6. Psychoéducation
J.-M. Aubry and B. Weber
Contexte historique
Dans le domaine des approches psychosociales, la psychoéducation (PE) occupe actuellement une place importante. Si certains praticiens ont fait de la psychoéducation de manière spontanée depuis des décennies au cours de leurs consultations, une approche psychoéducative réfléchie et structurée n’a été intégrée dans la pratique clinique que récemment (Deleu et Lalonde, 2001). En fait, la PE est relativement récente puisque le terme psychoéducationnel est apparu pour la première fois en 1980 (Anderson et coll., 1980). La PE a connu des développements remarquables depuis une dizaine d’années et est actuellement mentionnée dans les recommandations d’experts telles que CANMATCanadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) (Yatham et coll., 2009).
Définie de manière très simple, la PE consiste à fournir des informations au patient sur sa maladie. D’une manière plus large, Callahan et Bauer (1999) suggèrent que la psychoéducation devrait aussi aider à forger une alliance thérapeutiqueAlliance thérapeutique dans laquelle le patient devient un collaborateur actif de son traitement.Traitement(s) De plus, la PE est un processusProcessus mutuel qui a pour but d’améliorer les compétences de gestion de la maladie du patient grâce à un partage bidirectionnel d’informations pertinentes. Fondée sur le modèle biopsychosocialModèlebiopsychosocial, la psychoéducation donne aux patients des moyens théoriques et pratiques pour comprendre leur maladie et en gérer les conséquences. Pour être pleinement efficace, certains auteurs comme Jones (2002) estiment que la PE devrait être réalisée dans un contexte collaboratif et sur la base de la compréhension des patients concernant leur histoire personnelle. Un point important est que la psychoéducation s’applique non seulement au patient, mais également à leur familleFamille, leurs prochesProches et leurs soignants.
Les premiers groupes psychoéducatifs ont vu le jour dans les années 1970 et étaient destinés aux patients traités avec le lithiumLithium. En effet, la prise régulière du traitement pharmacologiqueTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie) est souvent un problème récurrent chez les patients souffrant de trouble bipolaire (TB) (Perlick et coll., 2004 ; Sajatovic et coll., 2008a) associé à des récidives/rechutes maniaques et dépressives. Ainsi, les objectifs des « cliniques du lithium » visaient à améliorer et renforcer l’effet du traitement stabilisateur de l’humeur.Thymorégulateurs Ce type d’approche comprenait de la PE, ainsi que l’acquisition de compétences de gestion duStressgestion du/des stress et de résolution de problèmesRésolution de problèmes (Benson, 1975 ; Bey et coll., 1972 ; Fieve, 1975).
Objectifs de la PE
Il est souvent difficile pour les patients souffrant d’un TB d’accepter le diagnostic de trouble de l’humeur chronique, avec la nécessité de prendre un traitement à long terme. Cela l’est d’autant plus lorsque la maladie commence à l’adolescenceAdolescents ou l’âge adulte jeune. Un des premiers objectifs de la PE sera donc d’amener la personne à accepter le TB (voir encadré 6.1). Il est également important de clarifier les malentendus concernant le TB et ses traitements et d’aider le patient à conceptualiser différemment sa maladie.
Encadré 6.1
• Acceptation de la maladie.
• Prévention des rechutes et des récidives.
• Réduction du risque suicidaire.
• Diminution de la quantité et de la sévérité des symptômes.
• Amélioration de l’observance du traitement.
• Amélioration du fonctionnement social.
• Amélioration de la qualité de vie.
L’identification des prodromes dépressifsProdromesdépressifs et maniaquesProdromesmaniaques, des déclencheursDéclencheurs de récidives, ainsi que la mise au point d’un plan d’action pour réagir rapidement et efficacement lorsque les symptômes précoces apparaissent, est un des aspects centraux de la PE (voir chapitre 12).
Un autre objectif majeur de la PE est d’aborder les questions relatives au traitementTraitement(s) médicamenteuxTraitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie), en expliquant clairement ses bénéfices et effets secondaires potentiels, afin de clarifier les idées préconçues. En effet, l’observanceObservance/non-observance du traitement est partielle ou franchement mauvaise chez 20 à 70 % des patients bipolaires (Colom et coll., 2000 ; Perlick et coll., 2004).
Quand et comment faire de la PE
La majorité des experts recommandent de faire de la PE dans un contexte ambulatoire, lorsque les patients sont si possible proches de la normothymie. L’impact de la PE avec des patients encore hospitalisés n’a été que peu étudié et ses effets après un premier épisode maniaque restent également à clarifier (Zaretsky, 2003). Toutefois, une intervention psychoéducative précoce devrait permettre l’acquisition de compétences de gestion de la maladie bipolaire et diminuer le risque de complications à long terme sous forme de déficits cognitifs, dysfonctionnement socioprofessionnel et développement de comorbiditésComorbidité(s) psychologique et somatique.
Idéalement, la PE devrait être réalisée pendant une phase euthymique (Vieta, 2005) afin de permettre une assimilation optimale des informations partagées. Si de nombreuses études confirment cette hypothèse (Bauer et al., 1998 and Bauer et al., 2006b ; de Andres et coll., 2006 ; Simon et coll., 2006), il a également été montré que les patients souffrant d’un épisode dépressif léger pouvaient généralement bénéficier de la PE. Par contre, la présence de symptômes hypomaniaquesSymptômesmaniaques/hypomaniaques est un facteur limitant son efficacitéEfficacité.
La PE peut être proposée en individuel ou en groupe (voir chapitre 12) par différents professionnels de la santé tels que psychiatres, psychologues, infirmiers ou assistants sociaux. Il est nécessaire que les soignants aient reçu une formation adéquate et aient une expérience dans le domaine spécifique des TB (voir encadré 6.2). De nombreuses études ont démontré une bonne efficacité des approches psychoéducatives pour traiter ce type de troubles.
Encadré 6.2
• Information à propos du TB.
• Information à propos des traitements du TB.
• Identification des symptômes précoces de récidives maniaques et dépressives.
• Information sur le rythme veille-sommeil.
• Auto-enregistrement de l’humeur (self-monitoring).
• Amélioration des compétences de gestion du stress.
Études concernant l’efficacité
Les premières études sur la PE remontent au début des années 1980 (Cochran, 1984 ; Ellenberg et coll., 1980 ; Kripke et Robinson, 1985). Dans les dix dernières années, une trentaine d’études, ouvertes ou contrôléesÉtude(s)contrôlée, ont été publiées concernant son efficacité (Weber Rouget et Aubry, 2007). Pour des raisons de clarté, nous avons choisi de présenter l’efficacité de la PE en fonction des différentes cibles thérapeutiques.
Observance du traitement pharmacologique
Étant donné les difficultés d’observanceObservance/non-observance rencontrées dans le traitement au long cours, les premiers efforts de la PE se sont donc naturellement tournés vers l’observance du traitement de lithium.Lithium En fait, la majorité des études publiées suggèrent que la PE ou les interventions qui incluent des éléments psychoéducatifs améliorent l’observanceObservance/non-observance du lithiumLithium (Bauer et coll., 1998 ; Clarkin et coll., 1998 ; Cochran, 1984 ; Colom et al., 2003a and Colom et al., 2005 ; Harvey et Peet, 1991 ; Miklowitz et coll., 2003a) et d’autres stabilisateurs de l’humeur (Bauer et coll., 1998 ; Clarkin et coll., 1998 ; Miklowitz et coll., 2003a ; Van Gent et Zwart, 1993). Seules 2 études (Cerbone et coll., 1992 ; Van Gent et Zwart, 1991) n’ont pas trouvé d’effet significatif de la PE sur l’observance des stabilisateurs de l’humeur.Thymorégulateurs Toutefois, l’étude de Cerbone et coll. n’était pas une étude contrôléeÉtude(s)contrôlée et certains patients prenaient un traitement neuroleptique associé au lithium. L’étude de Van Gent et coll. portait sur un petit collectif avec les partenaires des patients. Une étude souvent citée en référence dans le domaine de la PE est celle de Colom et al., 2003a and Colom et al., 2005, réalisée avec un collectif important de patients (N=120). Ces auteurs ont montré que leur module psychoéducatif (21 séances de 90 minutes) permet d’améliorer l’observance du lithium, mais pas des autres stabilisateurs de l’humeur. Ils concluent que la PE améliore l’observance du lithium et qu’elle-même peut être considérée comme un stabilisateur de l’humeur avec un effet synergique en association avec le traitementTraitement(s) pharmacologique.Traitement(s)médicamenteux/pharmacologique(s) (voir aussi pharmacothérapie) Dans une autre étude, avec un nombre plus restreint de patients en rémissionRémission (N=50), Colom et coll. (2003b) ont montré que la PE pouvait être bénéfique chez des patients qui avaient déjà une bonne observance du traitement médicamenteux.
Il a également été montré que la PE permet d’améliorer l’attitude des patients envers la maladie bipolaire et ses traitements (Bauer et McBride, 1996 ; Brennan, 1995 ; Peet et Harvey ; 1991).
Diminution des symptômes et prévention des récidives
Une des premières études ayant montré un effet positif sur l’humeur est celle de Kripke et Robinson (1985). Quelques années plus tard, Cerbone et coll. (1992) ont réalisé un essai clinique combinant la PE avec des entretiens de soutien, suggérant que cette approche diminuait la durée et la sévérité des épisodes thymiques pendant le temps de l’intervention.
Concernant la PE dans le contexte plus large d’intervention telle que la thérapie centrée sur la famille (voir chapitre 8), Miklowitz et al., 2000 and Miklowitz et al., 2003b ont montré que seuls les symptômes dépressifsSymptômesdépressifs pouvaient être améliorés. Toutefois, d’autres études par les mêmes auteurs suggèrent que ce type d’approche a un effet positif sur les symptômes dépressifs et maniaques (Miklowitz et al., 2003a and Miklowitz et al., 2004). Plus récemment, Simon et coll. (2006) ont rapporté une amélioration du statut clinique, surtout concernant la symptomatologie maniaque, avec un module intégratif (voir chapitre 12) comprenant de la PE (Programme d’objectifs personnels selon Bauer and McBride, 1996 and Bauer and McBride, 2003). Ils n’ont pas trouvé d’effet significatif sur la symptomatologie dépressive pendant les 12 premiers mois de « follow-upFollow-up » (Simon et coll., 2005), ce qui a été confirmé par l’analyse ultérieure des données complètes (Simon et coll., 2006). D’après ces auteurs, la reconnaissance et l’intervention précoce seraient plus efficaces pour prévenir les épisodes maniaques que pour améliorer les symptômes chroniques de dépression, ce qui correspond aussi à notre expérience. Dans un essai multicentrique randomisé sur 3 ans, Bauer et al., 2006a and Bauer et al., 2006b ont évalué l’effet d’un modèle de soins (collaborative care) comprenant de la PE de groupe. Leurs résultats suggèrent que ce type d’intervention permet de diminuer le nombre de semaines avec des symptômes thymiquesSymptômesthymiques, particulièrement sur le versant maniaque.