7. Prise en charge hémodynamique du sepsis sévère et du choc septique à l’aide de l’échocardiographie
A. Vieillard-Baron and M. Slama
Échocardiographie et choc septique
Le choc septique est sans doute la situation clinique où la prise en charge et le monitorage hémodynamique représentent le plus gros défi pour le réanimateur, et ce pour trois raisons principales. La première est liée à la multiplicité des tableaux hémodynamiques. À la vasoplégie intense responsable d’un choc distributif [1], sont fréquemment intriquées et associées hypovolémie absolue ou relative [2] et défaillance ventriculaire gauche [3, 4] et droite [5, 6]. La deuxième raison est liée à la nécessité impérieuse de mettre en route un traitement adapté et donc de faire le bon diagnostic : corriger une hypotension artérielle liée à une hypovolémie par l’augmentation des doses de noradrénaline aboutit à une ischémie organique sévère [7] ; réaliser un remplissage vasculaire inutile conduit à la surcharge hydrosodée, facteur de mauvais pronostic [8, 9] ; « oublier » de perfuser un inotrope en présence d’une défaillance ventriculaire gauche sévère diminue les chances de survie des patients [10]. Enfin, troisième et dernière raison, le bon diagnostic et la mise en œuvre du bon traitement doivent se faire dans le bon timing, c’est-à-dire le plus rapidement possible : il s’agit le plus souvent d’une véritable course contre la montre.
Pour toutes ces raisons, il est apparu ces dernières années qu’indépendamment de son caractère invasif, le cathétérisme cardiaque droit ne permettait pas de remplir ce cahier des charges, essentiellement par son incapacité à faire le bon diagnostic des mécanismes de l’insuffisance circulatoire. Beaucoup d’études ont largement démontré l’impossibilité de guider le remplissage vasculaire par la mesure des pressions de remplissage [11]. Passées les premières heures de réanimation, un remplissage sur deux est inefficace [11]. Encore plus édifiant : le diagnostic de la défaillance ventriculaire gauche y est improbable. Son diagnostic repose en effet, dans les situations classiques de cardiologie, sur l’association d’un débit cardiaque diminué avec des pressions de remplissage gauche élevées [12]. La Figure 7-1 illustre bien la difficulté d’en faire le diagnostic chez des patients en choc septique : la défaillance ventriculaire gauche n’est pas associée à une augmentation des pressions de remplissage et seule une expansion volémique peut la démasquer.
Figure 7-1 |
C’est pourquoi, ces dernières années, de nouvelles techniques de monitorage hémodynamique ont été proposées. L’échocardiographie est l’une d’entre elles, sans doute la plus complète et la plus sûre, sur laquelle repose le concept développé récemment de monitorage fonctionnel de l’hémodynamique [13]. Elle permet une évaluation hémodynamique pas à pas [14]. Chaque étape de l’évaluation peut être faite indépendamment des autres puisque sont étudiées séparément la volémie, la fonction cardiaque gauche et la fonction cardiaque droite. Il n’est pas rare de visualiser une hypocontractilité sévère du ventricule gauche associée à une hypovolémie (Figure 7-2), ce qui nécessitera dans un premier temps un remplissage vasculaire et dans un deuxième temps, si la situation clinique l’exige, la perfusion d’un inotrope. Avec suffisamment d’expérience, l’évaluation échocardiographique peut être essentiellement qualitative [15]. Elle doit toujours être associée à un protocole thérapeutique [16] : le réanimateur ne réalise pas une échocardiographie sans en connaître précisément les raisons et sans formaliser les questions auxquelles il veut répondre ; il ne traitera pas une image mais une situation clinique éclairée par son examen.
Figure 7-2 |
L’échocardiographie possède toutes les qualités d’un monitorage hémodynamique de qualité lors de la prise en charge du choc septique : elle est non ou peu invasive, elle collecte des paramètres pertinents, elle fait un diagnostic fiable auquel est associé un traitement adapté ; enfin, elle est reproductible. Elle est, il est vrai, discontinue. C’est pourquoi elle doit toujours s’adosser à l’examen clinique, aux paramètres biologiques, à des techniques simples de monitorage continu. Chez un patient en choc septique, le réanimateur sera amené à réaliser une échocardiographie en cas de signes cliniques d’hypoperfusion périphérique, en cas de tachycardie inexpliquée, bien entendu en cas d’hypotension artérielle, surveillée par un cathéter artériel, et également lors de l’apparition ou de l’aggravation d’une acidose lactique. Compte tenu de la variabilité des tableaux hémodynamiques pendant les trois premiers jours de la prise en charge d’un choc septique, il est également conseillé de réaliser de façon systématique au moins une évaluation échocardiographique par jour. Si 60 % des patients en choc septique présentent à un moment donné une hypocontractilité du ventricule gauche, c’est pour 65 % d’entre eux dès la première évaluation à J1, mais pour les 35 % restants, à J2 ou J3 de la prise en charge [17]
Une histoire clinique édifiante
Mme X est une patiente de 66 ans hospitalisée en réanimation pour choc septique à Escherichia coli à point de départ urinaire. À l’arrivée dans le service, son état clinique nécessite rapidement sa sédation et sa mise sous ventilation mécanique. Elle bénéficie immédiatement d’un remplissage vasculaire de 1 000ml de macromolécules. La pression artérielle systolique après remplissage est à 75mmHg, la fréquence cardiaque à 100/min. La patiente est oligurique. La pression de plateau indiquée par le respirateur est à 18 cmH2O pour une pression télé-expiratoire réglée à 5 cmH2O. La radiographie du thorax retrouve un œdème pulmonaire modéré, interprété comme lésionnel. Le bilan biologique met en évidence une acidose métabolique sévère avec un pH à 7,07, un base déficit à 19mmol/l. La patiente bénéficie d’une échocardiographie transœsophagienne (ETO) (Figure 7-3). Il n’existe pas de variations respiratoires de la veine cave supérieure, suggérant une volémie adaptée à la situation. Une dysfonction systolique du ventricule gauche est éliminée à partir de la coupe transgastrique petit axe ; le ventricule apparaît même hyperkinétique. Enfin, l’ETO retrouve un aspect de cœur pulmonaire aigu avec l’association d’une dilatation du ventricule droit et d’un mouvement paradoxal du septum interventriculaire. Le cœur pulmonaire aigu est interprété comme la conséquence de l’acidose profonde, de la défaillance du ventricule liée au sepsis lui-même, et de l’hypertension artérielle pulmonaire secondaire à l’œdème pulmonaire ainsi qu’aux effets surajoutés de la ventilation mécanique. Compte tenu de ce tableau, une perfusion de noradrénaline est débutée jusqu’à une dose maximale de 6mg/h, permettant l’amélioration de l’état clinique et le contrôle de la pression artérielle systolique sanglante à 110mmHg. Une hémodiafiltration veinoveineuse continue est mise en route. L’acidose métabolique est corrigée en quelques heures avec un pH à 7,39 et un base déficit à 2mmol/l. L’ETO de contrôle à J2 retrouve une normalisation complète de la fonction du ventricule droit, l’absence de variations respiratoires de la veine cave supérieure et un ventricule gauche maintenant normokinétique (Figure 7-3). À J3, toujours sous 6mg/h de noradrénaline, apparaît une nouvelle dégradation hémodynamique avec une pression artérielle systolique à 80mmHg, des extrémités froides. Le bilan biologique retrouve un base déficit à 6mmol/l. Une nouvelle ETO est donc réalisée (Figure 7-3). Elle ne retrouve toujours pas de variations respiratoires de la veine cave supérieure. La fonction ventriculaire droite est normale. En revanche, il existe maintenant une hypokinésie marquée du ventricule gauche. Un traitement par dobutamine à la dose de 5 gamma/kg/min est débuté, permettant de nouveau la correction des paramètres cliniques et biologiques ainsi qu’une diminution de la dose de noradrénaline à 4mg/h. L’échocardiographie de contrôle réalisée quelques heures plus tard retrouve une normalisation de la fonction du ventricule gauche (Figure 7-3).