Chapitre 11 Arthrose de la main et du poignet
L’arthrose est une maladie dégénérative des articulations qui peut prendre des aspects très différents sur le plan des déformations, des destructions, des poussées inflammatoires. Cette affection touche le cartilage mais également l’os et l’appareil capsulo-ligamentaire. Il n’y a à ce jour aucun traitement pour guérir l’arthrose, les traitements sont symptomatiques pour lutter contre la douleur et les poussées inflammatoires. L’éducation des patients est importante pour qu’ils gèrent de manière économe leur capital articulaire et comprennent l’importance du port régulier des orthèses.
Rhizarthrose
La rhizarthrose est l’apanage de la femme de 50-60 ans qui, pendant une période de 7 à 10 ans, va observer la déformation de son pouce jusqu’à la constitution d’un pouce en « M » ou pouce adductus. La dégénérescence arthrosique de l’articulation trapézo-métacarpienne provoque une déformation en hyperextension de la MP et en flexion de l’IP. Les poussées inflammatoires sont, soit très algiques et précipitent la demande thérapeutique, soit parfaitement tolérées jusqu’à ce que la patiente se plaigne en plus de douleurs métacarpo-phalangiennes et de difficulté à saisir les gros objets. L’aspect très contrasté de cette affection dégénérative illustre la complexité de cette articulation.
Anatomie
L’articulation trapézo-métacarpienne a été décrite comme une articulation en selle également assimilée à un cardan (fig. 11-1).
L’appareil ligamentaire trapézo-métacarpien ne suffit pas, à lui seul, à garantir stabilité et fonction, le rôle de la musculature intrinsèque et extrinsèque est fondamental. Huit muscles contribuent à la parfaite mobilité et stabilité du pouce (fig. 11-2) : long extenseur (EPL), court extenseur (EPB), long fléchisseur (FPL), adducteur (ADD), court fléchisseur (FPB), long abducteur (APL), court abducteur(APB), opposant (OPP).
Ainsi, le court abducteur et l’opposant du pouce ont un rôle d’abduction, d’antépulsion ou de flexion du pouce, ils recentrent l’articulation et assurent la rotation du premier métacarpien sous le contrôle des ligaments. Il existe un véritable couplage entre l’action musculaire et l’appareil ligamentaire. Au total, pour une pince d’un kilo réalisée entre le pouce et l’index, la contrainte exercée au niveau de l’articulation trapézo-métacarpienne est de 13,42 kg, de 6,61 kg sur l’articulation métacarpo-phalangienne et de 3,68 kg sur l’interphalagienne [3].
Physiopathogénie des déformations
L’instabilité de l’articulation trapézo-métacarpienne va provoquer sur une période de 7 à 10 ans une déformation sévère du pouce dite de pouce en « M » ou pouce adductus (fig. 11-3). Au début, la subluxation dorsale et radiale du premier métacarpien crée une marche d’escalier. La douleur et la déformation articulaire limitent les amplitudes articulaires et un phénomène de compensation s’instaure avec le développement progressif d’une hyperextension de l’articulation métacarpo-phalangienne [13]. La première commissure se ferme sous l’effet des rétractions musculo-aponévrotiques. Le premier métacarpien devient parallèle au second, l’IP du pouce se fléchit pour préserver la pince fine. L’installation de ce pouce « adductus » va surcharger le ligament latéral interne lors de la prise de gros objets, créant une instabilité latérale douloureuse.
La classification des lésions est répartie en quatre stades (classification d’Eaton-Littler) [5] : elle est fondée sur une vraie radiographie de profil du pouce centrée sur le trapèze et montrant les sésamoïdes superposés (fig. 11-4A à D) :
• stade 1 : la surface articulaire est normale, l’espace articulaire peut être un peu élargi par la présence d’un épanchement articulaire ;
• stade 2 : petit pincement articulaire trapézo-métacarpien, mais les contours articulaires sont conservés. Les corps étrangers articulaires ou les ostéophytes ont une taille inférieure à 2 millimètres. L’usure articulaire est modérée. Il n’y a pas d’arthrose scaphoïdo-trapézienne ;
• stade 3 : la destruction articulaire trapézo-métacarpienne est importante avec présence d’une sclérose osseuse et de kystes intraosseux. Les ostéophytes et les débris articulaires ont une taille supérieure à 2 millimètres. L’articulation scaphoïdo-trapézienne est épargnée ;
• stade 4 : les deux surfaces articulaires trapézo-métacarpienne et scaphoïdo-trapézienne sont atteintes avec production d’ostéophytes.
A. Stade 1. Aspect articulaire normal ou légèrement élargi.
B. Stade 2. Discret pincement articulaire, ostéophytes de moins de 2 mm.
C. Stade 3. Importante destruction articulaire avec sclérose osseuse, ostéophytes et corps articulaires supérieurs à 2 mm. L’articulation scapho-trapézienne est intacte.
D. Stade 4. Les deux surfaces articulaires trapézo-métacarpienne et scaphoïdo-trapézienne sont atteintes avec production d’ostéophytes.
Diagnostic
Le « grind » test (fig. 11-5A) est démonstratif de l’atteinte articulaire en produisant un crépitement lorsque le pouce subit une compression axiale accompagnée d’une circumduction. Le même test en distraction met en tension le complexe capsulo-ligamentaire provoquant la douleur lorsque l’inflammation est présente au début de l’affection.
Le test de compression de la base du métacarpien rapporté par Glickel [6, 7] (fig. 11-5B) est également très significatif ; il consiste à mettre en extension la tête du premier métacarpien en le saisissant entre le pouce et l’index et avec l’autre pouce à appliquer une pression dorsale à sa base. Cette tentative de réduction de la subluxation dorsale et la mise en contrainte de l’articulation trapézo-métacarpienne sont particulièrement douloureuses dans les stades avancés.
Traitement médical
Approche médicale et orthétique
À ses débuts, la rhizarthrose du pouce relève du traitement médical associant anti-inflammatoires non stéroïdiens et mise en place d’une orthèse. Dans la journée, il est utile de porter une orthèse courte (fig. 11-6A, B) laissant libre le poignet mais immobilisant la colonne du pouce en position neutre (45° d’abduction et d’antépulsion) avec mise en flexion à 30° de l’articulation métacarpo-phalangienne.
Cette flexion décharge de manière significative les contraintes appliquées à l’articulation trapézo-métacarpienne [15]. Pour la nuit, le patient utilisera une orthèse antébrachio-digitale P1 du pouce, la MP est fléchie à 30°, l’IP est libre et le poignet à 15–20° d’extension (fig. 11-7).
Le port régulier de ces orthèses pour une période minimale de 4 semaines améliore la symptomatologie dans 76 % des cas lorsque la rhizarthrose est au stade 1 ou 2 de Eaton et dans 54 % aux stades 3 et 4 [15]. L’infiltration de corticoïdes dans l’articulation trapézo-métacarpienne doit rester exceptionnelle et aider à passer une période inflammatoire hyperalgique. La répétition de telles infiltrations a pour conséquences d’altérer l’appareil capsulo-ligamentaire, ce qui compliquera un futur geste chirurgical.
Il est important d’éduquer le patient développant une rhizarthrose afin de prévenir les gestes nocifs qui augmentent la douleur et les déformationsdu pouce lors des activités et de lui enseigner les principes de l’économie articulaire en diminuant l’utilisation permanente du pouce et, par là même, la force répercutée sur la trapézo-métacarpienne (fig. 11-8).
Traitement chirurgical
De nombreux traitements chirurgicaux ont été proposés en fonction du stade évolutif.
Dans les formes débutantes au stade 1 avec instabilité capsulo-ligamentaire, une ligamentoplastie transosseuse utilisant la moitié du grand palmaire et cheminant à la base du premier métacarpien pour venir se fixer à la moitié restante du tendon permet de réduire l’instabilité. Cette intervention de Eaton donne de bons résultats dans la mesure où la patiente n’a pas développé de chondrite. Toujours au stade 1, Wilson [20] propose une ostéotomie d’extension monocorticale de 30° à la base du premier métacarpien afin de modifier les contraintes sur l’articulation trapézo-métacarpienne. Cette intervention est peu pratiquée en Europe.
La dénervation du trapèze a une utilité pour la femme jeune qui est hyperalgique au stade 1, en sachant que l’effet antidouleur s’estompe en moyenne dans les 13 mois.
Aux stades 2, 3 et 4, nous privilégions la trapézectomie totale avec tendinoplastie d’interposition utilisant le petit palmaire ou la moitié du grand palmaire en association avec une bandelette tendineuse du long abducteur du pouce (fig. 11-9). La réparation et la remise sous tension du plan capsulo-ligamentaire sont essentielles pour restaurer la stabilité de la néo-articulation. Afin de favoriser l’abduction et la rétroplusion du pouce, le tendon du long abducteur est raccourci et refixé de manière plus dorsale et distale sur la base du premier métacarpien. C’est une bonne opération qui assure le confort et la mobilité. La récupération de la force n’est jamais totale et dépend de l’état préopératoire et de la trophicité des muscles thénariens. Quatre-vingt douze pour cent des opérés réclament la même opération du côté opposé dans les 18 mois suivant la première intervention.
Cette intervention peut être complétée par une ligamentoplastie-suspensoplastie selon le principe de Eaton utilisant la moitié du grand palmaire. Cette technique a pour ambition de restaurer la stabilité du 1er métacarpien et d’éviter le collapsus de la colonne du pouce induit par la trapézectomie. À long terme, il n’y a pas de différence entre les patients ayant bénéficié de l’une ou l’autre des techniques.
Protocole de rééducation
Rééducation de J1 à J30
Elle a pour but d’entretenir la mobilité des chaînes digitales longues pour diminuer l’œdème toujours présent en postopératoire. Elle est associée à la cryothérapie et au port de l’avant-bras en écharpe. La mobilisation active de l’interphalangienne du pouce est obligatoire pour éviter les adhérences du long extenseur du pouce. En revanche, la mobilisation de l’articulation métacarpo-phalangienne du pouce doit être très restreinte pour éviter les micromouvements au niveau de la broche intermétacarpienne et de la réparation capsulo-ligamentaitre de la néo-articulation. L’utilisation de la pince pollici-digitale peut s’effectuer mais sans force. Il convient de veiller à la bonne position du poignet qui, fréquemment en postopératoire, a tendance à se placer en légère flexion et inclinaison cubitale. Si le patient n’arrive pas à maîtriser cette position, il est préférable de lui faire porter une orthèse longue qui stabilisera le poignet (fig. 11-7).
À J30
À l’ablation de la broche, succèdent la confection d’une orthèse carpo-digitale de P1 du pouce assurant le repos articulaire et l’ouverture de la première commissure (fig. 11-10). Le premier métacarpien est placé en abduction et antépulsion à 45°, la MP à 30° de flexion, l’IP est libre et le poignet à 10° de dorsi-flexion. Cette orthèse, qui sera portée la nuit, a pour finalité de replacer la colonne du pouce dans sa position définie ci-dessus et d’apporter l’indolence.
Cette orthèse courte, qui est utilisée au cours des activités, stabilise le premier métacarpien en abduction-antépulsion tout en empêchant l’opposition, La MP est en flexion à 30° et l’IP est libre (fig. 11-6A).