Les Tentatives de Suicide*

10. Les Tentatives de Suicide*



GÉNÉRALITÉS ET DÉFINITION




Enfin, par la pression sur autrui qu’implique le geste suicidaire, par la réponse que l’adolescent attend de l’adulte, ses parents en tout premier lieu, la tentative de suicide doit être comprise comme un mode de communication, un geste ultime et parfois désespéré de maintenir ou de rétablir une relation aux autres, souvent malmenée jusque-là. La question de la réponse à la tentative de suicide est ainsi posée, avec son corollaire, toujours angoissant pour le thérapeute, du difficile problème des récidives.

Dans la Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement, CIM-10, ni le suicide ni la tentative de suicide ne sont répertoriés et on ne retrouve pas ces items dans l’index! Au chapitre 20, en annexe, sont énumérées les «causes externes de morbidité et de mortalité, lésions auto-infligées» (avec la précision d’inclure les intoxications ou lésions traumatiques volontaires, en ajoutant comme si cela n’était pas assez claire: tentative de suicide), suivies d’une longue liste descriptive des divers moyens, produits utilisés… Le DSM-IV ne réserve pas une meilleure place à la tentative de suicide: aucune catégorie diagnostique principale n’y est consacrée et on ne retrouve aucune citation de ces termes (suicide, tentative de suicide, parasuicide, etc.) dans l’index.

En même temps les articles scientifiques sur ce sujet abondent dans la littérature! Cette absence de critères diagnostiques, aussi bien d’inclusion que d’exclusion sur lesquels ces travaux reposent, pourrait être acceptable si la tentative de suicide répondait à une définition univoque, simple et communément partagée. Il n’en est rien. Un groupe de travail international a tenté de définir ce qu’il a appelé le «parasuicide «(terme préféré à «tentative de suicide» pour ne pas prendre en considération la dimension de l’intentionnalité et se limiter à une description aussi neutre que possible de l’acte luimême) (S. Platt et coll., 1992), mais à ce jour aucune définition n’a pu être publiée faisant l’objet d’un consensus. Toutes les enquêtes en population générale se basent sur le sentiment subjectif de celui qui déclare avoir effectué une «TS»! D’une certaine manière le sujet s’auto-définit lui-même et c’est à partir de cette base on ne peut plus approximative que nombres d’études analysent les multiples variables et facteurs de risque en élaborant des méthodologies supposées rigoureuses et scientifiques: le sigle TS semble parfois fonctionner comme un sésame magique qui se suffit à lui-même.

À ce flou identificatoire s’ajoutent des imprécisions descriptives rendant difficiles les comparaisons d’une étude à l’autre. Ainsi lorsque l’on parle des «jeunes» ou des «adolescents» ou des «jeunes adultes», les classes d’âge retenues sont rarement identiques: 12-18 ans; 15-19 ans; 15-24 ans, 18-24 ou 25 ans, 15-34 ans, etc. Que compare-t-on dans ces conditions? Ces précisions sont un préambule indispensable en raison du nombre exponentiel de publications sur ce thème, même en se limitant strictement à la question des tentatives de suicide à l’adolescence, publications qui dans une large mesure sont dominées par les études épidémiologiques aussi bien descriptives qu’analytiques (étude des facteurs de risque).

Le suicide est en passe de devenir la première cause de mortalité chez les jeunes européens passant devant les accidents de circulation (C. Pawlak, 1995), même si les variations restent importantes d’un pays à l’autre (en France, la mortalité par accident de circulation reste largement devant la mortalité par suicide: environ trois fois plus). Acte qui, toujours, désigne comme responsable et coupable (quoi qu’on puisse en dire l’amalgame se fait toujours) l’entourage de celui qui le commet et la société dans laquelle il vit, ce que, depuis E. Durkheim, les travaux des sociologues démontrent régulièrement, le suicide, affaire «médicale», conduit le clinicien à privilégier les facteurs de causalité individuels et proximaux sur lesquels il pense avoir plus de possibilités d’action: il y a ainsi une sorte de consensus pour faire du suicide et de la TS une affaire «privée», plaçant le médecin face à une irréductible ambiguïté (D. Marcelli et M. Humeau, 2006).






– au plan sémiologique et structurel, la grande difficulté d’appréhension des TS de l’adolescent provient du fait que deux facteurs principaux se conjuguent en proportion variable: une dimension dépressive, une dimension impulsive. Or d’une part, la sémiologie dépressive est à l’adolescence de repérage parfois délicat, d’autre part ces deux lignes, dépression et impulsivité, entretiennent des rapports complexes;


– au plan pronostique, la TS de l’adolescent est dominée par la question de la récidive: celle-ci apparaît d’autant plus fréquente que le premier passage à l’acte est survenu chez un sujet jeune. De ce point de vue il est important d’avoir à l’esprit la remarque suivante: un jeune qui fait une TS, c’est d’abord et avant tout un jeune qui veut vivre… mais autrement. Concernant le pronostic, toute la question sera donc d’évaluer les possibilités de changement, que celuici concerne directement l’individu, son cadre familial ou environnemental;


– au plan communautaire enfin, la TS semble de plus en plus souvent devenir un langage social entre les mains de l’adolescent qui revendique par ce geste une place de victime et cherche plus ou moins ouvertement à assujettir la réalité à ses exigences. Le discours social sur la TS est bien évidemment entendu par les adolescents et semble produire un incontestable effet iatrogène, c’est du moins ce que l’observation clinique semble montrer par la multiplication de ces situations aux urgences hospitalières…

S’il est assez aisé d’identifier une TS soit par la déclaration de son auteur, soit par la nature des lésions constatées, il est en revanche plus difficile d’entreprendre sur le moment une évaluation approfondie de la situation dès que le risque vital est écarté. Pourtant cette évaluation est indispensable compte tenu de la fréquence des récidives, fréquence qui croît proportionnellement au cumul des facteurs de risque. La qualité de cette évaluation peut aussi être considérée comme un élément du soin mais les conditions de cette évaluation ne s’inscrivent pas dans un consensus.

Reste la question des équivalents suicidaires. On désigne sous ce terme ou celui de «conduites suicidaires», un ensemble de conduites au cours desquelles la vie du sujet est objectivement mise en danger du point de vue d’un observateur tiers alors même que le sujet soit dénie la dangerosité de la conduite incriminée, soit, bien que reconnaissant le danger, dénie toute intention suicidaire à sa conduite. Il existe un continuum allant de la prise de risque sinon banale du moins fréquente à cet âge, à la conduite dangereuse en passant par les équivalents suicidaires pour aboutir aux tentatives de suicides proprement dites. Il n’est pas rare d’ailleurs de retrouver dans les antécédents récents d’un adolescent ayant effectué une tentative de suicide de telles conduites à risque: accidents de circulation avec ou sans dommages corporels, pratique de sport à risque sans respect des consignes de sécurité, conduite d’un véhicule en état d’alcoolisation, excès de vitesse et nonrespect du code, etc. On peut retrouver aussi des antécédents d’ivresse(s) aiguë(s), d’accident(s) d’overdose, de comportements violents, etc. Si incontestablement ces conduites peuvent apparaître comme un «jeu avec la mort», une sorte d’ordalie (cf. chap. 13, Dépendances), il s’agit plus souvent pour ces sujets de rechercher les signes d’une toute puissance (nés sous une bonne étoile il ne peut jamais rien leur arriver!) venant combler un sentiment négatif de soi. Ces sujets ne se reconnaissent pas d’intention suicidaire délibérée. Il convient donc d’être assez prudent et réservé quant à l’utilisation de ces termes, le risque étant de généraliser à l’excès leur usage faisant perdre à la notion de tentative de suicide et de conduite suicidaire toute spécificité. Il est préférable de parler de «conduites à risque» lesquelles doivent attirer l’attention du clinicien tout en conservant une utile différenciation.


ÉPIDÉMIOLOGIE DESCRIPTIVE


En France, comme dans beaucoup de pays industrialisés, le suicide est la seconde cause de décès derrière les accidents parmi les 15-24 ans. En 1993, 7,9% de l’ensemble des décès par suicide concernaient des jeunes de 15-24 ans. La mortalité moyenne par suicide dans cette tranche d’âge est de 7,7 pour 100 000 (aux États-unis: 1,5 pour 100 000 chez les 10-14 ans, 8,2 pour 100 000 chez les 15-19 ans [M. Gould et coll., 2003]), soit une proportion déjà égale à la moitié de celle enregistrée tous âges de la vie confondus (15,6 pour 100 000). Les garçons sont très sur-représentés, la mortalité par suicide concernant 8 garçons pour 2 filles. Les décès par suicide sont généralement la conséquence du recours à des moyens à fort potentiel létal: pendaisons, armes à feu, chute d’une hauteur. En 1995 par exemple, 80% des garçons et 60% des filles décédés ont utilisé l’un de ces moyens (F. Facy et coll., 1998). La surmortalité chez les garçons s’expliquerait en grande partie par l’association plus fréquente chez ces derniers de conduites violentes et de consommation de substances toxiques. On constate toutefois une diminution du nombre de suicidés dans la tranche d’âge des 15-19 ans aussi bien en France qu’aux Étatsunis depuis la fin des années 80 (M. Gould et coll., 2003).

Dans une étude par «autopsies psychologiques» portant sur 53 suicides d’adolescents âgés de 13 à 19 ans, M.H. Martunnen et coll. (1991) retrouvent un trouble mental dans 94% des cas dont 51% de dépression, 26% d’alcoolisme et 21% de trouble de l’adaptation. Un suicidé sur trois présentait une pathologie de la personnalité. Ce type d’étude montre bien la gravité du contexte psychopathologique qui accompagne généralement le suicide, tout particulièrement la fréquence de l’état dépressif. Ceci contraste avec le fait qu’une proportion importante de ces jeunes semble n’avoir bénéficié d’aucune prise en charge psychologique avant leur suicide (D.A. Brent et coll., 1988). De même, A. Apter (1995) compare rétrospectivement les données d’une évaluation médico-psychologique réalisées environ dix-huit mois auparavant chez des sujets jeunes adultes qui, ultérieurement, se sont suicidés ou ont effectué un quasi-suicide (geste particulièrement grave dont la probabilité létale est élevée) à des sujets ayant effectué une TS «habituelle». Les premiers se distinguent en particulier des seconds par des compétences physiques, cognitives et psychologiques plus élevées, une meilleure adaptation sociale apparente (au moment du bilan médico-psychologique), mais également «une plus grande prévalence de troubles psychiatriques graves, spécialement la dépression majeure au moment de leur geste suicidaire». L’auteur conclue à une grande hétérogénéité psychopathologique sous-jacente au comportement suicidaire, hétérogénéité étroitement articulée avec le contexte psychosocial et la capacité de communication de l’individu. Ces résultats semblent montrer aussi que la population des «suicidés» ne recoupe pas exactement celle des «suicidants».

En population générale, la fréquence des tentatives de suicide est estimée à 6,5% (filles: 8%; garçons: 5%, M. Choquet et S. Ledoux, 1994) et 1,3% des adolescents ont été hospitalisés pour cette raison. Ces taux sont très voisins de ceux relevés dans d’autres pays: 3,3 à 8,3% (Gould et al., 2003, Roberts et al., 1998 and Wichstrom, 2000) Aux États-unis, l’enquête YRBS (Youth Risk Behavior Survey) rapporte un taux de 8,8% de jeunes ayant effectué une TS et parmi ceux-ci 2,6% ont effectué un geste médicalement grave (J.A. Grunbaum et coll., 2002). Contrairement aux suicides accomplis, la fréquence des TS est en augmentation depuis plusieurs décennies en France comme aux États-unis (R.E. McKeown et coll., 1998).




Âge: rare avant 10 ans le geste suicidaire commence à apparaître vers 12 ans, l’incidence augmentant pour atteindre un pic entre 16 et 18 ans puis décroît ensuite surtout chez les jeunes femmes (P.M. Lewinsohn et coll., 2001).


Sexe: l’écart entre la morbidité des tentatives de suicide et la mortalité par suicide en fonction du sexe est une donnée épidémiologique bien connue retrouvée dans la majorité des pays occidentaux. En moyenne, on note entre 15-24 ans une morbidité suicidaire de 500/100 000 chez les filles et de 200/100 000 chez les garçons alors que la mortalité est environ cinq fois plus élevée chez les garçons. Les filles ont plus d’idéations suicidaires graves (23,6%), préparent plus souvent un plan spécifique et commettent plus de tentatives que les garçons. Plusieurs auteurs ont constaté un profil différent chez les adolescents suicidaires en fonction du sexe (I. Gasquet et M. Choquet, 1995). Dans l’ensemble les garçons suicidaires présentent une surmorbidité psychologique (nervosité, dépressivité, crises de larmes, problèmes de sommeil) et fonctionnelle (spasmophilie, malaise), une augmentation de consommations de produits psychotropes, d’alcool (ivresse) et de produits illicites. Ces traits les différencient nettement des garçons non suicidaires. Les garçons suicidaires se rapprochent de la population féminine générale sur certains traits (signes d’allure dépressive, troubles fonctionnels). En outre, ils ont plus souvent que les filles suicidantes des problèmes scolaires: redoublement, situation d’échec scolaire. Selon Gasquet et Choquet: «Ces résultats suggèrent donc que la plus grande gravité des tentatives de suicide des garçons n’est pas seulement liée à la différence des moyens utilisés pour se suicider, mais est due également à des différences psychopathologiques… ». Les conduites associées à la tentative de suicide chez le garçon témoignent d’un «profil dépressif» plus marqué que chez les filles suicidaires.


ÉPIDÉMIOLOGIE ANALYTIQUE : LES FACTEURS DE RISQUE



INDIVIDUELS






Pathologie psychiatrique.


— Un trouble dépressif est retrouvé chez 49 à 64% des suicidants. La présence d’un tel trouble multiplie d’un facteur de 11 à 27 le risque de TS par rapport à la population générale (M. Gould et coll., 2003). L’abus de substance toxique est un facteur de risque en particulier chez les garçons et les adolescents les plus âgés. Les troubles des conduites sont retrouvés chez 1/3 des adolescents suicidants. En revanche, les troubles bipolaires et la schizophrénie n’apparaissent pas, à l’adolescence, comme des facteurs probants.


Distorsions cognitives et traits de personnalité.


— Tous les auteurs relèvent l’importance du sentiment de désespoir (M.O. Marcenko et coll., 1999; S.T. Russel et coll., 2001) mais le lien évident avec la dépression rend difficile l’appréciation du poids spécifique de ce facteur. Les jeunes suicidants sont souvent confrontés à des difficultés relationnelles et semblent faire preuve d’une faible compétence pour résoudre les problèmes interpersonnels, ce qui témoigne d’une incontestable vulnérabilité relationnelle (M. Gould et coll., 2003). Les comportements agressifs et impulsifs représentent un facteur de risque sur lequel nous reviendrons.


Orientation sexuelle.


— L’homosexualité ou la bisexualité multiplierait par un facteur de 2 à 6 le risque de TS (Fergusson et al., 1999, Blake et al., 2001 and McDaniel et al., 2001).


Facteurs biologiques.


— L’hypothèse d’un dysfonctionnement du système sérotoninergique fait l’objet de nombreuses études dans la population des suicidants et des suicidés adultes. Si cette hypothèse est largement reprise pour la population adolescente (M. Gould et coll., 2003), pour autant dans la revue de la littérature faite par ces auteurs aucune publication ne concerne spécifiquement les adolescents. De plus, P.J. Bennett et coll. (2000), dans l’Utah Youth Suicide Study, ne retrouvent pas d’association probante chez les adolescents examinés. Pourtant selon l’hypothèse de J.J. Mann et coll. (1999), cette dysrégulation de la sérotonine serait un facteur biologique de prédiction d’une réponse impulsive à un stress et prédisposerait en cela au suicide ou au geste suicidaire. Compte tenu de la fréquente composante impulsive observée chez les adolescents suicidaires (voir cidessous), il serait certainement pertinent d’approfondir cette hypothèse par des recherches ciblées. F. Askenazy et coll. ont d’ailleurs montré que les adolescents qui présentaient des conduites suicidaires récurrentes avaient majoritairement des traits impulsifs et anxieux (2003). Les adolescents qui ont effectué une seule tentative de suicide sans gravité particulière n’avaient ni trait impulsif ni trait anxieux.


FAMILIAUX




Antécédents familiaux de suicide ou de TS.


— Le risque de suicide de l’adolescent est multiplié par 5 en cas de décès de la mère et par 2 en cas de décès du père (E. Agerbo et coll., 2002). P. McGuffin et coll., en 2001, dans une méta-analyse qui prend en compte les éventuelles pathologies parentales associées considèrent que le suicide parental multiplie par un facteur de 2 le risque de suicide chez l’adolescent.


Psychopathologie parentale.


— Des taux élevés de psychopathologie parentale sont retrouvés en cas de suicide, d’idées suicidaires et de tentative de suicide chez l’adolescent (D.M. Fergusson et coll., 1995; M. Gould et coll., 1996). Dépression et abus de substances toxiques sont principalement retrouvés. Cette augmentation du risque persisterait chez l’adolescent même après ajustement de la variable troubles psychopathologiques de l’adolescent (D.A. Brent et coll., 1994), ce que ne retrouvent pas M. Gould et coll. (1996).


Divorce parental.


— La corrélation avec le divorce et la séparation parentale, souvent retrouvée et soulignée, est grandement atténuée si on prend en compte d’une part la psychopathologie parentale associée, d’autre part les facteurs de risque psychosociaux (A.L. Beautrais et coll., 1996; B. Groholt et coll., 2000).


Relation parents/adolescent.


— Une relation conflictuelle, tendue, entre l’adolescent et ses parents apparaît comme un facteur de risque qui cependant s’associe souvent aux troubles psychopathologies de l’adolescent ou des parents. Après ajustement des variables, la pauvreté des relations adolescentparents et le sentiment d’insatisfaction exprimé conserve une valeur péjorative (M. Choquet et S. Ledoux, 1994).


ENVIRONNEMENTAUX




Événements de vie stressants.


— Échecs relationnels, en particulier rupture sentimentale, problème avec la justice, conflits avec les proches, surtout les pairs pour les adolescents les plus âgés, tous ces événements sont associés à un risque plus grand de suicide ou de TS.


Violence physique, maltraitance, abus sexuel.


— Il existe une corrélation positive entre maltraitance dans l’enfance et conduite suicidaire. Les comportements familiaux violents, que l’adolescent en soit la victime directe ou qu’il y soit exposé (assister à des scènes de violence entre les parents, voir un frère ou une sœur être maltraité) sont corrélés avec le geste suicidaire (A.L. Beautrais et coll., 1996; J. Renaud et coll., 1999). Les antécédents d’abus sexuel ont fait l’objet de nombreuses études. Deux d’entre elles ont cherché à contrôler les facteurs très fréquemment associés (D.M. Fergusson et coll., 1996; A.B. Silverman et coll., 1996). Après correction, il persiste une augmentation de la suicidalité chez les jeunes qui ont des antécédents d’abus sexuels. Certains auteurs insistent sur le «climat incestuel familial» plus que l’abus sexuel proprement dit (X. Pommereau, 2001; P. Alvin, 1993). On peut en rapprocher les situations victimaires (bouc-émissaire) (K. Brunstein et col., 2007)



Scolarité.


— Des difficultés scolaires, un échec scolaire et plus encore une rupture avec la scolarité sont d’incontestables facteurs de risque, mais là encore habituellement associés aux autres facteurs précédemment cités.


Exposition au suicide ou à la TS.


— Ce facteur semble assez spécifique aux adolescents et jeunes adultes, l’impact de la «contagiosité» semblant s’atténuer, voire disparaître chez les plus de 24 ans. Des «épidémies de suicides ou de TS» sont régulièrement rapportées chez les adolescents vivant en collectivité (ce qui est le cas de la grande majorité des jeunes, ne serait-ce qu’au travers de la fréquentation d’un établissement scolaire). Le risque de passage à l’acte suicidaire est d’autant plus grand que l’adolescent avait des liens de proximité affective avec la précédente victime. Certains auteurs ont également évoqué l’impact des médias (M. Gould et coll., 2003).


CLINIQUE DE LA TENTATIVE DE SUICIDE



LES MOYENS


L’absorption orale de médicaments est de loin la méthode la plus utilisée (80 à 85% des cas). Les filles y recourent encore plus fréquemment que les garçons. Le médicament utilisé est souvent celui même qui a été prescrit auparavant à l’adolescent lors d’une précédente consultation. L’absorption orale de produits toxiques divers existe aussi (produits ménagers, insecticides divers, etc.), mais elle est beaucoup plus rare. Signalons l’absorption orale ou parentérale (IV) de fortes doses de drogue (morphine en particulier). La distinction entre le suicide ou la tentative de suicide et l’accident par «overdose» n’est pas facile à établir. L’étude de ces «équivalents suicidaires» montre qu’ils ont de nombreuses caractéristiques communes avec les tentatives de suicide reconnues comme telles.


Il est classique de dire qu’il n’y a pas de parallélisme strict entre la gravité de l’acte suicidaire en termes de vie ou de mort, l’intensité du désir de mort et la gravité des perturbations psychopathologiques observées chez l’individu suicidant. En effet dans certains cas, des produits de haute toxicité peuvent être impulsivement absorbés avec des conséquences fatales ou gravement invalidantes, sans que ce geste paraisse prendre place dans un ensemble psychopathologique très lourd ou qu’il s’associe à une détermination bien arrêtée de se donner la mort. Toutefois, il conviendrait de ne pas s’attacher uniquement à la nature de l’objet utilisé pour le suicide ou la tentative de suicide. Il serait souhaitable aussi d’évaluer dans quelle mesure la méthode utilisée porte atteinte à l’intégrité du corps: de ce point de vue, il semble que les méthodes cherchant à désorganiser ou à mutiler le corps, telles que la défenestration ou surtout la précipitation sous un véhicule, s’intègrent plus souvent dans une organisation psychopathologique dans laquelle le schéma corporel et la constitution même de l’individualité sont en cause. Les méthodes les plus traumatiques et les plus désorganisantes semblent caractériser plus souvent des adolescents profondément perturbés (psychose en particulier).

À côté de la méthode proprement dite, il est aussi nécessaire d’apprécier le degré de préméditation et de préparation de l’acte suicidaire opposé à l’impulsivité et à l’aspect non préparé. Comparant deux groupes d’adolescents suicidants, L.K. Brown et coll. (1991), constatent que les adolescents du groupe «non impulsifs» ont plus de traits dépressifs, plus de sentiments de désespoir et une rage interne plus élevée que le groupe des adolescents commettant un geste suicidaire impulsif.


LE SYNDROME DE TENSION PRÉ-SUICIDAIRE


Dans les semaines précédant le geste suicidaire, une ou des consultations auprès du médecin généraliste sont fréquentes. Très souvent l’adolescent y expose surtout des plaintes somatiques floues (fatigue, douleurs, etc.), un malaise général et n’évoque pas nécessairement ses idées suicidaires si on ne l’interroge pas directement à ce sujet.

Or beaucoup se voient prescrire un médicament en réponse à leurs plaintes floues ou à des maux incertains. Il n’est pas rare que ce médicament soit parfois utilisé pour la tentative de suicide.





– de reconnaître aussitôt cette souffrance et de la nommer à l’adolescent;


– de dire la vérité, c’est-à-dire qu’on ne dispose pas ce jour même du temps suffisant pour évaluer correctement tous les problèmes;


– mais qu’il souhaite revoir cet adolescent dans deux-trois jours pour en parler plus à fond…

Dans l’expérience clinique des auteurs, ce rapport de réalité et de sincérité avec l’adolescent lui permet toujours d’attendre, de revenir et de pouvoir parler à son médecin avec le sentiment d’être entendu et éventuellement compris.


Ce concept de crise suicidaire repose sur la théorie cognitive et pourrait effectivement valider l’existence d’un syndrome présuicidaire, triade associant «constriction de la personnalité, inhibition de l’agressivité et fuite vers les fantasmes de suicide». Ce concept rappelle la dimension transnosographique de la suicidalité avec des notions telles que l’impulsivité ou le désespoir. Les étapes de la crise suicidaire sont constituées, de manière chronologique, par les idées de suicide ou idéations suicidaires, l’intention suicidaire, puis le geste suicidaire lui-même et éventuellement la répétition de ce geste (J. Vedrinne et D. Weber, 2000).

La présence de ces indices, en particulier chez un adolescent ayant déjà des antécédents suicidaires, surtout si des pertes (déménagements, départs d’un ami, deuil) ou des ruptures dans l’environnement (conflits et séparation des parents, rupture sentimentale, etc.) s’y rajoutent, doit faire craindre un nouveau passage à l’acte et doit inciter le médecin à prendre des mesures concrètes pour protéger l’adolescent: consultations rapprochées, aménagement ponctuel du cadre de vie sous forme d’une hospitalisation ou d’un placement en foyer, etc.


LE SYNDROME DE «PSEUDO-GUÉRISON» (D. Marcelli, 2002)



Cette proximité retrouvée avec ses parents, rassurante dans un premier temps, deviendra vite difficile à supporter pour l’adolescent, dont le geste témoigne justement d’une difficulté à s’en détacher, surtout si aucun changement dans les interactions familiales ne survient.

Ce bénéfice immédiat risque également de renforcer le comportement suicidaire et de favoriser les récidives.


TENTATIVE DE SUICIDE ET DIAGNOSTIC ASSOCIÉ (COMORBIDITÉ)



TROUBLES DE L’HUMEUR


D’un point de vue épidémiologique, on peut aborder le lien dépression-TS de deux manières: évaluer la fréquence de la dépression chez les adolescents suicidaires et inversement la fréquence des TS chez les adolescents déprimés.



Fréquence de la dépression chez les adolescents suicidaires.


— Avant d’envisager brièvement ces données, nous rappellerons deux études portant l’une sur 53 cas (M.J. Marttunen et coll., 1991) et l’autre sur 160 cas de suicides réussis (D. Shaffer et coll., 1996) chez des sujets âgés de moins de 20 ans, et utilisant la méthode de «l’autopsie psychologique». Par cette méthode, les auteurs retrouvent l’existence d’un trouble mental dans 94% des cas pour la première et 91% des cas pour la deuxième. Parmi les troubles retrouvés, la dépression occupe la première place (51% de dépression pour l’un; 62% de trouble de l’humeur pour l’autre, dont 52% d’épisode dépressif majeur). Viennent ensuite les troubles des conduites (46% d’après D. Shaffer et coll.), la consommation de produits (26% d’alcoolisme dans la première étude; 35% tous produits confondus dans la deuxième), et les troubles de l’adaptation (21% et 10% respectivement). Ces études montrent bien la gravité du contexte psychopathologique qui accompagne l’acte suicidaire et tout particulièrement la fréquence de l’état dépressif.

Pour ce qui concerne les études épidémiologiques sur les tentatives de suicide, D.A. Brent et coll. (1988) constatent 75% de dépression majeure et 19,6% de dysthymie dans une population d’adolescents suicidants. De même, H. Chabrol (1992) note 82% de dépression majeure et 10% de dysthymie. M. Gispert et K. Wheeler (1992) ont étudié une population d’adolescents suicidants reçus au centre d’urgence d’un hôpital accueillant une population multi-ethnique et défavorisée sur un plan socio-économique. Ces adolescents présentent des signes d’une dépression d’intensité moyenne évaluée grâce à une échelle de Poznanski légèrement modifiée, et il existe une corrélation significative entre la dépression et l’échelle de risques suicidaires: plus la dépression est grave, plus les adolescents ont utilisé des moyens efficaces et apparaissaient résolus à se tuer.

Plus récemment, D.B. Goldston et coll. (1996 et 1998) ont étudié une population d’adolescents âgés de 12 à 19 ans hospitalisés en psychiatrie, au sein de laquelle ils ont individualisé quatre groupes:




– ceux qui sont hospitalisés à la suite d’une première tentative de suicide;


– ceux qui sont hospitalisés pour une récidive suicidaire;


– ceux qui ont des antécédents de tentative de suicide mais sont hospitalisés pour un autre motif;


– et ceux qui n’ont jamais effectué de tentative de suicide.

En évaluant la dépression à l’aide de la BDI (Beck Depression Inventory), il ressort que les sujets ayant des antécédents de tentative de suicide et les sujets suicidants récidivistes ont un niveau de dépression plus élevé (score de dépression moyenne à élevée) que ceux hospitalisés pour une première tentative de suicide; ces derniers ont de même un niveau de dépression plus élevé que ceux n’ayant jamais effectué de tentative de suicide. Les premières tentatives de suicide sont plus souvent liées dans leur étude à des troubles de l’adaptation que les tentatives de suicide répétées et ont donc un meilleur pronostic. En revanche, le niveau de dépression est similaire chez ceux ayant des antécédents de tentative de suicide et ceux récidivant: l’absence de tentative de suicide récente ne doit donc pas être considérée comme rassurante.

B. Larsson et T. Ivarsson (1998) retrouvent eux aussi une corrélation entre la gravité de la dépression (score à la BDI) et le nombre de tentatives de suicide effectuées, mais ils ne constatent pas de lien avec la gravité du geste.


Fréquence des tentatives de suicide dans la population d’adolescents déprimés.


— À l’opposé, la tentative de suicide est une constatation clinique fréquente dans la population d’adolescents déprimés. Dans les études rétrospectives, les taux oscillent entre 24 et 46% (J.B. Loubeyre, 1990; D. Marcelli et H. Fahs, 1994) avec une prédominance féminine nette et une corrélation significative avec la gravité du trouble dépressif: plus la «dépression» est grave, plus le risque suicidaire est grand.

La fréquence de survenue d’une tentative de suicide est encore plus grande dans les études prospectives: 70% des adolescents présentant un épisode dépressif majeur ont effectué une tentative de suicide au cours des trois années suivantes (K. Myers et col., 1991). 85% des enfants et des adolescents avec un épisode dépressif majeur ou dysthymique ont des idées suicidaires et 32% effectueront des tentatives de suicide sur la vie entière (M. Kovacs et coll., 1993).

En comparant ces taux avec une population témoin, la différence est très significative: sur une étude de cohorte, 32% des enfants et adolescents déprimés (60 sujets) ont effectué au moins une tentative de suicide au cours des dix-huit ans de suivi (20% en ont fait plusieurs avec deux décès par suicide) contre 12% (67 sujets) dans le groupe contrôle (R. Harrington et coll., 1994).

La continuité de la dépression de l’adolescence à l’âge adulte s’accompagne d’un risque suicidaire: les adultes déprimés ont plus de risques de faire une tentative de suicide s’ils ont déjà souffert de dépression dans l’enfance ou l’adolescence. Cette constatation ne fait que renforcer l’importance d’un repérage précoce et du traitement de la dépression chez l’enfant et l’adolescent.

Certaines études ont cherché à isoler des signes qui, chez un adolescent déprimé, pouvaient faire craindre une tentative de suicide. C.K. Kienhorst et coll. (1991) ont ainsi comparé 48 adolescents suicidaires et 66 adolescents déprimés sans antécédents suicidaires. À partir d’un entretien semi-structuré, ils ont fait émerger sept variables notées 0 ou 1: prise de poids, perte d’énergie, absence du père, pessimisme, désespoir, antécédents de projet suicidaire, risque de réussite de suicide selon sa gravité. Une note supérieure à 4 permet de repérer la probabilité de survenue d’une tentative de suicide avec une sensibilité de 90% et une spécificité de 83%. Un an après la première évaluation, 5,4% des déprimés non suicidants ont fait une première tentative de suicide et 12,5% des suicidants une récidive. Tous avaient un score supérieur à 4. Certes, il ne faut pas confondre analyse épidémiologique et réponse clinique individuelle. Cependant, ces études montrent l’intérêt d’une analyse discriminative soigneuse des conduites symptomatiques.


Liens entre dépression, idées suicidaires et tentative de suicide.






– les pensées sur la mort. Elles s’expriment par les pensées du type: «il est bien triste de mourir un jour», «on ferait mieux d’être mort plutôt que de vivre encore», «à quoi ça sert la vie?», etc.;


– les idées de suicide. Il s’agit ici de pensées directes de se tuer et non pas simplement de mourir;


– les intentions suicidaires. Le sujet pense à la manière de se tuer: absorption de médicaments, défénestration, scarification ou blessure par arme blanche, arme à feu, pendaison, etc.;


– les projets suicidaires. Le sujet commence à préparer son geste: accumulation de comprimés, achat de corde, passage répétés devant le lieu de défénestration, etc.

Ainsi, R.C. Kessler et coll. (1999) se sont intéressés au lien entre idées de suicide, projet de suicide et tentative de suicide en population générale. Ils retrouvent logiquement que les idées suicidaires augmentent le risque de projet de suicide et le risque de tentative de suicide; la présence d’un projet de suicide associé aux idées suicidaires augmente encore le risque de passage à l’acte suicidaire. Le fait d’avoir un projet de suicide augmente également la durée pendant laquelle le risque de tentative de suicide est élevé. En l’absence de plan, les tentatives de suicide ont surtout lieu dans l’année suivant l’apparition des idées suicidaires.

De leur côté, M. Gould et coll. (1998) remettent quelque peu en cause l’idée d’un continuum entre idées et tentatives de suicide. En comparant au sein d’une population adolescente tout-venant les sujets ayant eu des idées suicidaires au cours des six derniers mois (7,5%) et ceux ayant déjà effectué une tentative de suicide (3,3%), ils constatent que ces deux groupes ont des profils distincts, en termes de comorbidité. Dans leur étude, les tentatives de suicide sont significativement associées à une symptomatologie d’angoisse de séparation et surtout à la consommation de produits, ce qui n’est pas le cas des idées suicidaires.

De même, dans une étude sur des adolescents hospitalisés à Montréal, J.C. Macotta (1999) distingue ceux ayant des idées suicidaires (IS) de ceux ayant effectué une tentative de suicide (TS); il met en évidence une nette prédominance de la thymie dépressive et plus encore du diagnostic d’épisode dépressif majeur chez les adolescents qui ont des idées suicidaires (IS) par rapport aux adolescents qui ont effectué une tentative de suicide (les suicidants: TS). Contrairement à ce que l’on pouvait penser, il y a plus de déprimés chez les premiers (IS) que chez les seconds (TS). Cette étude montre clairement qu’il convient de ne plus considérer les idées suicidaires sans passage à l’acte comme une forme bénigne parmi l’expression des diverses manifestations suicidaires, tant sur le plan psychopathologique que sur le plan pronostique: les idées suicidaires durables et intenses ont une forte corrélation avec la dépression, laquelle est également corrélée avec la tentative de suicide (voir ci-dessous).

Si les idées suicidaires sont un facteur de risque de tentative de suicide, il semble que l’inverse soit vrai également: les adolescents ayant des antécédents de tentative de suicide pensent plus souvent à la mort en général, à leur propre mort, et préparent plus souvent un nouveau passage à l’acte. R.E. Roberts et coll. (1998) ont évalué dans une étude en population générale adolescente que la présence d’antécédents de tentative de suicide multiplie les idées de mort par cinq, les idées de suicide par sept et les projets suicidaires par onze, ce qui explique les chiffres élevés de récidive. C’est également ce que constatent D.B. Goldston et coll. (1996) chez des jeunes hospitalisés: les idées suicidaires sont présentes chez 23,8% des non-suicidants et 52,5% de ceux ayant déjà effectué une tentative de suicide, et ce à distance de leur geste suicidaire: la tentative de suicide ne résout donc pas les difficultés du jeune et ces études montrent à l’évidence l’impérieuse nécessité d’une évaluation et d’un soin après le geste suicidaire, quelle que soit sa gravité apparente.


TROUBLES ANXIEUX


On rencontre particulièrement l’angoisse de séparation (chez les plus jeunes) et les attaques de panique. D. Shaffer et coll. (1996) retrouvent ainsi des antécédents d’attaque de panique chez 10% des suicidés inclus dans leur étude. M. Gould et coll. (1998) notent également une association significative entre tentative de suicide et attaque de panique chez des adolescents tout-venant. Il faut se rappeler que le trouble panique est souvent associé à un trouble dépressif, et peut se compliquer d’une consommation de produits à visée anxiolytique, ces deux derniers diagnostics étant eux-mêmes un facteur de risque de tentative de suicide. D’ailleurs, pour A.L. Beautrais (1996), le rôle des troubles anxieux comme facteur de risque suicidaire disparaît quand on tient compte de ces intercorrélations.


IMPULSIVITÉ ET TROUBLES DES CONDUITES (TC)


Le geste suicidaire comporte souvent une dimension d’apparente impulsivité et d’absence de réflexion, ce qu’un bon nombre de jeunes semble confirmer en déclarant qu’une heure avant leur geste ils ne savaient pas encore qu’ils allaient «faire ça». Pour cette raison, l’intentionnalité suicidaire a été souvent mise en cause chez les adolescents. Pourtant les enquêtes épidémiologiques montrent la fréquence avec laquelle ce jeune impulsif a fait part de ses intentions suicidaires à des proches, pairs ou plus rarement adultes, dans les semaines ou les jours précédents son geste. L’impulsivité n’est donc qu’apparente et l’acte suicidaire survient en général dans un contexte de tension ou de rupture qui semble renforcer l’habituelle tendance impulsive. Cette impulsivité s’accompagne le plus souvent d’autres troubles des conduites (cf. chap. 12, Les conduites psychopathiques ou trouble des conduites).

Selon D. Shaffer et col. (1996), 50% des suicidés présentaient un comportement perturbateur (au sens du DSM-IV) et, plus précisément, 46% présentaient un TC. Des chiffres similaires sont retrouvés dans les populations d’adolescents suicidants: 53,9% (D.B. Goldston, 1998). Cependant, le TC augmente le risque de suicide même en l’absence de trouble de l’humeur, par le biais de l’impulsivité (J. Renaud et col., 1999): en ce sens, les TS «impulsives» présentent un niveau de dépression en général moins élevé que les TS «préméditées» (L.K. Brown et col., 1991). Les résultats épidémiologiques ne vont cependant pas tous dans le sens d’un lien entre TS et trouble des conduites. T. Larsson et B. Ivarsson (1998) constatent ainsi dans leur population d’adolescents hospitalisés en service d’urgence qu’il y a moins de TS chez les adolescents ayant des troubles des conduites que chez ceux ayant un autre diagnostic psychiatrique non thymique (à savoir dans leur étude: un trouble émotionnel, un trouble de la personnalité, un trouble de l’adaptation ou un trouble psychotique). De même, pour M. Gould et col. (1998), les troubles des conduites augmentent le risque d’idées suicidaires (et encore, seulement chez les garçons) mais pas le risque de TS. D’un point de vue psychodynamique, les troubles des conduites et la personnalité psychopathique ou antisociale apparaissent souvent comme des aménagements défensifs, des processus de lutte contre les affects dépressifs; ils pourraient constituer un facteur de protection contre le risque suicidaire tant que ces aménagements défensifs sont efficaces. Il y a en revanche souvent des prises de risque liées à un mépris inconsidéré pour sa propre santé qui peuvent mettre en danger la vie du sujet. Il ne s’agit pas alors à proprement parler de comportement suicidaire, le désir conscient de mourir n’étant pas présent (cf. Introduction: les équivalents suicidaires).


TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ


Le diagnostic de trouble de la personnalité n’est porté qu’avec prudence à l’adolescence, mais on peut retrouver des traits de personnalité pathologique chez certains adolescents suicidants, en particulier dans le cas de tentatives de suicide à répétition. Il s’agit le plus souvent de traits de personnalité psychopatique (ou antisociale), ce qui rejoint la question des troubles des conduites évoquée ci-dessus, ou de personnalité borderline. Dans ce dernier cas, il est parfois difficile de faire la part entre tentatives de suicide et automutilations. Les personnalités borderline telles que les décrit Masterson passent à l’acte de manière impulsive pour lutter contre l’angoisse et les affects dépressifs qui menacent de les déborder.


HOMOSEXUALITÉ ET TROUBLES DE L’IDENTITÉ SEXUELLE


Rappelons d’abord que le terme d’homosexualité ne devrait pas être utilisé en début d’adolescence. Tout adolescent passe par une période homophile normale dans son développement, avant de choisir dans la majorité des cas un objet sexuel de sexe opposé, ce qui caractérise l’entrée dans la vie génitale adulte. Les attirances homosexuelles transitoires peuvent être une source d’angoisse et de honte pour le jeune adolescent, et contribuer de ce fait à un état dépressif avec auto-dévalorisation, voire passage à l’acte suicidaire. Mais c’est surtout à l’homosexualité «installée» que plusieurs auteurs se sont intéressés, se posant la question du lien avec la pathologie mentale en général et avec la TS en particulier. Une étude longitudinale néozélandaise sur plus de 10 000 sujets suivis de 0 à 21 ans (D.M. Fergusson et coll., 1999) s’est intéressée aux 2,8% de sujets se déclarant homosexuels ou bisexuels. Ces derniers présentent un risque nettement plus élevé que la population générale de développer un épisode dépressif majeur, d’avoir des idées suicidaires ou de faire une tentative de suicide. Il y au moins deux manières d’interpréter ce résultat. On peut considérer que ce choix homosexuel favorise les TS en exposant le sujet à des attitudes homophobes de l’entourage et en le confrontant à des événements de vie négatifs. On peut à l’inverse se demander si les adolescents présentant une pathologie psychiatrique (et ayant donc un risque plus élevé de suicide) n’ont pas plus de trouble de l’identité sexuelle et donc de risque de développer une homosexualité. R. Herrel et coll. (1999)étudient également le rôle de l’orientation sexuelle chez des paires de jumeaux dont l’un est homosexuel et l’autre hétérosexuel. Ils constatent que les sujets homosexuels ont plus de pensées sur la mort (47,6%), plus d’idées suicidaires (55,3%) et font plus de tentatives de suicide (14,7%) que leurs jumeaux hétérosexuels (respectivement 30,1%, 25,2% et 3,9%). Ce résultat persiste même en contrôlant la dépression et la consommation de produits qui pourraient être des facteurs de confusion.

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on Les Tentatives de Suicide*

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