10: Réanimation des 48 premières heures

Chapitre 10 Réanimation des 48 premières heures



Malgré les progrès multidisciplinaires acquis dans la prise en charge des brûlés graves, la mortalité observée dans les centres spécialisés des pays occidentaux reste de l’ordre de 4 % [1]. Cette mortalité apparaît plus liée aux antécédents des patients, ou à leur âge, qu’aux classiques critères de superficie et de profondeur des lésions. Les décès surviennent le plus souvent dans un tableau de défaillance multiviscérale, évolution défavorable d’épisodes septiques répétés chez des patients dénutris et immunodéprimés [2]. Les décès à la phase initiale, si on exclut les accidents irrémédiables où la gravité est telle qu’une limitation de soins est indiquée, ont vu leur incidence diminuer au cours des trente dernières années. Cette évolution est due à une meilleure compréhension des phénomènes physiopathologiques qui caractérisent la phase aiguë de la brûlure grave : choc initial des brûlés, syndrome inflammatoire de réponse systémique (SIRS), stress oxydatif [3]. La majorité des brûlés sont traités avec succès au cours des 48 premières heures par des soins de réanimation adaptés. Si les grands axes de cette réanimation sont bien identifiés – remplissage vasculaire, analgésie, contrôle de la fonction respiratoire –, le choix précis de tel ou tel protocole, notamment pour ce qui concerne la réanimation hydroélectrolytique, reste le domaine d’une médecine factuelle reposant beaucoup sur les habitudes et les préférences subjectives de telle ou telle équipe médicale. Or il s’agit d’une phase d’évolution critique, qui engage le pronostic vital à court et moyen terme des patients. Il est d’ailleurs reconnu qu’une prise en charge tardive ou inadaptée augmente significativement la mortalité et la morbidité secondaires des patients.



Contexte physiopathologique



Réponse inflammatoire


Dès le traumatisme initial, la libération de médiateurs de l’inflammation est immédiate. Parmi ces médiateurs sont impliqués l’histamine, les prostaglandines, la bradykinine, la sérotonine, le complément, l’acide arachidonique, le monoxyde d’azote entre autres [4]. Si la brûlure est de superficie limitée, inférieure à 10 % de la surface corporelle totale, l’expression clinique de la réaction inflammatoire reste locale ou locorégionale, ne concernant que la brûlure même et les tissus contigus.


Dès lors que la brûlure intéresse une superficie cutanée plus importante, la réaction inflammatoire se généralise [5]. Des médiateurs systémiques sont libérés, par activation macrophagique postagressive. Des cytokines pro-inflammatoires sont synthétisées et circulent à concentration sérique élevée. Des taux élevés d’interleukine 1 et d’interleukine 8 ont été rapportés par différentes équipes au cours des cinq premiers jours d’évolution [6,7,8]. C’est plus particulièrement l’interleukine 6 qui présente un pic sérique caractéristique au cours des 48 premières heures d’évolution [9].


La brûlure grave s’accompagne d’un stress oxydatif intense. La promotion majeure d’espèces réactives de l’oxygène (anion superoxyde, radical perhy-droxyle, radical hydroxyle) déborde les capacités des systèmes enzymatiques de régulation antioxydante (glutathion peroxydase et superoxyde dismutase). Ces défenses enzymatiques utilisent comme cofacteurs vitamines et éléments traces. La baisse de ces cofacteurs à la phase aiguë de la brûlure témoigne de l’intensité du stress oxydatif [10, 11]. Les radicaux libres en excès induisent une peroxydation lipidique. L’atteinte des structures membranaires se traduit par une élévation des produits terminaux du métabolisme des lipides. Dans ce cadre, l’augmentation de l’excrétion urinaire de malondialdéhyde et des taux sériques des substances réagissant à l’acide thiobarbiturique a été décrite [12, 13].


L’intensité particulière de ces phénomènes inflammatoires immédiats, alors qu’à ce stade le patient est indemne de toute complication infectieuse documentée, fait que la brûlure grave a été d’emblée citée parmi les étiologies non septiques du SIRS, lors de la description initiale de ce concept par Bone [14]. Le SIRS est caractérisé par une défaillance immunitaire, un hypermétabolisme et un catabolisme protéique majeur. Le patient est fragilisé vis-à-vis des complications septiques secondaires, et le risque ultime est l’évolution vers un syndrome de défaillance multiviscérale.





Hyperperméabilite capillaire et réaction œdémateuse


À l’échelon de la microcirculation, l’action des médiateurs de la réaction inflammatoire se traduit par des perturbations de l’équilibre de Starling, qui régit les échanges hydroélectrolytiques entre le secteur vasculaire et l’interstitium [15].


L’équation de Starling s’écrit :



image



Avec :









À l’état d’équilibre, les valeurs physiologiques des différentes pressions sont :






La valeur absolue des deux flux de directions opposées est de 15 mm Hg et il y a donc équilibre.


Les principales altérations constatées au niveau des tissus brûlés sont :






Chez les brûlés les plus graves, atteints au-delà de 25 à 30 % de surface corporelle, la baisse de πcap liée à la fuite protéique est majeure et l’hyperperméabilité capillaire due aux médiateurs inflammatoires est généralisée. Il s’ensuit la constitution d’œdèmes ubiquitaires, qui concernent non seulement les brûlures, mais l’ensemble des tissus et organes indemnes. Cette accumulation de liquide dans le secteur interstitiel déborde les capacités du drainage lymphatique, bien que celui-ci augmente de 5 à 20 fois en zone brûlée et de 2 à 3 fois au niveau des tissus non brûlés [16].



Modifications hémodynamiques


L’équilibre hémodynamique est profondément altéré au cours des 72 premières heures d’évolution d’une brûlure grave. L’ancien concept de choc hypovolémique isolé a évolué au fur et à mesure de la meilleure perception des mécanismes du SIRS. Le cathétérisme cardiaque droit a permis de mettre en évidence qu’au profil hypovolémique initial, qui ne prédomine que durant les premières heures, succède entre la 12e et la 24e heure une phase hyperkinétique caractérisée par un index cardiaque élevé et des résistances vasculaires systémiques effondrées [17, 18] (tableau 10-1). Transport et consommation d’oxygène augmentent au prorata de l’élévation de l’index cardiaque [19, 20]. Chez les brûlés les plus graves, une élévation plus importante de la consommation d’oxygène au deuxième jour d’évolution a été corrélée à la survie secondaire des patients [21]. Comme dans tout état de choc, la dette tissulaire en oxygène se reflète dans le développement d’une acidose lactique.


Tableau 10-1 Évolution des résistances vasculaires systémiques indexées (RVSI) et des concentrations sériques d’interleukine 6 durant les cinq premiers jours après une brûlure grave [9].


image




Le rôle d’un hypothétique facteur dépresseur myocardique, partiellement responsable de la baisse initiale de l’index cardiaque, reste discuté [22]. La troponine a été proposée comme marqueur biologique de l’action délétère de ce médiateur [23].




Réanimation au cours des 48 premières heures


Elle est dominée par la réanimation hydroélectrolytique, le traitement d’une éventuelle détresse respiratoire et l’analgésie du patient. La difficulté pratique majeure pour les équipes médicales et paramédicales est d’effectuer ces soins, tandis qu’est pratiqué un bilan traumatologique exhaustif, notamment d’imagerie, ainsi que les éventuelles interventions chirurgicales d’urgence prioritaires.




Expansion volémique


C’est une urgence thérapeutique. Les apports hydroélectrolytiques visent à compenser la fuite liquidienne intravasculaire. Si celle-ci est au premier plan de la scène clinique des 48 premières heures, elle est maximale au cours de la première heure (fig. 10-1). Il y a consensus à admettre l’indication de perfuser un brûlé dès 10 % de surface corporelle atteinte chez l’enfant, et 15 % chez l’adulte.



En clinique humaine, les conséquences graves d’une réanimation hydroélectrolytique différée sont documentées. Le travail de Barrow a comparé rétrospectivement deux groupes d’enfants souffrant de brûlures sur plus de 50 % de la surface corporelle [30]. Un groupe avait bénéficié de perfusions adaptées précoces, alors que le second groupe n’avait été traité qu’après un délai initial de deux heures. L’évolution secondaire montrait une incidence significativement plus élevée du sepsis, de l’insuffisance rénale et une mortalité accrue dans le groupe des enfants réanimés tardivement (fig. 10-2).



De très nombreuses formules de calcul du volume de remplissage vasculaire au cours des 24 premières heures sont proposées dans la littérature médicale. S’il y a consensus vis-à-vis de la nécessité de perfuser d’importants volumes au cours des deux premiers jours après une brûlure grave, aucun des protocoles n’a fait l’objet d’études comparatives objectives, et les choix des différentes équipes spécialisées reposent dans ce domaine sur de la médecine factuelle, guidée par l’expérience personnelle, voire des idées reçues [31].


Le tableau 10-2 présente les trois protocoles de remplissage au cours des 24 premières heures les plus souvent observés [4].


Tableau 10-2 Protocoles de réanimation hydroélectrolytique au cours des 24 premières heures.























Formule de Baxter, dite aussi du Parkland Hospital :
4 ml/% SC brûlée/kg sous forme de ringer lactate
Formule d’Evans :
1 ml/% SC brûlée/kg sous forme de cristalloïdes
+ 1 ml / % surface corporelle brûlée/kg sous forme de colloïdes
+ 2 000 ml de cristalloïdes
Formule de Brooke :
0,5 ml/% SC brûlée/kg sous forme de colloïdes
+ 1,5 ml / % SC brûlée/kg sous forme de cristalloïdes
+ 2 000 ml de cristalloïdes

Si ces formules diffèrent dans leurs compositions quantitatives et qualitatives, elles restent consensuelles sur trois points :



Stay updated, free articles. Join our Telegram channel

Sep 21, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on 10: Réanimation des 48 premières heures

Full access? Get Clinical Tree

Get Clinical Tree app for offline access