36 Prise en charge des cicatrices en chirurgie dermatologique
Physiopathologie : cicatrisation normale et pathologique
La cicatrisation d’une plaie chirurgicale par rapprochement des berges évite les phases de bourgeonnement, d’épidermisation et permet en l’absence de complications, d’obtenir une cicatrice plate et fine, acceptable sur le plan cosmétique. Le remodelage secondaire de la cicatrice par la réorganisation des fibres élastiques et collagènes permet d’atteindre un état proche de l’état d’origine. Lorsque toutes les conditions sont optimales, il n’est pas nécessaire de proposer de traitement particulier. Grâce à une meilleure connaissance de la physiopathologie, il est maintenant possible d’améliorer les processus de cicatrisation et donc la qualité des cicatrices, notamment en modifiant l’environnement physique : thermique, mécanique ou cytokinique. La surexpression du TGF (Transforming Growth Factor) bêta3 qui favorise la différenciation cellulaire et une meilleure organisation tissulaire par rapport au TGF bêta1 qui augmente la réponse immunitaire induit la contraction de la plaie par les myofibroblastes et une ré-épithélialisation rapide améliore la cicatrisation [1]. La qualité de la matrice extracellulaire, les facteurs génétiques, l’état général et nutritionnel interviennent également dans la cicatrisation normale. De la même façon, les mécanismes moléculaires de la cicatrisation pathologique s’éclaircissent peu à peu. La formation d’une cicatrice chéloïde serait liée à une réponse anormale du fibroblaste aux différents médiateurs de l’inflammation produits à la phase initiale et à la sécrétion par le fibroblaste lui-même de facteurs pro-fibrotiques. Les voies de recherche mettent en évidence un excès de synthèse des facteurs de croissance pro-fibrotiques : TGF bêta1, bêta2, bêta3 [2], CTGF (Connective Tissue Growth Factor), PDGF (Platelet-Derived Growth Factor) et du facteur de croissance endothélial [3]. Une anomalie du remodelage avec persistance des myofibroblastes et une contraction excessive sont également observées [4]. La capacité d’apoptose des fibroblastes impliquant certains gènes dont p53 est diminuée [5]. Le rôle des kératinocytes et les interactions épithélium/mésenchyme dans la production excessive de la matrice extracellulaire sont identifiés [6].
On sait en outre que les forces de tension qui s’exercent sur une plaie participent à la qualité de la cicatrisation. Ce « stress mécanique » induit par les tensions sur la plaie joue un rôle dans la genèse ou l’aggravation d’une cicatrice chéloïde par le biais de mécanorécepteurs ou de nocirécepteurs du système nerveux périphérique de la peau (Figure 36.1) [7, 8]. Les fibres nerveuses stimulées produiraient plusieurs neuropeptides (substance P, calcitonin gene-related peptide) agissant via leurs récepteurs présents sur les kératinocytes, les fibroblastes, les cellules endothéliales et les mastocytes. Cette théorie « d’inflammation neurogénique », qui expliquerait le caractère prurigineux et douloureux des cicatrices pathologiques, est corroborée par l’étude de Hochman qui constate une augmentation très significative du nombre de fibres nerveuses dans les chéloïdes [9, 10]. Les cicatrices atrophiques sont quant à elles associées à la résorption graisseuse et à la fibrose dermique locale.
Facteurs déterminants de la cicatrisation
Facteurs préopératoires
Terrain
Médicaments
Facteurs locorégionaux du site opératoire
Facteurs techniques peropératoires
Sutures
Accompagnement cicatriciel postopératoire
Gestion cicatricielle précoce
Les premiers jours de suivi permettent de prendre en charge les complications précoces éventuelles source de déhiscence et d’adapter le pansement à chaque situation (cf. Chapitre 34). Un contrôle du premier pansement doit être effectué pour les gestes élaborés par l’opérateur afin de pallier toute éventualité. Il est préférable d’éviter une fréquence élevée de réfection du pansement par des intervenants multiples. Les pansements hydrocolloïdes sont donc privilégiés en postopératoire et poursuivis plus longtemps en cas de risque de cicatrice hypertrophique (Figure 36.2). L’inflammation source de pigmentation, de rétraction tissulaire ou d’hypertrophie doit être maîtrisée très tôt (dermocorticoïdes, lasers vasculaires, etc.). Dès ce stade une prévention chez les sujets à risque identifié est mise en route.
Accompagnement cicatriciel
Cicatrices hypertrophiques et chéloïdes
On sépare classiquement les cicatrices hypertrophiques (Figure 36.3), qui apparaissent dans les semaines qui suivent la cicatrisation, des cicatrices chéloïdes (Figure 36.4), d’apparition plus retardée. Alors que les cicatrices hypertrophiques restent confinées aux limites de la plaie initiale et peuvent s’améliorer voire partiellement régresser dans les 18 premiers mois, les cicatrices chéloïdes sont extensives en « pinces de crabe » sur les lignes de tension avec parfois une « pseudo-guérison » centrale mais une tendance à progresser de façon centrifuge au-delà des limites initiales des berges de la cicatrice et sans possibilité de régression spontanée.