11. Les Différents États Psychotiques
INTRODUCTION : LES ENJEUX
Trois difficultés dominent en fait le problème des psychoses à l’adolescence.
PSYCHOSE OU SCHIZOPHRÉNIE: DIFFICULTÉS DIAGNOSTIQUES DES PSYCHOSES DÉBUTANTES
En effet, de nombreux signes considérés comme prodromiques du troubles psychotique majeur, la schizophrénie, se rencontrent également de façon significative dans une population d’adolescents normaux (tableau 11-I). C’est toute la question de la distinction entre la «crise d’adolescence» et la réalité du développement d’une pathologie psychotique.
Pensée magique | 51% |
---|---|
Expérience perceptuelle inhabituelle | 45,6% |
Altération marquée du fonctionnement | 41,1% |
Perte marquée des initiatives | 39,7% |
Comportement étrange marqué | 25,2% |
Discours digressif/sur élaboré | 21,7% |
Affects abrasés/inappropriés | 21,7% |
Isolement/repli social | 18,4% |
Diminution importante de l’hygiène | 8,1% |
D’autre part, les symptômes psychotiques-«clés»: les comportements bizarres, les troubles de la pensée, les hallucinations, les idées délirantes, peuvent se rencontrer dans de nombreuses catégories diagnostiques (fig. 11-I). Plutôt qu’à un diagnostic de psychose constituée, il est ainsi important de laisser une large place aux troubles de la personnalité.
Fig. 11-I (Source: EPPIC, cité par Grivois et Grosso, 1998). |
LA QUESTION DE L’ÉVOLUTION
Face aux symptômes psychotiques apparaissant à l’adolescence, en particulier ce que les psychiatres français continuent d’appeler la «bouffée délirante aiguë», les cliniciens réservent souvent leur appréciation pronostique. En effet, dans ce contexte de bouleversements multiples qu’est l’adolescence, un «moment psychotique» peut être passager. Cependant, s’il faut être ouvert quant à la question de l’évolution, il n’en faut pas moins traiter l’épisode, en qualifiant clairement les symptômes comme appartenant au registre de la psychose. Le piège étant de banaliser les signes cliniques sous prétexte que l’on a affaire à un adolescent et à ses éventuelles «originalités individuelles».
LA QUESTION DU LIEN ENTRE ADOLESCENCE ET FONCTIONNEMENT PSYCHOTIQUE
ÉPIDÉMIOLOGIE
On ne dispose que de très peu d’études épidémiologiques concernant les épisodes psychotiques aigus de l’adolescent.
PRÉVALENCE EN POPULATION GÉNÉRALE
D’un point de vue épidémiologique, si le taux de prévalence de vie entière des troubles schizophréniques est estimé à 0,2% en population générale, les enquêtes sur la survenue des troubles psychotiques en population générale sont quasiment inexistantes.
PRÉVALENCE EN POPULATION CLINIQUE
Nous pouvons dire, selon les études, que 5 à 20% des adolescents consultants ou hospitalisés présentent des troubles psychotiques. En 1968, A.S. Hendersonétudia une population de 230 adolescents premiers consultants âgés de 14 à 19 ans. Trente-cinq d’entre eux furent considérés comme psychotiques (15%) avec une prédominance de garçons par rapport aux filles. En 1976, I.B. Wiener et A.C. Del Gaudio étudièrent la distribution des catégories diagnostiques de 1 334 adolescents âgés de 12 à 18 ans hospitalisés ou consultants. Ils donnèrent le chiffre de 8,5% pour la schizophrénie (dans ce dernier travail, le terme «schizophrénie» est pris au sens large. Il inclut généralement toutes les formes d’états psychotiques, aigus, réactionnels ou chroniques).
FACTEURS DE RISQUE DE DÉCOMPENSATION PSYCHOOTIQUE
Ils ont été essentiellement étudiés dans le champ de la schizophrénie, mais sont pertinents dans le domaine élargi des décompensations psychotiques (tableau 11-II).
– Histoire familiale (1er degré) de psychose +++ – Personnalité vulnérable: schizotypique, schizoïde – Fonctionnement prémorbide altéré – Antécédents de traumatisme crânien (TC), faible QI – Antécédents de souffrances périnatales & obstétricales – Événements de vie + – Abus de substance ++ |
ÉTUDE CLINIQUE PHÉNOMÉNOLOGIQUE
MODES DE DEBUT
Il peut être soit très insidieux et progressif, soit brutal et aigu.
Dans le cas des débuts insidieux, l’enjeu réside dans le repérage de symptômes, discrets, mais qui, ensemble, entravent petit à petit le fonctionnement du sujet, voire débouchent sur des symptômes franchement productifs. Ces signes insidieux rejoignent les signes prodromiques qui ont été identifiés dans la schizophrénie (voir ci-après).
Cependant, de tels symptômes sont aspécifiques, et peuvent se rencontrer dans le processus même de l’adolescence, ou dans l’expression de certains troubles de la personnalité. Il convient malgré tout de les repérer pour pouvoir débuter une prise en charge s’ils entravent la vie du sujet, et en surveiller l’évolutivité.
L’étude de l’histoire du sujet et des antécédents familiaux permet de situer un peu plus précisément l’adolescent dans une population à risque de décompensation psychotique ou non (cf. supra). L’entourage familial joue un rôle primordial dans le repérage plus ou moins précoce de ces symptômes insidieux, et dans l’instauration, en temps utile, de la prise en charge. On a alors un aperçu de la disponibilité psychique de la famille et de sa capacité à réagir de façon adéquate aux difficultés de son adolescent. Cet élément aura une influence sur le pronostic des troubles.
DIVERSES CATEGORIES DIAGNOSTIQUES ET DESCRIPTIONS PHENOMENOLOGIQUES
Les états limites.
— Dans leur article sur les différentes expressions du fonctionnement psychique à l’adolescence, M. Corcos et Ph. Jeammet (M. Corcos, Ph. Jeammet, 2002) montrent à quel point «il est important dorénavant de parler en termes de fonctionnements, de mouvements, et non plus en termes de structure psychique». Cette dernière notion, trop figée, ne rend en effet pas compte de la formidable plasticité du fonctionnement humain, en fonction de ses éventuels facteurs de vulnérabilité généticobiologiques, de son environnement, et des différentes étapes de la vie qu’il traverse. «Un sujet peut ainsi fonctionner suivant un mode prévalent qui relève sur le plan de son fonctionnement psychique du registre névrotique, psychotique, pervers ou limite, sans pour autant être inscrit structurellement dans une pathologie nosographique correspondant à ce registre.»
Nous commençons donc, paradoxalement en apparence, le passage sur la «clinique des états psychotiques à l’adolescence» par un premier paragraphe évoquant le champ des pathologies limites. En effet, on peut observer des symptômes psychotiques aussi francs que des idées délirantes, des hallucinations, ou des troubles de cours de la pensée, sur un simple terrain de trouble de la personnalité, notamment de type état limite. Dans leur article, M. Botbol et coll. (M. Botbol et coll., 2005) citent une étude réalisée par P.H. Thomsen (P.H. Thomsen, 1996), qui montre que dix ans après un diagnostic de schizophrénie sur un groupe d’enfants et d’adolescents, 21% présentent en réalité un trouble de la personnalité, dont 12,4% de type borderline.
Ceci n’enlève rien à la gravité des symptômes psychotiques lorsqu’ils surviennent, et qui, encore une fois, doivent être pris en charge en tant que tels. Mais sans s’avancer sur une stigmatisation diagnostique trop rapide.
Toujours dans ce souci d’ouverture quant aux diagnostics, le trouble de la personnalité de type état limite doit lui aussi être questionné: l’adolescence étant une période de bouleversements majeurs et de remaniements psychiques permanents, on peut imaginer que l’on y observe deux sortes de sujets se présentant comme des états limite. D’une part, des sujets déjà réellement organisés sur un fonctionnement limite; et d’autre part, des sujets pour lesquels on pourrait dire que ce terme ne fait que décrire sémiologiquement l’ensemble de leurs symptômes, sans pour autant que le diagnostic d’état limite puisse être posé une fois pour toute: ils seraient des «états limites d’attente» (M. Botbol et coll., 2005) (M. Corcos, Ph. Jeammet, 2002).
Les bouffées délirantes aiguës et leurs équivalents nosographiques.
De nombreux autres termes peuvent se rencontrer: psychose délirante aiguë, état psychotique aigu. Dans le DSM-IV, cette catégorie diagnostique correspond aux «troubles psychotiques brefs» (durée inférieure à un mois) ou aux «troubles schizophréniformes (durée comprise entre un et six mois). Dans les pays anglo-saxons, on parle parfois aussi de «schizophrénie aiguë».
Clinique.
— Nous n’étudierons pas l’aspect sémiologique de ces épisodes délirants aigus, identique à celui de l’adulte. Rappelons la nécessité de rechercher une éventuelle prise de toxiques ou une organicité. Les thèmes délirants centrés sur les modifications corporelles, les craintes hypocondriaques, les thèmes sexuels ou mégalomaniaques, ou encore la filiation sont peut-être un peu plus fréquents que chez l’adulte. Toutefois, certains auteurs ont insisté sur la fréquence de ce qu’ils ont appelé l’épisode catatonique aigu. Cet épisode peut se développer en quelques heures et se manifester par une inhibition motrice majeure, un négativisme extrême ou au contraire une hyperactivité stérile et irrationnelle; un langage et des pensées confuses et paranoïdes. Les craintes sont centrées sur des thèmes d’homosexualité, de troubles sexuels, de culpabilité sexuelle ou sur l’ensemble de ces traits qui peuvent s’associer également avec des considérations tout à fait spéciales, philosophiques ou religieuses. De façon caractéristique, ces patients catatoniques expriment des souhaits ambivalents de transformation corporelle ou font part de l’impression d’avoir changé de sexe. Ils espèrent modifier immédiatement le monde pour le purifier et pour apporter des changements à d’autres personnes, changements qu’ils ont reçus comme une révélation. Souvent ces souhaits ou ces espoirs sont mis en acte de façon tout à fait inappropriée ou provoquent des comportements agressifs.
Comme pour l’adulte, l’abord purement sémiologique donne peu d’éléments de réponse quant à la question capitale posée par les épisodes délirants aigus de l’adolescent: leur évolution. En revanche, l’étude attentive du contexte peut fournir quelques éléments de réponse.
Évolution et pronostic.
L’ÉTUDE DES ANTÉCÉDENTS.
— Elle révèle parfois l’existence de difficultés antérieures jusque-là passées inaperçues ou bien tolérées par la famille: difficultés relationnelles avec un caractère «solitaire», investissement d’un secteur particulier. Parfois il s’agit de manifestations encore plus évocatrices d’un conflit psychique non surmonté comme en témoigne la persistance de phobies multiples ou surtout de rituels invalidants pendant la préadolescence. À l’inverse, parfois aucun signe de conflit mentalisé n’est retrouvé: ces enfants ont toujours été sages, ils n’ont jamais suscité de difficulté ou créé de problème. Les diverses étapes marquées normalement par un conflit ont été surmontées aisément en apparence et même trop aisément (pas de trace d’angoisse du huitième mois, pas de rejeton symptomatique témoin du conflit œdipien). Ailleurs, les divers organisateurs de la vie psychique n’ont pas trouvé leurs places (pas d’objet transitionnel par exemple). Cette apparente «aconflictualité», ce conformisme à l’environnement doivent faire évoquer l’existence d’une organisation plaquée tel qu’un faux self (Winnicott) ou d’un tableau de niaiserie (Diatkine), organisation dont la cohérence défensive ne tient plus face aux exigences pulsionnelles nouvelles de la puberté.
Quelques cas enfin évoquent l’existence d’une psychose infantile antérieure cicatrisée ou équilibrée dont la décompensation s’inaugure par un épisode en apparence aigu. Il ne s’agira alors pas tant d’un autisme infantile précoce que d’une psychose de la seconde enfance. L’existence de ces différents antécédents induit une hypothèse pronostique défavorable.
L’ÂGE D’APPARITION.
— Sans être prépondérant, l’âge d’apparition constitue également un élément important de pronostic. Dans notre expérience personnelle, plus les épisodes délirants aigus apparaissent tôt, plus une évolution vers une psychose chronique est à craindre. Avant 15 ans, la majorité de ces épisodes délirants aigus évoluent en effet vers une schizophrénie. Après 15 ans, plus l’adolescent se rapproche du jeune adulte, plus l’évolution est favorable. Il semble que dans le premier cas l’extrême fragilité du Moi n’ait pas pu offrir une résistance suffisante dès les premières poussées pulsionnelles de la préadolescence: ceci traduit des défaillances primaires profondes dans l’établissement du narcissisme. En revanche, les épisodes psychotiques aigus qui apparaissent au milieu ou en fin de l’adolescence sont plus liés aux conflits propres à cette phase (conflit de désir sexuel, conflit d’identification, etc.); même si le Moi renonce temporairement à ses capacités adaptatives et médiatrices le fondement de l’identité narcissique semble être moins remis en cause dans cette seconde éventualité.
LES DONNÉES SÉMIOLOGIQUES.
LES DONNÉES FAMILIALES ET SOCIOCULTURELLES.
— Au point de vue familial, une charge héréditaire en troubles schizophréniques est de mauvais pronostic. Au point de vue socioculturel, la transplantation est un facteur de bon pronostic, la bouffée délirante apparaît comme le résultat de l’isolement, de la situation sociale précaire et de la situation conflictuelle aiguë, liés à la transculturation.
L’ÉVOLUTION.
— Peu de travaux fournissent objectivement des données sur l’évolution. Une étude, réalisée dans les années 1990 (Carlson et coll., 1994), retrouvait les chiffres suivants: 45% des troubles schizophréniformes surviennent avant l’âge de 20 ans; dans cette population adolescente, ils évoluent dans 58% des cas vers une schizophrénie, et dans 18,3% des cas vers des troubles bipolaires. (M. Botbol et coll., 2005). Antérieurement, dans son Traité de psychiatrie, J.D. Guelfi (J.D. Guelfi et coll., 3e de 1994) évoquait les chiffres suivants, concernant l’évolution des bouffées délirantes aiguës, sans distinction selon l’âge de début des troubles: 25 à 40% d’évolution favorable, avec retour à l’état antérieur et absence de récidive; 30 à 50% d’évolution vers des troubles bipolaires de l’humeur; 15 à 30% d’évolution vers la constitution d’une schizophrénie.
À l’adolescence, les psychoses délirantes aiguës, en particulier les bouffées délirantes aiguës représentent donc un problème psychopathologique très intéressant (D. Marcelli et coll., 2002). Elles peuvent manifester un échec du sujet à résoudre ses conflits et témoigner d’un débordement du Moi, mais elles peuvent aussi, grâce au remaniement profond de l’équilibre intrapsychique, déboucher sur un processus dynamique aboutissant à un nouveau mode de fonctionnement mental qui échappe ainsi au blocage ou à une régression plus désorganisante.
La schizophrénie stricto sensu.
— L’angoissante interrogation d’un début possible de schizophrénie infiltre trop souvent le champ de préoccupations du psychiatre d’adolescents et risque d’aboutir à une attitude de repérage sémiologique appauvrissante et dangereuse. On en connaît les excès justement dénoncés: par exemple, faire de tout adolescent qui s’attarde un peu trop longtemps et complaisamment devant la glace un schizophrène doutant de son identité, ou faire d’une excentricité passagère une bizarrerie du comportement évocatrice de psychose. Il n’en reste pas moins vrai que la schizophrénie commence souvent à l’adolescence.
Le diagnostic d’une schizophrénie débutante reste difficile. Malgré l’utilisation de méthodologie plus rigoureuses dans les études les plus récentes (Structured Interview for Prodromal Syndromes), la sensibilité et la spécificité des signes prodromiques de schizophrénie reste faible.
Il est aujourd’hui classique de distinguer trois phases évolutives:
– une phase prodromique (tableaux 11-IV et 11-V);
– Diminution attention et concentration – Diminution de l’énergie, des motivations – Humeur dépressive – Troubles du sommeil – Anxiété – Retrait social – Suspicion – Altération globale du fonctionnement scolaire et social – Irritabilité |
– L’adolescent se plaint de ne plus pouvoir diriger ses pensées: de la difficulté récente de concentration au vide de la pensée. – L’adolescent se plaint de ne pouvoir contrôler ses actes: de l’inertie désagréable à l’agitation désorganisée. – L’adolescent se plaint de ne plus ressentir ses émotions: de la froideur inappropriée aux colères incontrôlables. – Sentiments fréquents et pénibles d’être observé. |
– une phase psychotique franche.
Nous renvoyons le lecteur aux traités de psychiatrie adulte en ce qui concerne la description de l’autisme, de la discordance et du délire. On peut cependant décrire trois domaines de désorganistions caractéristiques de la phase psychotique franche:
– défaillance psychomotrice: réduction et appauvrissement progressifs et marqués des activités verbales, mentales et motrices (≠ délit);
– désorganisation de la pensée: pensées, paroles et/ou comportements bizarres, affects inappropriés (≠ défi);
– distorsion de la réalité: idées projectives permanentes, délire, hallucinations, déni.
Malgré la diversité des conduites initiales, on peut distinguer classiquement trois grands types de début:
– les formes aiguës dont la fréquence est estimée de 30 à 50% selon les auteurs et qui représentaient, pour Bleuler, les deux tiers des modes d’entrée: bouffée délirante ou état confusionnel aigu, mais aussi trouble d’allure maniaque, mélancolique ou mixte, inquiétants par leur caractère atypique. Bien qu’exceptionnels à l’adolescence, nous devons citer à part les syndromes catatoniques dont il ne faut pas oublier la possible étiologie organique (D. Cohen et coll., 2006);
– les formes insidieuses les plus difficiles à détecter où s’observent volontiers un fléchissement ou même un effondrement scolaire, ailleurs des conduites bizarres impulsives ou compulsives.
L’angoisse est le trait commun à tous ces modes de début. Celle-ci est diffuse, envahissante et manque exceptionnellement. Si à cette angoisse s’associent une bizarrerie des conduites et une froideur du contact, le diagnostic s’évoque encore plus volontiers.
Après une période d’incertitude, l’ensemble de la symptomatologie apparaît en quelques mois rendant alors le diagnostic possible: en effet, le critère d’une durée d’évolution d’au moins six mois est nécessaire pour poser le diagnostic.
Pour mémoire, nous citerons les six critères retenus par la classification DSM-IV évoquée précédemment:
1) Au moins un des symptômes classiques de la schizophrénie (idées délirantes, hallucinations, troubles du cours de la pensée).
2) Une détérioration dans le domaine du travail, des relations sociales ou des soins personnels.
3) La présence depuis au moins six mois d’une «phase active».
4) L’exclusion d’un Trouble schizoaffectif et d’un Trouble de l’humeur.
5) L’exclusion d’une affection médicale générale ou due à une substance.
6) Préciser si besoin la relation avec un Trouble autistique ou un autre Trouble évoluant du développement dans l’enfance.
La DUP.
– Les études sur les antécédents de ces patients se sont multipliées, avec deux soucis principaux: rechercher dans les antécédents des patients schizophrènes des manifestations symptomatiques discrètes dites maintenant «sub-syndromiques» afin de mieux identifier les sujets dits «à risque»; d’autre part tenter de réduire autant que faire se peut la Duration of Untreated Psychosis (DUP), période au cours de laquelle l’ensemble des symptômes sont présents, même si c’est de façon encore modérée, présence qui devrait permettre de poser le diagnostic et d’entreprendre un traitement. Selon ces psychiatres épidémiologistes, toutes les études au long cours montrent en effet que plus cette période sans traitement est longue, plus mauvais est le pronostic. La conclusion est évidente: tout doit être fait pour diminuer le temps de la DUP et entreprendre le plus tôt possible un traitement.
Mais comme le rappelle l’un d’entre nous, l’intérêt porté à cette DUP n’est pas sans risque: «je n’ai jamais rien lu sur l’alliance thérapeutique, sur les effets de résistance aussi bien du jeune lui-même que de ses parents face à cette désignation potentiellement pathologique, sans parler des mouvements préconscients ou inconscients (mais existent-ils encore?). Que la période de la DUP corresponde à des dénégations, à des résistances face à l’acceptation d’une pathologie redoutée, qu’elle soit d’autant plus durable que ces résistances sont fortes, tout cela semble sinon ignoré, du moins passé sous silence. Mais une leçon doit être retenue: quand le clinicien est à peu près sûr du diagnostic, son devoir éthique doit le conduire à tout faire pour que ce patient et cette famille accepte les soins le plus rapidement possible. Se draper dans sa théorie et désigner le patient ou la famille comme responsable des atermoiements n’est pas acceptable» (D. Marcelli, 2005).
Diagnostic differentiel entre schizophrénie débutante et «crise» à l’adolescence.
L’importance de ce critère évolutif explique que le diagnostic soit d’autant plus difficile que les troubles en sont à leur début. Par conséquent, l’attitude diagnostique consisterait alors, comme le recommande la DSM-IV, à n’évoquer le diagnostic de schizophrénie qu’après six mois au moins de troubles patents. Mais la question n’est pas purement diagnostique: lorsqu’on connaît la réversibilité à l’adolescence des troubles même les plus graves il est tentant d’agir précocement de façon adaptée. D’où le besoin d’apprécier en profondeur des troubles dont la potentialité psychotique est suspectée. Habituellement trois repères sont évoqués: les antécédents du sujet; l’aspect clinique proprement dit; une évaluation fine et détaillée du fonctionnement mental.
Les antécédents du sujet.
— Parmi les antécédents du sujet, trois séries d’éléments en faveur d’une schizophrénie débutante sont recherchées: la survenue antérieure d’épisodes équivalents; les différents facteurs considérés comme caractéristiques des populations à «haut risque» de schizophrénie; les traits de personnalités schizoïdes.
Vis-à-vis d’un adolescent dont les conduites font craindre un début de schizophrénie, la première question est de savoir s’il s’agit d’un premier épisode ou si des manifestations similaires sont déjà survenues. La première éventualité est la plus fréquente: seulement 1% de toutes les schizophrénies apparaît avant 10 ans, et 4% avant 14 ans (R.J. Corboz, 1969).
D’autres antécédents sont moins évocateurs: les résultats des études sur les populations exposées à un «haut risque» de schizophrénie doivent cependant être cités. Rappelons quelques facteurs qui caractérisent ces populations à «haut risque»:
– la présence d’un ou des deux parents schizophrènes: 10% de tous les enfants qui ont un parent schizophrène développent plus tard une schizophrénie, mais seulement 10 à 20% des schizophrènes ont des parents schizophrènes (S.A. Shapiro, 1981);
– la survenue de difficultés au cours de la grossesse et de complications néo-natales dans les antécédents du sujet. La signification de ces éléments et leurs liens de causalité avec les schizophrénies restent cependant peu clairs à ce jour (S.A. Mednick, 1970);
– le faible poids de naissance dans les antécédents est statistiquement un élément dont l’incidence est relativement élevée. Il a été, pour certains, associé à une prédisposition génétique (R.B. Rieder, 1980);
– un retard dans le développement sensori-moteur a été considéré comme un facteur de «haut risque». Mais là aussi les difficultés méthodologiques et les diverses interprétations possibles ne permettent pas de conclure clairement.
Les limites de ces enquêtes et les limites de la notion de «facteur de risque», de «vulnérabilité» ou de «compétence» ont été abordées dans Enfance et psychopathologie (cf. chap. 13). Elles gardent toute leur importance à propos de l’adolescent et nous conseillons aux lecteurs de s’y référer.
Les éléments cliniques.
— Le tableau clinique d’un processus schizophrénique débutant est difficile à différencier d’un état passager de crise quand les manifestations s’installent de façon progressive et insidieuse.
Dans l’ensemble, le diagnostic différentiel est difficile mais certains signes doivent cependant l’éclairer: ainsi l’adolescent non psychotique maintiendra, même au plus haut niveau de sa crise, un contact adéquat avec la réalité. Chez lui, l’étrangeté du comportement sera limitée à une sphère relationnelle assez précise, essentiellement la famille et surtout les parents, parfois le milieu scolaire mais ailleurs, en particulier au milieu de ses pairs, il apparaîtra tout à fait normal. L’opinion de l’entourage peut être intéressante à obtenir: en effet, chez cet adolescent non psychotique, le comportement restera compréhensible même à ceux qui n’ont pas de connaissance psychologique particulière; en revanche, ce ne sera pas le cas pour le jeune schizophrène dont le comportement apparaîtra rapidement chaotique et sans but réel, même aux yeux de ses pairs.
Évidemment dans les cas où l’examen clinique lui-même ne permet pas de porter un diagnostic, les tests de personnalité fourniront une information complémentaire. Ce que l’adolescent ne peut exprimer par le langage ou l’agir, il le représente souvent dans une forme symbolique qui est plus intéressante (cf. chap. 3).
Analyse du fonctionnement mental du sujet.
— La suspicion d’une potentialité psychotique et plus encore d’un processus schizophrénique débutant doit enfin s’appuyer sur une appréciation fine et approfondie du fonctionnement mental et de son évolution dans le cours de l’adolescence. Rappelons qu’il y a des parallélismes étonnants entre les phénomènes psychologiques normaux de la transformation de la personnalité au début de l’adolescence et le commencement d’un état psychotique. Dans les deux cas le Moi est en état de faiblesse, parfois même partiellement désintégré; cet état s’accompagne d’un phénomène de régression. Dans les deux cas il y a une fluctuation de l’équilibre affectif associée à des tendances aux réactions dépressives et dysphoriques, à une anxiété envahissante. Dans les deux cas il y a une rupture plus ou moins brusque des liens affectifs avec l’environnement, une affirmation exagérée des tendances égocentriques renforcées par des conduites d’opposition évidente. Cette similitude conduit plusieurs psychanalystes à évoquer des manifestations de type psychotique dans le déroulement de toute adolescence: «il est significatif de voir que, même dans le cas d’un développement normal, l’adolescent traverse parfois des périodes de retrait narcissique allant jusqu’à la perte réelle de l’objet interne et de l’identité… Pour tenter de se protéger contre les tendances pulsionnelles déchaînées, l’adolescent a parfois recours à des défenses de type primitif, telles que le déni, et à des mécanismes infantiles d’introjection et de projection. Ce qui importe alors est moins la durée que la réversibilité de ces états. Ils sont suivis normalement par un retour au monde objectal et de nouveaux progrès» (F. Jacobson, 1975). La réversibilité et la variabilité de ces états témoignent de la continuité du développement. En revanche, lorsque ces états se fixent ou s’organisent sur un mode rigide, lorsque «les conflits de culpabilité sont absents et remplacés par des conflits de honte et d’infériorité et par des craintes paranoïdes d’être abandonné sans défense, on peut supposer à juste titre des processus régressifs qui affectent le Moi et le Surmoi et annoncent un terrain propice à la schizophrénie paranoïde et à la marginalité». Insistons enfin sur un autre mécanisme mental de défense commun aux adolescents et aux psychotiques: l’identification projective. Tout adolescent utilise l’identification projective mais l’adolescent psychotique, lui, y recourt de manière massive et prépondérante.