Chapitre 11 IRM et TDM au décours de l’infarctus du myocarde
La sémiologie en imagerie par résonance magnétique (IRM) de l’infarctus du myocarde (IDM) en phase subaiguë est aujourd’hui bien établie. Dans cette revue, nous nous intéresserons essentiellement à la phase initiale de l’infarctus (2–7 jours après l’épisode de douleur thoracique). Nous envisagerons aussi la sémiologie de l’IDM en scanner multidétecteur, plus récemment décrite.
L’IDM est une nécrose myocardique consécutive à une ischémie prolongée. Cette pathologie constitue un problème de santé publique et reste une des premières causes de décès dans les pays industrialisés. La mortalité est importante et difficile à évaluer, même si le registre français « FAST MI » [1] semble montrer une diminution nette et récente de la mortalité en phase aiguë. Le diagnostic repose principalement sur la clinique, l’électrocardiogramme (ECG) et la biologie. La coronarographie réalisée en urgence, souvent après un traitement préhospitalier, permet d’identifier et souvent de reperméabiliser la sténose coronarienne responsable.
Kim et al. [2] ont mis en avant le potentiel de l’IRM dès 2000 en montrant la relation entre l’extension transmurale de l’infarctus (mesurée sur des images en écho de gradient T1 en inversion-récupération (IR) après injection de gadolinium) et le pronostic fonctionnel.
Physiopathologie
Myocyte et ischémie
Le cœur est un organe essentiellement musculaire dont l’unité fonctionnelle est représentée par le myocyte. Celui-ci a pour particularité de fonctionner sans discontinuité tout au long de la vie. À cet effet, il a développé un métabolisme particulier : incapable de fonctionner sur un mode anaérobie, le myocyte s’est spécialisé dans l’extraction de l’oxygène circulant. La saturation en oxygène du sang de la circulation systémique est proche de 100 %. À l’état basal, après avoir traversé les tissus myocardiques, le sang drainé par le sinus coronaire n’est plus saturé qu’à 30 %. L’extraction d’oxygène étant presque maximale, toute augmentation des besoins ne peut être compensée que par un accroissement du débit coronarien : cette capacité définit laréserve coronaire.
Chez le patient coronarien, cette réserve est diminuée en présence de lésions hémodynamiquement significatives. Si le rapport apports/besoins est déséquilibré, dès les premières secondes, les cellules myocardiques perdent leur fonction contractile et des modifications cellulaires surviennent. Une ischémie profonde prolongée plus de 20 minutes peut entraîner la mort cellulaire et des lésions irréversibles. L’incapacité des cellules myocardiques à se régénérer se traduit alors par la perte définitive de la portion nécrosée. Celle-ci est remplacée après quelques mois par un tissu fibreux cicatriciel. En périphérie de la zone nécrosée, il existe une zone qui a perdu sa fonction contractile, tout en restant viable. Cette zone sidérée retrouvera spontanément, après un délai de quelques jours, une fonction contractile normale. Il faut différencier les concepts de sidération et d’hibernation, même si dans les deux cas, il s’agit de myocarde viable. Le myocarde hibernant dysfonctionne suite à une ischémie chronique et récupère éventuellement après une revascularisation spontanée ou thérapeutique [3].
Myocarde et genèse de l’infarctus
La capacité de récupération fonctionnelle après revascularisation d’un territoire est directement liée à l’importance de la transmuralité. Schématiquement, les segments ayant plus de 50 % de nécrose ne retrouveront a priori pas de fonction contractile, alors que les segments n’en présentant que 10 % ont une forte probabilité de récupération. Les conséquences de la reperfusion sur le myocarde ischémié mais non nécrosé sont complexes et associent œdème et augmentation de la charge tissulaire en potassium [4,5].
La reperméabilisation des artères coronaires épicardiques ne suffit pas à affirmer l’intégrité de la microvascularisation myocardique : identifier la perméabilité ou l’obstruction (no reflow) de cette vascularisation capillaire myocardique représente un des enjeux de l’IRM [6]. La présence de no reflow est un élément de mauvais pronostic que l’on sait prédictif de remodelage ventriculaire.
Un autre rôle des examens complémentaires est de faire la part entre territoires nécrotiques et viables parmi les segments akinétiques et au sein de chaque segment de l’endocarde à l’épicarde. Cette distinction est essentielle pour la prise en charge thérapeutique : la reperfusion (endovasculaire ou chirurgicale) améliore le pronostic du patient en cas de viabilité résiduelle [7].
Du symptôme au diagnostic : les examens complémentaires
Les signes cliniques sont très variables selon les sujets. La douleur thoracique désignée du plat de la main peut manquer, notamment chez le diabétique [8], et les symptômes peuvent mimer d’autres affections. De nombreuses méthodes ont été développées pour affirmer le diagnostic, la base étant la combinaison ECG/biologie/coronarographie.
L’apparition des marqueurs biologiques sériques a permis d’améliorer la sensibilité diagnostique. De nombreuses recherches ont mis à la disposition du clinicien des marqueurs de plus en plus sensibles et spécifiques de la nécrose des myocytes cardiaques. Actuellement, le dosage des troponines T ou I cardiaques constitue la référence. Cependant, l’élévation de ces protéines n’est pas pathognomonique de l’ischémie myocardique : les troponines peuvent être élevées dans d’autres types de souffrance myocytaire (myopéricardite) ainsi que dans certaines situations pathologiques (insuffisance cardiaque, embolie pulmonaire, insuffisance rénale) [9].
En cas de syndrome douloureux avec décalage de ST, la coronarographie doit être réalisée le plus vite possible pour identifier l’artère responsable et si possible la recanaliser [10]. Le traitement médical préhospitalier est indispensable, souvent efficace, et la rapidité de la prise en charge est un élément clé du pronostic. Elle permet un diagnostic lésionnel visualisant le défect endoluminal coronarien. Le retentissement fonctionnel peut être apprécié dans le même temps par la ventriculographie.
Les techniques de médecine nucléaire (tomoscintigraphie cardiaque synchronisée ou gated SPECT (single-photon emission computed tomography), tomographie par émission de positons au 18-fluoro-deoxyglucose) sont également performantes en matière d’analyse de la viabilité myocardique. La scintigraphie de perfusion montre parfaitement les IDM transmuraux, mais pâtit de sa faible résolution spatiale pour le diagnostic de nécrose non transmurale (sous-endocardique) [11]. La réalisation d’un examen TEP au décours d’un IDM n’est pas pratiquée en France en raison du faible taux d’équipement.
Surveillance et installation du patient
Dans notre centre, l’IRM est réalisée au moment du transfert du patient de l’unité de soins intensifs vers une unité de soins conventionnels. La salle d’examen doit être équipée de matériel de sécurité (chariot d’urgence, défibrillateur) et de fluides médicaux. La présence auprès du patient d’un médecin rompu aux techniques de réanimation durant tout l’examen est préférable [12]. On vérifie l’absence de contre-indication (pacemaker, défibrillateur implantable). La présence d’un ou plusieurs stents coronariens posé(s) dans les heures qui précèdent ne contre-indique pas la réalisation de l’IRM.
Séquences
Séquences anatomiques en écho de spin rapide, séquences sensibles à l’œdème
Les séquences pondérées T2 utilisent typiquement une lecture de type turbo spin-écho avec ou sans saturation de la graisse [13]. On améliore le contraste endocarde-sang circulant à l’aide d’une préparation « sang noir » obtenue par une double (ou triple) saturation : en cas de double saturation, la première est non sélective sur l’ensemble du cœur, la seconde est sélective et annule, dans le plan de coupe choisi, la saturation des structures fixes. Seul le myocarde reste visible dans le plan de coupe. La plupart des centres utilisent aujourd’hui des séquences STIR (short TI triple inversion recovery) pour la recherche de la zone à risque. Le principe de cette séquence est d’éliminer le signal issu du sang circulant ainsi que celui de la graisse. Le résultat obtenu n’est pas toujours optimal en raison du faible rapport signal sur bruit obtenu. On peut également visualiser l’œdème sur des séquences de type steady state free precession (SSFP) avec ou sans préparation particulière [14–16].
Les séquences HASTE permettent l’acquisition rapide (une apnée pour 5 à 7 coupes) d’images pondérées T2 peu influencées par le rythme cardiaque. La particularité de ces séquences est de réaliser l’acquisition d’un demi-espace de Fourier et de reconstruire l’image par symétrie. Le temps de répétition (TR) est infini. En revanche, le temps d’écho (TE) effectif (codage du contraste au centre de l’espace de Fourier) peut être déterminé par l’opérateur. La pondération T2 augmente avec le TE aux dépens du rapport signal sur bruit. La résolution spatiale des images en HASTE est moins bonne que celle des séquences TSE (délimitation moins nette de l’endocarde par rapport au sang circulant), mais leur qualité est beaucoup plus constante. Le myocarde normal est en isosignal alors que la zone pathologique apparaît en hypersignal du fait de l’œdème interstitiel de l’infarctus. La quantification du temps T2 est possible, mais rarement pratiquée [17].
Séquences ciné-IRM segmentées (analyse de la cinétique segmentaire)
Sans bande de présaturation
Ce groupe de séquences est aujourd’hui dominé par les séquences en écho de gradient de type SSFP [18]. Les images obtenues et les variations de signal dépendent du rapport T2/T1 et possèdent d’excellents rapports signal sur bruit et contraste sur bruit. Elles permettent l’utilisation de TR très courts. Elles renforcent le signal du sang circulant codé en blanc, réalisant un excellent contraste myocarde/cavités, tout en conservant une très bonne résolution spatiale. Les constructeurs ont retenu des acronymes différents pour des séquences équivalentes : Truefisp™ (Siemens), Balanced FFE™ (Philips), Fiesta™ (General Electric).
Le nombre d’images encodées par espace RR est d’autant plus grand que la fréquence cardiaque est lente, ce qui est fréquent dans les suites d’un IDM, la plupart des patients étant β-bloqués. Quinze à 25 phases sont acquises en routine. Une résolution temporelle optimale est essentielle à une mesure fiable de paramètres tels que la fraction d’éjection, les volumes systolique et diastolique du ventricule gauche (VG) ou la masse ventriculaire [19]. La principale limite de ce type de séquence est l’arythmie cardiaque. Si elle est trop importante, elle nuit à une acquisition de qualité.