La Paralysie Supranucléaire Progressive

5. La Paralysie Supranucléaire Progressive



La description clinique et anatamopathologique de la paralysie supranucléaire progressive a été proposée en 1964 par Steele, Richardson et Olszewski [1], qui ont défini cette maladie par une dégénérescence hétérogène atteignant le tronc cérébral, les ganglions de la base et le cervelet, comportant une paralysie de la verticalité du regard, une paralysie pseudo-bulbaire, une dystonie axiale et une démence.

La fréquence de la paralysie supranucléaire progressive est très certainement sousestimée, cette maladie n’étant souvent reconnue qu’après plusieurs années d’évolution, le délai du diagnostic variant de quelques mois à plusieurs années. La paralysie supranucléaire progressive représente 1 à 4 % des syndromes parkinsoniens. Sa prévalence est de 6,4 pour 100 000, ce qui la place au 3 e rang des syndromes parkinsoniens dégénératifs après la maladie de Parkinson et l’atrophie multisystématisée [2]. Le sex-ratio révèle une légère prédominance masculine (1,2 à 1,7). L’âge moyen du début est de 63 ans, avec des extrêmes de 44 à 75 ans. Cette affection évolue sur un délai moyen de 6 à 7 ans, avec des extrêmes de 2 à 12 ans. Le décès résulte le plus souvent de complications de décubitus ou de troubles de déglutition compliqués de pneumopathies.

Cette pathologie s’intègre dans le cadre des tauopathies avec la dégénérescence cortico-basale. Si les cas familiaux sont rares, il semble exister une prédisposition génétique avec une sur-représentation de l’allèle A0/A0 du gène de la protéine tau. L’intrication de facteurs génétiques et environnementaux est évoquée devant la prévalence élevée de cas de paralysie supranucléaire progressive dans les caraïbes françaises associés à une consommation importante de plantes et de fruits tropicaux (substances annonacées) aux effets neurotoxiques.


Manifestations Cliniques


Signes Initiaux

Le diagnostic au début de la maladie est souvent difficile de par le caractère insidieux de la symptomatologie clinique et son caractère aspécifique: asthénie, ralentissement psychomoteur, troubles visuels (vision floue, diplopie). Les troubles de la marche et de l’équilibre responsables de chutes en rétropulsion inaugurent le tableau clinique dans un tiers des cas ; ils constituent une caractéristique essentielle de la maladie. À ce stade, les altérations cognitives sont présentes dans un tiers des cas, le plus souvent en association aux autres symptômes. Le syndrome parkinsonien est inaugural dans 30 à 50 % des cas et peut faire évoquer à tort une maladie de Parkinson idiopathique lorsqu’il est isolé.


Signes à la Phase S’état [1, [3][4] and [5]]

Le tableau clinique typique comporte:


– un syndrome parkinsonien akinéto-rigide à nette prédominance axiale, avec une hypertonie en extension de la région cervicale responsable d’une attitude en rétrocolis. La précocité de l’instabilité posturale est responsable de chutes en rétropulsion, la marche est enraidie avec un léger élargissement du polygone de sustentation, alors que les bras sont écartés avec un balancement automatique qui peut être conservé. Le tremblement est rare, voire absent, ou parfois observé transitoirement. Ce syndrome parkinsonien n’est que peu ou pas amélioré par la L-dopa ;


– une ophtalmoplégie supranucléaire, caractéristique de l’affection, se traduisant par une limitation, puis une paralysie des mouvements de verticalité volontaires (saccade) et automatiques (poursuite) davantage marqués vers le bas que vers le haut. Les mouvements de latéralité sont aussi très souvent affectés, avec un aspect saccadé. Les noyaux oculomoteurs étant épargnés, les mouvements oculaires d’origine réflexe à la mobilisation passive de la tête sont donc conservés. Cette ophtalmoplégie peut apparaître tardivement dans le cours évolutif de la maladie, voire même plus rarement faire défaut tout au long de l’évolution. D’autres troubles oculomoteurs peuvent être constatés: anomalie de la convergence, trouble de la mobilité palpébrale avec rétraction des paupières supérieures, apraxie de l’ouverture des paupières, blépharospasme ;


– un syndrome pseudo-bulbaire responsable d’une dysarthrie invalidante, de troubles de déglutition précoces, compliqués fréquemment de pneumopathie d’inhalation. À un stade avancé, une anarthrie s’installe progressivement. L’hypertonie du visage donne au faciès un aspect grimaçant, s’associant à une vivacité des réflexes faciaux et massétérins. L’association de ce faciès spastique, d’un écarquillement avec fixité du regard et d’une hyperextension de la nuque donne à la physionomie du patient une expression caractéristique de la maladie ;


– des troubles sphinctériens, notamment sous forme d’une incontinence urinaire, sont possibles mais présents à un stade tardif de la maladie ;


– une atteinte des fonctions cognitives conduisant à une démence sous-cortico-frontale. Elle est développée plus loin dans ce chapitre.


Lésions Anatomopathologiques [6, 7]


Les lésions microscopiques sont caractérisées par une perte neuronale, une gliose, une dégénérescence neurofibrillaire (mise en évidence par des anticorps anti-protéine tau) et des fibres tortueuses dystrophiques. Les structures sous-corticales suivantes sont constamment et sévèrement touchées par les lésions: le complexe pallido-thalamique, la substance noire, le colliculus supérieur, la substance grise périaqueducale, la formation réticulée pontique et pédonculaire, les noyaux du pont. Sur le plan immunohistochimique, il s’agit comme dans la dégénérescence cortico-basale d’inclusions taupositives (64-69 kD). Une accumulation de protéines tau est également observée dans les astrocytes (« touffe astrocytaire ») au sein du cortex (en particulier des aires motrice, prémotrice et motrice supplémentaire).

Sur le plan neurochimique, l’atteinte dopaminergique est prédominante, touchant le système nigro-striatal, à la fois sur ses composantes pré- et postsynaptiques (chute du taux de dopamine striatale et réduction du nombre de récepteurs dopaminergiques D2) et épargnant les systèmes mésocortical et mésolimbique. Il existe aussi une atteinte cholinergique avec une réduction de l’activité choline-acétyl-transférase dans le striatum, le pallidum, le noyau basal de Meynert et dans le tronc cérébral (colliculus supérieur, noyau pédonculo-pontin).



Ils sont résumés dans le tableau 5.1.
















Tableau 5.1 — Critères diagnostiques de la paralysie supranucléaire progressive.
Diagnostic possible Affection d’évolution progressive après 40 ans, ophtalmoplégie supranucléaire progressive avec paralysie de la verticalité du regard (bas ou haut) ou ralentissement des saccades verticales avec instabilité posturale et chutes dans la première année d’évolution
Diagnostic probable Affection d’évolution progressive après 40 ans, ophtalmoplégie supranucléaire progressive avec paralysie du regard (bas ou haut) et instabilité posturale avec chutes dans la première année d’évolution
Critères d’exclusion Syndrome de la main étrangère, signes corticosensitifs, atrophie focale ou pariétale, hallucinations indépendantes de la L-dopa, démence de type Alzheimer, dysautonomie marquée et précoce, syndrome cérébelleux précoce ou prédominant
Critères secondaires Syndrome akinéto-hypertonique symétrique à prédominance proximale, rétrocolis, peu ou pas de réponse du syndrome parkinsonien à la L-dopa, dysarthrie et troubles de la déglutition précoces, troubles cognitifs précoces comprenant au moins deux des éléments suivants: apathie, difficulté de pensée abstraite, réduction des fluences, comportement d’utilisation, d’imitation, signes moteurs frontaux.

Les meilleures variables prédictives de la paralysie supranucléaire progressive sont une atteinte de la verticalité des mouvements oculaires, principalement vers le bas, et une instabilité posturale avec chutes (valeur prédictive positive = 100 %). Si les critères de paralysie supranucléaire progressive probable sont très spécifiques (100 %), ils sont peu sensibles à la phase précoce de la maladie (50 %). Leur précision a été évaluée à partir de 60 observations avec vérification neuropathologique: le diagnostic clinique a été confirmé dans 78 % des cas [8]. On constate surtout un recouvrement du phénotype anatomo-clinique avec la dégénérescence cortico-basale. Récemment deux phénotypes cliniques ont été identifiés à partir de cas confirmés sur le plan neuropathologique: l’un spécifique dénommé syndrome de Richardson avec des caractéristiques cliniques typiques précédemment décrites, l’autre moins spécifique évoluant sous une forme parkinsonienne [9].


Troubles Cognitifs

Les modifications cognitives et comportementales sont présentes dès le début de la maladie. Elles se caractérisent par un ralentissement cognitif marqué et la présence d’un syndrome sous-cortico-frontal plus sévère que dans la maladie de Parkinson ou l’atrophie multisystématisée [10, 11].

Un examen neuropsychologique approfondi met en évidence un certain nombre de dysfonctionnements.


Déficit Cognitif Global

Il existe une baisse globale de l’efficience cognitive. Comme dans la maladie de Parkinson, celle-ci est généralement évaluée par la performance à l’échelle de démence de Mattis (présentée dans le chapitre 3). On y observe des déficits assez diffus ; mais certains items sont particulièrement touchés. Le rappel de séries de chiffres en ordre direct ou inverse est généralement faible. La plupart des items du sous-test d’initiation sont concernés: la fluence verbale sémantique est faible, les séquences de gestes sont difficilement réalisées et on peut observer des persévérations lors de la reproduction de séquences graphiques. La formation de concepts est difficile.



Troubles Attentionnels

Les capacités de maintien, de focalisation et d’orientation de l’attention sont affaiblies. Ces déficits attentionnels, présents précocement, perturbent souvent l’examen neuropsychologique et exigent du neuropsychologue une vigilance particulière: il est nécessaire de recentrer régulièrement le patient sur la tâche et de lui répéter les consignes. Peu de travaux ont été consacrés à une étude systématique des troubles attentionnels dans la paralysie supranucléaire progressive, en utilisant des épreuves évaluant les différentes sous-modalités attentionnelles. Esmonde et coll. [13] ont rapporté un trouble général du maintien attentionnel et des troubles du partage attentionnel dans les situations de double tâche.


Déficits Mnésiques

Les déficits mnésiques sont distincts de ceux observés dans la démence de type Alzheimer, mais plus sévères que ceux observés dans les autres syndromes sous-corticofrontaux. Les patients souffrant d’une paralysie supranucléaire progressive ont des capacités réduites à consolider l’apprentissage d’informations nouvelles en mémoire épisodique et présentent des déficits sévères aux épreuves de rappel libre d’une liste de mots. Au cours d’une épreuve telle que l’apprentissage en 5 essais d’une liste de 15 mots de Rey, où, lors de plusieurs essais successifs, le sujet est invité à rappeler le plus d’items possible d’une liste de 15 mots qui viennent de lui être lus, l’acquisition est pauvre et la courbe d’apprentissage ne progresse pas au fil des essais. De plus, d’essai en essai, les items rappelés sont inconstants et lors du rappel différé, vingt minutes après le dernier essai de rappel immédiat, le taux d’oubli est élevé. À ce type d’épreuve, les déficits des patients souffrant d’une paralysie supranucléaire progressive sont aussi sévères que ceux des patients souffrant d’une démence de type Alzheimer, à sévérité de la démence comparable. Cependant, lorsque l’encodage est contrôlé, comme dans l’épreuve de rappel libre/rappel indicé à 16 items selon la procédure de Gröber et Buschke (présentée dans le chapitre 3) et quand, au moment du rappel, on fournit des indices externes permettant l’organisation de celui-ci, les patients souffrant d’une paralysie supranucléaire progressive rappellent autant d’items que les sujets contrôles et leur taux de rétention à long terme est normal aussi.

Le profil de performances classiquement observé à cette épreuve est le suivant:


– un score d’apprentissage inférieur à celui observé dans la maladie de Parkinson: il n’est pas rare de devoir procéder à plusieurs essais avant qu’un mot soit encodé ;


– un score de rappel libre immédiat très effondré, beaucoup plus faible que dans la maladie de Parkinson: dans la paralysie supranucléaire progressive, les patients rappellent 3 à 4 mots par essai et la progression au cours des trois essais est limitée ;


– un score de rappel total normal: la plupart des mots sont récupérés quand on fournit l’indice sémantique ;


– un score de rappel libre différé un peu inférieur au dernier essai de rappel libre immédiat, mais à nouveau normalisé lors du rappel indicé ;


– une reconnaissance normale.

Un tel type de performances va donc à l’encontre de l’existence d’un véritable syndrome amnésique dans la paralysie supranucléaire progressive. Pillon et coll. [14] considèrent que ces résultats sont le reflet d’une perte de la capacité d’organiser spontanément des informations nouvelles, tant au moment de leur encodage que de leur récupération, capacité qui dépend de l’intégrité des lobes frontaux et qui serait perturbée en raison du dysfonctionnement striato-préfrontal lié au processus dégénératif observé dans la paralysie supranucléaire progressive. En revanche, les processus mnésiques, sous dépendance des systèmes temporo-hippocampiques, semblent préservés.


Syndrome Dysexécutif

Le syndrome dysexécutif touche l’ensemble des épreuves d’évaluation des fonctions exécutives. Les capacités de planification de l’action et de mise en place de stratégies sont faibles, entraînant un échec aux épreuves de résolution de problèmes. La formation de concepts est difficile et la réussite est faible, même aux tâches qui ne demandent ni catégorisation ni résolution de problèmes comme le sous-test des similitudes de la WAIS-R, l’interprétation de proverbes ou le sous-test de formation de concepts de l’échelle de Mattis. Associée au ralentissement cognitif général, cette difficulté dans la formation de concepts explique aussi la faiblesse des performances aux épreuves de fluence verbale phonémique et sémantique. Au cours de ces épreuves, une tendance spontanée à persévérer se manifeste. Elle s’observe précocement dans la paralysie supranucléaire progressive, alors qu’elle est classiquement absente en début d’évolution de la maladie de Parkinson. Les capacités d’alternance sont faibles: au test de classement de cartes du Wisconsin (voir chapitre 3), les patients ayant une paralysie supranucléaire progressive complètent moins de catégories que les sujets témoins et les parkinsoniens. Ils commettent plus d’erreurs persévératives au moment où il est nécessaire d’alterner entre les catégories. Ces difficultés d’alternance sont évidentes aussi aux épreuves telles que le Trail Making Test et les séquences motrices de Luria. Les patients résistent difficilement à l’interférence. Dans une épreuve telle que le test de Stroop (présenté dans le chapitre 3), outre le ralentissement de la vitesse de traitement de l’information qui affecte les deux parties du test, on observe un nombre élevé d’erreurs en situation d’interférence.

Ces déficits exécutifs sont plus marqués que dans les autres syndromes parkinsoniens [15, 16]. Ils s’aggravent de façon plus sévère au cours de l’évolution, contribuant pour une grande part à l’installation d’un syndrome démentiel sous-cortico-frontal [17, 18].


Troubles de la Reproduction de Séquences Gestuelles

L’imitation de séquences de gestes et la reproduction de rythmes sont particulièrement déficitaires et constituent des éléments essentiels du diagnostic différentiel entre la paralysie supranucléaire progressive et d’autres syndromes parkinsoniens, notamment la dégénérescence cortico-basale [17, 19]. En effet, dans la dégénérescence cortico-basale, malgré une maladresse pour réaliser certains gestes, le séquencement des gestes simples reste possible, alors que, dans la paralysie supranucléaire progressive, le manque de flexibilité cognitive gêne très rapidement ce séquencement.

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La Paralysie Supranucléaire Progressive

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