L’adolescence et les Pathologies Somatiques

18. L’adolescence et les Pathologies Somatiques



RETARDS PUBERTAIRES1












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Fig. 18-1
–Vitesse de croissance depuis la petite enfance jusqu’à la fin de l’adolescence. La vitesse de croissance peut être divisée en trois composantes (petite enfance: décroissance rapide, enfance: décroissance lente linéaire, et adolescence: pic de croissance). Lorsque la puberté tarde, le pic de vitesse de croissance de l’adolescence est déplacé vers la droite: la vitesse de croissance reste celle de l’enfance et se ralentit.


Le défaut de maturation des caractères sexuels, l’absence d’accélération de la vitesse de croissance normalement associée à la puberté entraînent la persistance d’un aspect infantile. La mauvaise perception psychologique du retard pubertaire, la petite taille et le sentiment d’infériorité qui l’accompagne sont les raisons amenant le plus souvent les adolescents à consulter. Bien que la proportion de garçons et de filles ayant un retard de puberté soit la même (2,5%), les garçons consultent 1,5 à 2 fois plus souvent pour ce motif que les filles: le motif de consultation vers 13 ans chez la fille, et vers 14 ans chez le garçon, est plus souvent la gène lié au retard statural qu’à l’absence de manifestation physique de puberté: il y a alors un biais de recrutement vers les enfants qui sont déjà constitutionnellement assez petits, car c’est chez eux, en l’absence d’accélération staturale pubertaire, que le décalage de taille avec les pairs sera le plus important. Un peu plus tard, vers 14-15 ans chez la fille et 15-16 ans chez le garçon, le défaut de développement pubertaire, mammaire chez la fille, pilosité et taille infantile de la verge chez le garçon deviennent la première plainte.

Le médecin s’efforce de distinguer les patients présentant un retard pubertaire «simple», cause la plus fréquente et se corrigeant spontanément (leur puberté se déroulera normalement mais avec retard), des déficits gonadotropes et des insuffisances gonadiques, permanents, qui nécessitent un traitement pour aboutir au développement pubertaire complet.


LES PRINCIPALES ÉTIOLOGIES




Les pathologies gonadiques (hypogonadisme hypergonadotrophique).


— Il est en général facile de faire le diagnostic de retard pubertaire lié à une pathologie gonadique. L’impubérisme ou le développement pubertaire incomplet contrastent avec les valeurs très élevées des gonadotrophines (FSH surtout, à un moindre degré LH), alors que les concentrations des stéroïdes gonadiques sont faibles.


Chez le garçon, c’est le syndrome de Klinefelter qui est le plus fréquent devant un hypogonadisme hypergonadotrophique. Le syndrome de Klinefelter touche 1,6 garçon/1 000. Il n’entraîne en général pas de retard pubertaire, mais une puberté traînante, avec une absence de développement pubertaire complet. La morphologie est eunuchoïde, une gynécomastie est fréquente. La pilosité pubienne et axillaire se développe, la verge s’allonge, mais les testicules ne dépassent pas 35 mm de longueur. Le QI global est proche de la normal, avec souvent un déficit dans le domaine verbal. Le déficit gonadique s’accentue avec le temps, et les hommes atteints sont infertiles. Le caryotype le plus fréquent est 47 XXY, plus rarement 48 XXXY, 49 XXXXY, 48 XXYY (dans ces derniers cas, l’atteinte mentale est plus sévère).


Les hypogonadismes hypogonadotrophiques fonctionnels.


— Il est également facile de rattacher le retard pubertaire à une pathologie générale; il s’agit alors d’un hypogonadisme hypogonadotrope fonctionnel et réversible avec la correction de la pathologie. C’est le cas des hypothyroïdies, des hypercorticismes (syndromes de Cushing ou iatrogènes), de l’insuffisance rénale, des malabsorptions digestives et autres malnutritions (en particulier l’anorexie mentale chez la fille qui représente la cause principale dans ce groupe d’étiologie).


Les hypogonadismes hypogonadotrophiques.


— Les principales causes sont résumées dans le tableau 18-I. Le diagnostic à l’adolescence n’est pas toujours simple, car il est difficile de distinguer un défaut gonadotrope (la puberté ne se produit pas car l’axe gonadotrope hypothalamo-hypophysaire ne s’active pas) du retard simple (l’axe n’est pas encore sorti de la quiescence de l’enfance): dans les deux cas, les gonadotrophines FSH et LH sont basses.



Le retard pubertaire simple.


— C’est le diagnostic le plus fréquent, mais il est difficile à distinguer des hypogonadismes hypogonadotropes congénitaux ou acquis. Aucune exploration biologique ne permet d’affirmer le diagnostic de retard pubertaire simple qui reste un diagnostic d’exclusion et qui ne se confirmera que lorsque la puberté se déclenchera ou se maintiendra spontanément. Les arguments en faveur du diagnostic présomptif de retard simple de puberté sont indiqués dans le tableau 18-II.

























Tableau 18-II – Étiologie des retards pubertaires: arguments cliniques
1.Retrouvés dans plus de 50% des cas de retard simple.
2.Évocateur de déficit gonadotrope (± syndrome de Kallmann).
3.L’infléchissement progressif modéré est habituel dans le retard simple. S’il est marqué, il faut rechercher un déficit somatotrope associé (déficit combiné). S’il n’y a pas d’infléchissement, il faut évoquer un déficit gonadotrope isolé. Un infléchissement supérieur à 1 DS est compatible avec un retard simple, mais mérite des investigations complémentaires.
4.Le démarrage de la puberté étant mieux corrélé à l’âge osseux qu’à l’âge civl, un impubérisme pour un âge osseux ayant dépassé 13 ans évoque un déficit gonadotrope.
5.L’obésité entraîne souvent une avance staturale, une avance d’âge osseux et une anticipation pubertaire (de quelques mois). L’association obésité et impubérisme doit faire évoquer un déficit gonadotrope.
6.Évocateur de processus tumoral ou d’une atteinte hypophysaire globale.
Retard simple de croissance et de puberté Déficit gonadotrope isolé ou combiné



• ATCD familiaux de puberté tardive1


• Pas d’ATCD familial d’infertilité ou d’anosmie2


• Infléchissement statural progressif et modéré de moins de 1 DSM3


• Pas de cassure de la courbe de taille3


• AO retardé < 13 ans (garçon) ou < 11 ans (fille) 4


• Pas d’obésité5


• Pas d’anosmie2


• Pas d’élément évocateur d’un «syndrome»


• Pas de signes d’HTIC ou de déficit visuel6


• Pas de signe de déficits hypophysaires combinés6


• Pas de cryptorchidie ni de micropénis2



• ATCD familiaux d’infertilité ou d’anosmie


• Pas d’infléchissement statural (évoque un déficit gonadotrope congénital) 3


• Cassure de la taille (évoque une tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire) 3


• Impubérisme avec AO > 13 ans4


• Obésité5


• Anosmie ou autres éléments cliniques du syndrome de Kallmann (syncinésie, etc.) 2


• Signes d’HTIC ou déficit visuel6


• Signes d’autres déficits hypophysaires6


• ATCD de cryptorchidie ou micropénis2



MALADIES CHRONIQUES ET ADOLESCENCE



INTRODUCTION


L’adolescence bouleverse l’équilibre progressivement établi entre la maladie chronique, le pédiatre, les parents (surtout la mère) et l’enfant malade.

Chez un enfant, la maladie chronique respecte et même amplifie les besoins psychologiques participant à son développement affectif. Ainsi elle renforce le lien de dépendance et le lien de soin qui tous deux caractérisent les relations entre l’enfant et ses parents. La maladie chronique instaure un lien de proximité privilégié, lien qui d’ailleurs n’est pas sans poser problème à la fratrie. Il n’est pas question d’ignorer la souffrance et les contraintes liées à la maladie mais de reconnaître aussi que chez l’enfant, pour ce qui concerne le développement psycho-affectif, cette maladie chronique respecte les exigences développementales. C’est probablement pour cette raison que les enfants malades chroniques font souvent preuve d’un grand équilibre affectif voire d’un réel épanouissement psychologique.

En revanche, à l’adolescence, la maladie chronique prend le contre-pied des exigences développementales:


Le passage de l’adolescence est toujours un temps difficile pour la personne atteinte d’une maladie chronique car ce passage s’accompagne d’un profond remaniement dans les relations entre:




– le sujet et sa maladie chronique;


– l’adolescent et ses parents, avec la «maladie» en arrière-plan;


– le «malade» et le médecin.



La diversité des maladies chroniques.


— Nombreuses sont les études qui ont montré l’absence de corrélation entre une maladie particulière et l’expression d’un profil de personnalité ou d’un état psychopathologique défini. Tous les travaux sur un nombre suffisant d’individus malades chroniques montrent que ceux-ci se répartissent, au plan des traits de personnalité et des diverses pathologies mentales à peu près de la même manière que la population tout-venant. Il est donc important de reconnaître que la présence d’une maladie chronique ne peut, à elle seule, imposer au fonctionnement psychique des contraintes telles qu’elles aboutissent à un profil psychologique ou psychopathologique monomorphe.

Toutefois certaines maladies peuvent, par leurs caractéristiques, faciliter ou renforcer l’expression d’un trait comportemental, par exemple un comportement d’allure volontiers obsessionnelle chez le diabétique insulinodépendant (sans que, cependant on retrouve une personnalité obsessionnelle).

Devant la grande diversité des maladies chroniques il peut sembler arbitraire de regrouper des situations cliniques aussi différentes où il faut prendre en compte:


À ces différences liées à la gravité, à la nature des maladies, il faudrait ajouter les différences liées aux traitements, aux contraintes qu’ils imposent: régimes, style de vie, obligations et interdictions diverses…

Face à cette diversité, l’enjeu en terme psychologique est relativement univoque: comment l’adolescent peut-il intégrer l’image d’un corps lésé dans un investissement narcissique qui ne soit pas lui aussi endommagé à travers une image de soi et/ou une estime de soi «lésées»: c’est à cette contradiction fondamentale qu’est confronté l’adolescent porteur d’une maladie chronique.

Cependant, si cet enjeu psychodynamique est commun à tous les adolescents il est essentiel de répéter que la maladie chronique ne provoque pas une pathologie mentale particulière et qu’il n’y a pas de corrélation entre un profil de personnalité précis et un type de maladie.

Grâce aux progrès de la médecine les enfants malades chroniques vivent plus longtemps. Selon S. Gortmacher et coll. (1984) 85% des enfants nés avec une anomalie congénitale survivent à l’âge adulte. On rencontre donc de plus en plus souvent d’enfants malades chroniques qui accèdent à l’adolescence et la dépassent. La maladie de Duchenne est de ce point de vue un exemple caricatural. Mais en outre il n’est pas rare que les adolescents malades chroniques cumulent plusieurs problèmes de santé comme le montre l’enquête de P.W. Newacheck (1991). Ce cumul de problème semble corréler à une limitation des activités et à des troubles associés du comportement (conflits avec les pairs, isolement social, etc.).


Maladies graves survenant à l’adolescence.


— La situation de l’adolescent porteur d’une maladie chronique est très différente de celle de l’adolescent en bonne santé jusque-là et atteint à cet âge d’une maladie grave. En effet, les enjeux psychodynamiques énoncés dans le paragraphe suivant ne sont pas les mêmes. Au plan clinique, le comportement le plus fréquemment observé est une attitude de régression affective parfois intense, l’adolescent pouvant retrouver des comportements de petit enfant. Au plan psychodynamique, le vécu de culpabilité semble d’autant plus intense que l’éclosion de la maladie est concomitante du processus pubertaire ou des mouvements affectifs d’individuation-séparation. Il n’est pas rare que l’adolescent vive sa maladie comme la «sanction» des émergences pulsionnelles nouvelles. Dans la suite de ce chapitre nous aborderons uniquement la situation de l’enfant malade chronique devenu adolescent.


LES ENJEUX PSYCHODYNAMIQUES




Impact de la maladie chronique sur la puberté et la croissance.


— Avant d’aborder le retentissement psychologique et psychopathologique de la maladie chronique sur l’adolescent, il importe de ne pas méconnaître les interactions somatiques entre cette maladie et le processus pubertaire (D.S. Rosen, 1991; P. Alvin, 1994). À cet âge, l’impact de la maladie chronique s’ajoute aux manifestations somatiques inhérentes à la maladie elle-même. En effet, certaines maladies chroniques provoquent:




– un retard pubertaire parfois très important;


– un retard de croissance qui peut devenir supérieur à plusieurs déviations standard.

Mais le processus pubertaire ou la poussée de croissance peuvent aussi avoir un impact sur la maladie provoquant:




– un déséquilibre du fait de facteurs physiologiques nouveaux en particulier hormonaux, déséquilibre qui se manifeste par une instabilité transitoire, des complications nouvelles (diabète insulino-dépendant, maladies autoimmunes, etc.);


– une majoration de certains symptômes en particulier osseux qui s’aggravent sous l’effet de la poussée de croissance: accentuation d’une déformation osseuse (scoliose), d’une asymétrie de croissance, etc.

D’un point de vue psychologique, ces faits peuvent renforcer le vécu négatif de l’individu face à sa maladie:




– à un âge où la pression des pairs est importante, la maladie chronique accentue l’écart par rapport à la moyenne (retard pubertaire, petite taille), écart qui était moins important, moins perceptible, voire protecteur du temps de l’enfance;


– la maladie chronique réalise une véritable «attaque du processus pubertaire» pouvant de ce fait accroître l’attitude de rejet agressif par l’adolescent ou inversement accentuer l’entrave à tout désir d’autonomie et d’individuation ne laissant que la régression comme seule issue.

Le poids de ces effets somatiques sur la puberté et la croissance s’ajoutent aux symptômes de la maladie chronique que l’enfant connaissait et dont il avait l’habitude. Ces effets négatifs peuvent temporairement prendre le contre-pied des espérances entretenues par l’enfant et ses parents (bien se soigner pour ménager l’avenir, préserver la croissance, etc.) et accentuer le mouvement de déception, de désillusion et même de dépression (voir cidessous). Ils expliquent aussi en partie au plan cognitif l’accrochage en des croyances magiques ou archaïques cohabitant avec des connaissances rationnelles (voir ci-dessous).


Maladie chronique et individuation: le défi de l’autonomie.




Liens parent(s)-adolescent.

— Les enquêtes épidémiologiques constatent la fréquente proximité entre l’adolescent et sa mère, les attitudes hyperprotectrices ou de contrôle excessif de la part des parents.

Habituellement il existe un lien privilégié de dépendance et de soin entre l’adolescent et sa mère qui peut être l’occasion de bénéfices secondaires importants, souvent de nature régressive; les soins exigés par la maladie sont, à l’évidence, l’occasion d’une proximité corporelle accrue qui peut aller jusqu’à une quasi-délégation par l’enfant puis l’adolescent de son corps, en partie ou en totalité, à ses parents.

Dans les familles fonctionnelles, le lien renforcé entre l’enfant malade et le(s) parent(s) ne s’est pas développé aux dépens des liens entre les parents et la fratrie ou des liens conjugaux; cependant il n’est pas rare que le lien privilégié mère-enfant malade ait modifié la qualité des autres liens familiaux expliquant la fréquence des conflits même si le divorce ne semble pas plus fréquent (B.F. Sabbeth et J.M. Leventhal, 1988) et des difficultés diverses dans la fratrie. Quand il existe ainsi un lien mère-enfant malade particulièrement intense et surtout d’allure exclusive ayant provoqué des perturbations dans les autres liens familiaux, la probabilité d’une conflictualité majeure autour de ce lien lors de l’adolescence est importante. Le lien de dépendance se teinte alors d’une ambivalence agressive-anxieuse majeure. Cette dépendance ambivalente et agressive-anxieuse est illustrée de façon caricaturale à travers certains comportements de non-observance de l’adolescent qui, par cette conduite, exprime parfois directement son agressivité et sa colère envers le parent. En même temps la mère accroît le contrôle, la surveillance, la sollicitude inquiète sur la vie quotidienne de l’adolescent du fait de son anxiété précisément justifiée et amplifiée par la non-observance.

Cette prise de distance dans le lien parents-adolescent malade nécessite donc le double mouvement de désengagement du lien œdipien comme pour tous les autres adolescents (voir chap. 1, Le second processus de séparation-individuation) mais il s’y ajoute en outre: du côté de l’adolescent la nécessité de renoncer au privilège du lien de soin régressif et aux bénéfices dont il avait pu être l’occasion. Du côté des parents, surtout de la mère, la capacité à accepter une prise d’autonomie et parfois de risque chez un enfant plus «fragile» que les autres, sans que cela provoque un surcroît d’anxiété propice au renforcement subreptice du lien dans d’autres secteurs de la vie sociale (par exemple: affecter de laisser l’adolescent diabétique autonome dans ses soins mais vérifier qu’il a bien pris «ses sucres», l’inscrire d’office au séjour de vacances des jeunes diabétiques…). Elle entraîne parfois un véritable état anxieux ou dépressif chez l’un ou l’autre parent.


Liens adolescents-pairs.

— Certaines études ne montrent pas de différence sur le plan des relations sociales et des amis entre adolescent malade et groupe témoin tandis que d’autres études rapportent des résultats contraires (L. Zirinsky, 1993). Les adolescents malades chroniques apparaissent souvent isolés, avec moins d’activités sociales, culturelles, de loisirs. Il est possible de penser que les liens accrus de dépendance familiale entravent l’établissement de ces liens sociaux. Par ailleurs, les effets de la maladie sur la puberté et la croissance accentuent encore l’écart entre l’adolescent et ses pairs majorant aussi bien la mise à distance ou le rejet (par les pairs) que la réaction de repli (par l’adolescent malade lui-même).

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Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on L’adolescence et les Pathologies Somatiques

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