Chapitre 10 Traumatismes du rachis
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ de décrire l’épidémiologie des lésions rachidiennes ;
✓ de comparer les mécanismes les plus fréquents de création de lésions rachidiennes chez l’adulte avec celles plus communes chez l’enfant ;
✓ de reconnaître les patients susceptibles de présenter une lésion rachidienne ;
✓ de relier les signes et symptômes des lésions rachidiennes et du choc neurogénique (spinal) à la physiopathologie sous-jacente ;
✓ d’intégrer les principes d’anatomie et de physiopathologie aux données de l’évaluation du patient, afin d’établir un « plan » de prise en charge d’un patient présentant une lésion avérée ou potentielle du rachis ;
✓ de décrire les indications d’immobilisation du rachis ;
✓ d’indiquer les facteurs associés aux faits observés en préhospitalier, et les interventions qui peuvent affecter la mortalité et la morbidité des lésions rachidiennes.
Vous êtes envoyé sur les lieux d’une épreuve de gymnastique. À votre arrivée, vous découvrez une femme de 19 ans, allongée sur le dos sur un tapis de sol, en dessous de barres asymétriques. Les lieux sont sécurisés. Son entraîneur est assis à côté d’elle et essaie de lui parler, mais celle-ci ne répond pas.
Lorsque vous débutez votre évaluation primaire, vous découvrez une femme inconsciente ayant chuté lors d’un exercice de base en gymnastique. Elle présente des dermabrasions sur le front ainsi qu’une déformation évidente du poignet droit. Ses voies aériennes sont libres et sa respiration est régulière. Elle ne montre aucun signe évident d’hémorragie externe. Sa peau semble sèche et chaude avec une coloration normale.
Pendant la poursuite de votre évaluation primaire, elle commence à se réveiller mais reste confuse concernant les faits.
Quels phénomènes pathologiques expliquent l’état de la patiente ? Quelles mesures thérapeutiques immédiates et quelles évaluations supplémentaires sont nécessaires ? Quels sont les buts de la prise en charge de cette patiente ?
Les traumatismes rachidiens, lorsqu’ils ne sont pas reconnus et pris en charge de façon adéquate en préhospitalier, peuvent avoir des conséquences désastreuses et laisser un patient paralysé à vie. Certains patients se présentent avec des lésions de la moelle épinière immédiatement après le traumatisme. D’autres, même s’ils souffrent de lésions osseuses rachidiennes, ne présentent aucune atteinte de la moelle épinière ; cependant, des lésions neurologiques peuvent survenir secondairement, du fait de mobilisations intempestives. Comme le système nerveux central (SNC) est incapable de se régénérer, les atteintes sévères de la moelle épinière peuvent être irréversibles. Les conséquences de la mobilisation inappropriée d’un patient ayant une lésion rachidienne traumatique (immobilisation inadéquate, autoriser le patient à s’asseoir) peuvent donc être dramatiques. Il est plus dangereux de négliger l’immobilisation d’un rachis en cas de suspicion d’une fracture de la colonne que, par exemple, l’immobilisation d’un fémur fracturé. À l’inverse, une immobilisation du rachis chez un patient sans indication de lésion a aussi des conséquences ; elle ne devrait pas être entreprise sans considérer précautionneusement les risques et les bénéfices.
Les lésions de la moelle épinière ont des répercussions physiologiques importantes sur le mode de vie et sur le plan financier. La mobilité des extrémités peut être très limitée voire abolie, rendant des gestes de la vie courante impossibles. Le mode de vie est affecté car une lésion médullaire entraîne généralement de nombreux changements dans l’activité quotidienne et sur le plan de la dépendance [1]. D’un point de vue économique, aux États-Unis, il est estimé que la prise en charge totale à vie d’une lésion définitive de la moelle s’élève à près de 1,35 million de dollars [2].
Chaque année, environ 32 personnes sur 1 million d’habitants ont une lésion médullaire. On estime que 250 000 à 400 000 personnes vivent avec ce type de lésion aux États-Unis. Les lésions de la moelle épinière peuvent survenir à n’importe quel âge. Cependant, leur fréquence est plus élevée entre 16 et 35 ans, âges au cours desquels les accidents violents et les activités à haut risque sont plus fréquents. La plupart des patients traumatisés ont entre 16 et 20 ans. Le deuxième grand groupe d’âge se situe entre 21 et 25 ans, et le troisième entre 26 et 35 ans. Dans 48 % des cas, il s’agit d’accidents de véhicules motorisés, dans 21 % de chutes, dans 15 % de traumatismes pénétrants, dans 14 % d’accidents de sport, et dans 2 % de traumatismes divers. Au total, environ 11 000 personnes subissent chaque année une lésion de la moelle aux États-Unis [3].
1. La tête peut être comparée à une grosse boule de bowling, perchée sur le sommet du cou, capable de mouvements divers par rapport au tronc dans tous les axes, ce qui a pour effet d’appliquer des forces importantes au niveau du rachis cervical et de la moelle épinière.
2. Les objets en mouvement ont tendance à rester en mouvement et ceux au repos à rester au repos.
3. Des mouvements violents et soudains de la partie proximale des membres inférieurs déplacent le pelvis, ce qui a pour effet d’appliquer des forces importantes au niveau de la partie basse de la colonne cervicale. Du fait du poids et de l’inertie de la tête et du torse, des forces dans des directions opposées s’appliquent sur la partie haute de la colonne vertébrale.
4. L’absence de déficit neurologique n’exclut en aucun cas la présence de lésions osseuses ou ligamentaires rachidiennes, ou celle de lésions a minima de la moelle épinière.
Certains patients traumatisés présentant un déficit neurologique souffrent de lésions de la moelle épinière pouvant être définitives ou temporaires. D’autres souffrent seulement de lésions nerveuses périphériques ou de lésions osseuses distales, sans atteinte de la moelle épinière. L’intervenant préhospitalier doit suspecter une atteinte du rachis dans tous les cas suivants :
tout mécanisme responsable d’impact violent sur le crâne, le cou, le torse ou le pelvis ;
tout accident provoquant une violente accélération, décélération, ou créant des forces latérales importantes sur le cou ou le tronc ;
toute chute, notamment chez les personnes âgées ;
tout cas d’éjection ou de chute d’un véhicule motorisé ;
tout patient victime d’un traumatisme en eau peu profonde [4,5].
Anatomie et physiologie
Vertèbres
La colonne vertébrale est composée de 33 vertèbres qui sont empilées les unes sur les autres. Exception faite des deux premières vertèbres cervicales (C1 et C2) au sommet du rachis et des vertèbres sacrées et coccygiennes qui sont soudées, toutes les vertèbres ont à peu près la même forme (figure 10-1). La plus grande partie est la partie antérieure, appelée corps vertébral. Chaque corps vertébral supporte la majeure partie du poids de la colonne vertébrale et du torse situés au-dessus de lui. Deux lames courbées partent en arrière de chaque côté du corps, les arcs neuraux, qui sont formés par une partie antérieure, le pédicule, et par une partie postérieure, la lame. Les deux arcs neuraux se rejoignent en arrière pour former le processus épineux (apophyse épineuse). Pour les cinq dernières vertèbres cervicales, ces apophyses sont horizontales alors que, pour le reste du rachis, elles sont légèrement inclinées vers le bas.



Figure 10-1 Excepté pour le sacrum soudé et les vertèbres coccygiennes, chaque vertèbre comporte les mêmes parties que les autres. Le corps (partie antérieure) de chaque vertèbre devient plus grand et plus robuste en descendant vers le pelvis, car il doit supporter plus de poids. A. 5e vertèbre cervicale. B. Vertèbre thoracique. C. Vertèbre lombaire.
La plupart des vertèbres possèdent en outre des processus transverses (apophyses transverses) qui naissent entre la lame et le pédicule. Les processus transverses et épineux servent de point d’ancrage musculaire et sont donc impliqués dans la mobilité rachidienne. Les structures osseuses dessinent un orifice central de forme arrondie appelé foramen vertébral ou canal médullaire qui contient la moelle épinière. La moelle épinière est donc protégée par les structures osseuses formant ce canal : la colonne vertébrale. Chaque foramen vertébral est aligné à la vertèbre supérieure et inférieure pour former le canal médullaire au travers duquel passe la moelle épinière.
Colonne vertébrale
Les vertèbres sont empilées les unes sur les autres et cette colonne ainsi formée a une forme de S (figure 10-2). Cela permet des mouvements multidirectionnels tout en gardant une certaine rigidité. La colonne vertébrale est divisée en cinq parties. De haut en bas, il s’agit de la colonne cervicale, thoracique (ou dorsale), lombaire, sacrée et coccygienne. Les vertèbres sont identifiées par la première lettre de la région à laquelle elles appartiennent et par leur numéro, le 1 étant la vertèbre supérieure. Ainsi, la première vertèbre cervicale est C1, la troisième thoracique est T3, la cinquième vertèbre lombaire est L5, etc. Plus la vertèbre est bas située, plus le poids supporté par chaque vertèbre augmente. Les vertèbres de C3 à L5 deviennent de plus en plus grandes pour supporter l’augmentation du poids et de la charge (voir figure 10-3).

Figure 10-2 La colonne vertébrale n’est pas une baguette droite mais une série de blocs qui sont empilés pour permettre plusieurs abaissements et courbures. À chaque courbure, la colonne est plus vulnérable aux fractures, d’où l’origine de l’expression « briser le S dans la chute ».
Situées au sommet de la colonne vertébrale, les sept vertèbres cervicales supportent le poids de la tête. La région cervicale est flexible, ce qui permet les mouvements multidirectionnels de la tête. Ensuite se trouvent les 12 vertèbres thoraciques (ou dorsales). Chaque paire de côtes se fixe sur les bords postérieurs de chaque vertèbre thoracique. Contrairement à la colonne cervicale, la colonne thoracique est relativement rigide et n’autorise que peu de mouvement. En dessous de la colonne thoracique se situent les cinq vertèbres lombaires. Ce sont les plus grosses de tout le rachis. La région lombaire est aussi flexible, autorisant des mouvements dans plusieurs directions. Les cinq vertèbres sacrées sont soudées et forment le sacrum. Les quatre vertèbres coccygiennes sont aussi soudées pour former le coccyx. Près de 55 % des lésions rachidiennes se situent sur le rachis cervical, 15 % sur la région thoracique, 15 % en lombaire et 15 % au niveau lombosacré.
Les ligaments et les muscles solidarisent la colonne du crâne au pelvis. Ils unissent les différentes structures osseuses, assurant l’alignement des vertèbres et permettant une certaine mobilité. Lorsqu’ils sont lésés, il peut y avoir déplacement d’une vertèbre par rapport aux autres. En cas de lésion ligamentaire, une luxation des articulations vertébrales peut se produire, ce qui peut affecter l’intégrité du canal médullaire et ainsi léser la moelle épinière.
Les ligaments intervertébraux antérieurs et postérieurs relient les corps vertébraux entre eux, en avant et à l’intérieur du canal rachidien. Les ligaments interépineux supportent les mouvements de flexion–extension, et ceux entre les lames, les mouvements de flexion latérale (figure 10-3).
La tête est fixée au sommet de la colonne qui, elle-même, repose sur le pelvis. Le crâne repose sur une vertèbre en forme d’anneau, C1, appelée atlas. L’axis, ou C2, a également une forme d’anneau, mais possède une dent, appelée dent de l’odontoïde, qui se place à l’intérieur de l’arche antérieure de C1 (figure 10-4). Cet axe permet des mouvements de rotation de près de 180° de la tête.

Figure 10-4 Les première et deuxième vertèbres cervicales ont une forme unique. A. Atlas (C1). B. Axis (C2).
La tête d’un adulte pèse entre 7 et 10 kg, à peu près le même poids qu’une boule de bowling. Le poids et la position de la tête au sommet d’une colonne mobile ayant des muscles et des ligaments fins, l’absence de côtes pouvant participer à l’absorption d’énergie cinétique et les forces pouvant être engendrées rendent le rachis cervical particulièrement fragile. Au niveau de C3, la moelle épinière occupe près de 95 % de l’espace du canal rachidien (contre 65 % au niveau lombaire) et il ne reste que 3 mm d’espace libre entre la moelle épinière et la paroi osseuse interne. De ce fait, même une luxation mineure à ce point peut provoquer une compression de la moelle épinière. Les muscles postérieurs du cou sont assez puissants et permettent une flexion jusqu’à 70° et une extension pouvant atteindre 60°, sans qu’il ne s’exerce aucune traction sur la moelle épinière. Cependant, en cas de violentes décélérations, accélérations ou mouvements latéraux forcés du cou, l’importance du poids de la tête par rapport à l’étroitesse du rachis cervical peut amplifier ces mouvements au-delà des valeurs précitées. Un impact arrière avec un appui-tête incorrectement ajusté pourrait être un exemple.
Le sacrum constitue la base de la colonne vertébrale, sur laquelle elle repose. Près de 70 à 80 % du poids total du corps repose sur le sacrum. Le sacrum fait partie à la fois de la colonne vertébrale et du bassin, auquel il est rattaché par des articulations fixes.
Moelle épinière
La moelle épinière est une structure en continuité avec le cerveau ; elle naît à la base de ce dernier, passe à travers le foramen magnum (le trou à la base du crâne) et à travers chaque vertèbre jusqu’au niveau de L2. La vascularisation est assurée par les artères vertébrales et spinales.
La moelle épinière est baignée dans une substance liquide, le liquide céphalorachidien (LCR), qui est contenu dans un feuillet dural. Cette enveloppe durale entoure le cerveau et descend autour de la moelle épinière jusqu’à la deuxième vertèbre sacrée où elle forme une citerne et où le LCR est absorbé. Le LCR a un rôle identique pour la moelle épinière et pour le cerveau, celui d’amortir les chocs lors d’un déplacement rapide et important, les protégeant ainsi contre les blessures.
La moelle épinière est constituée de substance grise et de substance blanche. La substance blanche contient les faisceaux ou tractus nerveux. Ces faisceaux sont divisés en deux types, ascendants et descendants (figure 10-5).
Les faisceaux ascendants conduisent les informations sensitives provenant des différentes parties du corps vers le cerveau. Ce système peut être divisé en plusieurs tractus qui transmettent chacun différents types de sensations : la douleur et la température, le toucher et la pression, la sensation de mouvement, les vibrations, la position, et la sensibilité superficielle. Le tractus qui conduit les influx douloureux et thermiques croise, ce qui veut dire qu’une information provenant d’un nerf situé dans la partie droite du corps croise vers le côté gauche de la moelle épinière et se projette sur le côté gauche du cerveau. À l’inverse, le tractus qui conduit les informations sur la posture, les vibrations et la sensibilité superficielle ne croise pas. Cette information sensorielle est ainsi dirigée vers le cerveau du même côté de la moelle épinière que les racines nerveuses.
Les faisceaux descendants conduisent les influx moteurs du cerveau vers les différents muscles du corps pour en contrôler les mouvements et le tonus. Ces faisceaux ne croisent pas. De ce fait, un tractus situé sur la gauche de la moelle épinière contrôle une fonction motrice située sur la gauche du corps. Ce tractus moteur croise en revanche dans le tronc cérébral, si bien que la partie droite du cerveau commande la partie gauche du corps.
Des nerfs spinaux (ou rachidiens), toujours par paires, sortent de la moelle épinière à chaque étage vertébral (figure 10-6). Il y a 31 paires de nerfs spinaux, chacun portant le nom de la vertèbre au niveau de laquelle il naît. Chaque nerf a deux racines, de chaque côté.
La racine dorsale conduit les influx sensitifs, alors que la racine ventrale conduit les influx moteurs. Les différents stimuli nerveux sont transmis des différentes parties du corps au cerveau à travers la moelle épinière et les nerfs spinaux. Ces nerfs sortent des vertèbres par un orifice sur le bord inférieur de la vertèbre, en arrière du corps ; c’est le foramen intervertébral (ou trou de conjugaison). Entre chaque vertèbre se trouve un disque cartilagineux qui fait office d’amortisseur (figure 10-7).

Figure 10-7 Le cartilage entre chaque corps vertébral est appelé disque intervertébral. Ces disques opèrent en tant qu’absorbeurs de chocs. S’ils sont endommagés, le cartilage peut s’introduire dans le canal rachidien, comprimer la moelle ou les nerfs passant au travers du foramen intervertébral.
Les niveaux sensitifs de ces nerfs sont représentés par les dermatomes. Un dermatome est une surface du corps dont une racine nerveuse est responsable ; cela permet en fait de cartographier le corps et de relier chaque surface à une racine ou à un niveau spinal (figure 10-8). Les dermatomes aident à évaluer le niveau d’une atteinte de la moelle épinière en fonction du déficit constaté. En préhospitalier, deux repères sont importants à retenir : le mamelon ou T4, et l’ombilic ou T10.

Figure 10-8 Une carte des dermatomes nous montre la relation entre les zones de sensation de la peau et les nerfs rachidiens correspondant à ces zones de sensation. La perte de sensation dans une de ces zones peut indiquer une lésion du nerf au niveau rachidien.
Une fonction respiratoire efficace nécessite à la fois une expansion pulmonaire et une contraction diaphragmatique. Le diaphragme est innervé par le nerf phrénique qui a ses racines de C2 à C5. Si la moelle épinière au-dessus de C2 ou si le nerf phrénique sont coupés, ou si l’influx nerveux est interrompu, il y a perte de la ventilation spontanée et nécessité de ventilation en pressions positives.
Physiopathologie
Les structures osseuses de la moelle épinière peuvent supporter des forces allant jusqu’à 1360 Joules d’énergie. Les accidents sur la voie publique (AVP) ou les accidents de sport peuvent facilement dépasser ce seuil. Même dans le cas d’un accident à petite vitesse avec choc du crâne contre le pare-brise, une personne non ceinturée de 68 kg peut générer des forces s’appliquant sur le rachis cervical de 4080 à 5440 Joules. Des forces similaires sont produites lors de l’éjection d’un motard de son véhicule ou lors du choc d’un skieur contre un arbre.
Lésions osseuses
Différents types d’atteintes osseuses peuvent se voir :
des fractures par tassement pouvant entraîner un aplatissement complet de la vertèbre (en galette) ou un aplanissement des angles du corps ;
des fractures qui détachent un fragment osseux qui peut alors comprimer le canal rachidien ;
des subluxations ou luxations partielles ;
des distensions ou des déchirures des ligaments et des muscles qui rendent instable la congruence des vertèbres [6].
L’absence de signe de déficit neurologique n’élimine pas la présence d’une fracture ou d’une lésion instable de la colonne. La normalité de la réponse motrice ou de la sensibilité signifie seulement que la moelle épinière est, pour l’instant, intacte, et en aucun cas que les structures osseuses ou ligamentaires le sont. Un pourcentage non négligeable de patients porteurs de lésions instables du rachis ne présente aucun déficit neurologique. Une évaluation complète est requise.
Mécanismes spécifiques impliqués lors de lésions de la moelle épinière
La compression axiale peut survenir dans différentes situations. La plus fréquente est lorsque la colonne est comprimée quand la tête heurte un objet et que le poids du reste du corps, qui est toujours en mouvement, s’écrase sur le rachis cervical (par exemple, quand un passager non ceinturé percute le pare-brise ou quand un nageur plonge dans des eaux peu profondes). Cette compression avec surcharge axiale peut aussi se produire quand un patient tombe d’une grande hauteur en position verticale, debout. La colonne lombaire est alors comprimée par le poids du thorax et de la tête contre le sacrum. Près de 20 % des chutes de plus de 5 mètres sont associés à des fractures de la colonne lombaire. Lors de tels transferts d’énergie cinétique élevée, la colonne a tendance à exagérer ses courbures normales, et c’est à ces niveaux que les fractures et les compressions surviennent. La colonne a une forme de S, si bien que les forces traumatiques qui lui sont appliquées ont tendance à rompre cet aspect de S. Il se produit une compression de la portion concave et une ouverture de la portion convexe de la colonne.
L’hyperflexion, l’hyperextension et la rotation excessives peuvent entraîner des lésions osseuses et des déchirures musculaires ou ligamentaires, pouvant être responsables de lésions de la moelle épinière.
La flexion latérale soudaine ou forcée est responsable de lésions de la moelle épinière pour des amplitudes de mouvements moins importantes que lors des phénomènes de flexion-extension. Lors d’un impact latéral, le torse et la colonne thoracique sont soumis à un déplacement latéral. La tête tend à rester immobile jusqu’à ce que le rachis cervical la tracte, mettant sous tension les points d’attache du rachis au crâne. Le centre de gravité de la tête est situé au-dessus et en avant des points de fixation rachis–crâne ; de ce fait, la tête a tendance à partir sur le côté. Ces mouvements sont souvent responsables de lésions osseuses ou de luxations.
L’élongation du rachis se produit lorsqu’une partie de la colonne est fixe et que le reste de la colonne subit un déplacement longitudinal. Cette traction forcée sur le rachis peut facilement entraîner des distensions et des déchirures de la moelle épinière. Ce phénomène est fréquent chez les enfants et lors des pendaisons.
Même si un de ces types de mouvements violents peut être une des principales causes de lésion du rachis chez un patient, un ou plusieurs autres mécanismes peuvent être impliqués.
Lésions de la moelle épinière
Les atteintes primaires se produisent au moment de l’impact et peuvent être des compressions de la moelle épinière, des lésions directes (généralement par des fragments osseux tranchants ou instables) et/ou des interruptions de la vascularisation de la moelle épinière. Les lésions secondaires surviennent à distance du traumatisme et peuvent être dues à un œdème, une ischémie, ou au déplacement d’une lésion osseuse [7].
Les sections de moelle épinière entraînent généralement des lésions irréversibles. Elles peuvent être complètes ou incomplètes. Dans les sections complètes, tous les tractus sont interrompus et il y a perte de l’ensemble des fonctions médullaires en aval de la lésion. Du fait de l’œdème évolutif, il faut parfois attendre 24 heures avant de connaître l’étendue définitive du déficit. On est, la plupart du temps, face à un tableau de paraplégie ou de tétraplégie. Lors de sections incomplètes de la moelle épinière, il n’y a perte que de certaines fonctions médullaires. Les types de sections incomplètes de la moelle épinière sont les suivants :
le syndrome médullaire antérieur (figure 10-9) est la conséquence d’un fragment osseux ou d’une compression des artères médullaires. Il y a perte des fonctions motrices et de la sensibilité à la douleur, à la température, et perte de la sensibilité superficielle. Cependant, les sensations de mouvement, de position et de vibrations sont conservées ;
le syndrome médullaire central (figure 10-10) survient lors des phénomènes d’hyperextension cervicale. Il y a une baisse de la force motrice et des paresthésies des extrémités supérieures, mais la force musculaire des membres inférieurs est conservée. Les dysfonctionnements vésicaux sont variables ;
le syndrome de Brown-Séquard (figure 10-11) est dû à un traumatisme pénétrant qui ne sectionne qu’un côté de la moelle épinière. Il y a donc une paralysie homolatérale et une anesthésie thermoalgique controlatérale [8].
Le choc neurogénique secondaire à une lésion de la moelle épinière représente un élément significatif supplémentaire. Lorsque la moelle est interrompue, le mécanisme sympathique de compensation ne peut pas maintenir le contrôle des muscles dans les parois des vaisseaux sanguins en dessous du point d’interruption. Ces artères et artérioles se dilatent, élargissent la taille du lit vasculaire et produisent une hypovolémie relative et une perte partielle des résistances vasculaires systémiques (RVS). La pression artérielle diminue donc. Cependant, la peau reste chaude et sèche. Contrairement à la tachycardie associée habituellement à l’état de choc hypovolémique, ce type de lésion est associé à une fréquence cardiaque normale ou à une légère bradycardie. Bien que le patient puisse être hypotendu, souvent le « choc » neurogénique ne cause pas de diminution de la distribution d’oxygène aux tissus périphériques (voir chapitre 8). Les lésions hautes de la moelle (C5 ou au-dessus) ont plus de chances de nécessiter une intervention cardiovasculaire telle que vasopresseurs ou pacemaker [9]. Une récente déclaration de consensus recommande une correction rapide de l’hypotension (PAS < 90 mmHg) à l’installation de la lésion aiguë de la moelle épinière. La pression sanguine de patients avec une suspicion de lésion de la moelle épinière devrait idéalement être maintenue à un niveau normal (PAM 85–90 mmHg) [10].
Évaluation
Comme toutes les autres lésions chez un patient polytraumatisé, l’évaluation des atteintes du rachis doit s’intégrer dans l’évaluation globale du patient. L’évaluation primaire reste la première priorité. Cependant, le patient doit souvent être mobilisé pendant cette phase de prise en charge afin d’assurer la sécurité de toutes les personnes présentes sur les lieux.
Il faut donc rapidement déterminer, à partir des premières informations sur les conditions de l’accident et sur l’état du patient, si le risque d’une lésion de la colonne existe ; la première méthode employée consiste alors à stabiliser manuellement le rachis. La tête du patient est maintenue en position neutre en ligne (axe tête–cou–tronc), sauf contre-indication (voir plus loin). Elle est maintenue pendant toute la durée de l’évaluation pour définir si le patient doit être maintenu immobilisé ou non. S’il convient d’immobiliser, la stabilisation manuelle est remplacée par un dispositif d’immobilisation, comme une planche d’immobilisation dorsale, un matelas à dépression ou des dispositifs spécialisés d’aide à l’extraction (demi-planche, attelle cervicothoracique, etc.).
Examen neurologique
En préhospitalier, un rapide examen neurologique est réalisé afin d’identifier les déficits évidents en rapport avec une lésion médullaire. Le patient est invité à bouger ses bras, ses mains et ses jambes, et toute incapacité est notée. Puis, la présence ou l’absence de sensibilités sont vérifiées, en commençant par les épaules et en allant jusqu’aux pieds.
Un examen neurologique complet est à proscrire dans un contexte préhospitalier, celui-ci ne fournissant aucune information complémentaire nécessaire aux soins préhospitaliers ; il fait perdre un temps précieux sur les lieux et retarde le transport.
Un examen neurologique doit être répété systématiquement une fois le patient immobilisé, à chaque mobilisation, puis à l’arrivée au centre hospitalier destinataire. Cela permettra d’identifier toute modification de l’état du patient, pouvant survenir à l’issue de l’évaluation initiale.
Importance du mécanisme lésionnel dans l’évaluation d’une lésion médullaire
Classiquement, il était considéré qu’une immobilisation du rachis n’était indiquée qu’en cas de traumatismes secondaires à un accident en mouvement. Cela a causé bien des erreurs dans les démarches de recherche de lésions rachidiennes. Cependant, la décision de mettre en place des mesures de protection du rachis repose également sur la recherche de déficit sensitif ou moteur, sur la présence de douleur, et sur la fiabilité du patient quant à l’expression de ses plaintes. De plus, une douleur du rachis peut être totalement masquée par une douleur plus importante (fracture de la diaphyse fémorale par exemple) [9]. L’absorption d’alcool ou de produits stupéfiants peut aussi altérer la perception du patient.
En préhospitalier, le but premier est de reconnaître les situations où s’impose une immobilisation du rachis, plutôt que d’essayer d’éliminer cliniquement la présence d’une atteinte de la colonne [11–18]. Comme de nombreux patients n’ont pas de lésion médullaire, une approche plus sélective pour la réalisation d’une immobilisation spinale est appropriée, en particulier parce que l’immobilisation spinale a des effets indésirables qui ont été repérés chez des volontaires sains, dont une augmentation des efforts respiratoires, une ischémie cutanée et une douleur [18]. Les intervenants préhospitaliers devraient suivre les indications appropriées pour la réalisation d’une immobilisation spinale.
Traumatismes fermés
Les principales causes de lésions du rachis chez l’adulte et par ordre de fréquence sont :
Les principales causes de lésions du rachis chez l’enfant et par ordre de fréquence sont :
les chutes d’une hauteur supérieure à 2 à 3 fois la taille du patient ;
les chutes de vélo ou de tricycle ;
En règle générale, l’intervenant préhospitalier devra supposer qu’il existe une lésion du rachis ou un rachis dit instable dans les situations suivantes :
tout mécanisme responsable de choc violent sur la tête, le cou, le torse ou le pelvis (coup sur le crâne, ensevelissement, etc.) ;
tout accident où il se produit de brutales accélérations, décélérations, ou bien l’application de forces latérales sur le cou ou sur le torse (collisions entre voitures, piéton renversé par un véhicule, explosions, etc.) ;
toute chute, notamment chez une personne âgée ;
toute éjection ou chute d’un véhicule en mouvement (scooters, voitures, moto, skateboard, vélo, etc.) ;
Les autres situations fréquemment associées à des atteintes rachidiennes sont :
les traumatismes crâniens avec altération du niveau de conscience ;
l’existence de dommages importants sur le casque d’un motard ;
un traumatisme important du thorax ;
les fractures impactées des membres inférieurs ou du pelvis associées à un phénomène de décélération ;
Ces mécanismes lésionnels devraient conduire à pratiquer un examen complet pour déterminer si une immobilisation du rachis est nécessaire.
Le port de ceintures de sécurité a prouvé son rôle dans la diminution du nombre de traumatismes crâniens, de traumatismes thoraciques et de décès. Cependant, il n’exclut pas la possibilité d’avoir une lésion rachidienne. Lors de chocs frontaux au cours d’AVP, quand une brutale décélération survient, le thorax ceinturé s’arrête brusquement, alors que la tête a tendance à continuer d’avancer. Maintenue par une forte musculature postérieure, la tête ne peut que se déplacer légèrement vers l’avant. Si les forces de décélération sont suffisantes, le cou se fléchit et la tête tourne jusqu’à ce que le menton touche le thorax. Une telle hyperflexion avec rotation du cou peut être responsable de fractures par tassement cervical, de luxations vertébrales et d’étirement de la moelle épinière (luxation des processus articulaires). D’autres mécanismes en cas de chocs postérieurs ou latéraux (extension) peuvent également être cause de lésions rachidiennes. L’importance des dégâts du véhicule et les autres blessures dont souffre le patient sont des éléments clés dans la détermination de la suspicion de lésions rachidiennes et, donc, dans la décision d’immobiliser le rachis.
La capacité du patient de se déplacer et de marcher ne signifie pas que l’immobilisation de la colonne n’est pas requise. Un nombre non négligeable de patients nécessitant un traitement chirurgical de fractures instables de la colonne cervicale déambulent sur les lieux de l’accident ou arrivent même en marchant au service des urgences. Un rachis instable ne peut être éliminé que par des examens radiologiques adéquats ou par l’absence de mécanisme susceptible d’entraîner de telles lésions.
Traumatismes pénétrants
Les traumatismes pénétrants constituent un cas particulier en ce qui concerne la possibilité de lésions du rachis associées [20]. En général, s’il n’y a pas de déficit neurologique au moment de la survenue du traumatisme, il y a peu de risques que survienne une atteinte de la moelle épinière ultérieurement. Cela s’explique par le mécanisme lésionnel et la cinétique associée aux forces en présence. Les objets pénétrants ne produisent pas, en général, de fractures vertébrales instables car, à la différence des traumatismes contondants, les traumatismes pénétrants n’engendrent que peu de risques de blessures ligamentaires ou osseuses instables. Un objet pénétrant ne cause des dégâts que le long du trajet qu’il suit dans l’organisme.
Si cet objet ne touche pas directement le rachis ou la moelle épinière, il est très peu probable que le patient développe secondairement une atteinte médullaire. De nombreuses études ont montré qu’un traumatisme pénétrant à la tête, au cou ou au torse [22–27] entraîne rarement une lésion instable, et que ces traumatismes ne constituent pas des indications d’immobilisation du rachis, à moins qu’il n’existe un déficit neurologique. Pour cette raison et parce que les autres lésions relatives à un traumatisme pénétrant exigent souvent la priorité dans la prise en charge, ces patients ne nécessitent pas d’immobilisation. Une étude rétrospective récente fondée sur la National Trauma Data Bank a démontré que les patients avec un traumatisme pénétrant, immobilisés en préhospitalier, avaient un taux de mortalité élevé par rapport à ceux non immobilisés [28].
Indications d’immobilisation du rachis
Le mécanisme de l’accident est un bon indicateur pour déterminer s’il faut immobiliser le rachis (figure 10-12). Les points clés sont d’utiliser son bon sens et, en cas de doute, d’immobiliser.
Les victimes de traumatismes pénétrants, par exemple par armes à feu ou par armes blanches, quand ils présentent des signes déficitaires (engourdissements, picotements, déficits moteurs ou sensoriels), ou bien des troubles de la conscience, doivent être considérés comme porteurs de lésions du rachis ou de la moelle épinière. S’il n’y a pas de signes neurologiques évocateurs, l’immobilisation n’est pas nécessaire.
Dans le cas des traumatismes fermés, les situations suivantes imposent une immobilisation rachidienne.
1. Diminution du niveau de conscience (score de Glasgow < 15). Cela inclut :

2. Douleur ou sensibilité rachidiennes. Elles comprennent les douleurs spontanées à la mobilisation, les points douloureux exquis, les déformations ou une défense en regard de la colonne.
3. Déficit neurologique ou plainte. Cela inclut les paralysies complètes ou partielles, les parésies (faiblesses), les anesthésies ou les hypo-esthésies, les paresthésies et le choc spinal. Chez l’homme, le priapisme peut être un signe de lésion médullaire.
4. Déformation évidente du rachis. Il s’agit de toute déformation notée lors de l’examen clinique du patient.
Cependant, l’absence de ces signes n’élimine pas la possibilité d’une lésion osseuse rachidienne (encadré 10-1).
Encadré 10-1 Signes et symptômes de traumatismes du rachis
Douleur à la mobilisation du cou ou du dos
Douleur à la palpation du cou ou de la ligne médiane du dos
Déformation de la colonne vertébrale
Contraction ou tétanisation des muscles du cou ou du dos
Paralysie, parésies, engourdissement ou picotements dans les jambes ou les bras à tout moment après l’accident
Signes et symptômes de choc neurogénique

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