1: Les méridiens principaux et secondaires -jing luo

1 Les méridiens principaux et secondaires – jing luo



Claudia Focks



1.1 Introduction



1.1.1 Deux modèles de circulation du Qi dans les méridiens – Aperçu historique


Il existe essentiellement deux points de vue quant à la circulation du Qi dans les méridiens. Ceux-ci reposent sur une compréhension différente de la circulation du Qi dans les corps (→ Pirog 1995, Manaka 1995/2004). Pour une meilleure compréhension de chaque modèle, il faut imaginer une personne qui lève les bras au ciel (→ Fig. 1.1 et Fig. 1.2).





Modèle de circulation centripète


Le cœur de la cosmologie chinoise traditionnelle, qui décrit les hommes comme étant entre le ciel (Yang) et la terre (Yin), intègre l’interrelation, l’influence et l’interdépendance entre le cosmos et l’homme. En conséquence, des textes très anciens sur les méridiens (→ voir Annexe) décrivent le trajet des 11/12 méridiens comme partant des extrémités, se dirigeant vers le centre du corps et se terminant soit à la tête, soit au torse. C’est le schéma caractéristique du modèle de circulation centripète (→ Fig. 1.1).


Ce modèle est aussi présent dans la théorie des cinq points shu (points de Transport) (→ 8.1.6). Le Qi macrocosmique pénètre dans le corps à l’extrémité des membres et peut se comparer au cours d’un fleuve. Au début, il est très dynamique, comme un puits, un jaillissement et une rivière qui gonflent jusqu’à former un fleuve se jetant dans la mer vaste et profonde aux coudes et aux genoux, avant d’atteindre les organes internes par le biais des méridiens.


Selon ce modèle, on peut comparer la structure des méridiens à une antenne qui reçoit l’influence cosmique et la transmet au corps. La circulation du Qi dans les méridiens va toujours d’une position distale (venant de l’Extérieur et pénétrant dans le corps à ses extrémités) à une position proximale (allant vers le centre, en direction des organes internes). Chaque méridien relie l’homme à différentes parties du cosmos, identifiables dans la structure numérologique. Ainsi, il existe une relation ente les huit merveilleux vaisseaux et les huit trigrammes du Yijing (→ 1.7). Les méridiens principaux reflètent les 12 rameaux terrestres et les 10 troncs célestes. Les textes les plus anciens ne mentionnaient que 11 méridiens (→ Annexe, note 2), à savoir 10 sur le bras et 12 sur la jambe. Plus tard, on a essentiellement associé les 12 méridiens principaux aux 12 rameaux terrestres, les 10 troncs célestes servant plutôt à représenter le cycle des Cinq Éléments (remarque : on peut également inclure les 10 troncs célestes dans ces derniers).



Modèle de circulation autonome


Au cours de l’évolution de la société chinoise moderne, l’idée d’une forte relation entre l’homme et le cosmos (en tant que modèle « ciel-terre-homme ») a régressé. Actuellement, on compare de plus en plus le système des méridiens à des phénomènes créés par l’homme, comme à des canaux et des fossés de drainage. L’importance de la connexion originelle avec le cosmos a décliné alors que celle des relations existant dans la société a progressé. La société chinoise est devenue plus complexe, formant une unité indépendante. De la même façon, le concept de méridien en tant que connexion avec le macrocosme a été partiellement abandonné et la circulation du Qi a été décrite comme indépendante et autonome (→ Fig. 1.2). Selon ce modèle de circulation autonome, le Qi peut s’écouler dans un sens ou dans un autre, aller des extrémités à l’Intérieur du corps, et de l’Intérieur vers l’Extérieur.


Ainsi, le sens de circulation du Qi dans les méridiens principaux peut aller d’une direction proximale à une direction distale, et inversement, selon la polarité Yin ou Yang de chaque méridien, et selon chaque extrémité.


Cette deuxième conception, probablement plus récente, décrit la circulation du Qi comme une circulation continuelle dans le corps (→ Annexe, note 2), allant du thorax à la main, à la tête et au pied, et retournant au thorax. Cette conception reflète l évolution de la civilisation chinoise, de son agriculture et plus particulièrement de la gestion et du stockage de l’eau grâce à des réservoirs, des canaux d’irrigation, des fossés, etc., éléments qui ont grandement contribué à l’élaboration de la théorie des méridiens vus comme des canalisations dans lesquelles circulent le Qi et le Sang. Les connexions entre les méridiens sont considérées comme des anastomoses (→ 1.2.2) qui facilitent la circulation continuelle et circulaire du Qi d’un méridien à l’autre, permettant la circulation du flux de Qi à l’Intérieur.


On peut donc décrire le modèle de circulation autonome de la façon suivante :






En Occident, la tradition de l’acupuncture attache plus d’importance à ce modèle de circulation du Qi, ce qui explique partiellement l’utilisation des numéros plutôt que des noms chinois pour nommer les points d’acupuncture.


Toutefois, la structure de ce nouveau modèle de circulation était probablement trop rigide pour expliquer certains des effets de l’acupuncture. Selon Pirog (1996), c’est peut-être la raison pour laquelle on a intégré les méridiens secondaires, par exemple, les méridiens musculaires (→ 1.4) et les méridiens divergents (→ 1.3), ainsi que leur trajet relativement primitif et naturel, dans le système des méridiens principaux et secondaires (jing luo) selon le modèle de circulation centripète.


Comparaison des deux modèles de circulation



















  Modèle centripète Modèle autonome
Sens de circulation du Qi Toujours de distal à proximal Soit de proximal à distal, soit l’inverse, en fonction de la polarité (Yin/Yang) du méridien
Origine du Qi À partir de l’extérieur du corps. L’extrémité distale du méridien est ouverte de façon à recevoir le Qi du cosmos Part de l’intérieur du corps. L’extrémité distale des méridiens est reliée au méridien suivant
Fonction des méridiens Transporter le Qi du cosmos, qui est à l’extérieur, vers l’Intérieur. Favoriser la relation entre l’homme et la nature (le cosmos) Circulation du Qi à l’intérieur du corps. Favoriser la relation de l’homme avec lui-même

(adapté de Pirog 1996)



1.1.2 Brève présentation du système des méridiens principaux et secondaires (système des jing luo)


Au chapitre 11, le Ling Shu dit : « L’homme vit, les maladies surviennent … le maître, qu’il soit débutant ou expérimenté, doit toujours commencer par le système des méridiens principaux et secondaires (jing luo) ».


En médecine chinoise, les méridiens principaux et secondaires (jing luo) sont considérés comme un réseau de méridiens et de vaisseaux dans lesquels circulent le Qi et le Sang (xue). Ils sont en relation avec le système des Viscères (zangfu) et avec « l’eau » de l’organisme tout entier, approvisionnant le corps en Qi et en Sang (xue) à la surface (l’Extérieur) et au plus profond du corps (l’Intérieur), en haut comme en bas.


D’un point de vue fonctionnel, les méridiens principaux et secondaires (jing luo) gouvernent la distribution du Qi et du Sang (xue), régulent le Yin et le Yang, et protègent le corps. Mais ils permettent aussi la diffusion des maladies. Les réactions suscitées par n’importe quelle maladie se manifestent donc sur le trajet des méridiens et peuvent prendre la forme de troubles du méridien même ou de projections externes de troubles des Viscères (zangfu). En pratique clinique, les méridiens principaux et secondaires (jing luo) peuvent servir à envoyer le Qi dans les zones malades du corps (pour une présentation de la classification et de la nomenclature du système des méridiens principaux et secondaires (jing luo), → Fig. 1.3).




1.1.3 Répartition et organisation du système des méridiens principaux et secondaires (système des jing luo)


Selon la loi Extérieur-Intérieur (biao-li), « l’Extérieur » communique avec « l’Intérieur ».


L’Extérieur (biao) correspond à la peau, aux muscles et aux trajets du système superficiel des méridiens principaux et secondaires (système des jing luo). Les trajets profonds des méridiens et du système des Viscères (zangfu) appartiennent à l’Intérieur (li). Une organisation structurelle spécifique est nécessaire au sein du système des méridiens principaux et secondaires (système des jing luo) pour garantir la circulation du Qi et la communication entre l’Extérieur et l’Intérieur. À cet égard, les merveilleux vaisseaux jouent un rôle particulier. Alors que, de façon générale, ils jouent un rôle majeur dans la coordination et la régulation des méridiens principaux et secondaires (jing luo), ils ne relient pas directement l’Extérieur et l’Intérieur. De la même façon, il n’y a pas de connexion directe entre les merveilleux vaisseaux et le système des Viscères (zangfu) (voir → 1.7 et Chapitre 5).





1.1.4 Circulation du Qi et système des méridiens




Formes de Qi








Circulation du Qi Protecteur (wei qi) et du Qi Nourricier (ying qi)



Circulation du Qi Protecteur (wei qi)


Au chapitre 43 du Su Wen, le Qi Protecteur (wei qi) est décrit comme s’écoulant « en dehors des mai » (les méridiens et les vaisseaux). Toutefois, il suit en partie le trajet des méridiens, circulant dans l’espace compris entre la peau et les muscles, cou li.


Les «cou li» (expression souvent traduite de façon impropre par « pores ») sont les stries ou les compartiments situés entre la peau et les muscles. Ils ont pour fonction de servir de portail à l’entrée et à la sortie du Qi et des liquides, et donc de protéger contre l’invasion des facteurs pathogènes Externes. Selon Larre et Rochat de la Vallée (1986), les cou li, en tant qu’enveloppes les plus externes du Triple Réchauffeur, recouvrent le corps entier, mettant en relation la surface du corps et les organes internes. C’est ce qui explique l’efficacité de l’acupuncture et d’autres thérapies manuelles pour traiter les troubles internes, de même que la trace visible, à l’Extérieur du corps, de la présence de maladies des organes internes.


Dans les couches superficielles du corps, le Qi Protecteur (wei qi) circule dans la peau et la musculature superficielle, qu’il réchauffe, nourrit et fortifie. Par ces actions, il aide le corps à se défendre contre les facteurs pathogènes Externes, agissant essentiellement dans le domaine des méridiens musculaires (jing jin) (→ 1.4). Dans les couches profondes du corps, il joue un rôle important dans le fonctionnement du « diaphragme ». Selon Larre et Rochat de la Vallée (1986), celui-ci représente non seulement une barrière membraneuse entre le thorax et l’abdomen, mais on peut aussi le considérer comme un « sac de membranes » incluant et reliant le péritoine, la plèvre et le péricarde. Nielsen (1995) voit ce « réseau de creux » comme l’aspect interne du Triple Réchauffeur qui se relie à son aspect externe, les cou li. Selon cette interprétation, le Qi Protecteur (wei qi) serait aussi impliqué dans la protection du mésentère et dans celle des organes internes.


Selon le chapitre 75 du Ling Shu, la circulation du Qi Protecteur (wei qi) est cyclique, changeant entre le jour et la nuit, et inversement. A l’aube, lorsque le Yin est épuisé, le Yang Qi afflue aux yeux et les yeux s’ouvrent. De ce fait, le wei qi monte du talon, via le vaisseau (Yin) du Talon (yin qiao mai) vers les yeux, au point V-1 (jingming), et s’écoule dans le corps entier comme une cascade, en suivant les six grands méridiens Yang ; « il circule 25 fois dans le Yang ». Au crépuscule, lorsque le Yang Qi est épuisé, le wei qi pénètre dans l’Intérieur du corps et circule « 25 fois dans le Yin », selon le cycle de domination (cycle ke → 8.2.5) : du Rein, il va au Cœur, du Cœur il va au Poumon, du Poumon il va au Foie, du Foie il va à la Rate, puis il retourne au Rein. Voilà pourquoi le wei qi est en relation avec le cycle sommeil-veille : pendant le sommeil, il se retire plus profondément dans le corps, et pendant le jour, il circule dans les couches superficielles du corps. Deux merveilleux vaisseaux, le vaisseau Yin du Talon (yin qiao mai) et le vaisseau Yang du Talon (yang qiao mai) jouent un rôle important (→ 1.7, → chapitre 5) dans ce cadre. Si leur cycle est interrompu, la circulation du wei qi est bloquée et les troubles apparaissent. Le vaisseau Yin du Talon (yin qiao mai) monte, alors que le vaisseau Yang du Talon (yang qiao mai) descend, les deux se rencontrant aux yeux, au point V-1 (jingming) et formant un cycle semblable à celui du petit cycle céleste du vaisseau Conception (ren mai) et du vaisseau Gouverneur (du mai). Dans les méridiens, si le Yang Qi est en excès, il est drainé et entraîné dans le vaisseau Yang du Talon (yang qiao mai), alors « les yeux ne peuvent pas se fermer » et l’insomnie survient. Si le Yin Qi est en excès, il est drainé et entraîné dans le vaisseau Yin du Talon (yin qiao mai), alors « les yeux ne peuvent pas s’ouvrir » et la somnolence survient. Dans ces deux cas, il y a un déséquilibre relatif entre ces deux vaisseaux antagonistes.



Circulation du Qi Nourricier (ying qi)


Le Qi Nourricier (ying qi) circule dans les «mai». Les «mai» comprennent à la fois les méridiens principaux (jing mai) et les méridiens secondaires comme les méridiens de communication (luo mai, sun mai), les méridiens divergents (jing bie), les merveilleux vaisseaux et les Vaisseaux Sanguins. Partout où il y a des méridiens et des vaisseaux, le ying qi circule. Selon les chapitres 16 et 18 du Ling Shu, le ying qi circule constamment et continuellement.




Premier circuit du Qi Nourricier (ying qi) et horloge des Viscères

Le Qi Nourricier (ying qi) circule dans les 12 méridiens principaux selon un rythme circadien de 24 heures (→ Fig. 1.7), chaque heure chinoise, qui porte le nom de l’un des « rameaux terrestres » correspondant à deux heures occidentales (→ horloge détaillée des Viscères, Fig. 1.8).




Chaque créneau de deux heures favorise un méridien spécifique, autrement dit, chaque jour, pendant deux heures (occidentales), le flux d’énergie culmine dans un méridien précis. Durant cette période, le Qi de ce méridien s’accroît, déclinant ensuite au cours des deux heures qui suivent. Ce Qi ne va toutefois pas tomber en dessous d’un certain niveau, de sorte qu’il y a toujours une certaine quantité d’énergie qui s’écoule continuellement dans les méridiens.


Exemple : Le Qi du méridien principal de l’Estomac va commencer à se manifester de façon « plus puissante » lorsque le Qi du méridien du Gros intestin est très fort. C’est pourquoi le « flux » du méridien de l’Estomac se situe entre 5 et 7 heures, son apex entre 7 et 9 heures et son « reflux » entre 9 et 11 heures. Au moment de l’apex du méridien de l’Estomac, le méridien qui est à son opposé sur l’horloge des Viscères est à son point le plus bas (→ Fig. 8.3.7) ; ainsi, lorsque le méridien de l’Estomac atteint son maximum, le méridien du Maître du Cœur atteint son minimum.


La figure 1.8, représentant l’horloge détaillée des Viscères avec le circuit de 24 heures effectué par les 12 méridiens principaux, montre également la relation de ce circuit avec les rameaux terrestres et les hexagrammes du Yijing.




1.2 Les 12 méridiens principaux (jing zheng)



1.2.1 Contexte général


Synonyme : méridiens primaires, méridiens réguliers ; «zheng», traduit par « essentiel » (méridiens principaux) est également en relation avec les termes de « droit » et de « direct ».



Appellation chinoise des méridiens





1.2.2 Communication et connexions



Principes du système de méridiens principaux


Les 12 méridiens principaux parcourent le corps de façon bilatérale. Chaque méridien a son propre circuit, qui comporte un trajet interne, profond, et un trajet externe, plus superficiel.


On peut faire une distinction entre les méridiens Yin et les méridiens Yang qui sont couplés dans une relation Intérieur-Extérieur. Alors que chaque méridien est en relation avec l’Organe (zang) ou l’Entraille (fu) qui s’y rattache, il est également connecté à l’Organe du méridien avec lequel il est couplé dans la relation Intérieur-Extérieur.


Tous les méridiens Yin de la main commencent dans la région du thorax et se dirigent vers la main. Tous les méridiens Yang de la main commencent à la main et se dirigent vers la tête, où ils rencontrent les méridiens Yang du pied. Ceux-ci descendent vers les orteils, où ils rencontrent les méridiens Yin du pied, qui montent au thorax rencontrer les méridiens Yin de la main.


Pour mieux comprendre ce modèle, il faut imaginer une personne debout qui lève les bras au ciel. Dans cette position, tous les méridiens Yin vont vers le haut (phénomène Yang), tandis que tous les méridiens Yang vont vers le bas (phénomène Yin) (→ Fig. 1.10).



Chaque méridien est associé à des symptômes pathologiques spécifiques, ce qui représente un outil diagnostique important en pratique clinique (pour les pathologies spécifiques des méridiens, voir → chapitre 4).



Communication entre les méridiens et le système des Viscères (zangfu)


Les connexions (anastomoses) entre les méridiens ont pour fonction de permettre la communication entre le système des méridiens, de même qu’entre les méridiens et le système des Viscères. Cette relation Extérieur-Intérieur (biao-li) comporte les aspects suivants :






Connexions entre les méridiens principaux


Afin d’assurer une circulation ininterrompue (voir aussi → 1.1.4) à l’intérieur du système des méridiens principaux, il est nécessaire qu’il y ait des connexions entre chacun d’eux. Ces connexions sont présentées sous forme de graphique sur la figure 1.5.


Selon certaines écoles, les connexions entre les méridiens principaux sont facilitées par des points appelés « points d’entrée » ou « points de sortie ». Divers auteurs (par exemple, Worsley, Jarrett, Pirog, Hicks et al. ; pour plus de détails voir → 8.1.16) décrivent ces points comme des points de dérivation entre les méridiens qui se suivent selon l’horloge des Viscères. Le point de sortie marque le point d’un méridien où le flux (interne) rejoint un point (point d’entrée) du méridien qui le suit selon l’horloge des Viscères. Il existe certaines incohérences quant à la localisation de ces connexions telles que les décrivent les auteurs cités plus haut et celles décrites par Solinas et al. (1998). Nous les avons signalées ci-dessous lorsque cela nous semblait pertinent.


May 16, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on 1: Les méridiens principaux et secondaires -jing luo

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