Chapitre 10. Les benzodiazépines
Le mécanisme d’action des benzodiazépines151
Les classes de benzodiazépines152
L’utilisation clinique de benzodiazépines152
L’anxiolyse 153
L’action anticonvulsivante 153
La sédation 153
L’effet myorelaxant 154
L’amnésie 154
L’abréaction 154
Le sevrage alcoolique 155
La catatonie et le syndrome neuroleptique malin 155
La manie 155
La tranquillisation rapide 155
Les effets indésirables des benzodiazépines 156
Les benzodiazépines et la conduite d’un véhicule 157
INTRODUCTION
Il est quasiment impossible d’écrire un compte-rendu neutre sur la question des benzodiazépines (tableau 10.1) [14]. Leur histoire a déjà été rédigée par divers auteurs de façon très pertinente au cours des dernières années [15,16]. Lors de leur introduction sur le marché, ces médicaments ont été accueillis comme une avancée majeure dans le domaine de l’anxiolyse puisqu’ils étaient considérés comme à la fois très efficaces et sans danger. Leurs mérites, vantés par les firmes pharmaceutiques, les rendirent populaires auprès des médecins et des consommateurs. Cependant, durant les années 1980, les benzodiazépines sont soudainement tombées en disgrâce et ont été considérées comme l’une de pires menaces pour une société en temps de paix, un type de médicament plus difficile à arrêter que l’héroïne.
DCI : dénomination commune internationale. | |||
DCI | NOM DE SPÉCIALITÉ FRANCE | BELGIQUE/SUISSE | CANADA/ÉTATS-UNIS |
Diazépam | Valium® | Valium®/Valium®, Paceum®, Psychopax®, Stesolid® | Valium®, Diastat®, Vivol®/ Valium®, Diastat®, Dizac- Q-Pam® |
Chlordiazépoxide | Librium®, Librax® | –/Librax®, Librocol®, Limbitrol® | Librax®, Chlorax®/Librium® |
Lorazépam | Temesta® | Temesta®, Optisedine®, Serenase®/Lorasifar®, Sedazin® | Ativan®/Ativan® |
Bromazépam | Lexomil®, Anxyrex®, Quietiline® | Lexotan®/Lexotanil® | Lectopam®/– |
Oxazépam | Seresta® | Tranquo®, (Seresta®)/ Anxiolit®, Seresta® | Oxpam®, Novoxapam®/Serax®, Zaxopam® |
Alprazolam | Xanax® | Xanax®, Topazolam®/ Xanax® | Xanax®/Xanax®, Niravam® |
Clobazam | Urbanyl® | Frisium®/Urbanyl® | Frisium®/(Frisium®) |
Médazépam | Nobrium® | –/– | –/Nobrium® |
Clorazépate | Tranxene®, Noctran® | Tranxène®/Tranxilium® | Clorazepate®/Tranxene® |
Clonazépam | Rivotril® | Rivotril® | Rivotril®, Clonapam®/Klonopin® |
Clotiazépam | Veratran® | Clozan®/– | –/– |
Nordazépam | Nordaz® | Calmday® | –/– |
Prazépam | Lysanxia® | Lysanxia® | –/Centrax® |
Cloxazolam | Akton® | ||
Éthyle loflazépate | Victan® |
Une campagne de dénigrement fit fureur dans les média à la fin des années 1980 et au début des années 1990, générant une compassion pour les « victimes » de la dépendance aux benzodiazépines, ce qui n’avait jamais été le cas pour les autres produits induisant une accoutumance. Les malheureux usagers dupés étaient décrits comme subissant des forces irrépressibles leur faisant perdre tout contrôle sur leur destinée [17]. Cette crise des benzodiazépines a été telle qu’elle a marqué le moment à partir duquel les consommateurs ont pris les armes contre le complexe médicopharmaceutique et plus uniquement contre une classe de médicament.
Les médecins et les firmes pharmaceutiques tentaient de rassurer les gens en arguant du fait que ces médicaments étaient d’un usage très sûr, que les cas de dépendance et de réactions de sevrage étaient surévalués et que le phénomène de sevrage était plus lié à la personnalité du patient qu’à la pharmacologie du produit.
Ces vues divergentes se sont radicalisées à tel point qu’il est difficile de décrire les benzodiazépines sans se mettre à dos l’un ou l’autre des tenants d’une des deux positions. Le point de vue que nous adoptons ici est que les benzodiazépines sont nettement plus sûres pour la plupart des gens que ce qu’on en a dit durant ces années-là mais que, néanmoins, une partie non négligeable des personnes qui prennent des tels produits auront beaucoup de difficultés à les gérer sans que leur responsabilité ne puisse être mise en cause. Par ailleurs, les risques liés à la prise des benzodiazépines ne sont pas plus élevés que ceux posés par les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS). La question des benzodiazépines a servi, à mauvais escient, comme fer de lance des attaques contre les firmes pharmaceutiques par une combinaison de facteurs fortuits en concordance avec l’air du temps. Pour beaucoup de gens, le diazépam (Valium®) garde cette image négative alors que la fluoxétine (Prozac®) et les autres ISRS sont globalement bien perçus. Nous voyons là un exemple du fait que si le comportement des firmes pharmaceutiques a probablement toujours été guidé par les mêmes motifs, leur capacité de nuire est bien plus grande aujourd’hui que durant les années 1960 et 1970. Il serait en revanche naïf d’imputer la mauvaise image des benzodiazépines à la seule action des firmes pharmaceutiques œuvrant pour leur profit, même s’il est clair que l’opprobre jeté sur les benzodiazépines a largement contribué au succès des ISRS.
Quand les benzodiazépines sont arrivées sur le marché en 1960, les alternatives disponibles étaient les barbituriques et les antipsychotiques de première génération. Les barbituriques engendraient des inconvénients sérieux : une sédation excessive, un risque de dépendance très important et des risques de décès en cas de surdosage. Les antipsychotiques posaient d’autres problèmes, comme ceux décrits dans la section 1, et leur prescription ne semblait pas adéquate pour des troubles mineurs ou névrotiques. Étrangement, ces derniers sont actuellement prescrits aux enfants dès leur plus jeune âge.
Les benzodiazépines, à l’inverse, ne présentent pas les effets indésirables des antipsychotiques. Comparées aux barbituriques, elles produisent une sédation plus légère, occasionnent relativement peu de dépendance physique et ne sont pas dangereuses en cas de surdosage. Elles sont restées, malgré tout ce que nous venons de décrire, très populaires et abondamment prescrites pour induire une tranquillisation chimique de l’anxiété à grande échelle.
Si nous considérons les pratiques cliniques des années 1960 et 1970, nous voyons qu’un grand nombre de patients s’en tiraient tout aussi bien grâce à quelques entretiens avec leur médecin généraliste qu’aujourd’hui avec les benzodiazépines. La plupart d’entre eux semblaient d’ailleurs apprécier ce type d’approche. Avant la prescription à grande échelle des benzodiazépines, la gestion des troubles anxieux et névrotiques, quand elle était vraiment nécessaire, se faisait avec des barbituriques et des antidouleurs. Aujourd’hui, ce sont les ISRS qui sont prescrits pour les mêmes type de problème.
LE MÉCANISME D’ACTION DES BENZODIAZÉPINES
Nous en savons beaucoup plus sur le mécanisme d’action des benzodiazépines que sur celui de la plupart des autres médicaments psychiatriques. Les premiers développements dans ce domaine sont venus de la découverte d’un des neurotransmetteurs les plus répandus dans le cerveau (bien plus que la sérotonine ou la noradrénaline), un composé appelé acide γ-aminobutyrique (GABA). C’est le principal neurotransmetteur de type inhibiteur. Les benzodiazépines ne bloquent pas de messages via le système GABA, ne créent pas non plus de message artificiel, mais vont plutôt moduler le fonctionnement normal du système GABA en se liant à trois types de sites des récepteurs à benzodiazépines, BZj, BZ2 et BZ3, en produisant respectivement des effets sédatifs, myorelaxants et anxiolytiques.
Ce qui est surprenant avec ces β-carbolines, c’est qu’elles peuvent à la fois soulager l’anxiété et avoir un effet relaxant, comme les benzodiazépines, mais peuvent aussi à l’inverse causer de l’anxiété, de la tension et des convulsions. Cette constatation a fortement changé notre compréhension du fonctionnement naturel des neurotransmetteurs et des récepteurs. On pensait auparavant que les neurotransmetteurs agissaient sur les récepteurs soit en imitant cette action (effet agoniste), soit en l’inhibant (effet antagoniste). Mais il apparaît clairement maintenant que différents composés peuvent produire des actions opposées via le même récepteur. En ce qui concerne l’action sur les récepteurs à benzodiazépines, nous pouvons actuellement produire des substances qui calment l’anxiété, d’autres qui augmentent l’anxiété ou encore qui bloquent ces deux effets. Les trois composés sont différents mais agissent sur le même site du récepteur.
Un autre aspect intéressant des benzodiazépines est qu’à la différence des autres neurotransmetteurs tels que la noradrénaline, la dopamine, la sérotonine que l’on retrouve dans les unicellulaires ou des organismes très simples, les récepteurs à benzodiazépines sont présents presque exclusivement dans les aires corticales des animaux avec un degré d’évolution supérieur.
LES CLASSES DE BENZODIAZÉPINES
Par convention, les benzodiazépines sont classées en fonction de leur demi-vie, c’est- à-dire du temps que prend une substance donnée pour que sa concentration dans le sang diminue de moitié après une dose standard. L’intérêt pour ce concept s’est fortement accru durant les années 1970. Des composés avec une courte demi-vie ont été synthétisés pour tenter d’éviter la lourde sédation induite par les premières benzodiazépines telles que le diazépam. La longue demi-vie des premiers composés était responsable d’une accumulation du produit dans le sang particulièrement préoccupante chez les personnes âgées. Cependant, il faut garder à l’esprit que la durée d’action dépend non seulement de la vitesse de la dégradation chimique, mais aussi de la quantité de médicament administrée. Une grande quantité d’un composé à courte durée d’action agira plus longtemps (voir l’ encadré 10.1).
Encadré 10-1
LONGUE | INTERMÉDIAIRE | COURTE | ULTRACOURTE |
---|---|---|---|
Chlordiazépoxide | Flunitrazépam | Alprazolam | Midazolam |
Clorazépate | Nitrazépam | Lorazépam | Triazolam |
Diazépam | Lormetazépam | ||
Prazépam | Oxazépam | ||
Flurazépam | Bromazépam |