10. Œdèmes pulmonaires cardiogéniques
P. Vignon, S. Lafitte and R. Roudaut
L’œdème aigu du poumon (OAP) correspond au passage d’eau plasmatique dans les alvéoles pulmonaires lorsque les capacités de drainage lymphatique sont dépassées. À la différence de l’œdème pulmonaire lésionnel ou syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), l’OAP dit « cardiogénique » est secondaire à une élévation de la pression hydrostatique dans les capillaires pulmonaires, alors même que la membrane alvéolocapillaire est intègre. C’est la traduction clinique la plus sévère de congestion veineuse pulmonaire. L’OAP cardiogénique tient son appellation du fait qu’il est le plus souvent secondaire à une insuffisance cardiaque congestive. Néanmoins, l’erreur fréquente est de considérer que la présence d’une dysfonction systolique du ventricule gauche (VG) permet d’affirmer le diagnostic d’OAP cardiogénique [1]. En effet, une dysfonction systolique du VG est fréquemment observée au cours du SDRA, notamment à la phase aiguë du choc septique [2], sans que les pressions de remplissage du cœur gauche ne s’élèvent [3]. Inversement, un OAP cardiogénique peut survenir en présence d’une fonction systolique VG conservée (surcharge de volume chez un patient anurique, rétrécissement mitral), voire augmentée (dysfonction diastolique sévère). C’est pourquoi le diagnostic d’OAP cardiogénique repose sur la documentation d’une élévation (marquée) des pressions de remplissage du VG, quelle que soit sa fonction systolique [1].
La mesure de référence est la pression télédiastolique du VG obtenue par cathétérisme gauche. Elle n’est pas accessible en réanimation où la mesure de la pression artérielle pulmonaire d’occlusion (PAPO) par cathétérisme droit est habituellement utilisée comme succédané. L’échocardiographie Doppler est une méthode moins invasive qui devrait être utilisée en première ligne pour évaluer les patients en insuffisance respiratoire aiguë, notamment lorsqu’une participation cardiogénique est suspectée [4]. Elle permet d’évaluer non seulement les pressions de remplissage du VG, mais aussi de faire le diagnostic étiologique de l’OAP cardiogénique [5].
Algorithme diagnostique face à un œdème pulmonaire
L’échocardiographie Doppler réalisée en première intention chez un patient admis en réanimation avec un infiltrat radiologique bilatéral et une hypoxémie compatibles avec un OAP permet rapidement d’en déterminer le mécanisme voire la cause en suivant un algorithme diagnostique simple mais rigoureux (figure 10-1).
Figure 10-1 |
■ Diagnostic positif d’œdème pulmonaire cardiogénique
La première étape est de distinguer un OAP cardiogénique d’un SDRA, que le contexte clinique soit évocateur ou non. Bien qu’il soit actuellement discuté, le critère diagnostique hémodynamique du SDRA est la documentation d’une PAPO ≤ 18mmHg ou l’absence d’évidence clinique pour une élévation de la pression auriculaire gauche [6]. La fonction pompe du VG n’étant pas discriminante dans certaines situations cliniques, le diagnostic d’OAP cardiogénique repose donc a contrario sur la présence de pressions de remplissage élevées, par extrapolation > 18mmHg, même si cette limite arbitraire reste discutable [4]. En cas de SDRA, l’échocardiographie Doppler peut en outre montrer le retentissement sur le cœur droit de la pathologie pulmonaire et de la ventilation mécanique, avec au maximum un aspect de cœur pulmonaire aigu (voir chapitre 8).
■ Diagnostic étiologique
La seconde étape est d’orienter le diagnostic étiologique de l’OAP cardiogénique (figure 10-1). Lorsque l’échocardiographie met en évidence une dysfonction systolique du VG, elle permet de la quantifier (voir chapitre 6) et d’identifier la cardiopathie sousjacente responsable de l’insuffisance cardiaque congestive. La pertinence clinique des anomalies identifiées doit être soigneusement évaluée avant de conclure que l’OAP leur est imputable [4]. Dans certaines situations, le réanimateur devra faire appel à un opérateur plus expérimenté, par exemple pour la quantification d’une valvulopathie chronique qui n’est pas dans son domaine de compétence.
Lorsque les pressions de remplissage VG sont élevées mais que sa fonction pompe est conservée, une surcharge de volume aiguë doit être cherchée (figure 10-1). Une cause iatrogène est facilement éliminée par le contexte clinique. Une régurgitation valvulaire aiguë mitrale ou aortique est aisée à identifier en cartographie Doppler couleur car elle est en règle massive pour induire un OAP cardiogénique qui nécessite la ventilation mécanique. Le réanimateur doit donc connaître la sémiologie et les critères simples de fuite valvulaire massive (voir infra). L’absence de dilatation des cavités cardiaques gauches plaide en faveur d’une surcharge volémique aiguë. Le niveau d’hypertension artérielle pulmonaire qui est évalué en Doppler continu à partir de l’insuffisance tricuspide excède rarement 60mmHg de systolique, car le ventricule droit ne peut pas générer des pressions plus élevées en situation aiguë (voir chapitre 6). Enfin, l’échocardiographie peut identifier le type de valvulopathie, qu’il s’agisse d’une endocardite, d’une rupture de muscle papillaire ou de cordage mitral, ou encore d’une dysfonction de prothèse valvulaire (voir infra).
L’insuffisance cardiaque diastolique (sévère) doit rester un diagnostic d’élimination (figure 10-1). Des critères diagnostiques ont été proposés [7] et récemment complétés [8].
Œdèmes pulmonaires cardiogéniques secondaires à une pathologie du myocarde
Fonctions systolique et diastolique sont étroitement intriquées car le VG ne peut éjecter normalement que si son remplissage n’est pas limité. Toute dysfonction systolique du VG s’accompagne d’une dysfonction diastolique de sévérité variable. En revanche, une dysfonction diastolique peut être en apparence isolée avec des indices de fonction pompe VG normaux. Dans ces cas, une dysfonction systolique infraclinique est en fait possible [9].
■ Fonction diastolique et pressions de remplissage du ventricule gauche
La fonction diastolique normale peut être définie comme la capacité du VG à se remplir jusqu’à atteindre un volume télédiastolique normal, au repos et à l’exercice, sans élévation de la pression auriculaire gauche (< 12mmHg). La dysfonction diastolique est secondaire à un allongement de la relaxation (active) du VG qui est souvent associée à une diminution de sa compliance (passive), notamment en cas de dysfonction systolique sévère [10]. L’anomalie de relaxation est un phénomène hétérogène car elle est plus ou moins sévère dans les différentes régions du VG [11]. Cette hétérogénéité conduit fréquemment à un asynchronisme de relaxation du VG [12]. La conséquence de la dysfonction diastolique du VG est triple : la durée du remplissage ventriculaire diminue, notamment en protodiastole ; la contribution de la contraction auriculaire en télédiastole augmente en compensation ; les pressions de remplissage augmentent (figure 10-2). C’est pourquoi dysfonction diastolique et pressions de remplissage du VG sont étroitement liées.
Figure 10-2 Modifié d’après [10] avec autorisation. |
Lorsque la dysfonction diastolique est telle que les pressions de remplissage VG s’élèvent de manière excessive, elle devient symptomatique en raison de la congestion veineuse pulmonaire [13], notamment à l’effort [14]. Les propriétés diastoliques du VG s’altérant physiologiquement avec l’âge [15], il n’est pas étonnant que la prévalence de l’insuffisance cardiaque diastolique augmente fortement au-delà de 70 ans [16]. Les cardiopathies qui s’accompagnent d’une dysfonction diastolique du VG sont très répandues, notamment chez les patients de réanimation [10]. Elles concernent pratiquement tous les patients admis pour OAP cardiogénique (tableau 10-1).
Causes | Facteurs de décompensation |
---|---|
Cardiopathie ischémique Cardiopathie hypertensive Rétrécissement aortique Cardiomyopathie hypertrophique (obstructive ou non) Cardiomyopathie infiltrative (amylose, hémochromatose) Cardiomyopathie restrictive idiopathique | Poussée hypertensive (pression artérielle systolique > 160mmHg ou pression artérielle diastolique > 100mmHg) Tachycardie excessive (raccourcissement de la durée de la diastole) Trouble du rythme (perte de la systole auriculaire) Précipitation de l’œdème pulmonaire par un remplissage vasculaire minime |
■ Évaluation Doppler de la dysfonction diastolique du ventricule gauche
La méthode de référence pour le diagnostic de dysfonction diastolique du VG est le cathétérisme gauche qui permet de documenter la diminution de la pente de décroissance des pressions ventriculaires en protodiastole secondaire à l’allongement de la relaxation. L’alternative est une méthode non invasive fondée sur l’effet Doppler [17]. Le Doppler pulsé est utilisé car il a une résolution spatiale et permet d’enregistrer des vitesses basses. Il a deux modes : spectral pour mesurer les vitesses de déplacement des globules rouges à travers les différents orifices anatomiques, et tissulaire pour mesurer les vitesses intramyocardiques au cours du cycle cardiaque. Les sites d’enregistrement sont l’extrémité de la valve mitrale et les derniers centimètres des veines pulmonaires pour le Doppler spectral, et la paroi septale et latérale de l’anneau mitral pour le Doppler tissulaire (figure 10-3). En outre, le Doppler pulsé en mode couleur couplé au mode temps-mouvement permet de mesurer la vitesse de propagation du courant sanguin qui entre dans la cavité VG en protodiastole (figure 10-3). Ce dernier paramètre reste délicat à mesurer et est moins reproductible [18, 19]. Il est donc à réserver à des opérateurs expérimentés.
Principe et réalisation pratique
En l’absence de sténose mitrale, les vitesses Doppler spectral enregistrées à l’extrémité de la valve mitrale dépendent des propriétés diastoliques du VG et du gradient de pression auriculoventriculaire, mais aussi de bien d’autres facteurs confondants, tels que l’âge [20], la fréquence cardiaque et les interactions ventriculaires (figure 10-4). Hormis le temps de relaxation isovolumique du VG, les indices Doppler spectral évaluent la fonction diastolique VG à partir des vitesses enregistrées pendant sa phase de remplissage au niveau de la valve mitrale et des veines pulmonaires (figure 10-5). Les facteurs qui déterminent les profils de vitesses Doppler ont été détaillés par ailleurs [10]. Parmi les nombreux paramètres décrits (figure 10-6), ceux qui sont aisés à mesurer, donc reproductibles, doivent être privilégiés. Il s’agit par ordre décroissant des vitesses maximales et de leurs rapports (E/A et S/D) et de la fraction systolique [21]. En revanche, le temps de relaxation isovolumique et le temps de décélération des vitesses Doppler de l’onde E mitrale et D pulmonaire, ainsi que la durée respective des ondes auriculaires mitrale et pulmonaire (A – Ar) [22] sont des indices plus délicats à mesurer. La technique d’acquisition doit être rigoureuse pour obtenir des valeurs fiables (tableau 10-2). La taille de la fenêtre Doppler pulsé est à adapter au profil étudié. En règle générale, les filtres de parois et les gains sont réduits au maximum, la vitesse de défilement choisie est rapide (50 à 100mm/s), l’échelle de vitesse est réglée de manière à obtenir une amplitude maximale des ondes Doppler sur l’écran, et l’alignement du tir Doppler avec le courant sanguin étudié est optimisé en se guidant sur l’imagerie bidimensionnelle (et le Doppler couleur) et sur le son émis par la fréquence Doppler. Les mesures sont réalisées en fin d’expiration (repérée sur la courbe respiratoire) et au moment voulu du cycle cardiaque repéré sur l’électrocardiogramme [10, 23].
Figure 10-4 |
Figure 10-5 |
Figure 10-6 |
*Paramètres à privilégier en raison de leur reproductibilité (acquisition aisée). Ar : vitesse maximale de l’onde A rétrograde contemporaine de la systole auriculaire enregistrée dans les veines pulmonaires ; E’ : vitesse maximale de l’anneau mitral en protodiastole ; E/A : rapport des vitesses maximales des ondes E et A mitrales ; S/D : rapport des vitesses maximales des ondes S et D du profil Doppler veineux pulmonaire ; TDD : temps de décélération de l’onde D ; TDE : temps de décélération de l’onde E mitrale ; TM : mode temps-mouvement ; TRIV : temps de relaxation isovolumique ; Vp : vitesse de propagation du courant entrant dans le ventricule gauche en protodiastole. | |
Paramètres Doppler | Technique d’acquisition |
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Doppler mitral E/A* TDe (ms) | • Utiliser la vue apicale ou transœsophagienne transversale (0°) des 4 cavités cardiaques • Régler la fenêtre Doppler à 1–2mm • La placer à l’extrémité des feuillets mitraux en diastole • Optimiser l’alignement du tir Doppler avec le courant transmitral (cartographie Doppler couleur) • Mesurer la vitesse maximale des ondes E et A et en faire le rapport • Prolonger la pente de décélération à partir du pic de vitesse de l’onde E jusqu’à la ligne de vitesse nulle • En cas de double pente, mesurer la première pente |
Doppler veineux pulmonaire S/D* et Ar (cm/s) Fraction systolique* (%) [21] TDD | • Utiliser la vue apicale 4 cavités (veine pulmonaire supérieure droite) ou la vue transœsophagienne centrée sur les oreillettes à ~ 20–40° (veine pulmonaire supérieure gauche) • Régler la fenêtre Doppler à 2–3mm et la placer 1 à 2cm en amont de l’abouchement de la veine pulmonaire dans l’oreillette gauche. Utiliser une fenêtre plus large (4–5mm) en cas de signal Doppler faible ou incomplet • Mesurer la vitesse maximale des ondes S et D et en faire le rapport ; mesure la vitesse maximale de l’onde Ar • Planimétrer manuellement les ondes S et D pour mesurer leur intégrale temps-vitesse respectif (ITV) • Calculer la fraction systolique : ITV S/ITV S + ITV D et l’exprimer en pourcentage • Prolonger la pente de décélération à partir du pic de vitesse de l’onde D jusqu’à la ligne de vitesse nulle • En cas de double pente, mesurer la première pente |
Autres indices Doppler spectral Durée Ar – A [22] TRIV (ms) | • Déplacer la fenêtre Doppler vers l’anneau mitral pour mieux distinguer le début et la fin de l’onde A • Déterminer si la durée de Ar excède celle de A, ou non • Ne peut être mesuré qu’en échocardiographie transthoracique à partir de la vue apicale 4 cavités • Régler la fenêtre Doppler à 3–4mm et la placer entre la chambre de chasse du ventricule gauche et la valve mitrale antérieure • Mesurer le temps qui sépare le signal de fermeture aortique de celui signant le début du courant transmitral |
Doppler tissulaire à l’anneau mitral E’ ou Ea* (cm/s) | • Régler la taille de la fenêtre Doppler à ~ 5mm • Placer la fenêtre Doppler au niveau de l’insertion de l’anneau sur la paroi latérale (ou septale) du ventricule gauche • Réduire la largeur de champ afin d’accélérer la cadence images à plus de 200–250 images/s • Mesurer la vitesse maximale de l’onde protodiastolique |
Vitesse de propagation en protodiastole Vp (cm/s) | • Réduire la largeur de champ afin d’accélérer la cadence images à plus de 50–90 images/s • Régler la limite de Nyquist aux alentours de 45cm/s • Aligner le tir TM avec le courant entrant (cartographie Doppler couleur) • Mesurer la pente de premier aliasing en protodiastole, de la valve mitrale à une distance de 4cm/s dans la cavité du ventricule gauche |
Le Doppler pulsé tissulaire mesure les vitesses de déplacement de l’anneau mitral qui sont environ 10 fois plus basses que les vitesses du sang dans les cavités cardiaques (figure 10-3). La vitesse protodiastolique maximale (onde E’ ou Ea) est un bon indice de relaxation VG qui semble moins influencé par les pressions de remplissage que les indices Doppler spectral [24]. Cette mesure est simple et reproductible (tableau 10-2). Bien que ce point reste discuté, l’onde E’ semble moins précharge-dépendante lorsqu’elle est enregistrée sur la paroi latérale que sur la paroi septale de l’anneau mitral [19]. La valeur normale de l’onde E’ est > 15cm/s sur la partie latérale de l’anneau mitral et > 10cm/s sur sa partie septale. Une vitesse < 8cm/s témoigne d’une dysfonction diastolique du VG [25]. La présenced’anomalie de contraction segmentaire du segment basal de la paroi latérale ou septale ou la chirurgie valvulaire mitrale peuvent modifier les vitesses de l’anneau mitral.
La mesure de la vitesse de propagation du courant protodiastolique en temps-mouvement couplé au Doppler couleur n’est pas aisée (tableau 10-2). Ce paramètre pourrait également être moins sensible aux conditions de charge du VG que les indices Doppler spectral [26, 27]. Cette propriété est là aussi discutée [19, 28]. Une valeur < 45cm/s est en faveur d’une dysfonction diastolique du VG [25].
Stades évolutifs de la dysfonction diastolique du ventricule gauche
Trois stades successifs caractérisés par des profils Doppler spectral distincts ont été décrits au cours de l’évolution naturelle de la dysfonction diastolique du VG [15, 29]. Avec l’aggravation de la dysfonction diastolique, les pressions de remplissage du VG augmentent, l’oreillette gauche se dilate et diminue progressivement sa contribution au remplissage ventriculaire en raison de l’élévation de la pression télédiastolique du VG (figure 10-7). L’OAP cardiogénique survient le plus souvent au stade de dysfonction diastolique avec profil Doppler mitral normalisé ou restrictif. Il s’y associe alors fréquemment une dilatation auriculaire gauche et une dysfonction systolique du VG. Les valeurs des principaux paramètres Doppler selon le stade évolutif de la dysfonction diastolique sont résumés dans le tableau 10-3.
Figure 10-7 Modifié d’après [4] avec autorisation. |
■ Estimation Doppler des pressions de remplissage du ventricule gauche
Une estimation empirique, donc imprécise, des pressions de remplissage du VG peut être fondée sur la simple analyse visuelle (qualitative) du profil Doppler mitral. En présence d’un OAP, l’évaluation doit être au moins semi-quantitative pour déterminer son origine cardiogénique ou lésionnelle (figure 10-1). Pour une interprétation pertinente de l’examen, l’opérateur doit toujours tenir compte de l’âge du patient et de la présence d’une cardiopathie gauche ou non (fonction pompe, dilatation cavitaire, hypertrophie pariétale, valvulopathie).
Estimation qualitative
C’est une estimation visuelle donc imprécise (figure 10-8). Elle repose sur le principe que le profil Doppler mitral résulte principalement de la combinaison des propriétés diastoliques et des pressions de remplissage du VG (tableau 10-4). En l’absence de cardiopathie sévère, un profil Doppler mitral avec une onde A (fortement) prédominante (anomalie de relaxation) témoigne en règle de pressions de remplissage VG basses. Un profil apparemment normal sera en fait probablement « normalisé » en présence d’une cardiopathie sous-jacente et témoignera alors d’une élévation des pressions de remplissage VG. Enfin, à l’exception du sujet jeune normal, un profil Doppler mitral restrictif sera toujours en faveur de pressions de remplissage très élevées, donc compatible avec un OAP cardiogénique. Dans ce cas, la dilatation de l’oreillette gauche témoigne d’une dysfonction diastolique sévère avec pressions de remplissage élevées.
Figure 10-8 |
Anomalie de relaxation | Profil normalisé | Profil restrictif | |
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Pressions de remplissage | Normales à modérément augmentées | Élevées | Très élevées |
Relaxation | Prolongée | Prolongée | Prolongée |
Compliance | Normale | Diminuée | Très diminuée |
Le profil Doppler veineux pulmonaire est également informatif. L’onde diastolique (D) reflète l’onde E mitrale. En raison de l’altération physiologique de la fonction diastolique du VG avec l’âge, l’onde D diminue progressivement au cours de la vie et l’onde S devient prédominante avec l’âge [15]. Inversement, l’onde D progresse en parallèle de l’onde E mitrale lorsque les pressions de remplissage VG augmentent au cours de l’évolution d’une dysfonction diastolique secondaire à une cardiopathie. Au stade de restriction au remplissage du VG, l’onde D est nettement prédominante [15].
Estimation semi-quantitative
Les études de validation ont comparé les valeurs de différents paramètres Doppler aux mesures de pression invasives (essentiellement PAPO) utilisées comme référence. Elles ont été pratiquées chez des patients en ventilation spontanée, pour la plupart insuffisants cardiaques, puis réalisées chez les patients de réanimation sous ventilation mécanique [4, 30]. La première approche méthodologique a été de tenter de prédire la valeur absolue de PAPO à l’aide de paramètres Doppler combinés dans des équations plus ou moins complexes. La seconde a été de déterminer des valeurs seuil de paramètres Doppler isolés pour prédire un niveau de PAPO invasive donné. Cette approche semi-quantitative est privilégiée en réanimation, car plus simple et pertinente [4]. Le fait que la précision du Doppler soit supérieure pour estimer les pressions de remplissage élevées renforce son intérêt dans la démarche diagnostique face à un OAP [31, 32]. En effet, pouvoir prédire qu’une PAPO est à 5mmHg ou à 8mmHg n’est pas cliniquement pertinent, alors que prédire de manière fiable une PAPO > 18mmHg permet d’éliminer un SDRA [6].
Indices Doppler spectral isolés
Plusieurs indices simples à mesurer à partir du profil Doppler mitral ou veineux pulmonaire ont été proposés pour évaluer le niveau de PAPO invasive [33, 34, 35 and 36], que le patient soit en ventilation spontanée ou sous respirateur (tableau 10-5). De nombreuses études ont été réalisées, le plus souvent chez des patients de cardiologie [31, 32 and 33, 37, 38, 39 and 40]. Ces indices semblent moins performants si la fonction systolique VG est conservée [41], situation peu fréquente dans un contexte clinique évocateur de congestion veineuse pulmonaire.
#ITV onde S/ITV onde S + ITV onde D exprimé en pourcentage (ITV : intégrale temps-vitesse) [21] ; | ||||||
§paramètre indépendant de l’âge. Ar : onde A rétrograde contemporaine de la systole auriculaire enregistrée dans les veines pulmonaires ; BO : bloc opératoire ; C : cardiologie ; FS : fraction systolique ; R : réanimation ; TDD : temps de décélération de l’onde D ; TDE : temps de décélération de l’onde E mitrale ; VG : ventricule gauche ; VM : ventilation mécanique ; VS : ventilation spontanée. | ||||||
(modifié d’après [4]) | ||||||
Paramètres Doppler | Référence | Type d’étude | Valeur seuil | Pression de remplissage VG prédite | Sensibilité | Spécificité |
---|---|---|---|---|---|---|
Doppler mitral E/A TDE (ms) | [33] [34] [35] [33] [35] | VS/C VM/R VM/R VS/C VM/R | ≥ 2 > 2 > 1,4 < 120 < 100 | ≥ 20mmHg > 18mmHg > 18mmHg ≥ 20mmHg > 18mmHg | 43 % – 75 % 100 % 81 % | 99 % – 100 % 99 % 63 % |
Doppler veineux pulmonaire S/D FS# (%) TDD (ms) | [35] [21] [35] [22] [34] [36] [37] [38] [39] | VM/R VM/BO VM/R VS/C VM/R VM/R VS/C VS/C VM/C | < 0,65 < 55 ≤ 44 < 40 < 40 ≤ 40 < 36 ≤ 160 < 175 | > 18mmHg > 15mmHg > 18mmHg > 18mmHg > 18mmHg ≥ 18mmHg ≥ 18mmHg ≥ 18mmHg ≥ 18mmHg | 96 % 91 % 92 % – – 100 % 90 % 97 % 100 % | 100 % 87 % 88 % – – 100 % 85 % 96 % 94 % |
Durée Ar – A§ (ms) | [22] [40] | VS/C VS/C | > 0 > 0 | > 15mmHg > 19mmHg | 85 % 82 % | 79 % 92 % |
Indices Doppler combinés
Sous l’effet du traitement, le profil Doppler mitral peut varier rapidement car il est sensible aux conditions de charge (figure 10-4), en particulier à une réduction de précharge (diurétiques, veinodilatateur). Dans ce cas, les vitesses Doppler tissulaire de la paroi latérale de l’anneau mitral restent constantes, car elles reflètent mieux la fonction diastolique intrinsèque du VG (figure 10-9). C’est pourquoi des indices combinant la vitesse maximale de l’onde E mitrale sensible aux conditions de charge et un paramètre Doppler qui reflète plus fidèlement la fonction diastolique du VG ont été proposés pour évaluer plus précisément les pressions de remplissage du cœur gauche [18, 35, 42, 43, 44 and 45]. Chez les patients de réanimation ventilés, un rapport E/E’ supérieur à 8 est en faveur de pressions de remplissage élevées (tableau 10-6). La difficulté de mesure de Vp peut expliquer en partie les difficultés d’interprétation du rapport E/Vp lorsqu’on confronte les études réalisées chez les patients ventilés (tableau 10-6). Le gain des indices Doppler combinés en terme de précision diagnostique serait surtout pertinent chez les cardiopathes et en l’absence de fortes et rapides variations de précharge [4].
Figure 10-9 |
C : cardiologie ; E : vitesse maximale de l’onde E mitrale ; E’ : vitesse maximale de l’anneau mitral en protodiastole ; R : réanimation ; VG : ventricule gauche ; VM : ventilation mécanique ; Vp : vitesse de propagation du courant entrant dans le ventricule gauche en protodiastole mesurée en Doppler couleur couplé au mode temps-mouvement ; VS : ventilation spontanée. | ||||||
Paramètres Doppler | Référence | Type d’étude | Valeur seuil | Pression de remplissage VG prédite | Sensibilité | Spécificité |
---|---|---|---|---|---|---|
E/E’ | [18] [42] [35] [43] [45] | VM/R VM/R VM/R VS/C -/R | > 7 > 7,5 > 8 > 10 > 15 | > 13mmHg > 15mmHg > 18mmHg > 15mmHg > 15mmHg | 86 % 86 % 83 % 97 % 86 % | 92 % 81 % 88 % 78 % 88 % |
E/Vp | [35] [18] [44] | VM/R VM/R VS/C | > 1,7 > 2 > 2,5 | > 18mmHg > 13mmHg > 15mmHg | 80 % – 86 % | 100 % – 85 % |