Chapitre 11 Lésions respiratoires du brûlé
Si la réanimation préhospitalière précoce a permis de réduire l’incidence des états de choc et des insuffisances rénales aiguës, la défaillance respiratoire reste aujourd’hui l’atteinte la plus fréquente des grandes fonctions vitales chez le brûlé. Les lésions respiratoires observées chez le brûlé grave sont dominées par l’inhalation de fumées d’incendie. L’agression toxique du poumon par les fumées est observée en effet chez 30 % des brûlés et va conditionner toute leur prise en charge initiale ainsi que leur pronostic [1].
Classification
Lésions respiratoires non spécifiques
Compte tenu des circonstances de survenue très diverses de la brûlure (feux d’habitation, explosions accidentelles et attentats, accidents du travail, accidents de la voie publique), la victime est aussi exposée à des traumatismes thoraciques directs (décélération, projection ou chute), à des lésions de « blast » ou d’explosion, aux pneumopathies d’inhalation du contenu gastrique en cas de troubles de conscience (intoxications, traumatismes crâniens), aux pneumopathies acquises sous ventilation mécanique lors du séjour prolongé en centre de brûlés [2].
Agression thermique
Mécanismes
Les gaz et l’air chauds présents dans les fumées d’incendie vont être inhalés dans les voies aériennes supérieures, qui ont un pouvoir d’absorption de chaleur en milieu humide et de refroidissement de l’air inhalé.
Conséquences
Un œdème des voies aériennes supérieures ou sus-glottiques (nasopharynx, langue, épiglotte, glotte et cordes vocales) fait rapidement suite à cette élévation locale de la température de l’air inspiré (> 150 °C) et de la température intratissulaire (fig. 11-1). Cet œdème sera majoré par le remplissage vasculaire utilisé à la phase aiguë de la brûlure. Une dyspnée par obstruction haute va apparaître précocement en quelques minutes [3]. Face à la diminution du calibre de la filière ORL, un contrôle des voies aériennes par intubation endotrachéale sera alors nécessaire sans délai.
Agression chimique
Conséquences
La muqueuse trachéale et bronchique va être le siège de brûlures caustiques directes et d’installation progressive (fig. 11-2). Les lésions provoquées par ces suies sont la destruction de l’appareil mucociliaire, l’hypersécrétion, l’œdème et la diminution du calibre des voies aériennes, le décollement intraluminal de la muqueuse brûlée, l’obstruction des bronches par les suies avec création d’atélectasies [4].
Agression toxique
Conséquences
Le CO se fixe solidement et durablement à l’hémoglobine (HbCO) et empêche la livraison d’oxygène aux cellules (hypoxie de transport). Rapidement inhalés, les cyanures bloquent le métabolisme cellulaire de l’oxygène (hypoxie d’utilisation), entraînent une souffrance tissulaire avec acidose métabolique lactique [5]. Les circulations privilégiées (cerveau, myocarde) sont les plus exposées à cette hypoxie mixte, de transport et d’utilisation intra cellulaire.
Agression inflammatoire
Mécanismes
Les tissus brûlés sont envahis dès les premières heures par un afflux de polynucléaires, monocytes et lymphocytes activés. Ces cellules libèrent dans le sang des cytokines et médiateurs de l’inflammation (tumor necrosis factor ou TNF, interféron gamma) responsables de dysfonctions d’organe (vasoplégie, effet inotrope négatif, hypermétabolisme, fièvre). Le syndrome inflammatoire de réponse systémique (SIRS) est remarquable chez le brûlé par son intensité et sa durée. Le poumon est alors le siège de perturbations majeures : hyperperméabilité capillaire, altération du surfactant, diminution de la compliance, œdème pulmonaire lésionnel, destruction de l’architecture pulmonaire, hémorragies intra-alvéolaires [6] (fig. 11-3).
Agression mécanique
Conséquences
La ventilation déclenchée spontanément par le patient ou contrôlée par un respirateur devient impossible (élévation des pressions dans les voies aériennes sous ventilation mécanique). Une hypoventilation alvéolaire (hypoxie, hypercapnie) s’installe cliniquement [4].
Au total, toute la gravité de l’atteinte respiratoire du brûlé réside dans la sommation des agressions pulmonaires spécifiques comme les fumées et moins spécifiques comme l’infection, conduisant au SDRA qui reste une des causes principales de décès des victimes brûlées [8].
Anamnèse
Les conditions de survenue de l’accident doivent être connues pour dépister les victimes ayant un risque de brûlures respiratoires. Un recueil des informations suivantes doit être fait auprès des premiers secours et des équipes médicales préhospitalières : victime retrouvée dans un espace clos, présence de fumées ou de flammes. La notion d’explosion avec destruction des structures des habitations et de l’environnement fait suspecter un « blast » chez les blessés.
Diagnostic clinique
L’examen clinique doit permettre précocement un diagnostic d’inhalation de fumées avec une grande précision. La présence d’au moins trois critères sur onze (circonstances de survenue, signes fonctionnels et physiques) permet de suspecter cliniquement dès la phase préhospitalière les brûlures respiratoires [9] (tableau 11-1).
Circonstances de survenue | Feu (flammes, fumées) des brûlures ou explosion |
---|---|
Signes fonctionnels | Enrouement de la voix |
Dyspnée | |
Polypnée sifflante | |
Bronchorrhée | |
Expectorations noirâtres | |
Anxiété | |
Signes physiques | Brûlures de la face |
Brûlures des vibrisses | |
Désorientation | |
Troubles de conscience, coma |
Diagnostic paraclinique
Imagerie
Le cliché thoracique simple reste très longtemps normal ou très peu modifié (quelques zones d’atélectasie en bandes) même lors d’inhalation massive de fumées. Faussement rassurante, la radiographie pulmonaire n’est pas un bon outil diagnostic de brûlures respiratoires [10]. Le scanner thoracique n’est pas utile à la phase aiguë en dehors du contexte d’explosion (recherche de contusion pulmonaire et de pneumothorax) ou de polytraumatisme. Il n’est pas indiqué dans le diagnostic positif d’inhalation mais sera indispensable secondairement pour le suivi des brûlés ventilés en réanimation.