Pied spastique de l’adulte hémiplégique
Introduction
Le pied varus équin spastique, schéma moteur le plus habituel de l’hémiplégique adulte, expose aux accrochages du pied et aux chutes, aux douleurs au chaussage et à l’instabilité de l’appui, obstacle à la marche pieds nus, imposant souvent orthèses ou chaussures sur mesure. Il est de mieux en mieux contrôlé grâce aux progrès de la médecine de rééducation et de réadaptation fonctionnelle [1]. Au-delà de ces moyens non invasifs incluant rééducation, médication de la spasticité, orthèses et chaussures sur mesure, le choix d’un apport thérapeutique complémentaire dépend du bilan [2–4]. La spasticité peut être atténuée médicalement par injection de toxine botulique ou par neurotomie chirurgicale sélective. La correction et la stabilisation sagittale et frontale du pied peuvent bénéficier d’une chirurgie d’arthrodèse ou de divers gestes tendineux.
La marche de l’hémiplégique
- • Les troubles de la marche liés au pied varus équin spastique sont essentiellement dus à la spasticité souvent associée à la rétraction du muscle triceps sural, et à une cocontraction des muscles varisants et abaisseurs, en l’absence habituelle de contraction des muscles fibulaires [5].
- • Dans la phase oscillante du pas, le pseudo-steppage hypertonique par flexion syncinétique de la hanche et du genou compense difficilement l’allongement dû au varus équin spastique, source d’accrochage de la pointe du pied. Quand il est compromis par une spasticité du quadriceps ou par un schème en extension du genou, la difficulté du passage du pas augmente.
- • Lors de l’attaque du pied au sol, l’intensité du varus équin conditionne la stabilité de la phase d’appui. Celui-ci peut être totalement impossible si le varus équin instable est majeur (figure 1).
- • Pendant la phase d’appui, le varus et l’instabilité peuvent persister, de même que l’équin. Celui-ci accentue en charge la spasticité du triceps, qui peut déclencher un recurvatum du genou, parfois brutal et déstabilisant. Celui-ci peut être lié à une spasticité du quadriceps ou à un déficit du contrôle postural du genou (quelquefois, le recurvatum est le seul moyen de verrouillage statique du genou en charge). La précarité de la stabilité réduit la durée de l’appui et précipite la phase oscillante controlatérale. Cette précipitation, associée à une habituelle incapacité à gérer la rotation médiale de la hanche en charge, peut déterminer une rotation latérale passive du membre hémiplégique dans son pas postérieur qui peut déstabiliser violemment le varus de l’arrière-pied.
- • L’analyse précise de tous ces éléments et des autres facteurs conditionnant la qualité de la marche (stabilité de la hanche et du genou, équilibre global) est essentielle pour mieux comprendre la marche de l’hémiplégique [6] et pour le choix des indications thérapeutiques. À cet égard, les données de la littérature sont souvent imprécises et les séries souvent inhomogènes.
- • Lors de l’attaque du pied au sol, l’intensité du varus équin conditionne la stabilité de la phase d’appui. Celui-ci peut être totalement impossible si le varus équin instable est majeur (figure 1).
Examen clinique
- • Cet examen est nécessairement pluridisciplinaire, pour une réflexion globale, médicale, trophique, neurologique, orthopédique et fonctionnelle. Il est certes possible mais peu réaliste qu’une seule personne puisse réunir tant de compétences. L’idéal est donc que ces patients soient évalués en consultation associant rééducateur, chirurgien orthopédiste et si possible neurochirurgien, ou au minimum dans un réseau où l’information circule de façon parfaite entre des acteurs qui communiquent, échangent et confrontent leurs opinions.
- • Le temps d’écoute est capital pour apprécier :
- – les doléances réelles, souvent différentes de celles suggérées par l’examen ou l’entourage ;
- – les troubles intellectuels, cognitifs et mnésiques et donc l’importance de la participation du patient au projet thérapeutique ;
- – le mode de vie et le contexte familial, social et professionnel ;
- – enfin, l’état général et une partie des facteurs de risques médicaux.
- – les troubles intellectuels, cognitifs et mnésiques et donc l’importance de la participation du patient au projet thérapeutique ;
- • L’observation du patient notera :
- – les aptitudes à la station debout bipodale et monopodale, à la marche chaussé et pieds nus (stabilité, équilibre, vitesse, autonomie), au chaussage-déchaussage, déshabillage et transferts ;
- – toute déformation, attitude, compensation ou troubles du tonus ou lésion cutanée, avec une attention particulière aux chaussures, orthèses cannes et autres appareillages.
- • L’examen et le bilan neurologiques sont menés en parallèle, avec les spécificités de cet examen en pathologie centrale. Alors qu’en pathologie périphérique, le bilan musculaire standardisé et l’électromyogramme sont essentiels, ici, l’examen moteur apprécie la part de motricité volontaire rarement analytique, habituellement syncinétique, éventuellement déclenchée par des manœuvres de facilitation (triple retrait contre résistance en position couchée : manœuvre de Strumpell) [figure 2] et surtout observée lors des différents temps de la marche. Il évalue l’hypertonie et la spasticité grâce au score d’Ashworth. Le bilan sensitif note certes les troubles de la sensibilité épicritique, mais également proprioceptive et kinesthésique, par un bilan analytique mais aussi plus global du contrôle postural.
- • L’examen et le bilan orthopédiques permettent d’apprécier :
- – l’alignement statique et dynamique dans les trois plans de l’espace, du pied, de la cheville et de tout le membre inférieur ;
- – les amplitudes articulaires avec la recherche de la cause des raideurs (ossifications ou rétractions) ;
- – les appuis plantaires (hyperkératoses, podoscopie). Cet examen est complété par des radiographies des articulations concernées.
- – les amplitudes articulaires avec la recherche de la cause des raideurs (ossifications ou rétractions) ;
- • Le bilan trophique et vasculaire est essentiel en chirurgie du pied, notamment sur terrains vasculaires et fragilisés : bilan artériel, veineux, et lymphatique ; recherche de diabète, de neuroarthropathie et de troubles trophiques.
- • Le bilan fonctionnel est primordial pour orienter les choix thérapeutiques. Certes, le but n’est pas de guérir une lésion neurologique. Il n’est pas de pallier aveuglement une déficience. Il est de surmonter un handicap. Il est donc capital d’étudier précisément, par exemple, la gêne aux différents temps de la marche et ses répercutions dans les différentes activités du quotidien : autonomie d’intérieur (marche, transferts, toilette, habillage, escalier) et d’extérieur (sorties, trottoirs, traversée de rue, montée en véhicule, terrains irréguliers, loisirs).
- • Définir les buts du traitement est essentiel. Avec le patient et son entourage, il faut préciser les troubles à corriger et les objectifs fonctionnels que l’on espère atteindre, par exemple la suppression du chaussage orthopédique ou la récupération d’une marche pieds nus ou en terrain irrégulier. Dans le doute, cette réflexion peut passer par des tests à la Xylocaïne®, et par l’utilisation de toxines botuliques intramusculaires, le but étant d’analyser la part respective des différents muscles dans la spasticité [7] et d’obtenir une atténuation passagère de la spasticité pour évaluer l’intérêt d’une prise en charge ultérieure plus durable. Cette démarche éclaire particulièrement la nécessité d’un contexte pluridisciplinaire.
- • Le temps d’écoute est capital pour apprécier :
Moyens
Neurotomie sélective du nerf tibial
Elle vise les branches du nerf tibial destinées aux muscles dont la spasticité est considérée comme néfaste à l’analyse clinique, habituellement celles du gastrocnémien et du soléaire, du tibial postérieur et éventuellement des fléchisseurs des orteils, quoique la variation de ses pédicules conduise plus fréquemment à des ténotomies associées [8]. Les nerfs sont partiellement sectionnés sous microscope opératoire et stimulation électrique, jusqu’à ce que l’atténuation de la réponse motrice corresponde au projet préopératoire. À l’inverse des autres techniques chirurgicales, la neurotomie ne nécessite pas d’immobilisation ou de suspension de l’appui et autorise une rééducation immédiate. Il faut avoir auparavant vérifié la réductibilité des déformations apparentes, si besoin par test d’anesthésie locorégionale à la Xylocaïne® ou injections de toxine botulique, ce qui confère alors à celles-ci un rôle de test thérapeutique. La place des neurotomies dans la chronologie des différents moyens chirurgicaux est discutée. Ne serait-ce que par souci de gradation du risque et des implications d’immobilisation postopératoire, lorsque les deux types de geste sont envisagés, il peut paraître préférable de les réaliser en plusieurs temps séparés, en commençant par la neurotomie et en réservant l’indication de gestes plus lourds aux résultats d’une réévaluation ultérieure. Certains auteurs pratiquent cependant des gestes mixtes de façon régulière (neurotomie et ténotomies des fléchisseurs ou associée à un transfert tendineux). La sélectivité du geste, sa faible morbidité, la simplicité des suites, la qualité des résultats publiés [9] et le caractère durable de son efficacité, quoique parfois mis en doute [10], méritent d’être soulignés.
Chirurgie tendineuse
Allongement du tendon d’Achille et ténotomie des fléchisseurs d’orteils
L’allongement du tendon d’Achille vise à corriger la rétraction du triceps. Il peut être réalisé en percutané ou à ciel ouvert. Certains lui préfèrent un allongement de l’aponévrose du gastrocnémien ou sa désinsertion haute à partir des coques condyliennes du genou, considérant que sa rétraction est plus fréquente que celle du soleus, et que sa spasticité est souvent dominante, ce qui est discuté. Il est à cet égard indispensable de différencier l’examen clinique du triceps sural genou fléchi et genou tendu. L’allongement d’Achille dévoile ou aggrave la brièveté des muscles fléchisseurs des orteils et impose leur ténotomie distale percutanée [11].
Techniques de latéralisation de l’action du tibial antérieur
L’action du muscle tibial antérieur peut être valgisée de plusieurs façons. La bifurcation de son tendon, sa moitié latérale étant réinsérée sur le cuboïde, semble la technique la plus courante [12,13]. D’autres préfèrent la transposition latérale du tendon terminal du tibial antérieur sur le cunéiforme latéral. Pour nous, le transfert rétrograde du tendon distal du court fibulaire sur le tendon intact du tibial antérieur a l’avantage de la logique neurophysiologique : il n’affaiblit pas le tibial antérieur, ni ne l’interrompt, ni ne modifie son insertion. La fixation distale du transplant est naturelle et il n’y a pas d’inversion d’une action musculaire. Nous l’utilisons en association avec d’autres gestes tendineux (technique de A. Bardot, exposée au paragraphe suivant). Nous sommes très réservés vis-à-vis du transfert du tendon du tibial postérieur en pathologie neurologique centrale et spastique, qu’il soit réinséré au dos du pied à travers la membrane interosseuse, dédoublé ou non, ou suturé sur l’extrémité distale du court fibulaire en contournant latéralement la fibula d’arrière en avant [14–17]. L’activité du tibial postérieur est en effet faible ou nulle sur les électromyogrammes préopératoires pendant la phase oscillante du pas ; son effet est fréquemment celui d’une ténodèse et sa désinsertion expose à une hypercorrection [18,19]. Il nous paraît illogique de transférer la moitié d’un tendon pour réanimer la flexion dorsale et l’éversion quand l’autre moitié reste inverseur et fléchisseur plantaire. Cette remarque peut également s’appliquer au transfert rétrograde du tendon distal du court fibulaire sur le tendon calcanéen [20].