Fausses thrombopénies : pièges et astuces
La découverte d’une thrombopénie est de plus en plus fréquente compte tenu de l’automatisation des hémogrammes incluant systématiquement la numération plaquettaire. Devant toute thrombopénie découverte de façon fortuite, il convient tout d’abord de confirmer la réalité de cette diminution de la numération plaquettaire.
Plusieurs alarmes sont prévues sur les automates et concernent généralement le nombre et la taille des plaquettes. De grandes plaquettes peuvent être prises pour des petits lymphocytes, générant une alarme sur le canal des globules blancs (GB), conduisant à une surestimation du nombre des GB et à une sousestimation des plaquettes. À l’inverse, de petites plaquettes peuvent être considérées comme des débris cellulaires et participer au bruit de fond de l’appareil.
D’une part, il est indispensable d’éliminer une pseudo-thrombopénie ou fausse thrombopénie. Elle peut être due à une thromboagglutination dépendante de l’anticoagulant ou à un phénomène de satellitisme en contexte infectieux ou inflammatoire. Parfois, elle est liée à la présence d’agglutinines froides actives à température ambiante ou à une activation plaquettaire artefactuelle lors du prélèvement. L’observation du frottis, notamment dans les franges, après coloration au May-Grünwald-Giemsa (MGG) est donc indispensable pour s’assurer de l’absence d’amas plaquettaires ou d’une distribution périleucocytaire des plaquettes. Il est également intéressant de rechercher d’éventuelles anomalies morphologiques des plaquettes (dégranulation, grande taille, dystrophies) et/ou des autres lignées.
D’autre part, les prélèvements veineux sur différents anticoagulants (citrate, héparine), couplés parfois à des antiagrégants pour écarter une activation plaquettaire potentielle, associés à un prélèvement capillaire à la pulpe du doigt pour une numération en Unopette, sont les compléments incontournables de l’enquête biologique. Enfin, la numération des plaquettes en maintenant l’échantillon sanguin à 37°C devrait permettre d’éviter l’action de thromboagglutinines froides éventuelles et d’assurer une correction significative de la thrombopénie. En fait, devant toute thrombopénie il faut «obéir au doigt et à l’œil», c’est-à-dire observer le frottis coloré au MGG en microscopie optique et, si l’on voit des amas plaquettaires, refaire éventuellement une numération à partir d’un prélèvement capillaire au bout du doigt à l’aide d’une Unopette.
En plus des données chiffrées de la numération et de l’appréciation des volumes plaquettaires (courbe de distribution volumétrique plaquettaire), un interrogatoire soigneux permettra de préciser l’origine ethnique, d’établir l’arbre généalogique, de connaître les antécédents familiaux et personnels, la notion d’une numération plaquettaire antérieure normale ou non, une prise médicamenteuse récente, l’exposition à certains toxiques, ou un contexte évocateur d’une infection virale.
Tous ces éléments sont déterminants dans l’enquête étiologique de toute thrombopénie pour en documenter le caractère congénital ou acquis, la tolérance clinique et poser l’indication d’explorations plus spécifiques. De plus, l’établissement du diagnostic précis permettra d’éviter des traitements inutiles et surtout potentiellement dangereux (corticothérapie, splénectomie).
Attitude pratique devant une thrombopénie
Qu’elle s’accompagne ou non d’un syndrome hémorragique, sa constatation impose une enquête rigoureuse à la recherche du mécanisme en cause dont dépend le traitement. Il convient de s’assurer de la réalité de la thrombopénie en tenant compte des causes d’erreur envisagées ci-dessus.
Une fois la thrombopénie confirmée, il faut procéder à une enquête étiologique :
– s’assurer du caractère isolé ou non de cette thrombopénie;
– vérifier l’existence éventuelle d’anomalies morphologiques plaquettaires évocatrices : pseudo-corps de Döhle dans l’anomalie de May Hegglin (macrothrombopénie constitutionnelle), dégranulation leucocytaire dans le cadre d’une myélodysplasie, macrocytose érythrocytaire, schizocytose;
– s’assurer de l’absence de troubles de la coagulation (signes de coagulation intravasculaire disséminée [CIVD]);
– orienter alors le patient vers un service spécialisé.
L’interrogatoire et l’examen clinique fournissent les premiers éléments de réflexion et doivent être complétés par un hémogramme complet, des tests d’hémostase et un myélogramme. L’analyse de l’hémogramme complet peut orienter à lui seul vers le mécanisme :
– une pancytopénie arégénérative est en faveur d’une origine centrale (aplasie ou leucémie aiguë);
– une anémie régénérative avec signes d’hémolyse plaide pour une destruction d’origine immunologique, mécanique ou par coagulopathie de consommation;
– une thrombopénie isolée est en faveur d’un purpura thrombopénique autoimmun (anciennement dénommé purpura thrombopénique idiopathique ou PTI) qui doit être un diagnostic d’exclusion.
Les tests d’hémostase recherchent l’existence d’anomalies associées. Par exemple, une hypofibrinogénémie avec élévation des produits de dégradation du fibrinogène (PDF), un test à l’éthanol positif et un allongement des tests de coagulation globaux avec baisse du FV évoquent une coagulopathie de consommation pouvant à elle seule expliquer la thrombopénie (sauf dans le cas d’une leucémie aiguë promyélocytaire). Une baisse des facteurs du complexe prothrombinique (PPSB) est en faveur d’une atteinte hépatique (hépatite, cirrhose), la thrombopénie étant alors expliquée par un hypersplénisme, la toxicité médullaire directe de l’alcool, une carence en folates ou l’atteinte hépatique elle-même. Un ACC associé à une élévation des anticorps anticardiolipine évoquera dans ce contexte un lupus ou un syndrome des antiphospholipides (SAPL) primaire.
Enfin, le myélogramme permet de déterminer le caractère périphérique (les mégacaryocytes sont en nombre normal ou augmenté) ou central (les mégacaryocytes sont absents ou très diminués) de la thrombopénie.
Principales étiologies des thrombopénies
Deux types de mécanismes pathogéniques peuvent être à l’origine d’une thrombopénie : soit une destruction périphérique, soit un défaut de production d’origine médullaire, et donc central.
Thrombopénies périphériques par excès de destruction
Les plaquettes sont détruites avec une durée de vie particulièrement raccourcie et une mégacaryocytose médullaire augmentée. Plusieurs étiologies sont rapportées :
– les thrombopénies infectieuses. Elles peuvent être virales (antécédents récents de rougeole, rubéole, varicelle, oreillons, mononucléose infectieuse, hépatite A, B ou C, infection à VIH, à parvovirus ou à cytomégalovirus). Elles peuvent être bactériennes, le plus souvent au cours d’une septicémie dans le cadre d’une coagulopathie de consommation, ou encore parasitaires (paludisme, toxoplasmose, leishmaniose);
– les thrombopénies médicamenteuses. Plusieurs médicaments sont potentiellement responsables d’une thrombopénie (quinine, quinidine, sulfamides, rifampicine, cimétidine, digoxine, thiazides, chlorothiazide, pénicillines, aspirine par exemple) (tableau 3.I). Les thrombopénies induites par l’héparine (TIH) ont la particularité d’être thrombosantes;
– les thrombopénies immunes. Elles sont rapportées au cours du lupus érythémateux disséminé (LED) ou associées à une anémie hémolytique autoimmune comme le syndrome d’Evans, dans le cadre d’une hémopathie lymphoïde ou d’une collagénose. Dans cette catégorie, on observe :
– le purpura thrombopénique auto-immun. Anciennement PTI, il est le plus souvent asymptomatique. Il survient à tout âge avec une thrombopénie de gravité variable avec toutefois plus de 1 500 nouveaux cas/an rapportés touchant essentiellement l’adulte jeune ou l’enfant. Face au caractère isolé tant au plan biologique que clinique de cette thrombopénie, la mise en évidence d’anticorps dirigés contre certaines glycoprotéines de la membrane plaquettaire n’est pas utile. Mais la durée de vie des plaquettes très raccourcie (< 2 jours) permet d’affirmer son caractère immun (voir chapitre 3),
– les thrombopénies post-transfusionnelles sont en rapport avec une alloimmunisation. Le purpura transfusionnel iso-immun est le plus souvent retrouvé chez des femmes qui développent un anticorps anti-Pla 1. La thrombopénie des exsanguino-transfusions peut être prévenue par la perfusion d’unités plaquettaires,
– les microangiopathies thrombotiques (MAT). Elles regroupent un ensemble de pathologies caractérisées par l’association d’une anémie hémolytique mécanique (schizocytes), d’une thrombopénie périphérique, d’une fièvre et d’une atteinte neurologique et rénale. Il s’agit d’une urgence thérapeutique. Deux formes sont classiquement décrites : le syndrome de Moschcowitz ou purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT) et le syndrome hémolytique et urémique (SHU) de l’enfant. D’autres circonstances cliniques sont toutefois associées à une MAT : le HELLP syndrome (Hemolysis Elevated Liver enzymes, Low Platelet count), la maladie veino-occlusive ou le SAPL. L’atteinte est systémique avec des microthrombi capillaires au niveau cérébral (PTT), ou rénal (SHU), consécutifs à une lésion endothéliale liée à une infection virale (VIH ou virus de l’immunodéficience humaine) ou bactérienne (E. coli), à une maladie auto-immune (comme le lupus), à des médicaments (ciclosporine A, quinine par exemple), à un cancer métastasé ou à une chimiothérapie. Rapporté dans certaines MAT, le déficit en protéase spécifique du clivage du facteur Willebrand (VWF) est responsable d’une accumulation des formes multimériques prothrombotiques. Cette protéase ADAMTS13 appartient à la famille ADAMTS (a disintegrin and metalloproteinase with thrombospondin 1 like-domains). Il existe ainsi des formes familiales de PTT (syndrome d’Upshaw-Schulman) ou des formes acquises dues à un autoanticorps inhibiteur de cette protéase;
– les CIVD s’accompagnent d’une thrombopénie de consommation qui est l’un des signes diagnostiques cardinaux de ce syndrome;
– les thrombopénies par trouble de répartition : la séquestration des plaquettes dans la pulpe rouge en cas de splénomégalie avec hypersplénisme est classiquement rapportée avec une durée de vie peu diminuée et une richesse en mégacaryocytes préservée.
Niveau I (niveau d’évidence clinique certain) | Acetaminophene AAS Acide iopanoi’que Acide nalidixique Alprenolol Aminogluthetimide Amiodarone Amphotericine B Amrinone Cefalotine Chlorothiazide Chlorpromazine Cimetidine Danazole Desferrioxamine Diatrizoate meglumine | Diazépam Diazoxide Diclofénac Diéthylstilbestrol Difluorméthyl ornithine Digoxine Éthambutol Halopéridol Interféron-alpha Isoniazide Minoxidil Novobiocine Oxprénolol Sulfasalazine Sulfisoxazole Tamoxifène | Thiotixène Naphazoline Levamisole Lithium Meclofenamate Méthyldopa Méthicilline Pipéracilline Quinidine Quinine Rifampicine Tolmétine Trimethoprimesulfamethoxazole Trinitrine Vancomycine |
Niveau II (niveau d’évidence clinique probable) | Ampicilline Captopril Carbamazepine Chlorpropamide Fluconazole | Glibenclamide Hydrochlorothiazide Ibuprofène Oxyphenbutazone Oxytétracycline | Phénytoïne Procainamide Ranitidine Sels d’or Sulindac |
Thrombopénies constitutionnelles
La classification des TC est difficile, compte tenu de leur hétérogénéité clinicobiologique et du manque de données physiopathologiques. Actuellement, il n’existe pas de classification de référence ou consensuelle, mais l’une des plus intéressantes se fonde sur la taille des plaquettes. Ainsi, trois catégories de TC sont considérées en fonction de l’examen du frottis sanguin en microscopie optique et de la mesure du volume plaquettaire moyen (VPM) :
– les TC microcytaires;
– les TC normocytaires;
– les TC macrocytaires.
TC microcytaires
Le syndrome de Wiskott-Aldrich (WAS) (OMIM 30092), thrombopénie liée au chromosome X, est caractérisé par l’association d’une thrombopénie à une dysimmunité sévère (infections à répétition, allergies, eczéma) et des anomalies auto-immunes. Il existe une forme variante, dite thrombopénie liée au chromosome X (XLT), sans signes cliniques associés. Alors que l’incidence du XLT n’est pas connue, la fréquence du WAS est de 1 cas/250 000 dans la population européenne. La médiane de survie des WAS est de 15 ans. Les femmes conductrices n’ont habituellement pas d’expression clinicobiologique de la maladie, du fait de l’inactivation préférentielle de l’X muté dans les cellules hématopoïétiques. Les études fonctionnelles et structurales plaquettaires révèlent un déficit modéré en granules intraplaquettaire. Le diagnostic de certitude repose sur l’analyse moléculaire du gène WAS. En effet, ces deux syndromes sont liés à des mutations impliquant un même gène appelé WAS, localisé en Xp11 et codant une protéine de 502 acides aminés nommée WASp. Une centaine de mutations différentes ont été identifiées et il s’agit principalement de substitutions nucléotidiques. La protéine WASp, présente au sein des cellules mononucléées, membre de la famille Rho des GTPases, régule l’architecture du cytosquelette de la cellule. En cas de mutation de WAS, les mécanismes actine-dépendants de réorganisation architecturale du cytosquelette sont altérés avec par conséquence un défaut d’activation, de mobilité et de phagocytose cellulaire contribuant au dysfonctionnement immunitaire. La thrombopénie et la microcytose plaquettaire seraient également liées à un défaut d’organisation du cytosquelette plaquettaire par absence de WASp.
TC normocytaires
L’amégacaryocytose congénitale : c’est un syndrome de transmission autosomique récessive rare avec une quarantaine de patients rapportés. La thrombopénie est sévère (< 40G/l), isolée, normocytaire. Deux formes de gravité de la maladie semblent corrélées au génotype. Le type I (60 % des cas) est dû à des mutations non-sens ou des délétions de c-mpl et il évolue vers une pancytopénie précoce. Le type II (40 % des cas) est dû à des mutations faux sens homozygotes ou double hétérozygotes, marqué par une correction de la thrombopénie pendant la 1re année et évoluant plus tardivement vers l’aplasie médullaire en 1 à 5 ans. Le myélogramme met en évidence une moelle de richesse normale avec amégacaryocytose ou présence de rares mégacaryocytes dysmorphiques évoluant progressivement vers l’aplasie. Le gène c-mpl, localisé en 1p34, code le récepteur de la thrombopoïétine (TPO) exprimé à la surface des progéniteurs hématopoïétiques. La TPO est un facteur de croissance spécifique de la lignée mégacaryocytaire avec un effet antiapoptotique, mais il agit aussi au niveau des cellules souches. Les patients atteints ont une élévation des taux sériques de TPO et les cultures de progéniteurs montrent une absence de réponse à la TPO. Des mutations non-sens, faux sens et des délétions ont été décrites au niveau du gène c-mpl suggérant le rôle de la TPO et de son récepteur (c-mpl) dans cette pathologie;
Les TC avec anomalies osseuses : trois syndromes associent TC et atteinte osseuse :
– le syndrome «thrombopénie et absence de radius» (syndrome TAR). Il s’agit d’une pathologie de transmission autosomique récessive et dont la prévalence est estimée à 1/500 000 à 1 million de naissances : plus de 50 familles ont été décrites. Le TAR syndrome est caractérisé par l’association de malformations squelettiques (absence bilatérale de radius) et d’une thrombopénie centrale, sévère (< 10G/l) apparue dès la naissance pour se normaliser à l’âge adulte. Il existerait un blocage in vitro de la différentiation des précurseurs mégacaryocytaires et une diminution de la réponse à la TPO avec un taux sérique de TPO augmenté. L’anomalie génétique en cause reste inconnue;
– l’amégacaryocytose et synostose radiocubitale (CTRUS). Il s’agit d’un syndrome de transmission autosomique récessive décrit dans deux familles distinctes et non consanguines. L’atteinte osseuse est marquée par la présence constante d’une CTRUS et d’une clinodactylie. L’amégacaryocytose peut apparaître secondairement et évoluer vers l’aplasie médullaire. Le gène HOXA11 est le siège de délétions dans son exon 2;
– le syndrome oto-oculo-radial (IVIC syndrome). Ce syndrome est décrit seulement chez deux familles distinctes et non consanguines et sa transmission est autosomique dominante. L’expression clinicobiologique de la maladie est variable avec des anomalies du membre supérieur (CTRUS, hypoplasie du pouce et des os du carpe, hypoplasie ou absence de radius), un strabisme, une surdité, une imperforation anale et une thrombopénie modérée et inconstante;
– le syndrome des plaquettes Québec. Décrit au Canada chez deux familles non apparentées et non consanguines, ce syndrome de transmission autosomique dominante se caractérise au plan clinique par des saignements variables cutanéomuqueux (épistaxis, ménorragies) ou post-traumatiques (chirurgie par exemple) et de survenue retardée (12 à 24h). La thrombopénie normocytaire est inconstante et modérée (80G/l). Une absence isolée de réponse plaquettaire à l’adrénaline est rapportée. Les plaquettes des sujets atteints contiennent des taux élevés d’u-PA (urokinase type plasminogen activator), responsable de la fibrinolyse des protéines contenues dans les granules α (fibrinogène, FV, VWF). Les dosages des PDF sériques combinés à l’étude des protéines des granules α et du taux d’u-PA plaquettaires permettraient le diagnostic de cette TC avec thrombopathie;
La thrombopénie familiale autosomique dominante : cette étiologie regroupe les cas de TC normocytaire isolée et asymptomatique, et pour lesquels aucune des étiologies précédentes ne peut être évoquée.
TC macrocytaires
Ce sont les macrothrombopénies constitutionnelles les plus fréquentes.
Le syndrome de Bernard et Soulier (SBS) (OMIM 606672). Décrit pour la première fois en 1948, il associe une thrombopénie d’expressivité variable (symptomatologie hémorragique importante à modérée) en rapport avec un déficit quantitatif et/ou qualitatif du complexe glycoprotéique Ib-IX-V (GPIb-IX-V) situé sur la membrane plaquettaire et des plaquettes géantes. Transmis sur un mode autosomique récessif à pénétrance incomplète, la fréquence des SBS homozygotes est estimée à 1/1 million alors que la fréquence des hétérozygotes serait de 1/500. Les patients homozygotes ont, en général, une symptomatologie hémorragique sévère, à type d’épistaxis fréquentes, de gingivorragies, de ménorragies, pétéchies et d’hémorragies plus graves, postchirurgicale ou post-traumatique. Ces signes peuvent s’atténuer à la puberté et à l’âge adulte. Il existe une grande variation interindividuelle et au sein d’une même famille. Les hétérozygotes ont des manifestations cliniques bien plus modérées et la thrombopénie peut manquer. Les SBS homozygotes ont une thrombopénie variable, mais la macrocytose plaquettaire est constante. L’observation en microscopie électronique révèle de nombreux complexes membranaires intraplaquettaires et de larges vacuoles. Le TS est allongé et l’agglutination des plaquettes est absente en présence de ristocétine ou très réduite avec la thrombine. L’analyse par cytométrie en flux confirme le déficit du complexe membranaire plaquettaire GPIb-IX-V. Les SBS hétérozygotes présentent les mêmes variations de leur nombre de plaquette, l’agrégation in vitro induite par la ristocétine est faible ou quasi-normale car le déficit en GPIb-IX-V est partiel. Il est difficile d’établir une relation directe entre l’anomalie des glycoprotéines GPIb-IX-V et la macrothrombopénie. On sait que la GPIb se lie directement à l’actin binding protein facteur considéré comme important pour maintenir la forme discoïde des plaquettes non stimulées. Mais aucune étude ne permet d’affirmer que ce complexe protéique régule la production et la morphologie plaquettaire normale. Les SBS présentent des mutations à l’état homo- ou hétérozygote, pouvant toucher les gènes GPIbα, GPIbβ et GPIX situés respectivement sur les chromosomes 17,22 et 3.
La maladie de Willebrand type 2B/pseudo-maladie de Willebrand est la plus fréquente des affections hémorragiques constitutionnelles (0,5 à 5 cas pour 200). Le variant 2B, de transmission autosomique dominante, est caractérisé par une réactivité augmentée du VWF vis-à-vis de son récepteur plaquettaire, la GPIb-IX. Les patients présentent des hémorragies cutanéomuqueuses : ecchymoses spontanées ou plus souvent provoquées par un traumatisme minime, épistaxis, gingivorragies, ménorragies par exemple. L’expression clinique est variable selon les sujets et au sein d’une même famille.
La pseudo-maladie de Willebrand ou Willebrand plaquettaire, beaucoup plus rare, présente des éléments clinicobiologiques similaires au Willebrand de type 2B. Elle se caractérise par une augmentation de l’affinité de la GPIb pour le VWF. Les multimères de haut poids moléculaire se liant à la GPIb anormale disparaissent du plasma avec une thrombopénie modérée. Deux mutations dans le gène codant le vWF ont été identifiées (Gly233Val ou Met239Val). Le diagnostic est confirmé par l’étude de la liaison du vWF aux plaquettes en présence de ristocétine.
La macrothrombopénie chronique héréditaire isolée : de très nombreux cas de TC macrocytaire de transmission autosomique dominante demeurent sans étiologie. L’origine ethnique méditerranéenne est fréquemment retrouvée faisant parler de thrombopénie méditerranéenne.
La thrombopénie familiale de Paris-Trousseau (OMIM 188025) est due à une monosomie 11q23 avec un mode de transmission autosomique dominant et une fréquence estimée à environ 1/100 000 naissances. Les patients présentent à des degrés variables : un retard mental modéré, un retard de croissance staturo-pondéral, une dysmorphie faciale, des anomalies des extrémités, des malformations cardiaques (50 % des cas), génito-urinaires et dans 16 % des cas une atteinte du système nerveux central. Une thrombopénie est présente dans la moitié des cas. Le frottis sanguin met en évidence des macroplaquettes, des plaquettes avec granules α géants et même des micromégacaryocytes circulants. En raison de la dysmégacaryopoïèse, les granules α géants sont issus de la fusion de ces granules et l’apoptose intramédullaire des mégacaryocytes serait responsable de la thrombopénie périphérique. Une haplo-insuffisance du gène qui code le facteur de transcription fli-1, localisé en 11q, est impliquée dans sa physiopathologie, l’anomalie cytogénétique étant une délétion en 11q. Le facteur fli-1 joue un rôle dans la différenciation mégacaryocytaire (GPIIb, GPIX), la vasculogenèse et l’hématopoïèse.
Le syndrome des plaquettes grises (SPG), pathologie congénitale rare, au mode de transmission variable (autosomique dominant ou récessif) est caractérisé par l’association d’une thrombopénie et d’une thrombopathie. Les manifestations cliniques à type de saignements cutanéomuqueux spontanés ou provoqués sont décrites. La thrombopénie est variable et rarement sévère (> 20G/l). Le frottis sanguin retrouve des plaquettes géantes et surtout des plaquettes grises dépourvues de granulations azurophiles ou granules α à la coloration classique de MGG. Il est souhaitable de réaliser ce frottis lors d’un prélèvement à la pulpe du doigt pour éviter toute activation artefactuelle des plaquettes. La thrombopathie associée est caractérisée par un allongement du TS et des anomalies fonctionnelles non spécifiques (défaut d’agrégation au collagène, à la thrombine et à l’ADP). L’analyse en microscopie électronique et l’immunomarquage spécifique confirment cette absence au sein des plaquettes et des mégacaryocytes des protéines solubles normalement stockées dans les granules α (fibrinogène, VWF, β-thromboglobuline, facteur 4 plaquettaire (F4P), platelet derived growth factor (PDGF), thrombospondine, fibronectine, FV et PAI1). Présentes dans le milieu extracellulaire, certaines (TGF-β, PDGF et F4P) activeraient les fibroblastes engendrant une myélofibrose.
Le syndrome des plaquettes Montréal (SPM) décrit dans deux familles à transmission autosomique dominante, associe une thrombopénie sévère à plaquettes géantes et une thrombopathie caractérisée in vitro par l’existence d’une agrégation plaquettaire spontanée. Il serait lié à un déficit quantitatif et qualitatif en calpaïne (calcium activated neutral proteinase) responsable de l’exposition anormale de sites de liaison à la surface plaquettaire pour des protéines d’adhésion.
Le syndrome MYH9 rassemble cinq types de macrothrombopénies constitutionnelles à transmission autosomique dominante avec une variabilité d’expression phénotypique mais une origine physiopathologique identique impliquant différentes mutations du gène MYH9 (myosin heavy chain 9) situé sur en 22q 12–13. Ce gène code la chaîne lourde de la myosine non musculaire de type IIA (NMMHICIIA) exprimée dans différents tissus dont les plaquettes, les leucocytes et la cochlée. Ces cinq syndromes sont connus sous les termes suivants : syndrome de May-Hegglin (OMIM 155100), syndrome de Sebastian (OMIM 605249), syndrome d’Epstein (OMIM 153650), syndrome de Fechtner (OMIM 153640) et syndrome Alport-like avec une macrothrombocytopénie. Ils ont en commun une thrombopénie avec des plaquettes géantes présentes dès la naissance et des atteintes extra-hématologiques cliniques variables, pouvant secondairement s’ajouter et compléter le tableau clinique ou être d’emblée présentes lors de la découverte de la maladie. Le tableau 3.II rappelle leurs principales caractéristiques avant leur regroupement dans l’entité clinique unique du syndrome MYH9. La thrombopénie est modérée, allant généralement de 30 à 90G/l, ainsi que les signes hémorragiques. Elle peut être fluctuante. La durée de vie plaquettaire en autologue et en hétérologue est généralement normale. Les plaquettes ne sont pas très dystrophiques avec des organites en quantité et de répartition proches de la normale. Elles sont le plus souvent de forme sphérique plutôt que discoïde.
Purpura thrombopénique immunologique | Diagnostic d’élimination |
Macrothrombopénie méditerranéenne | Autosomale dominante Asymptomatique |
Anomalie de May-Hegglin | Autosomale dominante Corps de Döhle intraleucocytaires |
Syndrome d’Alport | Autosomale dominante Surdité, cataracte, néphropathie Pas d’inclusions intraleucocytaires |
Syndrome de Fechtner | Autosomale dominante Surdité, néphropathie Inclusions intraleucocytaires ≠ corps de Döhle |
Syndrome de Sebastian | Autosomale dominante Inclusions intraleucocytaires ≠ corps de Döhle |
Syndrome de Bernard et Soulier | Autosomale récessive Défaut d’adhésion Déficit en GPIb-IX-V |
Syndrome des plaquettes grises Pool vide alpha | Autosomale dominante Absence de granules alpha |
Syndrome des plaquettes Montréal FV Québec | Autosomale dominante Défaut de réponse à la thrombine Déficit de l’activité procoagulante des plaquettes |
Willebrand plaquettaire Willebrand IIB | Autosomale dominante Anomalie d’agglutination à la ristocétine Anomalie des multimères de haut poids moléculaire |
Le ou les mécanismes physiopathologiques en cause sont l’objet de recherche, comme d’ailleurs la relation génotype-phénotype. Les mutations situées dans le domaine C-terminal de la protéine seraient présentes chez les patients ayant une expression hématologique pure alors que celles touchant le domaine N-terminal se retrouveraient chez les patients présentant les atteintes cliniques extra-hématologiques.
– Macrothrombopénie liée à l’X et dysérythropoïèse : la thrombopénie peut être sévère et associée à une anémie. Il existe des anomalies morphologiques des globules rouges sur un frottis sanguin avec présence possible d’érythroblastes circulants. La moelle est riche avec des signes de dysérythropoïèse parfois modérée et des signes de dysmégacaryopoïèse. Les plaquettes peuvent être géantes et les anomalies génétiques ont été localisées sur le facteur de transcription GATA-1, dont le gène codant est situé sur le chromosome X. Peuvent être associées des anomalies de synthèse de chaînes de la globine.
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Fig. 3.1. |
Conduite à tenir devant toute macrothrombopénie. |
PURPURA THROMBOCYTOPÉNIQUE IDIOPATHIQUE
François LEFRÈRE, Bruno VARET
Définition et terminologie
Le terme de purpura thrombocytopénique idiopathique est utilisé pour désigner une pathologie acquise où les plaquettes sont détruites sans que cette destruction soit entièrement compensée par la moelle osseuse.
De nombreux arguments permettent de penser que cette destruction est due à des autoanticorps et le terme auto-immun pourrait donc être légitimement ajouté. Faute de disposer d’un test aussi fiable que le test de Coombs érythrocytaire, il convient de se limiter en pratique à un diagnostic d’élimination. Le terme idiopathique reste pertinent car sont exclues de cette description les thrombopénies périphériques auto-immunes associées à d’autres pathologies, comme les maladies auto-immunes ou les hémopathies lymphoïdes malignes. En effet, si un purpura est le principal symptôme clinique de la maladie, il peut complètement manquer sans que cela modifie la stratégie diagnostique ni les modalités évolutives. Le terme thrombocytopénique doit être préféré au terme thrombopénie utilisé habituellement. En effet, l’élément déficitaire est le nombre des plaquettes (thrombocytes) et non la formation de thrombus! Au total, le terme le plus correct est certainement celui de thrombocytopénie périphérique idiopathique.
Rappels physiopathologiques
La thrombocytopénie périphérique idiopathique constitue une variété de thrombocytopénie acquise de mécanisme périphérique en général due à des autoanticorps antiplaquettes. Ainsi opsonisées, les plaquettes sont éliminées par les macrophages spléniques, voire hépatiques, ou encore de manière diffuse. Le distinguo entre formes aiguës et chroniques de thrombocytopénie périphérique idiopathique n’est généralement pas possible lors du diagnostic. Si les secondes sont habituellement d’origine auto-immune, les premières peuvent être liées à une infection virale méconnue ou associées à des mécanismes d’auto-immunisation transitoire spontanément résolutifs. La thrombocytopénie périphérique idiopathique doit être distinguée des autres causes de thrombocytopénies périphériques (allo-immunes, immunoallergiques post-médicamenteuses, virales par exemple).
Circonstances révélatrices et conduite diagnostique
Les circonstances diagnostiques vont d’une découverte fortuite par un contrôle sanguin systématique, à un syndrome hémorragique généralement limité à un simple purpura et plus rarement un saignement cutanéomuqueux voire viscéral.
Le diagnostic repose :
– sur le caractère probablement périphérique de la thrombocytopénie au vu du myélogramme. La présence normale ou augmentée de mégacaryocytes confirme le caractère périphérique. La majorité des hématologistes d’adultes considèrent cet examen comme indispensable à la différence des pédiatres qui s’en passent volontiers. Cela s’explique par l’existence chez l’adulte de thrombocytopénies isolées, révélatrices de pathologies centrales (comme les myélodysplasies) qui ne s’observent guère chez l’enfant. Cette donnée n’a de valeur que pour une thrombocytopénie profonde, car pour une forme atténuée (> 50G/l) quel que soit le mécanisme central ou périphérique de la thrombocytopénie, des mégacaryocytes sont observés sur le myélogramme. En cas de doute diagnostique, une étude isotopique de la durée de vie des plaquettes permettra de trancher;
– sur l’élimination des causes secondaires de thrombocytopénies périphériques :
– la confirmation de la thrombocytopénie sur un frottis sanguin écarte de fausses thrombocytopénies liées à l’agglutination des plaquettes in vitro. Les lignées leucocytaires et rouges sont en règle normales. Une anémie microcytaire par carence martiale liée aux saignements répétés peut être observée dans les formes chroniques. Toute autre anomalie morphologique ou quantitative des hématies ou des leucocytes doit faire remettre en question le diagnostic,
– l’absence d’intoxication énolique, d’infection évolutive, de syndrome grippal récent ainsi que la négativité des sérologies VIH, VHC et VHB (les autres sérologies virales ne présentant pas d’intérêt). Il faut s’enquérir de l’absence de prise médicamenteuse, de grossesse en cours, de transfusion récente (contexte rare de thrombocytopénies post-transfusionnelles),
– l’absence de splénomégalie, d’hypertension portale, d’hépatopathie, de CIVD,
– l’absence de schizocytes sur le frottis sanguin écarte un purpura thrombotique thrombocytopénique,
L’absence de microcytose plaquettaire (VPM) devrait être requise afin d’écarter les très rares thrombocytopénies congénitales liées au sexe qui peuvent se présenter comme une thrombocytopénie périphérique idiopathique.
Muni de l’ensemble de ces éléments, le diagnostic de probabilité de thrombocytopénie périphérique idiopathique peut être légitimement posé.
Les examens nécessaires et suffisants au diagnostic de thrombocytopénie périphérique idiopathique sont :
– hémogramme + frottis + myélogramme;
– temps de prothrombine (TP), temps de céphaline avec activateur (TCA), fibrinogène;
– sérologie des hépatites B, C et VIH;
– AAN et TCD;
– la recherche d’anticorps antiplaquettes n’est à ce jour d’aucun intérêt dans la conduite diagnostique d’une thrombocytopénie périphérique idiopathique, compte tenu d’une spécificité insuffisante;
– ne pas oublier l’examen du fond d’œil lors de l’évaluation du syndrome hémorragique.
Prise en charge thérapeutique
Comme l’a montré le travail des experts de la Société américaine d’hématologie, et plus récemment celle de la Société britannique d’hématologie, elle est loin de faire l’objet d’un consensus faute d’études contrôlées suffisamment valides.
Thrombocytopénie périphérique idiopathique au diagnostic
Les indications thérapeutiques initiales dépendent de la sévérité du tableau hémorragique, de la profondeur de la thrombocytopénie ainsi que du contexte clinique :
– si le taux de plaquettes est > 50G/l, l’abstention thérapeutique est de mise. Une simple surveillance est recommandée, ce taux n’entraînant à lui seul pas de risque hémorragique spontané;
– entre 20 et 50G/l, en l’absence de syndrome et de risque hémorragique, l’abstention thérapeutique mérite d’être proposée. En effet, il est acquis que la corticothérapie ne modifie pas l’évolution à long terme et n’a pas d’influence sur la probabilité de passage à la chronicité. En présence d’un syndrome hémorragique, il faut s’interroger sur une autre cause associée de saignement. Si cette hypothèse est écartée, il convient de recommander une corticothérapie (1mg/kg/j d’équivalent prednisone sur 3 semaines);
– en dessous de 20G/l, corticoïdes et gammaglobulines constituent les traitements de choix en première intention. Une étude française récente a montré que les gammaglobulines intraveineuses à fortes doses (0,7g/kg/j durant 3 jours) permettent une ascension plus franche et plus rapide que les bolus intraveineux de méthylprednisolone (15mg/kg/j sur 3 jours). Toutefois la même étude a montré l’absence de complication hémorragique plus importante ou plus fréquente chez les patients traités par corticothérapie seule. Compte tenu du coût élevé des gammaglobulines, il paraît donc raisonnable, en l’absence de risque hémorragique menaçant, de préconiser les corticoïdes en première intention et de réserver les gammaglobulines aux patients présentant un score ou risque hémorragique sévère ou une contre-indication à l’emploi des corticoïdes (hypertension artérielle sévère, ulcère gastrique évolutif par exemple);
– le relais après corticothérapie en bolus ou immunoglobulines à fortes doses par une corticothérapie orale est un excellent moyen de prolonger la durée de la réponse en attendant une éventuelle guérison spontanée. Les corticoïdes oraux sans ou en relais des immunoglobulines (ou des corticoïdes en bolus) s’administrent sur une période de 3 semaines à 1mg/kg/j d’équivalent prednisone suivie d’un sevrage décroissant jusqu’à l’arrêt (sur quelques jours). Il est inutile et non sans inconvénient de poursuivre une corticothérapie au long cours, ces traitements n’ayant pas d’influence sur l’évolution à long terme de la thrombopénie;
– le traitement initial de référence d’une thrombocytopénie périphérique idiopathique avec plaquettes < 20G/l et/ou syndrome hémorragique est soit les gammaglobulines soit les corticoïdes à fortes doses en IV sur 3 jours, suivis d’une corticothérapie à 1mg/kg/j sur 3 semaines.
Un tiers des cas de thrombocytopénie périphérique idiopathique de l’adulte et plus de 2/3 des cas de thrombocytopénie périphérique idiopathique de l’enfant évoluent vers la guérison en quelques semaines (thrombocytopénies périphériques idiopathiques aiguës).
Récidive ou résistance après la thérapeutique initiale
En cas d’échec primaire accompagné de signes hémorragiques après un traitement de première ligne, on propose le traitement alternatif : corticoïdes en cas d’échec des gammaglobulines et vice-versa.
En cas de rechute à l’arrêt des corticoïdes (situation fréquente), les choix thérapeutiques ne sont pas standardisés. L’abstention est justifiée en cas de syndrome hémorragique nul ou minime, aucun traitement médical n’ayant à ce jour fait la preuve de son efficacité curative. Un traitement par le Danatrol ou la Disulone peut être tenté. Le Danatrol (danazol) est un pseudoandrogène peu virilisant, la posologie est de 600mg/j. Son délai d’efficacité est lent (1 à 2 mois) et inconstant. Son effet s’épuise en règle à l’arrêt du traitement. Ce médicament est contre-indiqué chez l’enfant, la femme enceinte et d’emploi délicat chez les femmes jeunes compte tenu de ses effets secondaires virilisants. En induisant une oxydation de l’hémoglobine, la dapsone (Disulone) suscite une hémolyse, permettant une diversion de l’activité des macrophages spléniques des plaquettes vers les hématies.
La corticothérapie au long cours est à proscrire, et il est déconseillé de reprendre une corticothérapie, même en cas de succès initial, car à terme de toute façon vouée à l’échec.
La splénectomie par laparotomie ou cœlioscopie, permettant en règle d’éliminer le principal sanctuaire de destruction plaquettaire, constitue le traitement de choix de la thrombocytopénie périphérique idiopathique chronique avec un taux de plaquettes régulièrement < 50G/l. En France, un délai de 6 mois est généralement attendu, car au-delà, la probabilité de guérison spontanée devient très faible (< 1 %). En deçà du délai de 6 mois d’évolution, la possibilité de rémission spontanée au moins partielle doit conduire à proposer des traitements d’attente avant de réaliser la splénectomie. Toutefois aux États-Unis, la splénectomie est souvent proposée plus précocement. Si le taux de plaquettes se maintient spontanément et régulièrement à > 50G/l, l’abstention thérapeutique est unanimement recommandée.
Lorsque le caractère périphérique de la thrombocytopénie n’est pas formellement établi, soit parce que la thrombopénie n’a pas justifié de traitement immunomodulateur, soit parce qu’aucun de ces traitements n’a été efficace, il est préférable de faire pratiquer une épreuve isotopique de durée de vie des plaquettes. Celle-ci confirme le caractère périphérique de la thrombopénie par une durée de vie raccourcie des plaquettes ou contre-indique la splénectomie si la durée de vie des plaquettes est normale (thrombocytopénie de mécanisme central). Si le chiffre de plaquettes est < 20G/l, l’examen peut être impossible à réaliser. L’intérêt prédictif de l’étude du siège de la destruction des plaquettes est très controversé. Devant une thrombocytopénie sévère et/ou symptomatique, la splénectomie est la thérapeutique qui a la plus de chance d’être efficace. Elle s’impose donc sans connaître ou sans tenir compte du siège de séquestration. Ce dernier peut en revanche être pris en considération dans les formes modérées et asymptomatiques.
Environ 2/3 des patients splénectomisés retrouveront un taux de plaquettes normal sans besoins de traitements ultérieurs. Pour les autres, la moitié des rechutes est constatée dans les 6 mois. Dans le cas particulier des enfants, la splénectomie est rarement indiquée. Celle-ci doit être impérativement discutée entre spécialistes qui évalueront le rapport bénéfice/risque suivant la gravité de la situation.
Récidive après splénectomie
Si la récidive ou l’échec sont avérés, une corticothérapie après splénectomie peut permettre une guérison là où elle avait échoué lors du diagnostic (après avoir éliminé par la vérification de l’absence de corps de Jolly sur le frottis sanguin la persistance d’une rate accessoire au décours de l’intervention qui expliquerait la rechute). De même, il n’est pas rare qu’une corticodépendance observée avant splénectomie disparaisse après l’intervention. En cas d’inefficacité, un traitement immunosuppresseur per os par cyclophosphamide (Endoxan, 100 à 150mg/j sur 3 à 6 mois) ou azathioprine (Imurel) peut être proposé en cas de thrombocytopénie sévère et/ou symptomatique. Ces traitements peuvent permettre une guérison définitive, alors que ces mêmes traitements ne sont pas assez efficaces avant splénectomie pour être préconisés à ce stade. La ciclosporine permet aussi d’obtenir des réponses, mais suivies de récidives à l’arrêt. Ces indications doivent êtres discutées au cas par cas en évaluant les bénéfices et risques car de nombreux patients peuvent mener une vie normale avec des taux de plaquettes voisins de 20G/l. Des thérapeutiques utilisant des anticorps monoclonaux anti-CD20 (rituximab) semblent donner des résultats prometteurs encore en évaluation. Des thérapeutiques plus agressives (chimiothérapie à fortes doses) soutenues par autogreffe de cellules souches périphériques sont également en cours d’évaluation pour les formes très sévères et rebelles.
Thérapeutiques émergentes
Le rituximab
Une étude française de phase 2 récemment publiée a testé l’impact du rituximab (4 perfusions sur 1 mois) comme alternative à la splénectomie chez des patients adultes atteints de PTI chroniques (< 30G/l). Deux ans après le traitement, 33 % des patients conservaient une réponse hématologique leur permettant d’éviter une splénectomie. Ces résultats, quoique inférieurs au traitement de référence par splénectomie, permettent d’envisager cette option thérapeutique lorsqu’il existe une contre-indication opératoire ou un refus de la chirurgie par le patient.
Les agonistes de la thrombopoïétine (TPO)
Le développement des biotechnologies a permis la mise au point de molécules mimant l’action physiologique de la TPO et dont l’administration, suscitant une augmentation d’activité de la thrombopoïèse (pourtant déjà augmentée dans le PTI), permet de compenser l’excès de destruction périphérique des plaquettes. Ces molécules n’ont aucune homologie de structure avec la TPO, ce qui permet ainsi de s’affranchir des risques d’immunoallergie croisée entre le médicament et l’hormone naturelle.
– Une première molécule, le romiplostin s’administre par voie sous-cutanée en injection hebdomadaire. Testée contre placebo sur une période de 6 mois chez des patients présentant un PTI avec plaquettes inférieures à 30G/l, le taux de réponse globale atteignait 80 % des patients traités. Une réponse soutenue était obtenue chez 40 % des patients splénectomisés et 56 % parmi les patients non splénectomisés au prix d’une tolérance acceptable. Ce médicament déjà disponible en ATU devrait obtenir rapidement une AMM.
– Une seconde molécule, l’eltrombopag, s’administre par voie orale et paraît présenter des résultats similaires à la forme injectable.
Le coût de ces traitements, la nécessité de leur administration au long cours et les incertitudes des effets à long terme (notamment de myélofibrose) doivent limiter les indications aux formes de PTI réfractaires aux traitements classiques ou à la «gestion» des patients en attente de splénectomie.
– Certains auteurs ont signalé des formes de PTI chroniques associées à des infections par Helicobacter pylori dont l’éradication thérapeutique (amoxicilline, clarithromycine, oméprazole) aurait coïncidé avec des rémissions au moins partielles du PTI. Ces résultats n’ont pas été confirmés par d’autres publications.
Mesures concomitantes
Il faut proscrire toutes médications susceptibles de déprimer l’hémostase (aspirine), interdire les injections IM, déconseiller les activités à risque traumatique, évaluer l’intérêt d’un traitement hormonal afin de prévenir les ménométrorragies. Il faut réaliser avant ou au décours de la splénectomie des vaccinations antipneumocoque, antiméningocoque et anti-Hæmophilus influenzæ B, à renouveler tous les 5 ans pour la vaccination antipneumococcique. Une prophylaxie à base d’Oracilline (1 comprimé matin et soir) durant 2 ans est recommandée. Il est capital de recommander une antibiothérapie antipneumococcique en cas de fièvre élevée chez les patients splénectomisés sans limites de temps. Le port d’un certificat ou d’une carte indiquant l’antécédent de splénectomie est recommandé et un traitement en cas de fièvre est nécessaire. Une hospitalisation d’urgence pour prélèvement bactériologique et administration d’antibiotique adaptée à un éventuel pneumocoque résistant (Claforan) devrait être systématiquement proposée.
Un suivi régulier du taux de plaquettes au décours de l’intervention doit être réalisé en raison du risque de thrombocytose généralement transitoire et d’une possible récidive de la thrombopénie.
Les transfusions de concentrés plaquettaires sont inutiles lors des thrombopénies périphériques. Le rendement transfusionnel étant médiocre, il faut réserver les transfusions en cas d’hémorragie viscérale sévère en sachant que celles-ci auront au mieux une efficacité partielle et transitoire.
Cas particulier
– La thrombocytopénie périphérique de type idiopathique, mais associée à d’autres pathologies.
– Les thrombocytopénies auto-immunes associées à un lupus. Les modalités de la corticothérapie sont celles d’un lupus érythémateux disséminé, c’est-à-dire prolongée bien au-delà de 3 semaines avec un sevrage très progressif. Si la thrombocytopénie constitue l’unique symptôme récidivant du lupus imposant alors des cures de cortisone à répétition, la splénectomie doit être discutée.
– Le syndrome des antiphospholipides peut s’associer à des thrombocytopénies auto-immunes. Le diagnostic sera évoqué sur des antécédents de thrombose, de fausses couches spontanées et l’allongement du TCA.

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