V. Psychoses Puerpérales

Il est classique de décrire sous ce nom tous les accidents psychiatriques de la grossesse, de la puerpéralité et de l’avortement. Ces accidents revêtent les aspects les plus divers : de la réaction névrotique légère à la psychose de long cours. Dans le déterminisme, on doit faire intervenir outre les facteurs génétiques, hormonaux et toxi-infectieux, la situation actuelle, c’est-à-dire la maternité avec tous ses aspects biologiques et psycho-sociaux et les rapports entre cette situation actuelle et la personnalité. Autant dire que la puerpéralité est une occasion de vérifier, d’une manière peut-être plus claire que dans tous les autres cas, l’aspect multidimensionnel de l’étiologie des affections psychiatriques et l’absence de spécificité des réponses cliniques à une situation pathogène complexe réalisant un terrain « psycho-puerpéral » (Balduzzi, 1951).




Les troubles psycho-puerperaux sont divers…



A. — FACTEURS ÉTIO-PATHOGÉNIQUES



I. — FRÉQUENCE


Les données anciennes sur la fréquence sont inutilisables. Elles étaient d’ailleurs loin de concorder, allant de 1 cas sur 80 accouchements (Barker) à 1 sur 2 000 (Rigden). Mais la diminution considérable du nombre des cas est certaine depuis la décennie 1950-1960, au point que les psychoses puerpérales sont devenues rares. A l’origine de cette diminution, on peut invoquer :


1. L’amélioration des conditions de la « maternalité » : préparation à l’accouchement et à la maternité, planification des naissances, moindre crainte de l’accouchement, amélioration corrélative des relations entre la mère et l’enfant (Brisset et Held, 1955 ; Racamier, 1964).


2. L’administration de médicaments actifs contre la dépression, l’anxiété et les premières manifestations délirantes par les médecins, dès les premiers signes.




… et relativement fréquents.


II. — FACTEURS ÉTIOLOGIQUES



1° Facteurs héréditaires et constitutionnels. — La non-spécificité .des accidents a entraîné certains auteurs de la fin du xixe siècle à porter l’accent sur le rôle du terrain (dégénérescence mentale) : les accidents puerpéraux seraient seulement « révélés » par la grossesse chez des femmes portant une tare psychiatrique latente (Magnan, 1877; Toulouse, 1893; Gilbert-Ballet, 1911); il arrive en effet assez souvent qu’une psychose puerpérale ne soit qu’un épisode d’une évolution psychotique intermittente ou chronique.



Aspect multidimensionnel de l’étiologie :




Prédisposition.

Le rôle du terrain ne peut pas être négligé et c’est le groupe des familles comportant une hérédité maniaco-dépressive qui offre les relations génétiques les plus significatives (D. Hill, 1951). Mais les auteurs contemporains ont tendance à donner plus d’importance aux facteurs étiologiques actuels, soit psychosociologiques, soit physiopathologiques. Le caractère prépsychotique ou la prédisposition névropathique existerait dans 50 % des cas (G. Schneider, 1957) sous forme d’inhibition du développement de la personnalité et de réactivité émotivo-végétative anormale. On notera spécialement l’infantilisme morphologique et fonctionnel souvent très prolongé dans les antécédents des femmes qui présentent des troubles psychiques puerpéraux (Smalldon, 1940; Jacobs, 1943 ; Ryle, 1961).

2° Facteurs psycho-sociaux. — La grossesse en tant qu’événement représente un facteur psycho-social de première importance, modifiant toutes les conditions et les perspectives de la vie de la femme (Hélène Deutsch). De là les protections multiples dont elle est entourée, les unes d’ordre social, les autres d’ordre psychologique, magique ou rationnel.



Factew affectifs et sociaux.

Même dans la grossesse normale, la fréquence de modifications psychologiques légères (les « envies ») est bien connue (H. R. Klein et coll., 1950). On passe insensiblement de ces modifications à des modes névrotiques de défense contre l’événement désiré et redouté : l’enfant, le mari, le groupe entrent dans ce complexe de nouvelles relations, souvent ambiguës et anxiogènes. C’est que la maternité actualise et remanie les problèmes de l’intégration psychosexuelle (Tetlow, 1955 ; Daniels, 1964).

Les travaux des sociologues et des ethnologues nous ont appris que la structure sociofamiliale (matriarcat, égalité entre les sexes, etc.), la place de la femme dans la société (comportement passif, agressif, etc.), la nature des rapports entre la mère et l’enfant interviennent dans le comportement de la mère à l’égard de sa maternité (M. Mead). Il semble que les femmes des sociétés primitives connaissent peu ou pas de psychoses puerpérales. Toutes ces voies d’étude aboutissent à la conclusion que l’attitude de la femme envers la séquence : « conception-grossesse-accouchement-allaitement-maternité » joue un rôle fondamental dans le déterminisme des accidents. Notons que cette attitude ne peut être définie en termes simples. Telle femme socialement bien intégrée et psychiquement non tarée peut refuser la grossesse pour des raisons actuelles, conjugales, économiques ou professionnelles. Telle autre aux prises avec des conditions objectives défavorables et avec des dispositions psychopathiques connues peut supporter l’événement parce qu’il la valorise ou l’intègre à son groupe. Une autre encore se trouve aux prises avec des conflits profonds que la grossesse actualise dangereusement.


A l’activité hypophyso-ovarienne habituelle se substitue une production hormonale nouvelle, due au corps jaune, au placenta et aux glandes mammaires. Deux maxima de sécrétions endocriniennes nouvelles apparaissent d’après Jayle. A la fin du 3e mois, se manifeste la poussée des hormones gonadotropes et à la fin de la grossesse se produit une élévation considérable des stéroïdes. Après l’accouchement le retour des chiffres hormonaux à la normale est rapide. On a cherché les relations entre les psychoses puerpérales et des perturbations hormonales suivies par les dosages directs des hormones ou par les renseignements indirects tirés du cytodiagnostic vaginal. Il est incontestable que les psychoses puerpàrales sont accompagnées généralement par des modifications significatives. Pour Hemphill, le facteur hormonal joue pour la « dépression puerpérale » comme pour les dépressions de la ménopause. La thèse soutenue par Delay et ses collaborateurs incite à chercher les corrélations endocriniennes des psychoses puerpérales dans le défaut de retour à la normale du cycle ovaro-hypophysaire par suite de l’état de la muqueuse utérine. Ce serait un cas particulier des « métroses de réceptivité » (Moricard).

4° Rôle de l’infection. — Le facteur infectieux qui n’est pas négligeable dans certains cas a pu être apprécié exactement depuis les antibiotiques qui en ont réduit le rôle. Il joue le rôle fondamental dans certaines psychoses qui accompagnent les suites de couches septiques mais il n’est qu’un facteur d’appoint dans les autres cas et encore s’agit-il d’une éventualité assez rare.


— Mais, répétons-le, la situation de la femme en regard de la grossesse et de l’accouchement considérés doit être étudiée comme le point de rencontre de tout son passé (hérédité, antécédents pathologiques, constitution biologique, formation de la personnalité, structure névrotique ou prépsychotique), avec ses positions actuelles (conjugales, sociales, économiques), avec les incidents ou accidents gravido-puerpéraux et enfin avec les perspectives ouvertes devant elle par la maternité.




Rôle actuellement faible de la toxi-infection.


B. — DESCRIPTION CLINIQUE


Schématiquement, la plupart des accidents névrotiques et des accidents neuro-psychiques se voient pendant la grossesse, tandis que la plupart des accidents psychotiques s’observent après l’accouchement.


I. — ACCIDENTS GRAVIDIQUES


Ce sont essentiellement des réactivations de l’angoisse à formes névrotiques ou psychosomatiques.



2° Des manifestations d’hystérie peuvent apparaître avec le polymorphisme habituel à cette névrose. Signalons la négation hystérique de la grossesse, image symétrique et inversée de la grossesse nerveuse ou hystérique.



Réactions hystériques.

3° Les manifestations anxieuses sont très fréquentes. Elles se présentent sous l’aspect de symptômes isolés (douleurs diverses, angoisses, palpitations), ou sous celui de la névrose d’angoisse subaiguë (état dépressif à forte charge anxieuse qui peut aller jusqu’aux confins de la mélancolie), ou encore, soit sous l’aspect de phobies, forme spécialisée de l’angoisse qui se fixe sur un « objet » maléfique (peur de la rue, peur de la solitude, etc.), soit sous formes d’obsessions-impulsions (obsession du suicide ou impulsions à des actes saugrenus ou délinquants). Sans doute l’angoisse que ces manifestations expriment est-elle un remaniement ou une actualisation de positions antérieures. Mais l’attitude de la femme envers la grossesse joue un rôle maximum. Généralement ces incidents ou accidents ne survivent pas à l’accouchement. Le rôle éducatif de l’entourage et de la préparation à l’accouchement « sans douleur » doit diminuer ces sortes de réactions anxieuses ou paniques.



Angoisse, Phobies, Obsessions.

4° A côté de ces réactions névrotiques, nous citerons les accidents psychosomatiques sévères, comme les ulcères digestifs, les spasmes viscéraux (coliques hépatiques, néphrétiques, etc.), l’asthme, certaines hypertensions ou dermatoses. Relevant de mécanismes plus complexes, ces accidents signalent, comme les précédents mais par des expressions somatiques parfois graves, la lutte de l’organisme contre l’angoisse de la gravidité, lutte qui se déroule alors à un niveau plus profond.

May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on V. Psychoses Puerpérales

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