5. Les psychostimulants
Stéphanie Bioulac and Manuel Bouvard
Les médicaments psychostimulants, notamment les amphétamines, sont parmi les plus anciens psychotropes utilisés en psychiatrie. C’est en 1937 que Bradley décrit, pour la première fois, la diminution de comportements impulsifs et agressifs chez un groupe d’enfants hyperactifs par les amphétamines [5]. Cependant, la découverte des antidépresseurs à la fin des années cinquante a entraîné une diminution nette des indications de ce type de traitement. De plus, le mésusage de ces molécules, de par leurs propriétés toxicomanogènes, a contribué à limiter leur emploi. Toutefois, depuis les années quatre-vingt-dix, cette classe thérapeutique connaît un regain d’intérêt.
Chez l’enfant et l’adolescent, la principale indication des psychostimulants est le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité (TDA/H). À l’heure actuelle, la seule molécule ayant l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en France et dans cette indication est le méthylphénidate. C’est donc ce produit que nous allons essentiellement développer dans ce chapitre. Nous évoquerons également les autres indications du méthylphénidate ainsi que les autres psychostimulants.
HISTORIQUE
Le méthylphénidate a été synthétisé en 1944 à Bâle dans les laboratoires de recherche de Ciba, par le Dr Panizzon. La Ritaline® (méthylphénidate) a été mise sur le marché en 1954 en Suisse, en Allemagne et introduite en 1956 aux États-Unis. En France, cette molécule a obtenu l’AMM le 31 juillet 1995 (AMM confirmée en 1998). C’est actuellement le seul psychostimulant pédiatrique disponible en officine en France.
PROPRIÉTÉS CHIMIQUES DES PSYCHOSTIMULANTS
DÉFINITION
Selon la classification de Delay et Deniker (1961) [8], les psychostimulants forment avec les antidépresseurs le groupe des substances psychoanaleptiques. Les psychostimulants se distinguent des antidépresseurs (thymoanaleptiques). On distingue deux sous-groupes de médicaments psychostimulants :
— les stimulants de la vigilance (nooanaleptiques) : amphétamines et apparentés;
— les psychostimulants «autres» : psychostimulants d’origine naturelle, psychostimulants à action métabolique et psychostimulants divers (des exemples sont donnés dans le tableau 5.1)
Psychostimulants d’origine naturelle | Vitamines du groupe C ou B Certains acides aminés (acide glutamique, acide aspartique…) Acide phosphorique |
Psychostimulants à action métabolique | Certaines hormones (hormones mâles, corticoïdes, anabolisants stéroïdiens…) Analeptiques cardiovasculaires (heptaminol, étiléfrine…) |
Psychostimulants divers | Caféine (antagoniste des récepteurs de l’adénosine) Adrafinil (agoniste direct des récepteurs α1-postsynaptiques |
Nous développerons ici essentiellement les amphétamines et apparentés, la plupart des autres molécules n’ayant pas fait l’objet d’évaluations standardisées.
LES PRODUITS
Les psychostimulants appartiennent à la classe thérapeutique des amphétamines et apparentés. Les dérivés de la phényléthylamine (PEA) sont les principaux représentants de ce groupe. Le chef de file en est l’amphétamine, composé doté d’une action centrale particulièrement puissante (synthétisée dans les années vingt).
À côté des dérivés de la phényléthylamine, d’autres composés de structure hétérocyclique possèdent également des propriétés psychostimulantes puissantes. Chez l’enfant, les principales molécules utilisées sont :
— le méthylphénidate (Ritaline®, Ritaline® LP et Concerta® LP);
— le modafinil (Modiodal®);
— la dextroamphétamine (Dexedrine®) [molécule non commercialisée en France];
— l’Aderall® (mélange de 75% de dextroamphétamine et 25% de lévoamphétamine) [molécule non commercialisée en France];
— la pémoline (molécule non commercialisée en France).
Le tableau 5.2 reprend les principales molécules psychostimulantes utilisées chez l’enfant et disponibles en France.
DCI | Spécialités | Indications |
---|---|---|
Méthylphénidate | Ritaline® | TDA/H chez l’enfant de plus de 6 ans Narcolepsie avec ou sans cataplexie, en cas d’inefficacité du modafinil chez l’enfant de plus de 6 ans |
Ritaline® LP | TDA/H chez l’enfant de plus de 6 ans | |
Concerta® LP | TDA/H chez l’enfant de plus de 6 ans et chez l’adolescent | |
Modafinil | Modiodal® | Narcolepsie avec ou sans cataplexie Hypersomnies idiopathiques |
Effets Pharmacologiques
Les psychostimulants amphétaminiques sont des agonistes sympathomimétiques indirects de mécanismes d’action complexe. Ils possèdent une activité agoniste directe des récepteurs adrénergiques et dopaminergiques et pour certains, comme la dextroamphétamine, une activité agoniste des récepteurs sérotoninergiques. Surtout, ils provoquent le déplacement des catécholamines des vésicules de stockage vers les terminaisons synaptiques, augmentant ainsi leur libération.
Le méthylphénidate et la dextroamphétamine agissent essentiellement en libérant la dopamine au niveau des terminaisons présynaptiques. Ces molécules se fixent au transporteur présynaptique de la dopamine sur le neurone dopaminergique. Elles bloquent alors la recapture de la dopamine, mais surtout provoquent la libération de dopamine. Ainsi, méthylphénidate et dextroamphétamine ne bloquent pas seulement le transport de la dopamine, mais semblent inverser sa direction en provoquant la sortie de dopamine hors de la terminaison neuronale. Le méthylphénidate semble agir moins rapidement, mais plus longtemps que la dextroamphétamine.
En ce qui concerne le modafinil, il semble qu’une partie de ses effets soient liés à une potentialisation de l’activité α1-adrénergique.
Cinétique
Les amphétamines développent une action maximale dans les 2h qui suivent la prise, période qui correspond à la phase de résorption, pendant laquelle se produit le pic de libération des monoamines dans la fente synaptique. Le tableau 5.3 reprend les cinétiques des principales molécules psychostimulantes utilisées chez l’enfant.
Molécules (DCI) | Pic plasmatique (durée après la prise) | Demi vie d’élimination (durée après la prise) |
---|---|---|
Méthylphénidate | 1-2h | 2-3h |
Dextroamphétamine | 1-2h | 4-6h |
Pémoline | 1-4h | 7-8h |
Modafinil | 2-3h | 10-12h |
On note des particularités cinétiques pour les deux molécules retard existantes en France :
— Ritaline® LP: deux pics plasmatiques distincts espacés par environ 4h d’intervalles;
— Concerta® LP: le pic plasmatique est atteint en 6 à 8h, puis les concentrations de méthylphénidate diminuent progressivement.
INDICATIONS
INDICATIONS DU MÉTHYLPHÉNIDATE
Le méthylphénidate a obtenu l’AMM en France pour l’indication TDA/H chez l’enfant de plus de 6 ans, sans limite supérieure d’âge pour la Ritaline® et la Ritaline® LP; le Concerta® LP est indiqué chez les enfants de plus de 6 ans et les adolescents.
Il existe plus de 170 études contrôlées avec les psychostimulants sur plus de 6000 enfants et adolescents traités [27]. Ces études explicitent clairement l’efficacité de cette molécule sur la triade symptomatique du TDA/H (hyperactivité, inattention et impulsivité). Les psychostimulants ont démontré leur efficacité quant à l’amélioration du fonctionnement cognitif et des performances scolaires des sujets traités. Cette amélioration a pu être évaluée par des tests de vigilance, de temps de réaction, des tests de mémoire à court terme [22]. Le méthylphénidate améliore également le fonctionnement social de l’enfant, ainsi que les interactions parents-enfants et au sein de la fratrie [1]. Parfois, ce traitement permet de diminuer les comportements de noncompliance et d’agressivité[31]. Une étude récente de Brown et al. [6] fait une revue de la littérature sur les différents traitements du TDA/H. Au total, 34 études utilisant le méthylphénidate ont été revues. Le méthylphénidate améliore le fonctionnement des sujets dans plusieurs domaines. Ces effets sont variables et apparaissent les plus importants en ce qui concerne la mesure de l’attention, la distractibilité et l’impulsivité. Ces effets sont aussi notables sur le comportement de l’enfant en classe, ainsi qu’au niveau de ses interactions sociales. Des résultats moins francs sont observés sur les performances scolaires. Dans ce travail, les auteurs n’ont pas mis en évidence de différences d’efficacité entre les psychostimulants suivants : méthylphénidate, dexedrine et pemoline. De plus, les molécules méthylphénidate à libération immédiate ou prolongée apparaissent d’efficacité comparable. Des informations complémentaires ont pu être recueillies par l’importante étude du National Institute of Mental Health (NIMH) [18, 19]. C’est une étude multicentrique qui a inclus 579 enfants de 7 à 9 ans, en les randomisant en quatre groupes de traitements: médication seule par méthylphénidate, traitement psychothérapeutique seul (thérapie comportementale), combinaison des deux et groupe témoin. Un premier travail rendait compte d’une supériorité du traitement combiné et d’un maintien à 14 mois, des bénéfices du traitement médicamenteux. Un second travail à 24 mois a confirmé la supériorité du traitement médicamenteux [18, 19]. Une revue de la littérature effectuée par Hechtman [13] montre une persistance de l’efficacité des psychostimulants à 2 ans de traitement (avec une diminution de la symptomatologie du TDA/H, une amélioration du fonctionnement social et des performances scolaires des enfants). Les quelques études à long terme et de suivi réalisées jusqu’à l’âge adulte recensées dans ce travail s’accordent sur un bénéfice du traitement dans l’enfance (notamment en ce qui concerne les habilités sociales et l’estime de soi).
AUTRES INDICATIONS DU MÉTHYLPHÉNIDATE
Le méthylphénidate peut être proposé dans le traitement de la narcolepsie, en particulier si elle s’accompagne de catalepsie (sachant que le psychostimulant le plus utilisé dans cette indication est le modafinil).
Il existe d’autres indications du méthylphénidate chez l’enfant, mais dans toutes ces situations, les études ont porté sur des effectifs réduits et restent parfois controversées.
Chez le sujet traumatisé crânien, il semble que le méthylphénidate améliore, l’attention, la mémoire et les capacités de concentration (pour revue, [25]). Cependant, des travaux sur des populations plus importantes sont nécessaires afin de déterminer les doses efficaces.
En ce qui concerne le retard mental, l’efficacité du méthylphénidate chez les sujets TDA/H comorbides avec un retard mental a été montrée dans plusieurs études avec une diminution de l’impulsivité et de l’inattention, mais il semble que l’efficacité des psychostimulants soit moindre que chez le sujet TDA/H non comorbide [21]. Quelques travaux existent aussi dans le trouble autistique [17].
Le méthylphénidate a été aussi proposé dans le traitement de certains comportements boulimiques sans que son efficacité soit clairement démontrée. Ce serait un traitement à proposer chez les patientes ne répondant pas aux traitements classiques [26].
Enfin, une autre indication serait l’amélioration des capacités attentionnelles et des habilités sociales chez les enfants en rémission de leucémie aiguë lymphoblastique et de tumeurs cérébrales malignes [20].
Le méthylphénidate a également été proposé pour potentialiser l’effet des antidépresseurs.
INDICATIONS DU MODAFINIL
Le modafinil est une molécule utilisée principalement dans le traitement de la narcolepsie et des hypersomnies idiopathiques. Ce traitement peut être proposé chez l’enfant s’il y a un retentissement fonctionnel de la narcolepsie et/ou si une catalepsie est associée [12].
Il existe quelques travaux sur l’efficacité du modafinil dans le TDA/H [3, 23]. Une étude récente rapporte des résultats intéressants avec une amélioration de la symptomatologie du TDA/H sur ses trois dimensions [3]. Ce mieux était notable en milieu scolaire et à la maison. Ce type d’étude est encourageant, et offre de nouvelles perspectives de traitement chez les sujets non répondeurs ou ayant des effets secondaires sérieux avec le méthylphénidate (notamment quand l’anorexie serait importante), mais les travaux sont encore insuffisants.
EFFETS SECONDAIRES ET INTERACTIONS MÉDICAMENTEUSES
La molécule la plus largement prescrite chez l’enfant étant le méthylphénidate, nous n’envisagerons ici que les effets secondaires et les interactions médicamenteuses de ce produit.
EFFETS SECONDAIRES
Le méthylphénidate est une molécule globalement bien tolérée. Ses effets secondaires sont en général transitoires, et disparaissent après quelques semaines de traitement ou après diminution de la posologie. Cependant, ils peuvent parfois conduire à l’arrêt du traitement.
Les effets sur le système nerveux central et périphérique sont les plus fréquents. Ce sont essentiellement l’irritabilité, la nervosité et les troubles de l’endormissement qui se produisent en début de traitement. Une diminution de la posologie et la nonprescription de méthylphénidate après 17h permettent souvent de contrôler de tels effets. Cependant, dans certains cas, une prise tardive de méthylphénidate peut améliorer l’endormissement et l’excès de motricité nocturne [16]. De même, une diminution de l’appétit, avec ou sans perte de poids, peut être notée en début de traitement. Elle est en général passagère et tend à disparaître au cours des premières semaines de traitement. Il existe de nombreux autres effets indésirables sur le système nerveux central et périphérique, mais qui sont plus rares: céphalées, somnolence, vertiges, dyskinésies et plus rarement difficultés d’accommodation et de flou visuel. Des cas isolés de crampes musculaires, de mouvements choréo-athétosiques ont été décrits. En ce qui concerne les tics, on note soit une apparition, soit une exacerbation de la symptomatologie chez des patients déjà atteints de tics et de la maladie de Gilles de la Tourette (il est classique de retrouver chez ces patients des antécédents personnels ou familiaux de ces troubles). Les crises convulsives sont rares. L’existence d’une épilepsie ne contre-indique pas le traitement, mais il est nécessaire que le traitement anticomitial soit équilibré avant l’introduction du traitement par méthylphénidate. De façon exceptionnelle, des cas de psychose toxique (avec hallucinations visuelles et auditives) ont pu être décrits, ainsi que des états dépressifs avec idées de suicide (la comorbidité hyperactivité/dépression n’étant pas rare, il ne faut pas imputer toute symptomatologie dépressive au traitement).