4. L’atrophie Multisystématisée
Le terme d’atrophie multisystématisée a été introduit en 1969 par Graham et Oppenheimer [1]. Cette entité se caractérise cliniquement par la combinaison à des degrés divers de symptômes parkinsoniens, dysautonomiques, pyramidaux et cérébelleux. Cette dénomination d’atrophie multisystématisée illustre l’unité nosologique d’affections auparavant désignées sous les termes de syndrome de Shy et Drager, dégénérescence striato-nigrique et atrophie olivo-ponto-cérébelleuse non familiale. Ces différentes affections ont des caractéristiques cliniques et neuropathologiques communes, avec présence d’inclusions oligodendrogliales caractéristiques contenant de l’alpha-synucléine [2]. Cette pathologie s’intègre dans le cadre des synucléinopathies avec la maladie de Parkinson et la démence à corps de Lewy.
L’atrophie multisystématisée est une maladie neurodégénérative sporadique d’évolution progressive, de cause inconnue. Elle constitue la forme la plus fréquente de syndrome parkinsonien atypique. Classiquement, le début se situe entre 52 et 63 ans, avec des extrêmes allant de 30 à 80 ans. Une légère prédominance masculine est souvent signalée. L’atrophie multisystématisée est la pathologie la plus fréquemment confondue cliniquement avec la maladie de Parkinson. Sa fréquence est d’environ une atrophie multisystématisée pour 10 à 20 maladies de Parkinson. La prévalence estimée dans la population générale est comprise entre 8 et 17 pour 100 000 habitants.
Le handicap moteur est beaucoup plus précoce du fait de la faible efficacité des traitements antiparkinsoniens.
Manifestations Cliniques
Les principales manifestations cliniques de l’atrophie multisystématisée sont un syndrome parkinsonien, un syndrome cérébelleux, un syndrome pyramidal et une dysautonomie [3]. Dans l’atrophie multisystématisée de type P, c’est le syndrome parkinsonien qui prédomine ; dans celle de type C, c’est le syndrome cérébelleux. Trois quarts des atrophies multisystématisées sont de type P prédominante et un quart de type C prédominante. L’expression de la dysautonomie est presque constante. Le mode de début est donc variable en fonction de la forme clinique.
Le Syndrome Parkinsonien
Le syndrome parkinsonien, constant dans les formes P, est présent dans 50% des formes C [4]. Il s’exprime par un syndrome akinéto-hypertonique à prédominance axiale, parfois asymétrique. Le tremblement est souvent atypique, rapide et irrégulier avec une composante posturale myoclonique. Dans moins de 10% des cas, il s’agit d’un tremblement de repos caractéristique d’une maladie de Parkinson [3]. L’instabilité posturale et les chutes sont très précoces de même que l’hypophonie et l’antécolis. Les troubles de la marche peuvent inaugurer l’affection. Globalement, l’efficacité de la L-dopa est souvent faible ou nulle [5]. Un bénéfice significatif et prolongé au-delà de 3 à 5 ans ne concerne qu’une minorité de patients (10%). Les dyskinésies dopa-induites sont moins fréquentes dans l’atrophie multisystématisée que dans la maladie de Parkinson (un tiers des patients après 5 ans de traitement [3]). Ces dyskinésies, souvent de localisation orofaciale, volontiers asymétriques, présentent souvent un caractère dystonique. Des dystonies non dopa-induites sont également rapportées avec un caractère focal et fixé.
Le Syndrome Cérébelleux
Le syndrome cérébelleux est observé dans 54% des cas [3]. Il est précoce et intense dans l’atrophie multisystématisée de type C, plus tardif dans la forme de type P où il est alors masqué par le syndrome parkinsonien. Il se traduit par une instabilité à la marche avec élargissement du polygone de sustentation. Un syndrome cinétique et un tremblement intentionnel peuvent être présents, de même qu’une dysarthrie avec voix scandée s’associant à l’hypophonie de la dysarthrie parkinsonienne. Les signes cérébelleux oculaires tels qu’un nystagmus, des saccades hypo- ou hypermétriques et des anomalies de fixation peuvent constituer une aide au diagnostic.
Les Signes Pyramidaux
Les signes pyramidaux sont très fréquemment observés (50% des patients) sous forme d’un réflexe cutané plantaire en extension associé à des réflexes vifs et diffusés [3].
Les Signes de Dysautonomie
Les signes de dysautonomie sont précoces et constants au cours de l’évolution.
La première manifestation clinique de cette dysautonomie est le plus souvent génitosphinctérienne sous forme d’une impuissance chez l’homme et de troubles urinaires variés: hypertonie avec instabilité du détrusor dans deux tiers des cas (pollakiurie nocturne, urgences urinaires avec résidu postmictionnel, incontinence), faiblesse du détrusor avec rétention chronique dans un tiers des cas [6].
Sur le plan digestif, une constipation sévère peut être liée à des spasmes dystoniques et douloureux du sphincter. Diarrhée et incontinence rectales sont aussi également rapportées. L’hypotension orthostatique est observée dans 68% des cas, se traduisant par une sensation d’asthénie, de vertige ou de lipothymie lors des changements de position. Les épisodes de syncope sont possibles mais rares (15% des cas). Cette hypotension s’accompagne d’une disparition de la tachycardie réactionnelle. Elle est définie par une baisse d’au moins 30 mm Hg de la tension systolique et ou une baisse de la tension diastolique d’au moins 15 mm Hg après 3 minutes d’orthostatisme. D’autres signes cliniques de dysautonomie peuvent exister: troubles vasomoteurs avec mains froides et violacées, troubles de la sudation et de la thermorégulation, troubles de la motricité pupillaire, diminution des sécrétions lacrymales et sécheresse buccale.
Autres Signes Cliniques
D’autres signes cliniques ont été décrits: un antécolis sévère et précoce ; un ronflement nocturne avec paralysie des abducteurs des cordes vocales responsables d’un stridor par dégénérescence du noyau ambigu, pouvant justifier parfois une trachéotomie ; des troubles du sommeil avec ronflements, apnée et troubles du comportement en sommeil paradoxal ; des myoclonies spontanées ou déclenchées par des stimuli sensitifs ; une atteinte de la corne antérieure ; un syndrome pseudo-bulbaire ; une dystonie des membres ; des douleurs rhumatismales liées le plus souvent à des contractures dystoniques. Les troubles oculomoteurs se caractérisent également par des anomalies de fixation et une limitation de la verticalité, surtout des saccades vers le haut, et plus rarement de l’horizontalité.
Lésions Anatomopathologiques
À l’examen macroscopique, on observe une atrophie du cervelet, des olives bulbaires, du pont, du locus cœruleus, de la substance noire et du putamen dont la coloration brunâtre est liée à une surcharge en fer.
Sur le plan microscopique, les lésions anatomopathologiques associent une perte neuronale et une gliose atteignant de façon variable les relais des ganglions de la base (striatum, substance noire), du cervelet (cellule de Purkinje, olives bulbaires inférieures, pédoncules cérébelleux moyens et inférieurs), des centres neurovégétatifs (noyau dorsal du vague, noyau ambigu, colonne intermédiolatérale de la moelle, noyau d’Onuf), du système pyramidal et d’autres noyaux (locus cœruleus, noyaux du pont) [7].
La présence d’inclusions argyrophiles (mises en évidence par des imprégnations argentiques) intracytoplasmiques et intranucléaires dans les oligodendrocytes, et de façon moins abondante dans le cytoplasme et le noyau des neurones, est caractéristique des atrophies multisystématisées [8] mais n’est pas pathognomonique puisque ces anomalies ont aussi été détectées dans plusieurs cas de paralysie supranucléaire progressive et de dégénérescence cortico-basale [9]. Ces inclusions sont marquées par les anticorps dirigés contre l’alpha-synucléine. La présence de corps de Lewy n’exclut pas le diagnostic d’atrophie multisystématisée si les autres aspects cliniques et neuropathologiques sont présents (les corps de Lewy peuvent être observés incidemment en raison de leur prévalence élevée dans la population de cet âge).
Critères Diagnostiques
Ils sont détaillés dans le tableau 4.1[10]. Les critères d’atrophie multisystématisée ont fait l’objet de plusieurs révisions (pour une synthèse, voir [11]). Ces critères ont une bonne valeur prédictive positive supérieure à 80%[12]. La notion de dysautonomie occupe maintenant une place plus importante.
Domaine clinique | 1 – Dysautonomie Signes: hypotension orthostatique (> 20 mmHg pour la systolique et > 10 mmHg pour la diastolique à 3 minutes) ; incontinence urinaire ou vidange vésicale incomplète Critères: hypotension orthostatique symptomatique ou non (> 30 mmHg pour la systolique et > 15 mmHg pour la diastolique à 3 minutes) ou incontinence urinaire (vidange vésicale involontaire, persistante partielle ou totale, accompagnée d’impuissance chez l’homme) 2 – Syndrome parkinsonien Signes: bradykinésie, rigidité, tremblement, troubles posturaux Critères: bradykinésie, plus un autre signe 3 – Syndromes cérébelleux Signes: ataxie à la marche (polygone élargi et pas irréguliers), dysarthrie, ataxie des membres, nystagmus soutenu dans le regard latéral Critères: ataxie à la marche, plus un autre signe 4 – Atteinte du faisceau cortico-spinal Signes de Babinski, plus réflexes vifs |
Définitions | 1 – Atrophie multisystématisée certaine: confirmation pathologique 2 – Atrophie multisystématisée probable: un critère de dysautonomie, plus un critère de syndrome parkinsonien peu dopa-sensible (réponse < 50%, dose > 1 g, 3 mois) ou un critère cérébelleux 3 – Atrophie multisystématisée possible: un critère d’un domaine, plus 2 autres signes de domaines différents ; si le syndrome parkinsonien a une réponse pauvre à la L-dopa, alors un seul signe supplémentaire suffit |
Critères d’exclusion | – Âge inférieur à 30 ans, histoire familiale similaire – Maladie systémique ou autres causes neurologiques expliquant les troubles, hallucinations spontanées, démence (DSM-IV) – Saccades verticales lentes ou paralysie supranucléaire – Signes corticaux: aphasie, membres étrangers, apraxie |
Troubles Cognitifs
Selon Quinn [13], l’atrophie multisystématisée n’entraîne pas de baisse globale de l’efficience cognitive. Cependant, un examen approfondi des fonctions cognitives révèle chez ces patients l’existence d’un certain nombre de dysfonctionnements de type frontal. Par exemple, en utilisant une large batterie de tests, Robbins et coll. [14] n’ont observé aucun trouble d’apprentissage ni de mémoire, mais des déficits à l’ensemble des épreuves sensibles aux lésions du lobe frontal et à la maladie de Parkinson. Comparativement à un groupe de sujets sains strictement appariés, les patients ayant une atrophie multisystématisée avaient des déficits à une épreuve de mémoire de travail visuospatiale où on leur demandait à chaque essai de sélectionner parmi des localisations spatiales une localisation qui n’avait pas encore été sélectionnée aux essais précédents. Ils présentaient aussi des troubles de la planification au test de la Tour de Londres et des difficultés à alterner entre des catégories de réponse à une épreuve de flexibilité cognitive. En revanche, leur performance aux épreuves d’apprentissage associatif et de reconnaissance des objets et des localisations spatiales était comparable à celle des témoins. Le profil de performance observé était très proche de celui rencontré dans les lésions focales du lobe frontal.
Robbins et coll. [15] ont aussi tenté de comparer les troubles cognitifs observés dans l’atrophie multisystématisée à ceux observés dans les autres syndromes parkinsoniens. Parmi les épreuves utilisées dans l’étude précédente, ils n’ont retenu que celles sensibles aux lésions focales frontales et pour lesquelles les patients ayant une atrophie multisystématisée avaient des déficits. Ils les ont alors administrées à des patients parkinsoniens, des patients souffrant d’une paralysie supranucléaire progressive ou d’une atrophie multisystématisée et ont comparé la performance de chaque groupe à celle d’un groupe de témoins sains strictement appariés. Par rapport à leur groupe contrôle, les patients ayant une atrophie multisystématisée présentaient des déficits à l’ensemble des épreuves sensibles aux dysfonctionnements frontaux. Ces déficits étaient moins sévères que ceux observés dans la paralysie supranucléaire progressive et presque comparables à ceux présentés par les parkinsoniens. Une différence entre les deux affections apparaissait à l’épreuve de la Tour de Londres, où les patients souffrant d’une atrophie multisystématisée avaient un profil plus proche des sujets frontaux que des parkinsoniens. En effet, comme dans les lésions frontales focales, les patients ayant une atrophie multisystématisée effectuaient un premier déplacement aussi rapidement que la population de référence ; par contre, la latence des déplacements ultérieurs était significativement plus élevée. À l’opposé, dans la maladie de Parkinson, la latence du premier déplacement était plus longue, alors que celle des déplacements suivants était normale.
À partir de ces résultats et malgré l’absence de comparaison directe des groupes de patients en raison de caractéristiques d’âge et de niveau de scolarité trop variables d’un groupe à l’autre, Robbins et coll. [15] ont proposé que le mécanisme à l’origine des dysfonctionnements cognitifs était identique dans la maladie de Parkinson et l’atrophie multisystématisée.
Malgré l’utilisation de procédures de test beaucoup moins spécifiques, cette similarité des profils cognitifs dans la maladie de Parkinson et l’atrophie multisystématisée a aussi été retrouvée par Testa et coll. [16], qui ont rapporté dans les deux affections un ralentissement psychomoteur marqué, des troubles de l’organisation visuospatiale et des difficultés visuoconstructives.
D’autres travaux ont cependant suggéré l’existence de différences dans le profil cognitif de ces deux types de patients.
Pillon et coll. [17] ont aussi comparé le syndrome dysexécutif présenté chez les patients souffrant d’une maladie de Parkinson, d’une paralysie supranucléaire progressive ou d’une atrophie multisystématisée. Ils ont observé que les patients ayant une paralysie supranucléaire progressive étaient plus sévèrement atteints que ceux des deux autres groupes. Le syndrome dysexécutif des parkinsoniens et des patients ayant une atrophie multisystématisée, bien que comparable, était cependant plus sélectif dans l’atrophie multisystématisée que dans la maladie de Parkinson. En effet, comparativement aux données normatives recueillies auprès d’un échantillon témoin, les patients ayant une atrophie multisystématisée avaient des déficits aux épreuves de fluence verbale et au Trail Making Test, mais avaient des performances normales au test de classement de cartes du Wisconsin et au test de Stroop. Quand leur performance était comparée à celle d’un groupe de parkinsoniens idiopathiques, la seule différence entre ces deux groupes de patients concernait le test de classement de cartes du Wisconsin, où les parkinsoniens avaient une performance inférieure à celle des patients ayant une atrophie multisystématisée.