage. Les SG sont en charge de l’organisation pratique des dépistages des cancers dans leur zone géographique. Les aspects juridiques d’un dispositif aussi complexe sont importants et sont abordés dans un guide juridique destiné aux acteurs du dépistage et mis à leur disposition par l’INCa.
Encadré 12.3
Missions des structures départementales de gestion
• Organisation générale du dépistage organisé du cancer du sein selon les directives du cahier des charges avec établissement et gestion optimale des moyens financiers au travers de l’utilisation du budget type.
• Invitation de la population cible.
• Relation avec les professionnels.
• Sensibilisation et information de la population et des professionnels de santé.
• Gestion des fichiers sécurisés et centralisés des personnes dépistées.
• Relation avec les femmes de la tranche d’âge.
• Recueil des données et transmission des résultats aux personnes concernées.
• Évaluation interne et assurance de qualité du programme.
• Retour d’information vers les professionnels avec transmission de statistiques individuelles et collectives.
Les structures de gestion sont chargées de l’envoi des invitations, de l’information des femmes et des médecins, de la double lecture des mammographies et de l’évaluation du programme de dépistage.
Les modalités du dépistage organisé sont schématisées dans la figure 12.2.
Fig. 12.2 Organisation du dépistage du cancer du sein selon les recommandations du cahier des charges.
Le compte rendu utilise le lexique du référentiel BI-RADS de l’American College of radiology (ACR) [5]. La densité du parenchyme mammaire est évaluée conformément aux descriptions de ce référentiel selon quatre types de densité croissante (voir la description de sein normal).
Les anomalies mammographiques sont classées conformément aux recommandations de la HAS en six catégories qui reprennent les catégories finales du BI-RADS :
• ACR 0, il s’agit d’un cas en attente d’examens complémentaires dont il convient de poursuivre la prise en charge ;
• ACR 1, il s’agit d’un sein normal ;
• ACR 2, il s’agit d’anomalies bénignes ne nécessitant aucun suivi particulier ;
• ACR 3, il s’agit d’une anomalie probablement bénigne :
• ACR 4, il y a une anomalie indéterminée ou suspecte :