La Dégénérescence Cortico-Basale

6. La Dégénérescence Cortico-Basale



Ce syndrome parkinsonien rare a été décrit pour la première fois en 1967 par Rebeiz [1]. Il est difficile d’apprécier la fréquence de cette maladie qui affecte à la fois le cortex et les structures sous-corticales. Elle est probablement sous-estimée car la maladie est souvent reconnue après plusieurs années d’évolution, le diagnostic de paralysie supranucléaire progressive ou d’une autre démence étant parfois porté à tort (voir la partie consacrée au diagnostic différentiel). La dégénérescence cortico-basale débute vers l’âge de 65 ans et sa durée d’évolution n’excède pas 6 à 8 ans. Quelques formes familiales ont été décrites [2]. Cliniquement, la dégénérescence cortico-basale se caractérise par un syndrome extrapyramidal d’installation progressive, asymétrique, associé à des signes de dysfonctionnement des cortex frontal et pariétal. Sur le plan neuropathologique, elle se traduit par des dépôts de protéine tau anormalement phosphorylée et s’intègre dans le cadre des taupathies comme la paralysie supranucléaire progressive et la démence fronto-temporale.


Manifestations Cliniques


Signes Initiaux

La présentation initiale se traduit dans deux tiers des cas par des symptômes débutant aux membres supérieurs sous forme d’une maladresse de la main liée à des troubles praxiques ou sous forme de troubles sensitifs subjectifs mal systématisés s’associant à une légère hypoesthésie [3]. Le deuxième mode d’entrée se traduit par des troubles de la marche caractérisés par une impression de raideur et de lenteur associée à une instabilité posturale et parfois une apraxie de la marche. Un tremblement d’action unilatéral ou une dystonie du membre supérieur peuvent aussi inaugurer la dégénérescence cortico-basale. Plus rarement, une dysarthrie isolée, des troubles phasiques, des troubles cognitifs avec l’apparition progressive d’une démence (avec peu ou pas de signes moteurs) ou des troubles du comportement seront la seule plainte initiale.


Signes à la Phase D’état

Les signes cliniques à la phase d’état de la dégénérescence cortico-basale se caractérisent par un syndrome parkinsonien asymétrique associé à une dystonie, une apraxie, des troubles sensitifs et des troubles cognitifs témoignant d’un dysfonctionnement frontal [[3][4] and [5]].

Le syndrome parkinsonien akinéto-hypertonique est constant, unilatéral ou bilatéral, il reste très asymétrique et résistant à la L-dopa ; l’hypertonie segmentaire est plus marquée que l’hypertonie axiale. Ce syndrome s’associe dans la moitié des cas à une dystonie du membre supérieur, à un tremblement postural et d’action, irrégulier et rapide, d’apparition précoce, enfin à des myoclonies spontanées ou déclenchées par le mouvement ou des stimulations sensitives ; celles-ci prédominent en distal, mais peuvent s’étendre à la totalité du membre supérieur. La dystonie a tendance à se fixer au cours de l’évolution avec une posture anormale du poignet et de la main, irréductible, qui peut devenir douloureuse. Les troubles de la marche et de la posture présents dans trois quarts des cas sont responsables de chutes en rétropulsion.

Les troubles sensitifs, présents dans 44% des cas, restent souvent modérés, sous forme d’une extinction sensitive (l’extinction sensitive se recherche par une stimulation bilatérale et simultanée: la stimulation du côté sain est seule perçue alors que, lors de la stimulation isolée du côté atteint, celle-ci est perçue normalement), de troubles de la sensibilité proprioceptive ou d’une astéréognosie.


D’autres symptômes peuvent aussi être observés: un syndrome pyramidal sous forme de réflexes ostéo-tendineux vifs et/ou d’un signe de Babinski (60% des cas), un syndrome pseudo-bulbaire responsable de troubles de déglutition, une dysarthrie, voire même parfois une anarthrie en fin d’évolution, aboutissant à un mutisme.

Des perturbations oculomotrices sont tardives mais fréquentes (90% des cas): il s’agit d’une ophtalmoplégie supranucléaire avec une limitation des mouvements verticaux et horizontaux (ce sont surtout les latences qui sont augmentées) s’associant à une apraxie de l’ouverture ou de la fermeture des paupières.

L’atteinte des fonctions cognitive est développée ci-dessous.


Troubles Cognitifs


Un examen neuropsychologique approfondi met en évidence:


1. Un déclin cognitif global objectivé par des déficits aux échelles de démence. Bien que longtemps considéré comme assez rare et tardif dans la dégénérescence corticobasale, ce déclin semble en réalité assez fréquent [8], la démence étant même inaugurale dans certains cas [9]. La prévalence de la démence est estimée à 25%. Selon Pillon et Dubois [6], il s’agit d’un tableau de démence sous-cortico-frontale associée à des troubles de la gestualité.


2. Un ralentissement psychomoteur précoce, moins important que dans la paralysie supranucléaire progressive mais plus important que dans la maladie de Parkinson.


3. L’orientation spatio-temporelle, la mémoire des faits anciens et récents sont généralement préservés en début de maladie. La performance à des épreuves telles que l’échelle clinique de mémoire de Wechsler est comparable à celle des sujets témoins. L’utilisation d’épreuves plus spécifiques comme le rappel libre/rappel indicé selon la procédure de Grober & Buschke montre une réduction des capacités d’encodage et des stratégies de rappel. Les difficultés observées concernent surtout le rappel libre. Elles sont facilement levées par la présentation d’aides à la récupération. On retrouve donc un pattern de troubles mnésiques comparable à celui observé dans les autres syndromes sous-corticofrontaux avec préservation des opérations mnésiques sous dépendance des régions temporo-hippocampiques et perturbation des opérations sous dépendance des régions frontales [6].


4. La dégénérescence des régions préfrontales et sous-corticales associatives va entraîner un trouble des fonctions exécutives. Les patients souffrant d’une dégénérescence cortico-basale présentent des déficits aux épreuves nécessitant un contrôle mental, une inhibition d’informations non pertinentes, une auto-activation de stratégies ou une intervention des capacités de flexibilité cognitive [10, 11]. Ce trouble des fonctions exécutives est significativement plus important que dans la maladie d’Alzheimer [10, 12] mais est assez comparable à celui observé dans la paralysie supranucléaire progressive. Il existe néanmoins une différence importante entre paralysie supranucléaire progressive et dégénérescence cortico-basale puisque le syndrome dysexécutif s’accompagne rarement de signes comportementaux frontaux dans la dégénérescence cortico-basale alors qu’ils sont fréquemment signalés dans la paralysie supranucléaire progressive (comportements d’utilisation, aboulie, apathie) [6, 11].



5. En plus d’une réduction quasi systématique des capacités d’évocation lexicale, des troubles de la parole et du langage sont fréquemment rapportés dans la dégénérescence cortico-basale. Selon certaines études, 10 % des patients présenteraient des signes d’aphasie. Frattali et coll. [7] rapportent que 8 des 15 patients examinés à l’aide d’une large batterie neuropsychologique présentaient une aphasie soit de type anomique, soit de Broca, soit transcorticale motrice. Graham et coll. [13] ont mis en évidence des troubles du langage, même chez les patients qui n’avaient pas de signes cliniques d’aphasie. Huit patients parmi les 10 examinés avaient des performances anormales aux épreuves de traitement phonologique et d’épellation de mots réguliers et irréguliers. Les résultats concernant les capacités de dénomination, de lecture et de traitement syntaxique sont beaucoup plus mitigés, certaines études rapportant des cas de déclin et d’autres des capacités préservées [8].

Ce syndrome aphasique est rarement isolé comme dans l’aphasie progressive primaire. Néanmoins, l’aphasie progressive peut être inaugurale d’une dégénérescence cortico-basale.

Des troubles de la parole (hypophonie, tachyphémie) peuvent apparaître de façon précoce. Avec l’évolution de la maladie, l’expression verbale est fréquemment gênée par une dysarthrie qui, dans certains cas, évoluera jusqu’à une anarthrie en fin de vie. S’y associe souvent une apraxie bucco-linguo-faciale [10, 14], touchant de façon assez spécifique les mouvements séquentiels [15].


6. D’importantes difficultés de calcul ont été rapportées [16]. Elles concernent non seulement les aspects combinatoires (opérations) et exécutifs (attention et mémoire de travail) du calcul mais aussi les jugements de numérosité (dénombrement ou estimation d’une quantité). Cette spécificité serait en rapport avec une perte de la représentation des nombres en mémoire sémantique, consécutive à l’atrophie du cortex pariétal droit [17].


7. Les troubles de la gestualité constituent un des principaux signes corticaux de la dégénérescence cortico-basale. Ils sont caractéristiques de la maladie et sont en rapport avec la dégénérescence des régions pariétales et frontales. Ils sont rapportés dans 70 % des cas [14]. Initialement, il s’agit de difficultés à réaliser des mouvements fins des doigts d’une main. Les patients relatent une maladresse, une perte de dextérité. Ces signes évocateurs d’une apraxie mélokinétique, sont généralement unilatéraux et reflètent un dysfonctionnement du cortex prémoteur [18]. En plus de cette apraxie mélokinétique, l’examen systématique de la gestualité met fréquemment en évidence une apraxie idéomotrice avec des déficits dans la réalisation et l’imitation de gestes symboliques et de pantomimes et l’imitation de gestes sans signification [10, 12, 14]. Le patient sait ce qu’il doit faire mais n’arrive plus à réaliser les gestes permettant d’atteindre son objectif. Le timing et l’organisation spatiale des gestes sont perturbés. L’utilisation d’objets réels peut éventuellement apporter une amélioration. Ces troubles sont bilatéraux mais typiquement asymétriques, prédominant au niveau du membre le plus affecté.

Chez les patients dont les troubles débutent du côté droit, la dyspraxie touche de façon équivalente les membres supérieurs droit et gauche alors qu’en cas de début des troubles à gauche, il persiste une nette prédominance de la dyspraxie à gauche. Selon Massman et coll. [12], cette généralisation des troubles praxiques en cas d’atteinte de l’hémisphère gauche résulterait de la dégradation des représentations mentales des mouvements appris qui sont stockées dans la partie inférieure du lobe pariétal gauche.

Il n’existe pas de dissociation automatico-volontaire et tous les gestes sont correctement identifiés, ce qui suggère que la représentation mentale des gestes est préservée.

La réalisation des mouvements séquentiels et des gestes nécessitant une coordination uni- ou bi-manuelle est également perturbée [10, 12, 14].

L’apraxie idéatoire est plus rare, souvent tardive et associée à une démence [19].

Selon les modèles classiques de l’apraxie [20, 21], la réalisation d’un geste volontaire impliquerait deux composantes: le système conceptuel qui fournit un représentation abstraite de l’action, et le système de production qui inclut à la fois une connaissance sensori-motrice de l’action et les processus perceptivo-moteurs nécessaires à son organisation et à son exécution. D’un point de vue neuroanatomique, les représentations gestuelles (ce que Heilman et coll. [22] appellent les engrammes visuokinesthésiques, correspondant à l’idée des parties du corps à utiliser, de la vitesse, du rythme et de la séquence des mouvements nécessaires à la réalisation d’un geste) seraient stockées au niveau du lobe pariétal. Elles seraient ensuite transcodées en pattern d’innervation motrice au niveau de l’aire motrice supplémentaire avant d’être transmises au cortex moteur primaire qui commande la réalisation du mouvement. Dans la dégénérescence cortico-basale, la conservation des capacités d’identification et de description verbale des gestes est en faveur d’une préservation des aspects conceptuels des gestes. Le caractère essentiellement idéomoteur et kinesthésique des troubles gestuels plaide en faveur d’une atteinte sélective du système de production. Ceci a d’ailleurs été confirmé par Peigneux et coll. [23] qui, grâce à une investigation très précise prenant en compte les capacités d’auto-correction des gestes, ont montré que les troubles de la gestualité dans la dégénérescence cortico-basale étaient essentiellement de nature visuo-imitative, résultant d’une perturbation des processus perceptivo-moteurs. D’un point de vue fonctionnel, ces troubles étaient liés à un hypométabolisme au sein d’un réseau impliquant à la fois le lobe pariétal supérieur et l’aire motrice supplémentaire.

Dans la dégénérescence cortico-basale, l’apraxie serait donc le reflet d’un déficit d’intégration sensori-motrice, consécutif à la perturbation des réseaux fonctionnels impliqués dans le traitement de l’information gestuelle.

L’importance de ces troubles, dont la mise en évidence devant un syndrome parkinsonien permet un diagnostic précoce de la dégénérescence cortico-basale, justifie donc la pratique d’un examen approfondi de la gestualité. Différents aspects devront être explorés.


– Réalisation de gestes avec utilisation d’objets (plier une lettre et la mettre dans une enveloppe, couper une feuille de papier avec des ciseaux, ouvrir et fermer une serrure,…).

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Jun 20, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on La Dégénérescence Cortico-Basale

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