Chapitre 1 Anomalies sagittales
Caractérisées par un décalage antéropostérieur des bases ou des arcades maxillaires et mandibulaires entre elles, ces dysmorphoses et malocclusions représentent la plus grande partie des anomalies traitées en orthopédie dentofaciale.
Classes II division 11
Définitions
Selon la définition d’Angle [1], les malocclusions de classe II se caractérisent par une position distale de l’arcade mandibulaire par rapport à sa position normale, l’arcade maxillaire étant prise comme référence. Ainsi, la première molaire mandibulaire s’engrène avec la première molaire maxillaire en arrière de sa position normale (classe II molaire) et la canine mandibulaire est en distoclusion (classe II canine).
Au niveau squelettique, les classes II division 1 sont associées dans la majorité des cas à une classe II squelettique de Ballard (figure 1.1) due à:
• une rétrognathie mandibulaire, le plus souvent (figure 1.2A);
• une prognathie maxillaire (figure 1.2B).
Fig. 1.1 Jeune patient présentant une classe II division 1. Photographies de profil exobuccale (A) et endobuccale (B).
L’association des deux conduisant alors à une dysmorphose sévère.
Spécificités des classes II division 1
Importance majeure de la croissance faciale
Il faut en effet retenir deux éléments essentiels:
• la croissance mandibulaire normale tend à réduire le décalage squelettique;
• les fonctions jouent un rôle important dans l’expression de cette croissance.
Influence de la croissance normale sur la classe II squelettique
À l’opposé, si la direction de croissance mandibulaire est trop verticale ou si le potentiel de croissance mandibulaire est insuffisant ou ne peut s’exprimer, la classe II va perdurer, voire s’aggraver.
Rôle des fonctions dans l’expression de la croissance faciale
Les facteurs fonctionnels interviennent à différents niveaux. Ainsi, pour Delaire [in 2]:
• la base du crâne est sensible:
• le maxillaire reçoit au cours de son développement des sollicitations liées à la ventilation nasale et subit l’action des forces occlusales et de la langue lors des différentes fonctions;
• le corps et le ramus mandibulaires sont tous deux sensibles aux stimuli liés à la propulsion mandibulaire même si les facteurs généraux ont une influence importante sur le condyle.
Lors de la croissance, les dysfonctions et les parafonctions peuvent perturber le développement de la mandibule constituant de véritables freins à sa croissance. Les corriger et libérer la croissance mandibulaire précocement sont donc essentiels pour la réduction du décalage squelettique et la normalisation de la croissance.
Étiologies multiples
Étiologies structurales ou affectant le potentiel de croissance de la mandibule
Morphologie basicrânienne favorisant la classe II squelettique
Les relations anatomiques étroites que la base du crâne entretient avec le maxillaire, par sa partie antérieure, et la mandibule, par sa partie postérieure, expliquent l’influence de sa morphologie sur le décalage maxillomandibulaire (figure 1.3):
• allongement de la base du crâne :
• extension de la base du crâne : l’ouverture de l’angle de flexion de la base du crâne participe à l’établissement d’une classe II squelettique en écartant les structures maxillaire et mandibulaire et en élevant les cavités glénoïdes favorisant ainsi une rotation postérieure de la mandibule.
Fig. 1.3 Influence morphologique de la base du crâne sur le décalage sagittal maxillomandibulaire : patiente présentant une base du crâne plutôt plate et longue favorisant le développement d’une classe II squelettique.
Anomalies affectant le condyle mandibulaire
De même, des atteintes condyliennes acquises, traumatiques, infectieuses ou inflammatoires, peuvent affecter sévèrement le potentiel de croissance de la mandibule.
Dysharmonies de croissance avec insuffisance du potentiel de croissance mandibulaire
• caractères structuraux de Bjork (cf. tome 1, p. 57) : la prévision du type de croissance de Bjork [3] est basée sur l’analyse de huit caractères structuraux de la mandibule. Certains signes permettent de dépister ainsi les rotations postérieures, dont la résultante de croissance plutôt verticale et le faible potentiel de croissance condylienne sont défavorables dans les classes II squelettiques (figure 1.4A);
• détermination du potentiel de croissance condylienne selon Delaire [in 2] : il utilise lui aussi la morphologie mandibulaire afin d’évaluer le potentiel de croissance qu’il différencie bien de la direction de croissance. La figure 1.4B reprend les signes d’un potentiel auxologique insuffisant, défavorable dans les classes II.
Étiologies fonctionnelles
De nombreuses classes II division 1 ont une étiologie principalement fonctionnelle. Diverses dysfonctions et parafonctions peuvent contribuer à leur apparition et à leur aggravation. Sans reprendre ici leur rôle dysmorphogénétique (détaillé dans le tome 1, p. 43), il faut rappeler les points suivants.
Ventilation nasale
Elle intervient par différents mécanismes :
• l’adaptation céphalique en extension favorise l’ouverture de l’angle de la base du crâne et la rotation postérieure de la mandibule;
• la position basse de la langue et la réduction des sollicitations ventilatoires au niveau de l’étage nasal induisent un hypodéveloppement transversal du maxillaire qui secondairement limite la croissance antéropostérieure de la mandibule;
• l’inocclusion labiale enfin, par rupture du contact bilabial, supprime des informations extéroceptives et proprioceptives nécessaires, selon Deffez [in 4], au positionnement sagittal de la mandibule, au repos et lors de la déglutition, ainsi qu’à sa croissance.
Mastication
L’insuffisance de mastication contribue à l’hypodéveloppement transversal du maxillaire et réduit les sollicitations de la croissance antéropostérieure de la mandibule. Kolf [4] constate ainsi dans les classes II division 1 une réduction de la composante propulsive des mouvements de latérodiduction. La mandibule ne s’avance pas, ou peu, lors des déflections latérales du cycle masticateur réduisant les stimuli de croissance sagittale des condyles mandibulaires.
Déglutition atypique et troubles de succion (figure 1.5)
Fig. 1.5 Modifications de l’arcade maxillaire et classe II division 1 chez un jeune garçon présentant une interposition linguale antérieure.
Verrous occlusaux
• la supraclusion incisive (figure 1.6A) : au blocage mécanique qu’elle constitue s’ajoute, surtout lorsque les incisives mandibulaires sont en contact avec la muqueuse palatine, une composante réflexe d’évitement de ce contact qui tend à ramener la mandibule en arrière;
• la vestibuloversion des incisives mandibulaires (figure 1.6B) : elle peut induire un contact précoce avec les incisives maxillaires qui freinent la croissance mandibulaire, surtout dans les cas de supraclusion associée;
• le verrou canin (figure 1.6C) : il résulte de la différence de forme et de dimension transversale des deux arcades liée à l’allongement et à la contraction de l’arcade maxillaire sous l’effet des dysfonctions et des parafonctions;
• la mésiorotation des premières molaires (figure 1.6D) : fréquente dans cette malocclusion, elle participe au verrouillage de la mandibule comme certaines dystopies;
Séméiologie clinique des classes II division 1
Examen clinique exobuccal
• la convexité générale du profil qui traduit le décalage squelettique;
• la perturbation des relations labiales en rapport avec le trouble occlusal et les dysfonctions associées.
Évaluation du décalage squelettique
Plusieurs signes doivent être analysés:
• la forme générale du profil et l’orientation du profil nasomentonnier:
• la situation de la lèvre supérieure et du menton par rapport aux plans frontaux:
• la profondeur faciale : elle contribue à l’évaluation de la participation maxillaire au décalage;
• la distance cervicomentonnière : elle complète l’analyse de la position du menton dans le visage. Elle est diminuée dans les classes II par rétrognathie mandibulaire. Cette réduction est aggravée par l’hyperdivergence mandibulaire (cf. figure 1.7A).
Fig. 1.9 Décalage entre la lèvre supérieure et le menton montrant une classe II squelettique sévère à participation maxillaire et mandibulaire.
Morphologie et relations labiales
La posture labiale est le plus souvent le reflet des anomalies alvéolaires et des dysfonctions associées à cette malocclusion. Sur le plan esthétique, la position des lèvres influence fortement le plan de traitement, en particulier par leur nécessaire équilibre avec le nez et le menton.
Lèvre inférieure
Selon ses relations avec l’incisive maxillaire, elle adopte des positions très différentes.
Relations labiales
• une brièveté des lèvres qui découvrent les incisives supérieures en proalvéolie (figure 1.11A);
• une tension labiale pour assurer la fermeture buccale (figure 1.11B);
• une contraction du muscle mentonnier pour élever la lèvre inférieure et assurer la fermeture buccale (figure 1.11C);
• une interposition ou une aspiration de la lèvre inférieure sous les incisives maxillaires (figure 1.11D);
• une contraction sous-Iabiale liée à l’hyperactivité de la lèvre inférieure (figure 1.11E).
Évaluations complémentaires
À côté de ces deux éléments fondamentaux, l’examen clinique de profil étudie aussi:
L’examen exobuccal de face confirme cette analyse verticale et évalue la symétrie du patient. Le sourire est perturbé par la projection des incisives et l’étroitesse de l’arcade maxillaire (figure 1.13).
Examen clinique endobuccal
Forme des arcades (figure 1.14)
• Arcade maxillaire : allongée, en forme de V, elle est étroite, surtout dans sa partie antérieure. Cette insuffisance de développement transversal peut concerner l’arcade mais aussi dans certains cas la base maxillaire.
• Arcade mandibulaire : en forme de U, elle est plus large dans sa partie antérieure que l’arcade maxillaire. Elle est souvent courte.
Relations occlusales
Dans le sens antéropostérieur (figure 1.15)
• au niveau des premières molaires, en précisant aussi la part de mésiorotation de la molaire dans le décalage observé et leur inclinaison mésiodistale;
• au niveau des canines, où la classe II canine est souvent plus sévère que la classe II molaire en relation avec une courbe de Spee accentuée;
• au niveau des incisives, où la comparaison du surplomb avec le décalage molaire et l’inclinaison axiale des incisives maxillaires et mandibulaires mettent en évidence l’existence ou non de compensations alvéolaires antérieures et leur importance.
Dans le sens transversal (figure 1.16)
• occlusion transversale normale;
• occlusion inversée uni- ou bilatérale (figure 1.16A);
• occlusion exagérée uni- ou bilatérale : syndrome de Brodie (figure 1.16B).
Fig. 1.16 Perturbations des relations occlusales transversales. A. Occlusion inversée unilatérale. B. Occlusion exagérée : syndrome de Brodie. C. Endo-alvéolie maxillaire verrouillant la mandibule.
Cette analyse des relations occlusales transversales est complétée par l’observation de l’orientation des procès alvéolaires. L’endo-alvéolie maxillaire est fréquente dans cette malocclusion, en relation avec les troubles de succion (figure 1.16C).
Dans le sens vertical (figure 1.17)
Les relations occlusales verticales antérieures sont, elles aussi, très variées:
• infraclusion incisive : le plus souvent en relation avec une dysfonction ou une parafonction, elle peut aussi traduire un trouble vertical squelettique associé et s’étend alors postérieurement au-delà des canines (figure 1.17A);
• supraclusion incisive qui contribue au verrouillage antérieur de la mandibule. Les incisives mandibulaires peuvent entrer en contact avec le cingulum des incisives maxillaires ou avec la muqueuse palatine (figure 1.17B). La courbe de Spee, souvent marquée, est alors une composante de cette malocclusion. Elle constitue un verrou occlusal pour la croissance mandibulaire.
Le plan d’occlusion est fréquemment orienté en bas et en avant.
Problèmes dentaires associés
Ils interviennent de manière importante sur les choix thérapeutiques dans ces malocclusions.
Évaluation musculaire et examen clinique fonctionnel
Sangle élévatrice et abaisseurs
De plus, certains auteurs, tels Moyers et Pancherz [in 6], enregistrent dans les classes II une augmentation de l’activité posturale du temporal postérieur. Ingervall et Bitsanis [in 6] observent au repos une augmentation de l’activité des sus-hyoïdiens. Cette activité importante des rétropulseurs contribue à la position rétrusive et au déficit de croissance sagittale de la mandibule.
Examens complémentaires céphalométriques
Analyses céphalométriques (figure 1.18)
Elles affinent le diagnostic et quantifient les anomalies observées, en particulier:
• le décalage squelettique maxillomandibulaire (figure 1.18A). La classe II squelettique, associée à la majorité des classes II division 1, et sa sévérité sont révélées par l’augmentation:
• les participations respectives du maxillaire et de la mandibule au décalage antéropostérieur (figure 1.18B) : elles sont évaluées grâce à l’augmentation de l’angle SNA et des mesures maxillaires (profondeur maxillaire, longueur maxillaire.) en cas de prognathie maxillaire ou à la réduction de l’angle SNB et des dimensions mandibulaires en cas de rétrognathie mandibulaire;
• la morphologie basicrânienne et sa contribution à la classe II (figure 1.18C). Les prédispositions basicrâniennes peuvent être évaluées notamment par3:
• les anomalies squelettiques verticales associées;
• les relations dentosquelettiques : les analyses confirment l’importance de la proalvéolie maxillaire le plus souvent et évaluent la rétro-alvéolie ou la proalvéolie mandibulaire associée. Elles permettent aussi d’observer et de quantifier l’orientation en bas et en avant du plan d’occlusion et le développement vertical des procès alvéolaires.
Spécificités évolutives des classes II division 1
• le risque de lésion des incisives maxillaires en cas de traumatisme : il augmente avec l’amplitude du surplomb. Selon la méta-analyse de Nguyen et al. [7], les sujets présentant un surplomb supérieur à 3 mm ont environ deux fois plus de risque d’atteinte des incisives maxillaires que ceux dont le surplomb est inférieur;
• le risque de syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS) : la rétrognathie mandibulaire est un facteur prédisposant au SAHOS. La mandibule trop distale n’offre pas un amarrage suffisant à la langue qui en position de décubitus ou en cas de baisse du tonus musculaire peut basculer vers l’arrière.
Approche thérapeutique des classes II division 1
Objectifs thérapeutiques
Objectifs squelettiques
Pour cela, en fonction de l’âge et de la phase de traitement, il faut:
• favoriser une croissance mandibulaire harmonieuse:
• stimuler et réorienter la croissance mandibulaire en propulsant la mandibule et en déchargeant le condyle;
• contrôler les égressions molaires et l’orientation du plan d’occlusion afin de favoriser une rotation antérieure de la mandibule.
Moment du traitement
L’élaboration du plan de traitement repose sur les principes décrits dans le tome 1 (cf. tome 1, p. 60). Il envisage successivement la prise en charge des problèmes fonctionnels, du décalage squelettique et des anomalies dento-alvéolaires et dentaires associées (figure 1.19).
Fig. 1.19 Arbre décisionnel concernant les thérapeutiques orthopédiques dans les classes II division 1.
Traitement précoce en deux phases ou traitement tardif en une phase
Si les principales études randomisées [9–18] des traitements précoces des classes II division 1 montrent [19, 20] l’efficacité de méthodes orthopédiques sur la réduction du décalage squelettique pendant cette phase, elles ne mettent en évidence aucune différence significative au niveau du décalage squelettique final, de la qualité de l’occlusion, de la fréquence des extractions ou du recours à la chirurgie orthognathique entre les résultats des traitements en deux phases et ceux des traitements en une phase, plus tardifs. La durée totale du traitement est augmentée dans les traitements en deux phases.
On peut reprocher [21] à ces études les critères de sélection utilisés, relativement imprécis (surplomb, classe molaire, classe II squelettique), qui peuvent recouvrir des dysmorphoses et des malocclusions très différentes. De plus, la randomisation ne permet pas de prendre en compte les indications spécifiques des différents appareils. Enfin, l’évaluation des résultats obtenus n’intègre pas l’esthétique du profil en fin de traitement.
Les corrections occlusales obtenues pendant la phase orthopédique sont l’association d’effets squelettiques maxillaires et mandibulaires et d’effets dento-alvéolaires. La récidive est majoritairement dento-alvéolaire. Les traitements les plus stables sont ceux où les effets squelettiques sont importants [22].
Choix du moment de traitement
Lorsqu’on envisage une phase orthopédique, il est souhaitable de la situer au voisinage du pic de croissance [8, 19, 23] pour bénéficier d’un maximum de croissance et avoir une action rapide. Mais il faut aussi veiller à réduire l’intervalle entre les deux phases thérapeutiques au minimum et à terminer la phase orthopédique au moment de la mise en place de la denture permanente. L’engrènement des dents permanentes fortement cuspidées assure la stabilité de la correction obtenue et le traitement multibague de finition peut démarrer rapidement, réduisant la durée totale du traitement.
Prévention et prise en charge des anomalies fonctionnelles dans les classes II division 14
Prévention
• la ventilation nasale : il faut recommander la pratique du mouchage et le maintien de la fermeture buccale mais aussi le massage des ailes du nez pour favoriser le réflexe narinaire, la surveillance et la libération éventuelle des voies aériennes et la rééducation ventilatoire si nécessaire;
• les comportements alimentaires : l’allaitement au sein et la tétée orthostatique doivent être préconisés pour permettre le rattrapage de croissance mandibulaire. La mastication d’aliments relativement durs doit être conseillée pour établir une mastication active qui contribue aux développements transversal du maxillaire et sagittal de la mandibule ainsi qu’au renforcement musculaire;
• les habitudes de succion non nutritives : elles doivent être abandonnées précocement afin d’éviter des déformations alvéolaires qui secondairement favorisent la mise en place et le maintien d’une déglutition atypique.
Éducation neuromusculaire
Elle peut être active ou passive.
Éducation neuromusculaire active : myothérapie fonctionnelle
Objectifs
• la suppression des habitudes nocives de succion;
• l’apprentissage des positions correctes de la langue, des lèvres et des joues, et de la ventilation nasonasale;
• l’obtention de la force musculaire et de la liberté articulaire nécessaires aux praxies normales;
• l’automatisation par la répétition des nouveaux comportements fonctionnels.