18. Les thérapies cognitives dans la dépression
M. de Mondragon
Introduction
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il existe 100 millions de dépressifs dans le monde sur une période d’un an. Son évolution est récurrente : 50 % des patients rechutent dans l’année suivant le premier épisode.
Ellis et Beck sont les deux précurseurs des thérapies cognitives actuelles. Pour Ellis, le problème essentiel est l’image grandiose que les hommes ont d’eux-mêmes et l’écart entre cette image et la réalité est à la source de leurs souffrances. Le but de la thérapie va être de rechercher les obligations que se formule le sujet et d’identifier leurs conséquences irrationnelles. Il s’agit ensuite d’amener le sujet à critiquer ses croyances et ses attentes pour aboutir à une acceptation ainsi qu’à des alternatives plus rationnelles à l’aide d’un dialogue socratique.
Beck a construit son modèle à partir de ses études sur la dépression. Pour lui, l’origine et le maintien des troubles dépressifs seraient dus à un trouble du traitement de l’information : « le patient se maltraite en traitant mal l’information ». Dans la dépression, les processus de pensée sont perturbés dans le sens d’une vision et d’une analyse des événements de vie excessivement négatives.
L’individu traite l’information selon des schémas acquis à partir desquels des processus cognitifs vont transformer l’information en événements cognitifs qui représentent ce qu’il dit, pense ou imagine. Les schémas sont stockés dans la mémoire à long terme. Ces schémas sont un ensemble de règles générales, inflexibles, ayant une forme impérative. Ce sont des représentations de nos expériences. Ils sont inconscients mais peuvent être quiescents et réactivés par certains stimuli internes ou externes qui, souvent, dans le cas de la dépression, sont la perception d’une perte ou d’une réduction du domaine personnel du sujet. En quelque sorte, les schémas représentent le poids du passé sur l’avenir.
Les processus cognitifs permettent le passage de l’information des structures profondes aux structures superficielles que sont les pensées et les images mentales. Il a été décrit différents processus tels que l’assimilation, l’accommodation et les heuristiques : « L’assimilation représente un mouvement vers le centre du sujet au cours duquel toute information ne sera retenue que si elle va dans le sens des hypothèses contenues dans les schémas ou alors transformée pour la rendre compatible avec ces hypothèses. Inversement, l’accommodation aboutit à une modification des schémas pour les rendre compatibles à la réalité extérieure à laquelle le sujet doit adapter son système de pensée. La dialectique de l’assimilation et de l’accommodation explique la construction de la réalité et le développement de la pensée logique qui, partie de l’égocentrisme initial, va se décentrer pour devenir de plus en plus objective. Cependant, la tendance à l’assimilation demeure la plus puissante. On invoque un primat de l’assimilation comme étant un des mécanismes de traitement de l’information chez le déprimé » (Blackburn et Cottraux, 1988).
L’assimilation se fait grâce à l’existence d’heuristiques, jugements rapides sur les événements dans les conditions d’incertitude (Tversky et Kahneman, 1974). L’assimilation et les heuristiques trouvent leur expression clinique dans les distorsions cognitives découvertes au cours des séances de psychothérapie.
Citons, parmi celles-ci :
– l’inférence arbitraire : erreur logique la plus fréquente et la plus générale qui consiste à tirer des conclusions sans preuve ;
– l’abstraction sélective, c’est-à-dire la focalisation excessive sur un détail sans tenir compte du contexte ;
– la surgénéralisation, c’est-à-dire la généralisation excessive d’une observation ;
– la personnalisation, c’est-à-dire s’attribuer exagérément la responsabilité ;
– la maximalisation des échecs et la minimalisation des réussites.
Les événements cognitifs représentent les produits du traitement de l’information par les schémas et les processus cognitifs. Ce sont les monologues, les dialogues intérieurs, les autoverbalisations, les pensées et les images mentales.
– sur lui-même : « je ne vaux rien » ;
– envers l’environnement : « tout va mal » ;
– sur son futur : « ça n’ira jamais mieux ».
Ces événements cognitifs sont de nature automatique, involontaire, souvent peu conscients, pseudologiques et d’intensité variable.
Un autre aspect important dans les modèles de la dépression ressort dans des travaux réalisés sur la notion d’attribution. Celle-ci peut être définie comme une interprétation sur la causalité des événements extérieurs et du comportement individuel. Ces jugements de conscience reflètent les schémas cognitifs.
Abramson et al. (1978), suivant leurs travaux sur l’impuissance apprise, ont proposé que le sujet dépressif ait des interprétations causales erronées des événements : « Le sujet déprimé face à un événement négatif va procéder à un jugement de causalité interne, global et stable. Il s’attribue donc toute la responsabilité de l’échec (internalité) et considère que celui-ci est définitif, stable et s’étend à tous les domaines de son existence (globalité). Inversement, en cas d’événements positifs, le sujet va émettre des jugements externes, spécifiques et instables, modèle qui pourra expliquer l’inhibition comportementale du déprimé. »
L’objectif de la thérapie va être :
– dans un premier temps : comportemental, pour augmenter la quantité des activités renforçantes ;
– dans un deuxième temps, plus cognitif pour apprendre au sujet à repérer ses pensées automatiques négatives, à les mettre en relation avec ses émotions et ses comportements, à les restructurer en s’interrogeant sur leur validité et à les substituer par des interprétations plus réalistes. Enfin, ces nouvelles hypothèses seront à vérifier in vivo par des tâches choisies lors des séances.
Le déroulement d’une thérapie cognitive dans un état dépressif est décrit ci-après.
Les séances hebdomadaires de thérapie s’organisent suivant un plan dans l’intérêt du patient et pour le programme même du soin.
Le plan de la séance est le suivant :
– l’agenda, qui va traduire l’ordre du jour de cette séance ;
– la revue des tâches assignées pour évaluer l’évolution et les efforts du patient ;
– le choix d’un problème cible ; il est important de choisir par priorité le problème ou le symptôme qui mérite d’abord sa résolution ;
– le feed-back réciproque : le thérapeute va relever les efforts et compétences que démontre le patient afin de soutenir l’établissement du rapport collaboratif et il doit permettre au patient d’exprimer ses réactions face à la thérapie.
Techniques de base
Les premières entrevues ont un objectif diagnostic et de construction de l’alliance indispensables à la suite de la thérapie. Le thérapeute doit repérer les symptômes et leur répercussion fonctionnelle. Il faut évaluer le désespoir et les idées suicidaires, et explorer les aspects de la vie qui sont le plus affectés sur le plan professionnel, familial, affectif, social et autres. Durant ce temps exploratoire, le thérapeute écrit et organise sur le plan comportemental, cognitif, affectif et physique les différents aspects de la triade négative, la chronologie, la durée dépressive ainsi que les éléments précipitants et les facteurs d’amélioration éventuels.
Avec tact et empathie, le thérapeute doit aussi analyser les attentes du patient en termes de problèmes spécifiques et maîtrisables qui peuvent être définis clairement comme cibles pour la thérapie. Cette réorganisation synthétique va également aider le patient à redéfinir plus clairement ses difficultés et l’encourager dans l’espoir de solutions.
Au terme de ces séances, le thérapeute résume l’entretien, prouvant ainsi sa compréhension, son attention, et questionne le patient sur son objectivité. Il se met donc en place un feed-back réciproque entre le patient et le thérapeute qui va encourager la collaboration.
Ensuite, le thérapeute se doit d’expliquer le modèle cognitif de manière didactique en reprenant les exemples de la communication du patient afin que la dyade thérapeute – patient fonctionne dans la même perspective.
Au terme de cette première partie, on modélise le problème du patient. Par ailleurs, on a construit une alliance thérapeutique indispensable à la suite du travail afin qu’il comprenne que ses pensées sont des interprétations de la réalité et non la réalité elle-même. Une image tirée des propos ou des expériences du patient illustrera ce concept ; par exemple, les variations d’émotion et de pensée si le sujet, en venant à pied à la consultation, a été klaxonné par un automobiliste. Il peut se sentir bouleversé s’il pense avoir échappé à un risque vital ou, au contraire, se sentir agacé s’il interprète l’alarme de l’automobiliste comme l’objet d’un simple énervement. Après ces quelques exemples, le thérapeute précise que la thérapie vise non seulement à l’amélioration des symptômes, mais aussi à la prévention des rechutes futures. Il doit en outre vérifier l’attitude du patient vis-à-vis de la thérapie qu’on lui propose, étant donné qu’il a peut-être eu déjà plusieurs approches psychothérapiques sans succès et qu’il se montre pessimiste. Le patient doit donner son accord pour essayer cette approche sur une base expérimentale. Le doute, sinon, est accepté comme une hypothèse que patient et thérapeute pourront vérifier ensemble.