X. Troubles Mentaux des Traumatismes Cranio-Cérébraux

Les troubles mentaux consécutifs aux traumatismes cranio-cérébraux ont donné et continuent à donner lieu, en raison de leur énorme importance juridique ou administrative (dommages, pensions, invalidité, etc.) à un grand nombre de travaux. Ceux-ci ont pris particulièrement pour objet les blessures de guerre et ont été publiés durant et après les deux dernières guerres mondiales. Mais en 1984, on recensait environ quarante guerres touchant quarantecinq nations : « La névrose de guerre est d’actualité » (Kipman, 1986). Les problèmes cliniques et d’expertise civile qu’ils posent en matière d’accident du travail et surtout d’accident de la circulation sont pour ainsi dire constants dans la pratique psychiatrique. N’oublions pas les problèmes posés par la torture.




Importance pratique considérable.


La genèse des troubles post-traumatiques est complexe (contusion, commotion, émotion, investissements affectifs du traumatisme, etc.). Si le traumatisme, par les modifications fonctionnelles ou lésionnelles qu’il engendre, est le facteur étiologique déterminant, le rôle joué par la personnalité antérieure du blessé n’est souvent pas négligeable et doit entrer en ligne de compte.

Schématiquement on peut diviser les troubles mentaux post-traumatiques en trois groupes correspondant à trois périodes :


les troubles de la période immédiatement post-traumatique (ou survenant après un intervalle libre), surtout justiciables d’une surveillance et de soins neuro-chirurgicaux.


2° Les confusions aiguës post-traumatiques qui nécessitent souvent une thérapeutique psychiatrique d’urgence.


3° L’évolution ultérieure de la maladie traumatique (déficits ou névroses) qui pose surtout des problèmes d’expertise psychiatrique pour l’estimation du dommage et des problèmes pratiques de réadaptation sociale.

La question est en évolution comme en témoignent des travaux récents (cf. Psychiatrie Française, 1986, n° 5, « Névroses traumatiques et séquelles de guerre »).



A. Les TROUBLES AIGUS INITIAUX



On a longtemps distingué la contusion cérébrale correspondant au cône d’attrition sous-jacent d’un foyer de fracture crânienne avec enfoncement osseux, de la commotion cérébrale, perturbation fonctionnelle sans lésion anatomique décelable. Mais l’état post-commotionnel semble dû à une inhibition des fonctions de relation sous l’effet d’un ébranlement physique portant essentiellement sur la région du diencéphale et du bulbe (R. Brun, 1938, 1946; Denny-Brown et Russel, 1941). Il existe souvent une vaso-constriction cérébrale avec stase capillaro-veineuse (de mécanisme encore discuté) pouvant entraîner des hémorragies minuscules dans les espaces péri-vasculaires ou même dans le tissu cérébral et des réactions œdémateuses de voisinage autour de ces petits foyers hémorragiques. Parfois l’œdème peut être diffus, c’est l’œdème aigu cérébral. Certains auteurs (R. Thurel, 1958) ne croient guère à l’atteinte primitive des centres végétatifs par le traumatisme et pensent plutôt à une compression du tronc cérébral par l’engagement du lobe temporal dans l’orifice de Paccioni sous la poussée du cerveau augmenté de volume par les hémorragies et l’œdème. On voit de toute manière qu’il est plus exact actuellement de parler de contusion-commotion.



Contusion, —Commotion

Les méthodes de réanimation modernes qui permettent la survie pendant plusieurs jours et parfois plusieurs semaines de comas traumatiques gravissimes [(« coma végétatif » à ne pas confondre avec la mort cérébrale)] ont permis de dégager la notion d’une encéphalopathie post-traumatique particulière. Les lésions sont essentiellement dues à l’anoxie et aux phénomènes d’œdème. On insiste aujourd’hui sur les modes d’exploration de la conscience — dans son sens neurologique de vigilance — en mesurant sa profondeur selon différentes échelles (échelles de Glascow, de Panchos Los Amigos et de Jouvet). On insiste surtout sur la multiplicité des soins précoces destinés à protéger l’avenir psychomoteur des blessés du cerveau.



Les « comas végétatifs ».

Après un intervalle libre très bref (1 ou 2 jours), il peut se produire un hématome extra-dural. Mais on observe surtout des hématomes sous-duraux, soit l’hématome subaigu dans les premières semaines qui suivent le traumatisme, soit plus tard les hématomes chroniques ou tardifs. Ces complications vasculaires seront décelées grâce aux tracés E. E. G., aux investigations radiologiques et à l’artériographie. D’autres complications dues à la rupture de l’équilibre hydrodynamique encéphalique peuvent s’observer dans cette période initiale ou aiguë de la maladie traumatique cérébrale (hématomes intracérébraux, œdème cérébral, méningites séreuses) ; elles se manifestent par des signes d’hypertension intra-crânienne ou de compression. Mais il arrive aussi surtout chez les sujets âgés qu’apparaissent des symptômes d’hypotension intracrânienne et de collapsus cérébral. L’ensemble de ces phénomènes anatomo-cliniques exigent une sureveillance de plusieurs jours.


B. LES ÉTATS CONFUSIONNELS AIGUS POST-TRAUMATIQUES



Dans sa forme aiguë et typique, la confusion s’installe quelques instants après le traumatisme. Il s’agit d’une confusion de type stuporeux. Le blessé est immobile, le regard fixe, ses réponses après stimulation sont rares et laborieuses. On observe parfois dans cette forme des phénomènes psychomoteurs de la série catatonique (persévération des attitudes, catalepsie, paratonie, grimaces, etc.).


La confusion aiguë post-traumatique peut revêtir bien d’autres aspects que ceux de la stupeur ou de l’onirisme agité. Citons notamment l’aspect du délire aigu, avec agitation intense et évolution fatale fréquente. On peut voir également des formes dépressives, anxieusps, maniaques, etc.


C. LES SÉQUELLES PSYCHIQUES POST-TRAUMATIQUES


Au cours de cette évolution, nous allons envisager non seulement les modalités évolutives de la confusion aiguë, que nous venons de décrire, mais également toutes les séquelles qui peuvent apparaître et être décelées après une phase de latence plus ou moins longue.

Mais rappelons au préalable le substratum anatomique de cette maladie traumatique ou encore de cette encéphalopathie traumatique dont on suivra les péripéties par des examens systématiques, où les nouvelles techniques de l’imagerie cérébrale joueront un rôle essnetiel.



L’encéphalopathie chronique.

Les lésions cranio-cérébrales traumatiques que nous avons décrites à la période aiguë, compliquées ou non d’infections, laissent des séquelles qu’on peut réunir sous le nom d’encéphalopathie chronique traumatique (G. de Morsier, 1948).

La physiopathologie des troubles neuro-psychiatriques tardifs des traumas crâniens est incomplètement élucidée. On les attribue à des perturbations circulatoires, des dérèglements végétatifs, des destructions cellulaires plus ou moins étendues, à des adhérences méningées, etc. Mais la séquelle lésionnelle la plus évidente sinon la plus caractéristique des commotions-contusions demeure un processus réactionnel et cicatriciel évolutif plus ou moins discret. La réaction conjonctivo-névroglique cicatricielle est une lésion évolutive, fonction de l’importance du sang et des tissus mortifiés à éliminer. Cette évolution se fait rarement vers l’extension à la manière d’une tumeur, mais plus fréquemment vers une rétraction progressive des tissus qui entraîne un agrandissement du ventricule sous-jacent plutôt que des espaces péricérébraux. Pour Thurel la dilatation des espaces péricérébraux serait due à la distension « par accumulation du L. C.-R. qui n’est plus résorbé au fur et à mesure de son arrivée du fait du blocage et de la réduction des aires de résorption de la convexité cérébrale par des lésions symphysaires arachnoïdo-piemériennes ». Cette pathogénie expliquerait bon nombre de cas caractérisés par les méningites séreuses ou kystes arachnoïdiens.

Quant aux relations entre la localisation de la lésion ou de la perturbation et l’expression psychiatrique, on en est réduit aux hypothèses et à quelques rares documents. Ce sont les blessures frontales qui ont donné lieu au plus grand nombre de travaux (Fœrster, 1918; Feuchtwanger, 1926; Kleist, 1933; Grunthal, 1936; Baonville, Ley et Titeca, 1947; Halstead, 1947; Goldstein, 1919-1948) et qui ont permis d’admettre qu’il s’agit souvent d’un syndrome frontal (manque d’initiative, troubles de l’humeur, perte de l’attitude abstraite du comportement, etc.). De même les atteintes des régions diencéphaliques ou rhinencéphaliques (Kleist, 1933) ont permis de soulever des hypothèses pathogéniques sur le rôle des traumatismes dans certains syndromes maniaco-dépressifs (G. Zillig, 1941) dans certaines dissociations schizophréniques (E. Hillbom, 1951) et même dans le syndrome psycho-organique de E. Bleuler.


I. ÉVOLUTION DE LA CONFUSION POST-TRAUMATIQUE


L’évolution d’une confusion post-traumatique se fait fréquemment vers la guérison par la résolution progressive et complète de ses symptômes. Le blessé sort de son obnubilation après avoir franchi la phase de perplexité habituelle qui précède la guérison des états confusionnels. Il garde simplement une amnésie lacunaire de la période confusionnelle et demeure souvent fatigable et asthénique pendant des mois. Cependant, certaines complications plus ou moins durables peuvent survenir.



La confusion post-traumatique.



Le syndrome de Korsakov traumatique survient assez précocement dès que les éléments confusionnels aigus s’estompent. On voit alors apparaître la triade classique : amnésie de fixation, fabulation, fausses reconnaissances (Kraepelin, Benon). Il guérit presque toujours. Cependant, on peut noter, dans des formes d’apparition souvent plus tardive, des signes de détérioration mentale qui s’aggravent progressivement. Il est possible que, dans ces cas, d’autres facteurs étiologiques entrent en cause, notamment l’alcoolisme chronique.



Syndrome de Korsakov.


Les amnésies post-traumatiques. — Ces anémies (très bien étudiées dans le livre de Ribot sur les Maladies de la Mémoire, 1881) affectent plusieurs types (Benon) :



Amnésie.



a) Forme commune avec première phase d’amnésie de fixation, puis amnésie d’évocation des souvenirs, des circonstances de l’accident et des jours qui l’ont précédé ou suivi. A cette amnésie antéro-rétrograde succède au bout de quelques semaines enfin une amnésie lacunaire avec trou de mémoire qui persiste longtemps et même toujours.



c) Amnésie globale. — Parfois le blessé sort du coma avec l’oubli de sa propre identité et une abolition totale de ses souvenirs. Ces cas sont tout à fait exceptionnels et posent de curieux problèmes médico-légaux. Naturellement la littérature est peut-être plus riche que la clinique d’observations de ce genre (Siegfried et le Limousin).

Généralement les troubles de la rétention, de l’organisation, de l’évocation de souvenirs constituent simplement une forme de dysmnésie, avec incertitude de l’évocation et quelques oublis, ces troubles disparaissent au bout de quelques semaines ou de quelques mois.

C’est surtout chez les blessés du lobe frontal que l’on a pu observer de grands syndromes amnésiques de guerre (Poppelreuter).

Certaines de ces amnésies paraissent déterminées par le « stress » psychosomatique d’une intense émotion. C’est dans ces cas que l’on a pu étudier leur « psychogenèse » et leur forte composante hystérique (P. Janet, P. Schilder, Fortanier et Kandou, etc.).


II. LES ÉTATS DÉFICITAIRES POST-TRAUMATIQUES


Les capacités intellectuelles, le rendement professionnel, l’adaptation et le contrôle des conduites peuvent être plusfou moins altérés.



Les déficits psychiques post-traumatiques.



a) Tantôt il s’agit d’une simple détérioration plus ou moins durable du type que nous avons étudié à propos de l’examen psychométrique de l’intelligence (p. 563-566). Ce taux de détérioration s’inscrit dans le syndrome psycho-organique commun des lésions du cerveau. Le Syndrome psycho-organique (ou Psychosyndrome organique) a été décrit par E. Bleuler et il a fait l’objet d’un important exposé pour la 12e édition de son « Lehrbuch », revue par M. Bleuler (1972). Sans doute s’agit-il d’un syndrome commun à de multiples affections diffuses ou localisées du cerveau, mais il se rencontre après les traumatismes cranio-cérébraux (encéphalose du tronc cérébral).


b) Dans d’autres cas, le déficit atteint des aptitudes plus spécialisées des fonctions symboliques et catégorielles de la pensée. Il s’agit alors de troubles aphasiques par exemple comme ceux qu’a étudiés H. Head chez les officiers blessés lors de la guerre de 1914-1918, ou de troubles aphaso-agnoso-apraxiques qui ont fait l’objet des fameuses analyses de Goldstein, de Cassirer.



Aphasie.


c) La démence post-traumatique est une démence organique où s’observent des troubles lacunaires au sens d’une désintégration plus globale et progressive du comportement. Parfois cette démence comporte une forte composante confusionnelle (Masquin). Elle est souvent associée à des crises d’épilepsie et de profondes perturbations de l’humeur, de l’équilibre instinctivo-affectif (impulsions, réactions médico-légales).




III. L’ÉPILEPSIE POST-TRAUMÂTIQUE


C’est une complication assez fréquente (4,4 % des traumatisés du crâne d’après P. Wertheimer et S. Touraine, 1947) qui survient surtout chez les sujets jeunes et après fracture du crâne avec lésions du tissu nerveux. L’époque d’apparition des premières crises est en moyenne de six mois à un an après le traumatisme, mais elle peut être beaucoup plus tardive.



Épilepsie.

Cliniquement on observe le tableau connu sous le nom d’épilepsie symptomatique. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une épilepsie de type graduo-comitial (cf. p. 261) se manifestant par tout un cortège d’accidents paroxystiques (auras, équivalents, crises psychomotrices, etc.) qui s’arrêtent à une des phases du déroulement des symptômes comitiaux ou parviennent à la grande crise généralisée. Mais la plus typique de ces épilepsies des traumatisés du crâne, est l’épilepsie partielle à type bravais-jacksonien (p. 258). A ces accidents paroxystiques ou convulsifs s’associe le syndrome commun des troubles de l’humeur, de la viscosité et de l’explosivité épileptiques.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on X. Troubles Mentaux des Traumatismes Cranio-Cérébraux

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