9. Spécificités des psychothérapies psychanalytiques avec les enfants et adolescents
G. Catoire
La spécificité de la psychanalyse avec les enfants a souvent fait débat : certains pensent que la psychanalyse est « Une », mais d’autres suggèrent que si la méthode est la même, les cadres peuvent être différents, les modalités d’échanges particulières et les fonctionnements psychiques très spécifiques. Le recul que l’on a pris depuis les écrits des grands fondateurs de la psychanalyse montre que tous ont probablement raison et que le champ est immense à explorer. Le point central réside dans la possibilité de considérer, d’un point de vue psychique, l’enfant comme une personne à part entière, même si sa dépendance à l’environnement est plus cruciale que chez l’adulte. Si l’on donne une réponse positive à cette question, notre avis est qu’il est intéressant de s’appliquer à comprendre comment « fonctionne » l’enfant en utilisant la méthode analytique et de décrire les particularités que vont faire apparaître les différences d’âge ou les pathologies.
L’histoire de la psychanalyse d’enfants et ses difficultés
Dans l’histoire du mouvement psychanalytique, la psychanalyse avec les enfants a toujours fait l’objet de questions, parfois de manière conflictuelle, sur sa spécificité et sur la spécificité nécessaire ou non de sa formation dans les écoles de psychanalyse. Freud lui-même pensait que la psychanalyse des enfants ne pouvait être conduite que par les parents eux-mêmes. Anna Freud (1949) resta, un temps, marquée par la position de son père ; elle écrivait qu’il n’y avait pas vraiment de transfert chez l’enfant du fait de la dépendance réelle à ses parents. Elle pensait qu’il était nécessaire de « séduire l’enfant » au cours des entretiens préliminaires pour susciter l’investissement transférentiel. Elle a rejoint, à la fin de son œuvre, les positions de Melanie Klein sur ce point spécifique : le transfert chez l’enfant, même très jeune, existe bel et bien.
Melanie Klein, à la suite d’Hermine von Hug-Hellmuth (1871 – 1924), a mis au point la technique du jeu en séance, jeu qu’elle considérait comme un équivalent de la règle d’association libre de l’adulte. Cette position est très cohérente avec sa théorie selon laquelle il existe d’emblée chez le bébé un moi et une relation d’objet, aussi fragiles et particuliers soient-ils.
Esther Bick (voir Delion, 2004), une élève contemporaine de Melanie Klein, pensait que le peu d’investissement de l’analyse d’enfant par les écoles de psychanalyse et par les psychanalystes eux-mêmes tenait à plusieurs facteurs.
– Les contraintes extérieures sont particulières : il est nécessaire de disposer d’une plus grande disponibilité en temps et donc en argent. Les enfants ont tendance à ne pas venir pendant les vacances et il est nécessaire de rester au contact des parents et de passer du temps avec eux.
– Les contraintes intérieures des psychanalystes sont faites de sentiments de responsabilité accrus du fait de l’immaturité du moi, d’appréhensions concernant les modes de communication de l’enfant et des craintes de contre-transfert : se retrouver en direct avec les hostilités et les désirs sexuels de l’enfant vis-à-vis des parents. Ces craintes s’expriment souvent sous la forme de crainte de s’attacher à l’enfant (ce qui conduit à une rigueur trop grande vis-à-vis de lui) ou bien de lui faire du mal (ce qui conduit à le réassurer ou à en appeler à la raison de l’enfant).
– Les angoisses de contre-transfert sont, pour E. Bick, l’influence qu’exerce le patient sur l’inconscient de l’analyste. Elle les considère comme beaucoup plus vives qu’avec les adultes. Les identifications inconscientes à l’enfant contre les parents ou aux parents contre l’enfant conduisent à des projections sur l’enfant ou à des attitudes critiques, ou à trop dépendre de l’approbation des parents.
– Les particularités techniques existent : il n’est pas simple de distinguer la dépendance normale de la dépendance infantile liée aux difficultés internes de l’enfant. Il faut apprendre à composer avec les parents. Le contenu du matériel est aussi particulier : l’intensité des transferts négatifs et positifs, la nature primitive des fantasmes, les projections concrètes et violentes, la souffrance de l’enfant qui suscite chez le psychanalyste des sentiments parentaux sont constamment à élaborer. Le mode d’expression chez l’enfant oblige à entendre plusieurs registres : verbal, mais aussi pictural, ludique et comportemental. Il met l’analyste dans une grande dépendance à son fonctionnement inconscient. La rapidité de l’engagement transférentiel, la sensibilité de l’enfant à l’interprétation et à l’attitude de l’analyste et la rapidité des processus nécessitent un entraînement et une formation particuliers.
– La psychanalyse avec les enfants apporte aussi des gratifications particulières : c’est l’occasion unique de voir à découvert les couches intimes de l’inconscient. Le privilège de la confiance de l’enfant et de ses parents est souvent émouvant, ainsi que la potentialité d’obtenir par l’analyse des modifications psychiques de toute la vie.
Les particularités en fonction de l’âge
Les particularités sont beaucoup plus tranchées que chez l’adulte dans la mesure où l’appareil psychique est en voie d’organisation jusqu’au-delà de l’adolescence. Ces particularités sont liées à l’équilibre du jeu des instances psychiques qui sont toutes en construction : si le moi est constitué dès les premières semaines de vie, ou même avant pour certains auteurs, la puissance des forces pulsionnelles est relativement écrasante, et la construction d’un surmoi œdipien ne va se terminer qu’à l’adolescence.
Le bébé
Chez le bébé, on a considéré longtemps que le moi n’existait pas ; Melanie Klein puis la psychologie expérimentale sont venus démontrer le contraire. Ainsi, chez le bébé, les techniques de psychothérapie mère – bébé restent les plus fréquemment employées, mais il est souvent montré que les difficultés propres aux parents empêchent de prendre en compte celles du bébé. Pour entrer en relation directement avec ce dernier, il faut se saisir des niveaux de symbolisation qui lui sont propres : la présymbolisation corporelle, le dialogue moteur et tonique et la communication par identification projective normale.