VII. L’homosexualité

Si nous avons détaché l’homosexualité de l’ensemble des déviations sexuelles, c’est afin de montrer par son exemple la complexité des choix amoureux. Une attitude moralisante conduit à définir les êtres humains selon une particularité de leurs relations sexuelles. L’homosexualité est alors définie en terme d’être, en tant qu’attribut d’identité comme si l’on pouvait réduire le sujet à son comportement sexuel favori (E. Kestemberg, 1984). Or l’homosexualité échappe au cadre des perversions dans la mesure où l’objet aimé par l’homosexuel est un objet total, alors que dans les perversions étudiées plus haut nous avons insisté sur les tendances à investir des objets partiels, les zones érogènes ou leurs substituts. C’est pourquoi beaucoup de cliniciens (F. Pasche, 1965) distinguent l’homosexualité des perversions tout en admettant qu’elle est souvent le cadre de perversions. Les psychiatres américains du DSM III distinguent l’homosexualité « égo-syntonique » « qui n’est pas un trouble mental » de l’homosexualité « égo-dystonique » dont le sujet se plaint.


Le clinicien rencontre des cas de figure fort différents. Nous admettrons donc :


1) que l’homosexualité est un choix amoureux selon des conditions particulières ;


2) que pour éviter le risque de confusion, il faut préciser s’il s’agit de fantasmes inconscients, ou de désirs et fantaisies conscients, ou de pratique homosexuelles, c’est-à-dire qu’ici comme ailleurs il importe de distinguer ce qui est de l’ordre de la pensée et ce qui est de l’ordre de l’action.




A Description des faits. L’homosexualité comme conduite ou tendance manifeste. — L’homosexualité, c’est-à-dire l’attirance érotique prédominante, et souvent exclusive, pour un individu du même sexe, est un phénomène fréquent, si l’on en croit Kinsey (1948-1954) qui fournit le chiffre de 35 % pour les hommes américains, et de 30 % pour les femmes, admettant avoir connu une expérience homosexuelle d’au moins trois ans. Le chiffre fourni par Eck (1966), pour les hommes et les femmes, concerne ceux d’entre eux qui se fixent dans cette attirance : il serait de 10 % de la population globale. Il faut en effet distinguer (c’est sans doute une explication de l’écart entre les chiffres des auteurs) l’homosexualité passagère, fréquente à l’adolescence, du véritable homo-érotisme (terme préféré par Ferenczi), fixé comme attirance libidinale, dont nous parlerons maintenant, et qui comporte lui-même une assez grande variété de formes. Notons dès le début que l’homosexualité n’est pas symétrique chez l’homme et chez la femme, ni quant à ses variétés cliniques, ni quant aux théories qui cherchent à en rendre compte.




et asymétrique.

Chez l’homme, on distingue généralement l’homosexualité narcissique, où le culte de la virilité pousse à la recherche d’un partenaire qui représente l’idéal de beauté (amour grec ; O. Wilde, Verlaine) ; la pédophilie, amour pseudo-maternel pour un jeune garçon (Gide) ; l’inversion, ou uranisme, identification à la femme, recherche de la séduction, avec passivité à l’égard d’un partenaire actif ; beaucoup de ces derniers sujets pratiquent un métier généralement féminin (coiffure, couture, etc.) ; un degré de plus et l’identification à la femme aboutit à la recherche de ses vêtements (travestis) ou à celle d’une modification de son sexe (trans-sexualisme), position proche du délire, où le sexe est littéralement renié.



Elle est mieux connue chez l’homme.

Chez la femme, l’homosexualité est moins bien connue parce que les sujets consultent rarement. On distingue seulement en général l’homosexuelle virile, par recherche d’une identification masculine ; elle est la plus connue du public parce que la plus voyante; et l’homosexuelle passive, partenaire recherchée par la première. L’ambivalence sexuelle fréquente chez la femme explique la fréquence des situations intermédiaires ; la meilleure tolérance du Moi à l’égard de l’homosexualité, et la meilleure tolérance du groupe social, expliquent la rareté de l’appel à l’aide et la méconnaissance relative de la question.



que chez la femme.


B Distinctions structurales. — Quelle que soit la forme de l’homosexualité, diagnostic et pronostic dépendent de la place que prend la tendance au sein de l’économie et de l’histoire personnelles.


a) La position perverse consiste dans l’acceptation complète de la tendance, qui est vécue librement. Les partenaires humains ne représentent presque rien. Surtout observée chez l’homme, la chose qui intéresse le plus cet homosexuel de type pervers, c’est le pénis de l’autre.

Il peut s’agir de sujets évolués et parfois brillants (artistes, écrivains, professions libérales), qui ont réussi un véritable « clivage du Moi » ; la plupart tiennent à une clandestinité complète ; à certains autres, le léger parfum de scandale qui entoure leur vie fournit un complément de raffinement. Dans un second groupe de cas, il s’agit de petits ou grands psychopathes, tels qu’ils seront étudiés plus loin. L’homosexualité sert alors de lien social à l’intérieur d’un milieu qui protège les siens tout en favorisant à l’égard de la société globale diverses pratiques de délinquance. Inutile de dire que les sujets de ces deux catégories ne demandent pas à être aidés. Les psychiatres ne les rencontrent qu’à l’occasion d’expertises demandées par la Justice, mais la plupart sont assez habiles pour ne pas s’y exposer.



L’homosexualité mal toiérée par le Moi.



Beaucoup d’homosexuels se tiennent dans une position de compromis entre la structure perverse et la structure névrotique, plus proche de l’une ou de l’autre, alternant les passages de l’une à l’autre, et leur situation psychologique peut naturellement évoluer au cours de leur vie, avec ou sans aide thérapeutique.


c) Avec la position psychotique, il faut aborder le problème de l’homosexualité latente, c’est-à-dire inconsciente. Car le propre de la psychose est de « dénuder » les tendances inconscientes, et l’homosexualité latente (en chacun de nous) comme stade de l’évolution psycho-affective peut être brusquement projetée en acte. Plusieurs cas peuvent se rencontrer : un épisode homosexuel peut constituer l’un des signes d’une psychose aiguë : le cas est généralement sans conséquence puisqu’il guérit avec la psychose aiguë.



Homosexualité et psychose.

Un cas particulier est celui de la panique homosexuelle, crise suraiguë d’angoisse qui suit la révélation brutale d’une tendance méconnue (cf. p. 146). Mais les cas les plus intéressants sont ceux des grandes psychoses délirantes chroniques, dans lesquelles la tendance homosexuelle désavouée constitue un mécanisme fondamental de la genèse du délire. Connu dans la schizophrénie, ce mécanisme joue le rôle essentiel, pour les psychanalystes, dans la paranoïa (cf. Freud, cas du Président Schreber ; et la thèse inaugurale de J. Lacan).

La thèse de Freud est connue. La cause occasionnelle de la maladie de Daniel-Paul Schreber fut une poussée de libido homosexuelle : je l’aime. Je (moi un homme, lui un homme). L’émergence consciente d’un amour homosexuel est d’abord transformée en son contraire : je le hais. La perception interne de ce sentiment entraîne sa transformation en une perception venant de l’extérieur : ce mécanisme de projection aboutit à la proposition : « il me hait ». Freud souligne que le persécuteur fut toujours auparavant aimé. La libido libérée se fixe sur le Moi produisant une régression au narcissisme (stade du développement au cours duquel l’individu rassemble en une unité ses instincts sexuels qui opéraient jusque-là sur le mode auto-érotique. Alors il se prend lui-même, son propre corps, pour premier objet total d’amour. Ensuite, l’individu pourra passer au choix objectai d’une autre personne). Cette conception de la paranoïa entraîne une conception de la schizophrénie. Dans cette dernière, la régression va en deçà du narcissisme, par l’abandon complet de l’amour objectai, vers un retour à l’auto-éro-tisme associé à une fixation située au début de l’évolution primitive entre auto-érotisme et amour objectai. L’ensemble des psychanalystes s’accordent sur la fixation précoce de la libido dans la paranoïa et sur le rôle de cette fixation dans le développement de l’homosexualité. La signification de la relation entre homosexualité et paranoïa a été discutée. En particulier après M. Klein, H. Rosemfeld, 1976 décrit le caractère secondaire et défensif de l’homosexualité paranoïaque. La Bible, dans le Livre de Samuel, rapporte le délire paranoïaque du roi Saül dont Ch. Brisset (1983-1984) analyse les liens avec l’homosexualité.

J. Mallet (1964) a repris une des observations de Freud (1922) sur les sentiments issus du complexe maternel qui produit dans l’enfance une hostilité intense vis-à-vis des rivaux aînés de la fratrie. Sous l’effet de l’éducation, le refoulement de cette hostilité conduit à faire des rivaux les premiers objets d’amour homosexuels. J. Mallet en vient à considérer que « la paranoïa impliquerait un retour régressif à l’hostilité jalouse envers l’aîné ».

L’homosexualité latente joue un rôle aussi dans la psychopathologie des névroses, et elle se retrouve dans la vie normale, car il faut le répéter, elle n’est pas une tendance pathologique mais une composante de la sexualité normale, qu’il est souhaitable de reconnaître en soi pour ne pas en être surpris, surtout si l’on exerce une profession de soignant, d’éducateur ou de responsable social. L’énergie pathogène est créée par l’intensité des défenses inconscientes et de la répression consciente conjuguées contre cette tendance latente. La sublimation (cf. p. 432) de l’homosexualité qui est son destin « normal » constitue le ressort de multiples activités sociales ou artistiques. On sait que Freud a étudié l’homosexualité latente chez Léonard de Vinci. Les cas littéraires de sublimation de ce genre sont nombreux : un exemple en est le Vautrin de Balzac (M. Eck, 1966). Dans la vie normale, l’homosexualité se sublime au sein des relations de groupes, elle est le ressort libidinal de la camaraderie et de l’amitié.

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May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on VII. L’homosexualité

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