Chapitre 1 Le PHTLS
hier, aujourd’hui et demain
À la fin de ce chapitre, le lecteur devra être capable :
✓ de reconnaître l’ampleur du problème causé par les lésions d’origine traumatique, aussi bien en termes humains que financiers ;
✓ de comprendre l’histoire et l’évolution des soins préhospitaliers aux traumatisés ;
✓ d’identifier et de reconnaître les composantes ainsi que l’importance des études et de la littérature préhospitalières.
Philosophie du PHTLS
Comprendre, apprendre et pratiquer les principes du PHTLS est plus bénéfique pour les patients que n’importe quel autre programme de formation [1]. Les faits suivants ont conduit à réviser et augmenter le chapitre 2 sur la prévention des blessures dans la nouvelle édition de ce livre.
Le problème
Les traumatismes sont la principale cause de décès chez les personnes âgées de 1 à 44 ans [2]. Environ 80 % des décès d’adolescents et 60 % des décès d’enfants sont liés aux traumatismes. Les traumatismes représentent la septième cause de décès chez les personnes âgées. Chaque année, trois fois plus d’Américains meurent suite à un traumatisme qu’il n’y a eu de morts au cours de la guerre du Vietnam et durant la guerre en Irak jusqu’en 2008. Tous les 10 ans, le nombre d’Américains qui meurent en raison d’un traumatisme est plus important que le nombre total de militaires morts au cours de l’ensemble des conflits dans lesquels les États-Unis ont été engagés. C’est seulement au-delà de l’âge de 50 ans que les cancers et les maladies cardiaques rivalisent avec les traumatismes comme principales causes de décès. Environ 70 fois plus de patients meurent chaque année de traumatismes pénétrants et fermés que de personnes mortes les premières années du conflit en Irak jusqu’en 2008 [3].
La prise en charge préhospitalière ne peut pas faire grand-chose pour améliorer la survie de patients ayant un cancer. Cependant, pour le patient traumatisé, les soins préhospitaliers peuvent souvent faire la différence entre la vie et la mort; entre une incapacité temporaire, sérieuse ou permanente; ou entre une vie productive et une vie de misère et d’aides de toutes sortes. Aux États-Unis, environ 60 millions de blessures surviennent chaque année, 40 millions d’entre elles nécessitant des soins médicaux, 2,5 millions des hospitalisations, et 9 millions de celles-ci étant des lésions invalidantes. Environ 8,7 millions de personnes seront handicapées temporairement, alors que 300 000 souffriront d’un handicap permanent [4,5].
Le coût de la prise en charge des patients traumatisés est effarant. Des milliards sont dépensés pour la prise en charge des patients traumatisés, ces coûts n’incluant pas les pertes de salaires, les coûts d’assurance, les dommages aux biens, ni les dépenses des employeurs. Le Conseil national de sécurité américain estime que l’impact économique en 2007, aussi bien pour les traumatismes mortels que les non-mortels est d’environ 684 milliards de dollars [6]. La perte de productivité des patients traumatisés invalides est équivalente à 5,1 millions d’années, pour un coût supérieur à 65 milliards de dollars. Pour les patients qui décèdent, 5,3 millions d’années de vie sont perdues (34 ans par personne) pour un coût de plus de 50 milliards. Comparativement, les coûts (mesurés en dollars et en années de vie perdues) pour les cancers et les maladies cardiaques sont nettement moindres, comme illustré dans la figure 1-1. Par exemple, la protection adéquate d’une fracture de la colonne cervicale par un intervenant préhospitalier peut faire la différence entre une tétraplégie définitive et une vie saine, productive et sans contraintes physiques. Les intervenants préhospitaliers rencontrent bien d’autres exemples de ce type presque tous les jours.
les accidents de la circulation constituent un très grand problème de santé publique et de développement. Les accidents de la route tuent 1,3 million de personnes par an, soit une moyenne de 3242 personnes chaque jour. Ces accidents blessent ou handicapent entre 20 et 50 millions de personnes par an. Les accidents de la circulation constituent la neuvième cause de décès et représentent 2,2 % de l’ensemble des décès dans le monde ;
la majorité des traumatismes dus à des accidents de la route concernent des personnes vivant dans les pays à faible et à moyens revenus, surtout des hommes jeunes et des usagers de la route vulnérables – 90 % des accidents de la route mortels ont lieu dans les pays à faibles et à moyens revenus [7] (figure 1-2).
Phase préévénementielle
La phase préévénementielle implique des circonstances menant à la survenue d’un traumatisme. Dans cette phase, les efforts sont principalement concentrés sur la prévention des blessures. Par l’intermédiaire des mesures de prévention, l’intervenant préhospitalier doit éduquer le public à l’usage de la ceinture de sécurité dans les véhicules, promouvoir la réduction de l’usage d’armes dans les activités criminelles, et promouvoir les résolutions de conflits non violentes. En plus des soins aux patients traumatisés, les membres des équipes de soins ont tous une part de responsabilité dans la réduction du nombre de victimes. Actuellement, aux États-Unis, violence et traumatismes non intentionnels provoquent chaque année plus de décès que toutes les autres maladies combinées. La violence entre en ligne de compte dans plus d’un tiers de ces décès (figure 1-3). Les véhicules motorisés et les armes à feu sont impliqués dans plus de la moitié des décès d’origine traumatique, la plupart de ceux-ci pouvant être évités (figure 1-4) [8].
Les lois sur l’obligation du port du casque de moto sont un exemple de l’influence de la législation sur la prévention des blessures. En 1966, le Congrès américain donna au ministère des Transports l’autorisation de rendre obligatoire le port du casque à moto. Le port du casque a alors augmenté de manière substantielle jusqu’à atteindre presque 100 %, diminuant ainsi de façon très importante le taux de mortalité. En 1975, le Congrès abrogea cette loi. Plus de la moitié des États modifièrent la législation existante, ce qui eut pour conséquence d’augmenter le nombre de décès associés. Plus de la moitié des États ont alors annulé ou modifié la législation existante. À mesure que les États abrogeaient ou rétablissaient ces lois, le taux de mortalité changeait. Récemment, d’autres États ont abrogé plutôt qu’institué ces lois, ce qui a entraîné une augmentation du taux de mortalité en 2006 et 2007 [9]. Les décès de motards sont en augmentation alors que les décès d’automobilistes sont en diminution. L’augmentation des décès de motards a été de 11 % en 2006 [10]. La cause la plus probable de cette augmentation spectaculaire de la mortalité est le port moins fréquent du casque. Seuls 20 États sont dotés d’une loi obligeant le port du casque. Dans les États où cette loi existe, le taux de port du casque est de 74 %, alors que dans les États n’ayant pas de lois, ce taux est de 42 % [11]. La diminution du nombre d’États ayant une loi sur le port du casque constitue le principal facteur de la diminution de l’usage du casque de 71 % en 2000 à 51 % en 2006. En août 2008, la Secrétaire d’État aux transports, Mary Peters, a présenté une diminution du nombre de morts en voiture sur les autoroutes et une augmentation simultanée des décès de motards [12].
Un autre exemple de décès traumatique pouvant être prévenu concerne la conduite en état d’ivresse [13]. Du fait de la pression exercée pour modifier les lois sur le taux d’alcoolémie au volant, et au travers d’activités éducatives de certaines organisations comme l’association Mother Against Drunk Drivers, le nombre de conducteurs sous l’effet de l’alcool impliqués dans des accidents mortels a considérablement diminué depuis 1989.
Phase postévénementielle
Évidemment, le devenir le plus dramatique après un événement traumatique est le décès du patient. Le Dr Donald Trunkey a décrit une catégorisation trimodale des décès d’origine traumatique [14]. La première phase de décès survient dans les premières minutes et jusqu’à une heure après l’accident. Ces décès surviendraient très probablement même avec une intervention médicale rapide. La meilleure façon de combattre ces décès est d’employer des stratégies de prévention et de sécurité. La deuxième phase survient dans les premières heures après l’accident. Ces décès peuvent être évités par une bonne prise en charge préhospitalière et des soins hospitaliers efficaces. La troisième phase apparaît plusieurs jours à plusieurs semaines après l’accident. Ces décès sont généralement dus à un syndrome de défaillance multiviscérale. Nous devons encore apprendre de nombreuses choses sur la façon de prendre en charge et d’éviter le syndrome de défaillance multiviscérale. Cependant, la prise en charge précoce et énergique de l’état de choc peut prévenir certains de ces décès (figure 1-5).
Le Dr R. Adams Cowley, fondateur du Maryland Institute of Emergency Medical Services, l’un des premiers trauma centers aux États-Unis, a décrit et défini ce qu’il a appelé la golden hour (heure d’or) [15]. Se fondant sur ses recherches, Cowley pensait que les patients qui reçoivent des soins définitifs rapidement après leur accident ont un taux de survie plus élevé que ceux pour lesquels ces soins sont retardés. Une des raisons de cette amélioration du taux de survie est la préservation de la capacité du corps à produire de l’énergie pour maintenir le fonctionnement de ses organes. Pour l’intervenant préhospitalier, cela se traduit par le maintien de l’oxygénation et de la perfusion, et par un transport rapide vers une structure équipée pour poursuivre le processus de réanimation en utilisant du sang et des produits plasmatiques et en n’élevant pas artificiellement la pression artérielle (< 90 mmHg) avec de grosses quantités de solutés cristalloïdes.
Un service d’urgence américain a un délai d’intervention moyen de 6 à 8 minutes (de l’alerte jusqu’à l’arrivée sur les lieux). Le délai moyen de transport vers l’hôpital receveur est de 8 à 10 minutes. Entre 15 et 20 minutes de l’heure d’or sont utilisés pour arriver sur les lieux et pour transporter le patient. Si les soins donnés sur les lieux sont inefficaces et mal organisés, 30 à 40 minutes supplémentaires peuvent être passées sur les lieux. Avec ce temps passé sur les lieux auquel s’ajoute le délai de transport, l’heure d’or s’est déjà écoulée avant même que le patient ne soit arrivé à l’hôpital, où les meilleures ressources d’un service d’urgence bien préparé sont disponibles pour le patient. Des études commencent à valider ce concept [16,17]. Une de ces études a montré que des patients dont l’état est critique ont un taux de mortalité significativement plus bas (17,9 % contre 28,2 %) lorsqu’ils sont transportés par un véhicule privé plutôt que par une ambulance [16]. Ce résultat inattendu était plus particulièrement dû au fait que les intervenants préhospitaliers passaient trop de temps sur les lieux. Dans les années 1980 et 1990, un trauma center a montré que, pour les victimes d’un accident de la circulation ou d’une plaie pénétrante, les services de secours passaient en moyenne 20 à 30 minutes sur les lieux.
Une seconde responsabilité est de transporter le patient vers une structure appropriée. Le facteur le plus important pour la survie de tout patient est le temps qui s’écoule entre l’accident et les soins définitifs. Pour un patient en arrêt cardiaque, les soins définitifs sont la restauration d’un rythme cardiaque normal et d’une perfusion adéquate. Une réanimation cardiopulmonaire (RCP) ne constitue qu’une mesure transitoire. Pour un patient dont les voies aériennes sont obstruées, les soins définitifs sont la libération des voies aériennes et la restauration d’une ventilation adéquate. Le rétablissement d’une ventilation ou d’un rythme cardiaque normal par défibrillation est assez facilement obtenu sur le terrain. Cependant, avec le développement de programmes de types STEMI (prise en charge des infarctus du myocarde avec élévation du segment ST), le délai pour obtenir la dilatation des vaisseaux cardiaques impliqués est devenu plus important [18–21].
Un hôpital sans ressources chirurgicales à demeure doit attendre l’arrivée du chirurgien et de son équipe avant de transférer le patient des urgences vers le bloc opératoire. Du temps peut alors être perdu avant que l’hémorragie ne puisse être contrôlée, entraînant de fait une augmentation de la mortalité (figure 1-6). Une augmentation significative de la survie se produit lorsque les patients traumatisés graves sont directement adressés dans un hôpital de type trauma center, plutôt que dans un hôpital de proximité [22–29].