L’adolescent et le Droit

20. L’adolescent et le Droit







Les premières et deuxième parties de ce chapitre ont été rédigées par un enseignant-chercheur spécialiste du droit de l’enfance et de la famille1. Dans une délimitation stricte, on pourrait estimer que ce texte n’appartient pas au champ de la psychopathologie de l’adolescent. Néanmoins, il contient une somme importante d’informations concernant le droit de l’adolescence, informations qu’à notre connaissance on ne trouve généralement pas regroupées ainsi sous une forme aisément appréhendable. D’autre part, le lecteur n’est pas sans savoir l’importance et la relative fréquence des relations entre l’adolescent et la justice. Ces motifs nous ont conduit à inclure dans cet abrégé, ce chapitre d’informations sur les rapports entre l’adolescent et le droit.


Il n’existe pas, en droit, de statut particulier de l’adolescent. La loi n’emploie d’ailleurs pas ce terme: elle ne distingue que le mineur et le majeur. Le jeune est donc censé passer instantanément, le jour de ses 18 ans, du statut d’enfant – juridiquement incapable de consentir et bénéficiant de la protection de sa famille ou de l’autorité publique – à celui d’adulte, autonome et ne faisant plus l’objet d’une attention particulière.

Ce schéma binaire connaît toutefois, depuis longtemps, certaines atténuations.





Émancipation.


— La loi autorise une anticipation de l’âge de la majorité à partir de 16 ans à travers l’émancipation2. Celle-ci peut être prononcée par le juge des tutelles, sur demande des parents ou de l’un d’eux, si l’intérêt du mineur le justifie. L’émancipation résulte aussi automatiquement du mariage du mineur, mais celui-ci est désormais exceptionnel (cf. infra). Le mineur émancipé est en principe assimilé à un majeur, sauf exception (il ne peut, notamment, être commerçant). L’émancipation met fin à la responsabilité des parents du fait de leur enfant.





L’ADOLESCENT ENTRE INCAPACITÉ ET AUTONOMIE


Jusqu’à 18 ans, sauf émancipation, l’adolescent est considéré comme incapable de conclure lui-même des actes juridiques et il est soumis à l’autorité protectrice de ses parents5, mais la loi impose un exercice de cette autorité adapté à l’âge et à la maturité de l’enfant, dont la volonté personnelle ne peut plus être ignorée.


L’attention accordée à la volonté propre du mineur dans le gouvernement de sa personne s’est considérablement développée à partir des années 80, notamment sous la pression des conventions internationales6. La Convention de New York en particulier énonce un certain nombre de droits de l’enfant qui impliquent le respect de cette volonté propre: liberté d’opinion sur toute question l’intéressant, liberté d’expression, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’association7, etc.





Le droit français s’y emploie à travers un dispositif nuancé, allant graduellement de la simple association du mineur aux décisions qui le concernent jusqu’à la reconnaissance, dans certains domaines, d’une véritable autonomie du jeune.


L’ASSOCIATION DU MINEUR AUX DÉCISIONS QUI LE CONCERNENT




Directive générale.


— La loi fait parfois œuvre de pédagogie plus que de législation. C’est sans doute le cas lorsqu’elle invite les parents à «associer l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité»9: il s’agit d’une directive dont l’effectivité ne peut guère être contrôlée, sauf danger ou désaccord entre les parents10. L’adolescent ne dispose pas du droit d’agir en justice pour contester la façon trop autoritaire dont, selon lui, ses parents exercent leur autorité selon lui.




Décisions en matière de santé.


— Le droit à l’information sur l’état de santé de l’enfant est exercé par les titulaires de l’autorité parentale, qui doivent consentir aux actes proposés, mais le mineur doit aussi être informé «d’une manière adaptée à son degré de maturité»11 et son consentement «doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision»12. Le texte impose seulement de rechercher le consentement du mineur, pas de l’obtenir. Il est donc possible de passer outre son refus en cas de nécessité pour préserver sa santé.




Droit de l’enfant d’être entendu dans les procédures qui le concernent.


— Pour assurer la mise en conformité du droit français aux exigences de la Convention de New York, la loi du 8 janvier 1993 a reconnu au mineur doté de discernement le droit d’exprimer son opinion dans toute procédure judiciaire le concernant13. Il s’agit essentiellement des procédures relatives à l’exercice de l’autorité parentale – conséquences du divorce ou de la séparation des parents, assistance éducative – ou des procédures de changement de nom ou de prénom. L’opinion exprimée par le mineur ne s’impose évidemment pas au juge, mais elle doit être un élément d’appréciation dans sa décision.


Il n’est pas prévu d’âge minimal pour que l’enfant exerce ce droit: l’aptitude au discernement est la seule condition posée par la loi. Le juge peut choisir de faire entendre l’enfant par une personne qu’il désigne (enquêteur social, psychologue, etc.).

L’audition n’est cependant pas systématique. Le juge peut mais n’est pas obligé d’en prendre l’initiative. Si le mineur la demande, elle est désormais de droit: la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance14 supprime la possibilité qu’avait jusqu’alors le juge de refuser l’audition. L’enfant ou l’adolescent a le droit d’être accompagné d’un avocat ou d’une personne de son choix, sous réserve de la possibilité pour le juge de désigner une autre personne si le choix du mineur n’apparaît pas conforme à son intérêt.





L’OBLIGATION DE RESPECTER LE REFUS DU MINEUR




Actes médicaux dans l’intérêt d’autrui.


— Lorsqu’il s’agit de pratiquer sur sa personne des actes médicaux dans l’intérêt d’autrui (recherche biomédicale, don de sang, don de moelle osseuse au profit d’un frère ou d’une sœur16), la recherche de la volonté du mineur va plus loin: la loi impose de l’informer d’une façon adaptée, et elle interdit de passer outre un éventuel refus de sa part. Le consentement du mineur n’est pas obligatoirement requis, notamment s’il s’agit d’un enfant inapte à consentir, mais s’il refuse, ce refus doit être respecté.



L’EXIGENCE D’UN CONSENTEMENT PERSONNEL DU MINEUR


Dans certains cas, la loi manifeste une exigence supplémentaire: le consentement personnel de l’adolescent est requis.



L’AUTONOMIE DU MINEUR


Dans certains domaines, la loi accorde au mineur, généralement adolescent, une véritable autonomie lui permettant de prendre des décisions sans l’intervention de ses représentants légaux, voire parfois, contre leur volonté.





Nationalité.





Sexualité et santé de l’adolescent.






En matière de soins, la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a introduit une disposition calquée sur celle qui vient d’être exposée à propos de l’IVG26: elle permet à un mineur qui souhaite garder le secret à l’égard de ses parents de bénéficier des traitements ou de l’intervention qui s’imposent pour sauvegarder sa santé. Le médecin sollicité doit dans un premier temps essayer de convaincre le mineur d’informer ses parents. En cas de refus, le médecin peut mettre en œuvre le traitement ou l’intervention, le mineur se faisant accompagner d’une personne de son choix. Cette disposition, introduite à la demande du Conseil national du sida, tend à éviter qu’un adolescent se prive des soins nécessaires plutôt que d’informer ses parents. Elle constitue cependant un recul important, et peut-être inquiétant, de l’autorité parentale en privant les parents de la possibilité de protéger leur enfant dans des circonstances où il aurait particulièrement besoin de cette protection.


Le même texte prévoit, par ailleurs, que le consentement du mineur suffit pour l’obtention de soins lorsqu’il s’agit d’un adolescent dont les liens de famille sont rompus et qui bénéficie à titre personnel de la couverture maladie universelle.




L’ADOLESCENT EN SITUATION DE DANGER




Son âge expose toutefois l’adolescent à des périls spécifiques ou qui supposent une prise en charge particulière: délinquance, parfois de nature sexuelle, toxicomanie, troubles psychiatriques, ces divers tableaux se superposant bien souvent.


LA DÉLINQUANCE



Évolution des politiques en matière de délinquance des mineurs


Depuis le Code pénal de 1810, un statut pénal particulier est réservé aux mineurs délinquants. Sous le Second Empire, la loi s’est crispée sur une approche du mineur délinquant envisagé essentiellement comme un mineur dangereux pour la société qui l’entoure. Mais à partir de la IIIe République, l’idée que le mineur délinquant est aussi un mineur en danger et que le traitement de la délinquance des mineurs doit être spécifique, tant dans la procédure mise en œuvre que dans la réponse apportée, va progressivement s’imposer.



Ordonnance du 2 février 1945.

— Le texte phare en matière d’enfance délinquante est l’ordonnance du 2 février 1945, qui a introduit le juge des enfants et consacré l’idée du primat de l’action éducative: le mineur délinquant est considéré avant tout comme un mineur en danger, qui doit bénéficier de mesures éducatives déterminées par le juge à partir d’un examen préalable de sa personnalité et de sa situation personnelle, familiale et sociale. La phase d’investigation préalable à la décision est une étape essentielle de la procédure concernant les mineurs. La sanction n’est envisagée qu’à titre subsidiaire. Ce texte demeure en vigueur, mais il a été substantiellement modifié au cours des cinquante-deux réformes subies, et tout particulièrement ces dernières années, en raison d’un accroissement et d’un durcissement inquiétants de la délinquance des mineurs, qui devient une délinquance territorialisée, une délinquance d’exclusion.



Évolution contemporaine vers un durcissement de la réponse pénale.

— Cette politique ne suffira pas à endiguer l’accroissement de la délinquance juvénile. Le débat public s’empare du phénomène: la sécurité est le thème central de la campagne électorale de 2002 et la délinquance des mineurs y occupe une place importante. L’approche essentiellement éducative de l’ordonnance de 1945 est accusée d’avoir favorisé un sentiment d’impunité et d’irresponsabilité chez les jeunes délinquants. Un rapport remis au Sénat en 200232 est particulièrement sévère à l’égard du système de protection judiciaire de la jeunesse qui tend à aligner la prise en charge des enfants délinquants sur celle des enfants en assistance éducative. Le débat se focalise notamment sur la place à accorder à la sanction et à la contrainte. Des voix s’élèvent pour demander que l’on dépasse l’opposition, jugée stérile, entre éducation et répression, au nom de l’idée que la sanction peut aussi avoir une vertu éducative. C’est ce qu’essaie de traduire la notion de «sanction éducative» introduite par la loi du 9 septembre 2002, dite loi Perben I, qui inaugure une période de frénésie législative en la matière.






Prévention de la délinquance.

— La loi du 5 mars 2007 met l’accent sur la politique de prévention de la délinquance, notamment des mineurs, supposée avoir failli en raison d’un manque de cohérence des interventions éducatives, sociales et médico-sociales. Elle associe désormais explicitement le Conseil général et l’Éducation nationale à cette mission. Elle organise la mise en réseau des différents acteurs du champ social et médicosocial et autorise les professionnels qui interviennent auprès d’une même personne ou d’une même famille à partager des informations à caractère secret afin d’évaluer la situation, de déterminer les mesures d’action sociale nécessaires et de les mettre en œuvre34. Cette disposition inquiète nombre de professionnels en ce que, contrairement à ce qui est prévu en matière de protection de l’enfance35, le texte ne limite pas explicitement les possibilités d’échange aux seuls professionnels eux-mêmes astreints au secret, il ne prévoit pas l’information préalable des intéressés et il autorise le partage dans une finalité mal définie36. Le maire devient le pivot de la politique de prévention de la délinquance: il l’anime et la coordonne et pour ce faire, il est informé, à sa demande, de toutes les infractions commises sur le territoire de sa commune et de la réponse judiciaire qui y est apportée. Il se voit aussi confier des prérogatives en matière de surveillance de l’assiduité scolaire37. Il est investi du pouvoir de «rappeler à l’ordre» les fauteurs de troubles38. Surtout, tout professionnel de l’action sociale qui «constate que l’aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d’une personne ou d’une famille appelle l’intervention de plusieurs professionnels» doit en informer le maire et le président du Conseil général, les dispositions pénales protectrices du secret professionnel étant alors écartées. Lorsqu’une personne ou une famille en difficulté bénéficie déjà de l’intervention de plusieurs professionnels, le maire désigne un «travailleur social pivot» chargé de coordonner les interventions. La loi autorise le professionnel intervenant seul ou le coordonnateur «à révéler au maire et au président du Conseil général les informations confidentielles strictement nécessaires à l’exercice de leurs compétences39». Cette disposition est vivement contestée par les travailleurs sociaux en ce qu’elle remet en cause le secret professionnel en travail social sans qu’aucune situation de danger et encore moins de délinquance, ne soit encore nécessairement caractérisée. La loi crée enfin le «conseil pour les droits et les devoirs des familles» et «l’accompagnement parental», dispositions destinées à conforter l’exercice des responsabilités parentales dans les familles jugées trop peu «contenantes», notamment au regard de l’assiduité scolaire de leurs enfants40.








Ce texte devra être articulé avec les dispositions relatives à l’enfance en danger, réformées le même jour41. L’orientation revendiquée est de mieux distinguer enfance en danger et enfance délinquante, le conseil général étant chargé de la première, le maire et la protection judiciaire de la jeunesse de la seconde.



Valeur constitutionnelle des principes gouvernant le droit pénal des mineurs.

— Saisi au sujet de la loi Perben I, le Conseil constitutionnel42 a conféré une valeur constitutionnelle aux principes gouvernant le droit pénal des mineurs reconnus par l’ordonnance du 2 février 1945: principes de primauté de l’action éducative et d’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge, et principe selon lequel doivent être mises en œuvre des procédures appropriées confiées à des juridictions spécialisées afin de permettre une connaissance approfondie de la personnalité du mineur avant son jugement. Ces principes s’imposent donc au législateur et ont pesé, notamment, sur la rédaction de la loi du 10 août 2007 de lutte contre la récidive en imposant de préserver un certain pouvoir d’appréciation du juge.


La minorité constitue tantôt une cause d’irresponsabilité pénale, soustrayant le mineur à toute sanction pénale, tantôt une cause d’atténuation de la responsabilité pénale, produisant des effets sur la nature ou le quantum des sanctions encourues. Le discernement est le critère de distinction consacré.


Responsabilité pénale des mineurs




Principe de responsabilité pénale des mineurs.

— Selon la loi, «Les mineurs capables de discernement sont pénalement responsables des crimes, délits et contraventions dont ils ont été reconnus coupables»43. En principe, les mineurs encourent donc la responsabilité pénale de toutes les infractions commises, des plus graves – les crimes – jusqu’aux plus légères – les contraventions.



Condition de discernement.

— Cependant, le législateur pose une condition sine qua non à leur responsabilité, le discernement, qui a été défini dans un arrêt célèbre44 comme le fait d’agir avec intelligence et volonté45. Le discernement est en effet, classiquement, considéré comme le critère de la capacité pénale, c’est-à-dire de l’aptitude à profiter de la sanction à laquelle est attachée une fonction de prévention. En l’absence de discernement, le mineur est pénalement irresponsable et le droit pénal ne peut jouer aucun rôle à son égard car la personne privée de discernement lui échappe totalement. Si, au contraire, le discernement est constaté, le mineur n’est pas soumis au régime commun applicable aux adultes. Sa minorité constitue une cause d’atténuation de la responsabilité pénale.




Jun 22, 2017 | Posted by in MÉDECINE INTERNE | Comments Off on L’adolescent et le Droit

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