Chapitre 10 Item 235 – Épilepsies de l’enfant et de l’adulte
Objectifs pédagogiques
CEN
Connaissances requises
Définir une crise épileptique versus une épilepsie versus un état de mal épileptique.
Préciser les données épidémiologiques des épilepsies, notamment en fonction de l’âge.
Connaître les principes de classification des crises épileptiques et des épilepsies.
Décrire une crise généralisée tonicoclonique, des crises partielles simples et complexes.
Connaître les principaux diagnostics différentiels.
Décrire l’épilepsie-absences, l’épilepsie myoclonique juvénile et leur traitement.
Décrire une épilepsie partielle idiopathique.
Décrire l’épilepsie de la face interne du lobe temporal et son traitement.
Différencier convulsions simples et compliquées et expliquer la conduite à tenir.
Décrire le syndrome de West et le syndrome de Lennox et Gastaut.
Connaître la définition et le traitement d’un état de mal généralisé ou partiel.
Décrire comment suspecter un état de mal à expression confusionnelle.
Lister les principales indications de l’EEG et son intérêt.
Citer les différentes causes de crises épileptiques.
Connaître les principaux médicaments antiépileptiques, leurs effets secondaires, les règles élémentaires de prescription, les interactions médicamenteuses.
Préciser la conduite à tenir devant une épilepsie pharmacorésistante.
I Définitions
A Épilepsie
• Il n’y a pas une mais des épilepsies, qui sont des syndromes de pronostics et de traitements différents répertoriés selon plusieurs critères, notamment le type de crise épileptique, les anomalies EEG, l’étiologie et les signes neurologiques associés. Les syndromes épileptiques sont souvent âge-dépendants, c’est-à-dire qu’ils débutent à certains âges de la vie et évoluent selon une histoire naturelle définie.
• Épidémiologie : prévalence de 0,5 % ; incidence de 0,5 pour 1 000 habitants par an selon une distribution bimodale, plus élevée chez l’enfant et après 60 ans. Environ 50 % des épilepsies débutent avant l’âge de 10 ans. L’incidence cumulative (probabilité de développer une épilepsie) est de 3,1 % pour une personne vivant jusqu’à 80 ans.
B Crise épileptique
• « Clinique » impose qu’il n’y a pas d’épilepsie sans crise clinique. Les termes d’épilepsie latente, infraclinique, électrique n’ont aucun sens : la seule existence d’anomalies EEG ne suffit pas à définir l’épilepsie et encore moins à débuter un traitement.
• « Paroxystique » signifie début et fin rapides ou brutaux, durée brève : quelques secondes à quelques minutes (le terme « épilepsie » vient du grec « surprendre »).
• « Hyperactivité » suppose l’existence d’un trouble constitutionnel ou acquis de l’excitabilité neuronale selon deux facteurs : l’hyperexcitabilité et l’hypersynchronie neuronale.
• « Hyperexcitabilité » correspond à la tendance d’un neurone à générer des décharges répétées en réponse à une stimulation ne provoquant qu’un seul potentiel d’action.
• « Hypersynchronie » est la propriété d’un groupe de neurones à générer de façon synchrone des trains de potentiels.
• « Propagation » : une crise épileptique est dynamique, la « décharge excessive » naît en n’importe quel point du cortex cérébral puis elle s’étend ou non, se propage à distance ou non en empruntant des réseaux neuronaux. La symptomatologie dépend du siège initial de la décharge, de la rapidité de l’extension, de la propagation au sein d’un réseau neuronal. Il est donc clair que les crises épileptiques ont des aspects cliniques très divers mais le plus souvent stéréotypés chez un même malade.
• Répétition des crises épileptiques :
C Définition électroclinique des crises épileptiques
Les crises épileptiques se traduisent à l’électroencéphalogramme (EEG) par des activités paroxystiques (pointes, polypointes, pointes ondes) ou des « décharges paroxystiques » d’activités rythmiques. Sur un plan clinique et EEG, il faut distinguer les signes critiques, intercritiques et postcritiques.
D Syndromes épileptiques
• La notion de crises épileptiques répétées, nécessaire pour porter le diagnostic d’épilepsie, ne suffit pas pour formuler un pronostic et proposer un traitement : il est utile de définir des syndromes épileptiques.
• Par conséquent, la démarche clinique est de :
II Classification, sémiologie et diagnostic des crises épileptiques
La sémiologie clinique et EEG distingue les crises généralisées et les crises partielles.
A Crises généralisées
1 Sémiologie électroclinique
• La décharge d’emblée propagée aux deux hémisphères intéresse simultanément l’ensemble du cortex. Les crises généralisées ne comportent aucun signe critique, post- ou intercritique pouvant les rattacher à une zone localisée dans l’un des deux hémisphères. Deux manifestations cliniques sont habituelles, associées ou non : les signes moteurs et les pertes de connaissance.
• Les signes moteurs sont d’emblée bilatéraux et symétriques ; ils sont :
• La perte de connaissance est de durée brève, quelques secondes au cours d’une absence, ou plus longue, plusieurs minutes au cours d’une crise généralisée tonicoclonique.
2 Crise généralisée tonicoclonique
• La plus connue du public et la plus spectaculaire (image de l’épilepsie) ; les termes de « grand mal » ou « haut mal » sont à bannir. Elle se déroule en trois phases :
• Au réveil, le sujet ne garde aucun souvenir de sa crise ; il se plaint souvent de céphalées, de courbatures, voire de douleurs en relation avec le traumatisme occasionné par la chute initiale ou avec une luxation d’épaule ou un tassement vertébral survenus au cours de la phase tonique.
3 Myoclonies massives et bilatérales
• Ce sont les seules crises généralisées sans trouble de la conscience : secousses musculaires en éclair, isolées ou répétées en salves, en extension-flexion, avec lâchage ou projection de l’objet tenu (signe de la tasse de café) voire chute brutale. Elles sont spontanées ou provoquées par des stimulations, en particulier une stimulation lumineuse intermittente. Fréquentes immédiatement après le réveil, elles sont totalement différentes des myoclonies de l’endormissement de nature non épileptique.
• L’EEG se caractérise par des polypointes-ondes généralisées, bilatérales, symétriques et synchrones, typiques et fréquentes, permettant un diagnostic facile.
4 Absences
Absences typiques
• Le terme « absence » signifie rupture du contact avec arrêt de l’activité en cours, fixité du regard pendant quelques secondes. L’adjectif typique caractérise le fait que l’absence est isolée, simple sur le plan clinique (il n’existe aucun autre symptôme associé) et, sur le plan EEG, avec des anomalies pathognomoniques : décharge de quelques secondes, généralisée, bilatérale, symétrique et synchrone de pointes-ondes à 3 Hz, de début et fin brusques, interrompant un tracé normal.
• Les absences simples et typiques caractérisent l’épilepsie-absences de l’enfant et de l’adolescent ; elles peuvent s’associer à des crises généralisées tonicocloniques et des myoclonies massives.
• L’EEG confirme le diagnostic car les absences sont toujours très nombreuses chez l’enfant.
B Crises partielles
1 Sémiologie électroclinique
• La décharge intéresse initialement un secteur cortical limité avant de s’étendre ou non à d’autres réseaux neuronaux. Les crises partielles débutent ou comportent ou sont suivies de signes ou symptômes focaux corrélés avec les réseaux neuronaux activés.
• Le début : le signal symptôme est de grande valeur localisatrice. Il est d’usage de le retenir pour dénommer la crise : il renseigne mieux sur la région corticale initialement concernée. Les crises partielles seront classées avec signes moteurs, sensitifs, sensoriels. La valeur localisatrice du signal symptôme peut être prise en défaut si la décharge initiale intéresse une zone « muette » (le premier symptôme perceptible étant déjà le témoin d’une propagation).
• Pendant la crise : l’organisation des symptômes varie selon la mise en jeu d’un réseau neuronal. Les crises partielles peuvent s’étendre à l’ensemble du cortex : cette propagation est appelée généralisation secondaire de type tonicoclonique.
• Après la crise : les symptômes témoignent de l’implication et de l’épuisement de la zone en cause.
• Les crises partielles sont classées en crises partielles simples sans modification de la conscience (en pratique, le malade décrit tous les symptômes du début à la fin) et en crises partielles complexes avec altération de la conscience, d’emblée ou secondairement (l’interrogatoire de l’entourage permet de restituer la sémiologie). L’altération de la conscience se définit par l’incapacité à répondre normalement à des stimuli exogènes du fait d’une altération de la perceptivité et/ou de la réactivité. Le diagnostic différentiel doit se faire avec une aphasie et une amnésie — importance de l’interrogatoire des témoins.
2 Crises partielles simples
Crise partielle simple avec signes moteurs
• somatomotrice avec marche bravais-jacksonienne : clonies unilatérales avec extension selon la somatotopie, marche chéiro-orale très évocatrice (cortex moteur primaire controlatéral) ;
• motrice : clonies ou spasme tonique sans marche jacksonienne ;
• versive : déviation du corps voire giration (cortex frontal) ;
• phonatoire, impossibilité de parler, vocalisation, palilalie (cortex rolandique).
Crise partielle simple avec signes sensitifs ou sensoriels
• somatosensitive : paresthésies avec extension selon la somatotopie → cortex pariétal primaire ;
• auditive : hallucinations élémentaires à type d’acouphènes (bourdonnement, sifflement, bruits rythmiques) ou illusions (déformation des voix, éloignement des sons) ou manifestations plus élaborées (musique, voix), rarement latéralisées → aire auditive primaire (T1) ;
• olfactive, toujours hallucinatoire (parosmies) : odeur désagréable (cacosmie) souvent indéfinissable (odeur de corne brûlée) → cortex orbitofrontal ;
• gustative : hallucination gustative (goût amer ou acide) → région operculaire ; souvent associée à une hypersalivation ;
• vertigineuse, très rare : sensations de rotation de l’espace autour du corps ou du corps lui-même, impression de flottement ou lévitation → cortex pariétal.
3 Crises partielles complexes
• une rupture du contact et/ou une amnésie : immédiate ou après un début partiel simple ;
• une modification du comportement moteur :
L’origine topographique des crises partielles complexes est variée, non exclusivement temporale.
C Diagnostic des crises épileptiques
1 Éléments du diagnostic positif
• Ils sont cliniques, confortés par l’EEG critique ou intercritique. L’EEG est la seule technique pouvant argumenter le diagnostic positif de crise épileptique (encadré 10.1).
• Le meilleur examen complémentaire du diagnostic de crise épileptique est d’interroger l’entourage du malade (après lui avoir demandé son accord). En pratique, il convient de préciser les circonstances exactes de survenue, le caractère brutal du début, la description des premiers symptômes :