L’encéphalite léthargique épidémique de von Economo-Cruchet, due à un virus non identifié, a sévi sous forme d’une pandémie qui débuta en 1916-1917 en Europe (Roumanie, Autriche, Espagne, France) et s’étendit de 1918 à 1920 à toute l’Europe occidentale et au reste du monde. Pendant 20 ans, les psychiatres ont eu l’occasion d’etudier ainsi de nombreux cas de psychoses ayant, en quelque sorte, une valeur expérimentale.
Importance doctrinale de première grandeur des troubles observés pendant l’épidémie de 1918-1925.
Le virus de l’encéphalites de von Economo serait apparenté d’une part aux virus du groupe des encéphalites saisonnières extra-européennes : encéphalite japonaise, encéphalite de Saint-Louis, encéphalite australienne, encéphalite russe, etc., et d’autre part aux virus de la poliomyélite, du zona, de la varicelle, des oreillons et surtout de l’herpès.
L’encéphalite léthargique appartient histologiquement au groupe des polioencéphalites dans lesquelles les lésions atteignent avant tout la substance grise et sont provoquées par l’action directe du virus sur le névraxe; ce type de polioencéphalite s’oppose aux leuco-encéphalites.
La maladie ne se manifeste plus guère que par des cas sporadiques qui risquent d’être méconnus (Hunter et Jones, 1966 ; Rail et coll., 1981). Mais si l’encéphalite épidémique est devenue une rareté et, partant, a perdu beaucoup de son intérêt clinique quotidien, il ne faut pas oublier le nombre considérable d’observations et la richesse de vues nouvelles sur la pathologie nerveuse et mentale que cette maladie a permis d’acquérir entre les années 1920 et 1930 (Cruchet, 1921 ; Truelle et Petit, 1922; Naville, 1922; Bostroem, 1923 ; Steck, 1924-1927). Son intérêt, répétons-le, a été et reste au moins aussi grand que celui que dans le même sens suscitent les model-psychosis de la psychopharmacologie expérimentale.
A. — ÉTUDE CLINIQUE
L’encéphalite épidémique évolue typiquement en deux phases : la phase initiale et aiguë et la phase chronique avec ses séquelles et ses poussées évolutives.
I. —TROUBLES MENTAUX DE LA PHASE INITIALE
La forme oculo-léthargique comportant des troubles du sommeil (somnolence, hypersomnie ou même crises narcoleptiques) qui rythment l’apparition et la disparition, l’atténuation et la recrudescence des troubles psychiques et des troubles oculaires consistant en paralysies des muscles extrinsèques transitoires et disparaissant généralement sans séquelles (strabisme, ptosis, diplopie).
Troubles mentaux contemporains de la phase initiale de la maladie.
La forme algo-myoclonique où dominent les douleurs profondes d’origine thalamique, à topographie hémiplégique et les secousses musculaires disséminées.
La ponction lombaire peut montrer à ce stade une réaction cellulaire, une augmentation du taux de l’albumine et de la glycorachie, mais ces modifications ne sont pas constantes.
— Quant aux troubles mentaux que l’on observe, ils constituent des dissolutions plus ou moins profondes, rapides et durables de l’organisation psychique, allant des formes les plus atténuées de la confusion mentale (obtusion) et des psychoses délirantes ou hallucinations aiguës aux états stuporeux. Ces troubles ont en commun d’être variables qualitativement et quantitativement dans le temps, à telle enseigne qu’ils peuvent donner parfois l’impression d’une capricieuse simulation (Truelle et Petit). Ils présentent une recrudescence fréquente vers la fin du jour et dans les phases hypnagogiques. L’état mental le plus caractéristique de cette période de la maladie et qui fut le premier décrit est l’état de stupeur akinétique. Les accès oniriques d’intensité variable allant du rêve parlé au rêve vécu avec pantophobie sont presque aussi fréquents. Ils rappellent assez exactement les délires alcooliques subaigus, ils peuvent s’accompagner de fabulations, très riches de fausses reconnaissances, et parfois d’une grande agitation motrice (forme hyperkinétique). Exceptionnellement le tableau confusionnel évolue vers le délire aigu (hyperthermie, sitiophobie, agitation intense, etc.).
Plus rarement le syndrome excito-moteur se présente dépouillé de ses éléments confusionnels, sous forme de crises à type maniaque. On peut observer également toute la gamme des états dépressifs depuis de simples syndromes asthéniques jusqu’à des états de mélancolie anxieuse. Enfin, il existe des bouffées délirantes ou des états oniroïdes (que les poussées évolutives ultérieures reproduisent avec une grande fréquence) et dont la recrudescence vespérale ou nocturne est caractéristique.
II. — LE SYNDROME POST-ENCÉPHALITIQUE COMMUN
Les « séquelles » psychiques de l’encéphalite épidémique ne sont pas seulement des séquelles car elles ont une potientalité évolutive (poussées aiguës, progression générale des troubles dans le sens de l’aggravation) d’une grande importance pratique.
1° Syndronie parkinsonien. — Il constitue le fond du tableau neuropsychique par trois signes essentiels.
— Le syndrome parkinsonien.
Le tremblement (régulier, lent et pénible pour le sujet) prédomine généralement d’un côté. Il est plus net aux extrémités des membres supérieurs et il cède au cours des mouvements et du sommeil. L’hypertonie extrapyramidale se reconnaît à la mobilisation passive d’un segment de membre (signe de la roue dentée) et par l’exagération des réflexes de posture ; elle est caractérisée par l’exagération du tonus plastique ou de repos, mais elle porte aussi sur le tonus d’attitude et même le tonus de soutien. La bradykinésie ou même l’akinésie entraînent la lenteur des mouvements, la disparition des mouvements automatiques des bras au cours de la marche et celle des réflexes de redressement.
Tous ces troubles imposent au parkinsonien une attitude (hypertonie prédominant à la racine des membres, avec dystonie d’attitude, inclinaison du tronc en avant, les bras collés au corps, genoux à demi fléchis), une démarche (festination : il court après son centre de gravité, latéro- et rétropulsions), une, parole (sourde et lente avec palilalies) si caractéristiques que le diagnostic se fait souvent au premier coup d’œil. La limitation de la convergence des globes oculaires et la salivation complètent généralement le tableau clinique. Enfin on observe souvent l’apparition de crises oculogyres.
2° Syndrome de bradypsychie. — Au comportement moteur du parkinsonien correspond son activité psychique ralentie et figée (bradypsychie, répétitions palilaliques, etc.).
Syndrome bradypsychique.
Dès les premières observations des séquelles de la maladie, on nota (Hauptmann, Byschowski, Bostroem, Steck, Naville, Runge, Dide et Guiraud, etc.) que le syndrome parkinsonien s’accompagne généralement d’une bradypsychie caractérisée par une diminution de l’attention volontaire, de l’intérêt spontané, de l’initiative, de la capacité d’effort et de travail avec fatigabilité objective et subjective et légère diminution de la mémoire. Ces malades ont perdu le désir d’agir, leur initiative et leur entrain sont diminués, ils ont besoin de solitude, deviennent peu communicatifs et restent sans rien faire si on ne les sollicite pas à chaque instant. Ces troubles constituent en somme une sorte de somnolence ou de léthargie chronique… Dans les formes sévères de cette déchéance, les malades semblent mener une vie exclusivement végétative, ils sont complètement inertes et sans activité psycho-motrice; ils sont même incapables de s’habiller seuls et de manifester les désirs les plus élémentaires (Naville). Steck dans une étude très approfondie à l’aide de tests a conclu que le trouble psycho-moteur consiste en un ralentissement de la réactivité générale spontanée.