V. La Névrose D’angoisse

(État D’anxiété Chronique ou Constitutionnelle la Personnalité Anxieuse)



Par rapport aux états aigus d’angoisse étudiés déjà(1), ces conduites sont composées de tous les symptômes d’une anxiété caractérisée du point de vue physiopathologique par un « terrain anxieux » (dystonie neurovégétative, syndromes fonctionnels divers, spasmes, troubles cénestopathiques, etc.) et du point de vue psychopathologique par un état perpétuel d’alerte et de peur.


Par rapport aux névroses en général, elles se comportent comme des états générateurs, des « nébuleuses, en puissance d’organisation » (Gendrot et Racamier, 1955), perpétuellement en mouvement, susceptibles de remaniements mais n’aboutissant généralement pas à ces formations de défense typiques qui entrent dans l’organisation des névroses plus structurées.

Tout état névrotique, qu’il revête la forme nette et définie de l’hystérie de conversion ou de la névrose obsessionnelle, comporte ce fond d’angoisse. La névrose d’angoisse constitue donc une sorte de tronc commun de l’organisation névrotique en marche vers des conduites névrotiques plus stables et plus systématiques (Freud).



A. — DESCRIPTION CLINIQUE


La névrose d’angoisse comporte des crises sur un fond constitutionnel d’instabilité émotionnelle.


I. — LES CRISES D’ANGOISSE


Lorsque la crise est importante, elle réalise le tableau de l’accès d’angoisse aiguë, ou crise émotionnelle majeure, tel qu’il a déjà été décrit (cf. p. 147). Mais ici il s’agit le plus souvent de crises moins complètes dont le tableau clinique se décompose en éléments somatiques et psychiques avec une forte prévalence de l’angoisse physique.



La sémiologie de l’angoisse est un catalogue complet des troubles dits « fonctionnels » ou « neuro-végétatifs ».

1° Les éléments somatiques de la crise sont généralement mis par le malade au premier plan. Nous emprunterons à l’étude de Gendrot et Racamier (1955) cette analyse :


a) Symptômes respiratoires. — C’est d’abord la dyspnée, qui est de tous les types et de tous les degrés (elle va de la respiration bloquée ou suspirieuse à la crise asthmatiforme et, pour certains auteurs, à la vraie crise d’asthme allergique (Gendrot, 1953)) : on observe aussi des accès de toux, le hoquet, le bâillement, les crises dysphoniques ou même aphoniques.


b) Les symptômes cardio-vasculaires. — Ce sont les crises parfois douloureuses de palpitations, de tachycardie (ou même d’arythmie) ; les douleurs précordiales décrites comme brûlures, gonflements, élancements ou strictions, irradiées diversement et évocatrices de l’angor pectoris ; les crises vasoconstrictives ou congestives (tantôt généralisées, tantôt localisées à la face, aux membres, aux doigts), généralement accompagnées de paresthésies.


c) Les symptômes digestifs. — Ce sont la striction pharyngée et la « boule œsophagienne », les spasmes gastriques ou intestinaux accompagnés de douleurs lancinantes ou constrictives, les crises de nausées, de vomissements ou de diarrhée, le ténesme ou les épreintes ano-rectales, le ptyalisme ou la sécheresse de la bouche, la faim ou la soif paroxystiques, etc.


d) Les symptômes urinaires. — Ce sont les crises de strangurie (qui sont, selon Claude et Lévy-Valensi, le bégaiement de la vessie), de ténesme vésical, la polyurie, la pollakiurie.


e) Les symptômes neuro-musculaires. — Ce sont : les crises de tremblements, de fibrillations faciales et plus particulièrement palpébrales et les crises douloureuses pseudo-rhumatismales.


f) Les symptômes sensitivo-sensoriels et cutanés. — Ils sont constitués par les hyperesthésies et les paresthésies diverses, les crises de prurit, d’horripilation ou de sueurs profuses ; les douleurs lancinantes ; les bourdonnements d’oreilles ; les sensations de mouches volantes ou de vision brouillée ; les céphalées et enfin ces crises vertigineuses qui réalisent le type de 1′ « anxiété locomotrice », première ébauche de l’agoraphobie, ou tout au moins de l’astasieabasie névrotique.

La crise émotionnelle aiguë, décrite p. 149, est parfois appelée « accès de panique ».

2° Les éléments psychiques de la crise ont donné lieu à de multiples analyses (citons Hartenberg, 1902 and Devaux and Logre, 1917; de Fleury, 1925; psychique deP. Janet, 1926; Steckel, trad. fr., 1930; J. Boutonier, 1945; Henri Ey, 1950, etc.) qui distinguent la peur de l’angoisse ou montrent la parenté de l’angoisse avec le vertige. Nous retiendrons trois aspects fondamentaux de cet état affectif :



Le syndrome psychique de l’angoisse.



a) Péjoration imaginaire de l’existence. — L’angoisse crée et entretient une série de sentiments paralysants et pessimistes. Elle est vécue comme un cauchemar obsédant, c’est-à-dire qu’elle est « dé-réelle », qu’elle semble au sujet provenir d’un drame intérieur, d’un conflit inconscient dont il perçoit l’exigence et le caractère artificiel.


b) L’attente du danger. — Inquiétude, appréhension, perplexité, doute, découragement, crainte, « trouille » ou terreur, peur du passé (regret, remords), du présent (doute), de l’avenir (menaces, pressentiments), tous les affects de la peur culminent dans la « pantophobie ».


c) Le désarroi. — La révolte du sujet devant ce péril vague ou imminent aboutit à une désorganisation de sa capacité d’ordonner ses perspectives. L’anxieux n’est pas seulement menacé, il ressent à l’égard du danger une obscure sollicitation, une attirance cruelle. Dans l’analyse de la grande angoisse revient comme un refrain le mot de fascination, évocateur de l’ambivalence de la situation vécue comme menaçante et comme une menace désirée. L’ambiguïté de la condition humaine se résume, au moment de la crise d’angoisse, en un affrontement immédiat des besoins et des possibilités d’y résister et c’est immanquablement au vertige que l’on est renvoyé lorsqu’on veut chercher à comprendre cet aspect fondamental de l’angoisse. L’anxieux saisi par son vertige, est dessaisi de ses facultés d’analyse et de contrôle. Il ne peut ni vouloir, ni être convaincu. Il ne peut prendre aucun recul à l’égard de la situation affreuse qui le fascine.




II. — L’ÉTAT PERMANENT D’ANXIÉTÉ


Lorsque l’angoisse est établie comme un état chronique, les perturbations que nous venons de voir subissent des modifications dues à leur étalement dans le temps. Elles constituent le substratum « actuel » de l’angoisse névrotique ou thymopathique (Lopez Ibor).

1° Les désordres psychiques. — Ils sont amoindris, par rapport à ceux de la crise d’angoisse. Mais leur sens demeure identique : l’attente du danger, la perspective péjorative des événements et de l’avenir, le désarroi de l’être, les sentiments d’inquiétude sont simplement vécus sur un mode mineur. L’expérience de la peur devient le vocabulaire de la perplexité : « Que penser ? que faire ? qui croire ? j’ai gâché ma vie. Je ne réussis jamais rien. Je suis incapable, inutile, impuissant. Je me révolte, puis je me décourage ». La thématique anxieuse est celle de l’infériorité, de la malchance, de la faiblesse, de la crainte lancinante. Si l’aspect du malade est celui de la détresse, il s’agit avant tout d’une faiblesse et d’une crainte qui constituent un retour à la situation de dépendance infantile, une régression vers les premiers émois devant le monde extérieur. Le Moi, incapable de répondre aux excitations de l’ambiance, s’en décharge globalement par un comportement d’appel à l’aide, à la fois confiant et agressif, dépendant et exigeant selon un mode de réactions vraiment enfantines. Il est en haleine, en perpétuel état d’alerte.

2° Les troubles psychosomatiques.



Syndromes psycho-somatiques associés



a) Troubles du sommeil. — Difficulté de l’endormissement (par rumination mentale ou mentisme) ou fragilité du sommeil (réveils fréquents, cauchemars). Le réveil à 3 heures du matin, heure du pôle matinal de l’angoisse, est un des symptômes les plus fréquents. Plus rarement, le sommeil est excessif : douze heures et plus sans qu’il fournisse un repos ou l’apaisement.

Le rôle du sommeil en regard de l’angoisse est connu depuis toujours. Il restaure la capacité de répondre aux stimuli et aux stresses de l’état de veille. L’étude physiologique de ce processus de restauration reste à faire. Mais du point de vue psychologique, les rêves semblent y jouer un rôle d’éviction des stimuli perçus par le dormeur. D’où l’aphorisme de Freud : « Le rêve est le gardien du sommeil. » L’anxieux ne peut maîtriser les stimuli du sommeil, il a peur d’abandonner sa vigilance : il « cauchemarde ». Il se réveille. Il craint de dormir (Held).


b) L’instabilité, la sub-agitation et l’irritabilité. — Le sujet « ne tient pas en place ». Hyperémotif, il réagit à tout stimulus par des marques excessives d’émotion : ce qui chez le sujet normal déclenche les manifestations habituelles de l’émotion — rire, pleurer, frissonner, rougir, serrer les poings, etc. — devient chez l’anxieux agitation, troubles vasomoteurs, spasmes viscéraux, colère pathologique, changements répétés d’humeur. Les réactions sont trop violentes et se font à temps et à contre-temps. Une conséquence de tous ces troubles sera la fatigue et l’épuisement avec leurs deux pôles matinal et vespéral.


c) Les troubles fonctionnels sont très fréquents : troubles hépato-digestifs, colite, troubles urinaires, spasmes, cénestopathies céphaliques ou thoracoabdominales, etc. Il faut y joindre les troubles graves de la sexualité : le désir sexuel est amoindri ou supprimé, ou compulsif.

3° L’examen physique et les investigations paracliniques. — Ils permettent de mettre en évidence les multiples stigmates physiologiques de ces désordres. Ils sont rarement réunis chez le même malade et sont susceptibles de se remplacer l’un l’autre au cours de l’évolution.



b) L’examen cardio-vasculaire montre moins de signes que n’en attendent les malades, si souvent préoccupés par les palpitations et les extrasystoles. Même si l’E. C. G. est normal, il est fréquent de constater un pouls rapide et petit, une T. A. basse, un indice oscillométrique petit. Il arrive aussi que l’on observe les signes E. C. G. rattachés par les cardiologues à F « asthénie neuro-circulatoire » qui peut s’accompagner de signes de « souffrance myo-cardique ». L’étude des capillaires a montré des perturbations fréquentes, en des sens variables. Il existe une sorte de prédisposition aux accidents de la circulation centrale (tendances lipothymiques) ou périphériques (acrocyanose, maladie de Raynaud, par exemple).



Éréthisme cardiovasculaire.


c) L’examen respiratoire montre une insuffisance respiratoire (diminution de la capacité) en même temps qu’une augmentation de l’index de ventilation. Par sa respiration rapide et superficielle, le malade ébauche une sorte d’hyperpnée qui va retentir sur ses métabolismes cellulaires (alcalose).



Troubles respiratoires.


d) Les fonctions végétatives et hormonales sont l’objet de perturbations souvent fines, parfois grossières, toujours variables dans le temps, réversibles et paradoxales, indissociables de l’état psychologique qui les conditionne : ainsi en est-il des recherches sur le tonus vago-sympathique (Targowla, Santenoise, Tinel, Danielopolu, etc.), sur l’alcalose et l’acidose sanguines, sur le taux du calcium, de la glycémie, sur les réactions à l’adrénaline, à l’atropine, sur le dosage des hormones sexuelles.



Dystonie neuro-végétative.


e) L’électroencéphalographie apporte parfois à ce bilan un élément intéressant : la présence d’un rythme alpha irrégulier, bas-volté et rapide.



Anomalies de l’E. E. G.


lII. — LA CONSTITUTION ANXIEUSE


La névrose d’angoisse se présente donc sous formes de crises plus ou moins brutales survenant chez une personnalité troublée dans son développement caractériel et dans son infrastructure neuro-végétative.

L’anxiété chronique est organisée à l’instar d’une névrose caractérielle dont elle se rapproche. Elle constitue une position systématique dans l’existence, comme une constitution basée sur l’angoisse. Vu de l’extérieur, le sujet en effet, dès l’enfance, a manifesté une tendance à l’inquiétude, aux positions de repli et a demandé sans cesse protection. La mère, la sœur aînée, les professeurs, les amis, les patrons, etc., deviennent les supports nécessaires à sa sécurité. Mariage, amitiés, profession sont dominés par le besoin perpétuel de réassurance et d’amour. Mais en contrepartie, les échecs, les deuils, les maladies, la ménopause, la retraite, la vieillesse seront autant d’épreuves et d’appels à ses « crises ». Sa vie tout entière est installée dans l’anxiété. De l’intérieur, au cours par exemple d’une psychothérapie, on voit bien comment ces personnalités, qui n’ont jamais pu constituer un Moi véritablement indépendant, se comportent devant les « traumatismes » (échecs, déceptions, deuils, etc.) de leur existence. On peut dire que, vraiment, l’anxieux « les attend », non seulement comme des épreuves redoutables, mais comme des preuves supplémentaires de sa détresse permanente. Aussi l’événement ne prend-il son sens que par rapport à son système de réactions propres (caractère). Tel événement marquant, comme la guerre, peut le décontenancer bien moins que tel événement sans gravité, comme par exemple un simple déménagement. Les « traumatismes » sont à la fois très faciles à provoquer et très variables dans leurs effets pour chacun, selon le degré d’évolution du Moi, le moment de l’existence et l’environnement social.
May 31, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on V. La Névrose D’angoisse

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