2. L’adolescence
Regroupements Conceptuels
– d’un côté, les tenants d’une qualité émergente structurale spécifique à l’adolescence dont le modèle est celui de la «crise d’adolescence» avec les implications pratiques et théoriques que sous-tend la notion de «crise». Pour les auteurs et théoriciens qui s’inscrivent de façon prévalente dans ce modéle, le fonctionnement psychique et plus encore les expressions psychopathologiques observées à cet âge sont sous l’étroite dépendance des remaniements psychiques liés à l’émergence pubertaire;
– d’un autre côté, les tenants d’un point de vue à dominante développementale où, dans une perspective essentiellement ontogénétique, l’adolescence est théorisée soit comme «un second processus de séparationindividuation», soit comme une étape fondamentale dans le processus de subjectivation. Pour ceux qui s’inscrivent dans ce courant de pensée, la psychopathologie de l’adolescence se conçoit plus fortement comme le révélateur des défaillances, des problématiques restées en suspens dans l’enfance et la petite enfance.
REGROUPEMENT À DOMINANTE STRUCTURALE
LE CONCEPT DE CRISE
Par son étymologie grecque, le mot «crise» appartient d’abord au vocabulaire juridique: il désigne le moment de la sentence. Rapidement la médecine s’empare du terme: l’histoire de la pensée médicale pourrait être partiellement retracée à partir de la diversité du sens donné au concept de crise (A. Bolzinger et coll., 1970).
Pour la médecine des humeurs, la crise est la condition et pour ainsi dire la cause de la résolution morbide (la fièvre et les phénomènes critiques viennent chasser la maladie). Par définition, la crise est salutaire. Nous ne sommes pas éloignés de la conception actuelle qui soutient qu’au cours de toute adolescence normale des phénomènes critiques doivent se manifester.
Pour la médecine des réactions pathologiques, à laquelle viendra s’emboîter avec Broussais la médecine des agents pathogènes, la crise perd sa fonction salvatrice. Les phénomènes critiques désignent le processus pathologique dans sa croissance et son acmé, sans préjuger de la guérison. Le symptôme critique n’est pas toujours un bon symptôme qu’il faut respecter. Nous sommes passés de la «crise guérison» à la «crise maladie».
Pour les tenants d’une conception systémique, la crise n’est pas nécessairement évolutive. Elle se définit comme une perturbation temporaire des mécanismes de régulation d’un système, d’un individu ou même d’un ensemble d’individus. Cette perturbation provient de causes externes ou internes (R. Thom, 1976). Le rapport entre la notion de crise et celle du creuset pathologique ne se pose plus en terme d’alternative. Une crise peut devenir ou non le creuset du pathologique. Cette dernière définition s’applique aussi bien au champ sociologique qu’au champ psychologique.
À propos de l’adolescence, nous ne sortirons pas de cette dialectique du concept de crise. Pour les tenants de la conception salvatrice, cette crise d’adolescence sera maturante. Son absence sera pathologique: «il n’y aura pas de crise d’adolescence à proprement parler, de réorganisation spécifique vécue comme telle par le sujet à ce moment-là. Si cette absence d’aspect critique va au-delà des apparences, elle ne peut être que de mauvais augure quant au remaniement ultérieur de l’appareil psychique, et d’assez mauvais aloi quant à l’organisation qui l’aura précédé» (E. Kestemberg, 1980).
On peut opposer la notion de crise aux notions de:
– conflit: il se définit uniquement comme la lutte entre deux positions antagonistes, mais sans limite temporelle définie;
– stress: il évoque l’activation des mécanismes régulateurs en réponse à un stimulus pathogène;
– catastrophe: elle ne peut empêcher d’induire l’idée d’une issue malheureuse;
– urgence: elle introduit la notion d’une réponse immédiate.
Il est évident que dans le terme de crise, les notions précédentes sont présentes à des degrés divers. La délimitation du concept de crise et la définition que nous en avons donnée expliquent aisément son utilisation pour la période de l’adolescence.
ADOLESCENTS EN CRISE OU SOCIÉTÉ EN CRISE
Qui est en crise: les adolescents ou la société? Telle est la question qui résume les liens existant entre crise d’adolescence et crise de la société (B. Brusset, 1975).
La crise traversée par les adolescents serait liée à un changement historique, à une nouvelle culture, à de nouvelles pratiques sociales, à une modification des rôles parentaux. Cette hypothèse s’appuie sur des constatations générales telles que: «les parents se résignent à voir leurs enfants devenir des inconnus pour un monde inconnu», ou encore la notion de crise des valeurs, crise du monde occidental, etc.
La crise de la civilisation, idée retenue par de nombreux sociologues contemporains, donne lieu à des élaborations qui imputent les difficultés des adolescents, leurs manifestations critiques au fait que la société est malade. Mais l’esprit trop général de cette analyse lui fait perdre toute valeur explicative. Comme le souligne J. de Ajuriaguerra, «si crise il y a, elle n’est pas nécessairement équivalente suivant les structures sociales, ni tout à fait identique dans une même structure» (J. de Ajuriaguerra, 1970).
Selon B. Brusset, on peut décrire une convergence remarquable entre l’état de la civilisation postérieure à la phase d’industrialisation et celui de l’adolescence postérieure à l’enfance: détrônement de la raison, perte des illusions, remise en question du recours aux parents idéalisés (Surnaturel, Valeurs Idéales, Dieu, l’Homme, l’Histoire, etc.). En d’autres termes, notre société serait en période d’adolescence. On explique ainsi les analogies établies entre le thème de l’adolescence et celui de la mutation sociale: la notion de crise représente l’une de ces analogies.
En fait, B. Brusset ne s’interroge pas sur la validité de ce rapprochement, mais avance l’idée que «la représentation de l’adolescence et sa valorisation actuelle ou du moins de certains de ses aspects, ont pour fonction de donner une image rassurante des changements dans la société en en faisant un changement de la société (c’est-à-dire une crise d’adolescence de la civilisation), pour maintenir l’espoir utopique (?) d’un progrès historique vers plus de perfection, de cohérence, de sérénité et d’équilibre».
CRISES À L’ADOLESCENCE ET CRISE DE DÉVELOPPEMENT
En psychopathologie, le danger du concept de crise d’adolescence nous paraît résider surtout dans la confusion existant entre les modèles de compréhension souvent différents, voire divergents, auxquels se réfère chaque description. Afin de tenter une clarification, nous regrouperons les différents auteurs ayant abordé le concept de crise d’adolescence selon quatre grands modèles de compréhension:
– un modèle de compréhension où domine l’apport de la psychologie de l’enfant mais profondément imprégné d’un système d’éthique philosophique: M. Debesse (1936) décrit la «crise d’originalité juvénile»;
–Pierre Mâle (1982) parle de la «crise juvénile» à l’adolescence avec la volonté d’apporter une description clinique cohérente appuyée sur une compréhension analytique destinée à l’action psychothérapique;
– le psychanalyste américain Erik H. Erikson (1968), en insistant sur la quête de l’identité de la jeunesse contemporaine, ouvre la voie à une compréhension psychosociale de la crise d’adolescence destinée aux équipes pluridisciplinaires;
– enfin, de nombreux psychanalystes utilisent le terme de crise d’adolescence dans ses modalités dynamiques et évolutives.
Tous ces auteurs assimilent évidemment cette crise à une phase particulière du développement de la personnalité.
La crise d’originalité juvénile
Inspiré par les travaux antérieurs de Stanley Hall (Stanley Hall, 1935) et de Mendousse (P. Mendousse, 1909), le pédagogue et psychologue M. Debesse décrit la crise d’originalité juvénile (M. Debesse, 1936). Ses fonctions de professeur à l’École Normale lui fournissent des observations auprès de ses jeunes élèves, futurs enseignants. Une enquête menée dans d’autres établissements scolaires équivalents recoupe, selon l’auteur, ses observations personnelles.
La crise d’originalité.
— La crise d’originalité désigne la forme la plus visible et la plus complète du désir d’originalité. Cette crise d’originalité n’est pas permanente, elle présente des fluctuations. Son début est très souvent rattaché à un événement tel que l’éloignement, la mort d’un être aimé, un brusque changement dans l’existence, un chagrin d’amour, une ambition déçue, etc. À l’occasion d’une déception plus ou moins douloureuse, cette crise éclate soudainement et avec violence. Elle présente deux faces: une face individuelle, une face sociale:
La face individuelle se caractérise par l’affirmation de soi avec exaltation, une contemplation et une découverte du moi comparable, pour M. Debesse, à la découverte du corps chez le bébé. Elle peut se traduire par un goût de la solitude, du secret, par des excentricités vestimentaires, comportementales, langagières ou épistolaires. La pensée est avide d’inédit et de singulier. La passion de réformer, de moraliser ou de bouleverser le monde est intense. Plusieurs degrés se retrouvent, allant du simple désir d’originalité à la certitude d’être original en passant par la croyance d’être original.
La face sociale se manifeste par la révolte juvénile: révolte à l’égard des adultes, des systèmes de valeurs et des idées reçues. Les adolescents adressent deux griefs principaux à l’égard des adultes: leur manque de compréhension et le fait qu’ils attentent à leur indépendance. En fait, il s’agit d’une révolte vis-à-vis de tout ce qui peut gêner cette affirmation de soi.
1) Une première phase, de 14 à 16 ans, caractérisée par le besoin d’étonner.
2) Une deuxième phase, de 16 à 17 ans, au cours de laquelle l’affirmation de soi est intense.
3) Enfin, une phase de dénouement à partir de 18 ans durant laquelle le sujet se détend. Il peut prendre du recul, porter un jugement plus nuancé sur lui-même. Il commence à parler de lui volontiers à des personnes étrangères, il ne répugne plus à se comparer aux autres, et par là même cesse de se considérer comme un tout mystérieux et sacré. Il s’apprécie avec une certaine tranquillité.
Cette crise d’originalité est commune aux deux sexes, mais peut évidemment prendre des formes d’expression différentes selon le sexe. De même, si elle est fréquente, elle n’est pas absolument générale.
D’un point de vue structurel, «l’attention au corps, l’attention au milieu et l’attention à la pensée», sont trois séries de causes déterminant un travail mental qui est l’élément structural de la crise. Ce travail aboutit à l’affirmation consciente du moi. Cette crise d’originalité juvénile favorise pour M. Debesse la construction de la personnalité juvénile. Elle représente un potentiel constructif: elle doit être distinguée des différents processus psychopathologiques propres à l’adolescent, même si on y retrouve parfois certains des éléments précédents. Selon cet auteur, la crise d’originalité ne varie pas selon les époques ou les cultures car elle a pour origine la prise de conscience du moi, par l’intermédiaire du développement de la vie intérieure, du sentiment du différent et de l’unique. En revanche, une époque ou une culture peut favoriser ou entraver le développement de cette originalité. De même la révolte, versant social de cette crise, n’aura pas la même allure ni le même retentissement si elle se développe dans un milieu informé de son existence et de ses particularités ou dans un milieu qui en est ignorant.
La reconnaissance de la crise d’originalité juvénile permet ainsi de comprendre et de respecter les modes et les idéaux des adolescents, de prendre ces derniers au sérieux et de proposer ce que M. Debesse appelle une pédagogie de la crise: pédagogie d’accompagnement adaptée à chaque sujet, pédagogie qui évite certaines erreurs liées à l’ignorance du déroulement de cette crise.
Évidemment, la description de cette crise d’originalité proposée par M. Debesse soulève un certain nombre de critiques: problème de l’échantillon, problème de l’origine sociale et intellectuelle des sujets examinés: M. Debesse reconnaît ce biais en déclarant que cette crise survient plus spécifiquement chez les adolescents qui manifestent une richesse de la vie intérieure ou de la vie sentimentale, une certaine excitabilité spontanée et un développement intellectuel souvent brusque (cf. ci-dessus).
La crise juvénile (P. Mâle)
À partir de son expérience de psychothérapeute, P. Mâle décrit un tableau spécifique: la crise juvénile (P. Mâle, 1982). L’objectif pour cet auteur est de mieux cerner le champ de la psychothérapie, ses indications, ses modalités techniques. Pour cela, sans nier les difficultés inhérentes à une telle démarche, l’intérêt porte sur la reconnaissance des forces, les mouvements d’intérêts, les conflits et les manifestations que présentent les adolescents. Dans un second temps l’auteur les regroupe par tableaux différenciés: ainsi la crise juvénile sévère sera distinguée des aspects névrotiques et psychotiques parfois redoutables pour l’avenir.
P. Mâle considère la crise juvénile simple comme une phase extrêmement féconde caractérisée par un remaniement spontané de l’individu, par une véritable mutation. Cette phase adaptative connaîtra souvent une évolution difficile, longue et perturbée, mais fera émerger le sujet du monde protégé de l’enfance. L’auteur distingue la crise pubertaire et la crise juvénile proprement dite.
La crise pubertaire.
— La phase pubertaire marque le début de la crise juvénile. De trame inégale, elle apparaît dans les deux sexes, débutant vers 10-11 ans et se terminant vers 15-16 ans. Chez la fille l’apparition des règles signale apparemment un début franc; chez le garçon le début est plus difficile à préciser. Mais l’inégalité dans les dates d’apparition de la puberté pose aussi un problème à dimensions socioculturelles.
Deux points essentiels caractérisent cette crise:
– le doute sur l’authenticité de soi et de son corps. L’adolescent hésite à assumer son corps au point d’avoir constamment un doute et un besoin de réassurance. La crainte d’être observé, les longues stations devant le miroir en sont les expressions les plus manifestes;
– l’entrée en jeu de la tension génitale ou de la masturbation. Les premières «pollutions», l’évolution vers la sexualité adulte sont difficiles à assumer, source de culpabilité. Les premières expériences autoérotiques ou les premières relations sexuelles suscitent parfois des inhibitions considérables.
P. Mâle rappelle les travaux d’Anna Freud pour qui l’ascétisme et l’intellectualisation représentent des défenses parfois rigides contre le danger que représente l’intrusion génitale à l’adolescence (cf. chap. 1, Les moyens de défense).
Les dysharmonies de l’évolution pubertaire.
— De la crise pubertaire simple telle qu’elle vient d’être décrite, doivent être distinguées les dysharmonies d’évolution pubertaire: une première dysharmonie est marquée par l’écart entre un corps encore infantile et des moyens d’expressions génitales presque matures. En second lieu, la dysharmonie paraît provenir du contraste entre une activité pulsionnelle commandée par la génitalité et de l’autre côté des mécanismes psychiques de défense encore pris dans les structures infantiles. Il y a là un véritable asynchronisme. Il s’agit d’adolescents pour lesquels le développement somato-endocrinien est soit très précoce, soit retardé. Pour ceux-là, les aspects psychologiques caractérisant le processus de l’adolescence apparaissent de façon décalée par rapport au développement physiologique qui est donc soit en retard, soit en avance. La violence de l’instinct se manifestera par ce que P. Mâle appelle les «pulsions latérales», c’est-à-dire des activités agressives, compensatrices de la sexualité bloquée: simple attitude caractérielle ou parfois prenant l’aspect de fugue ou de délinquance. La sphère cognitive peut être elle-même envahie par ce mouvement de dénégation ou de refus sexuel, ce qui est source de troubles scolaires survenant en particulier entre 12 et 14 ans.
La crise juvénile proprement dite.
Cette nouvelle individualisation est vécue sous la double contrainte des tendances infantiles persistantes et des tendances adultes débutantes. P. Mâle distingue les crises juvéniles simples des crises sévères aux confins des névroses et de la morosité.
Les crises juvéniles simples.
— Dans les crises juvéniles simples, l’acceptation de l’image de soi est assez facile, les réactions de l’adolescent sont liées à des motivations vivantes et chargées d’angoisse. En consultation, le médecin ou le psychologue apparaît réel, solide dans l’esprit de l’adolescent. Enfin, si les attitudes d’échec sont observables, elles sont réversibles et l’intelligence reste disponible.
Les crises juvéniles sévères.
– la névrose d’inhibition, avec des inhibitions multiples, une difficulté à s’exprimer, une crainte de la personne du sexe opposé, une inhibition intellectuelle et sociale avec souvent des traits phobo-obsessionnels;
– la névrose d’échec avec des comportements et des conduites qui se retournent contre l’individu: échec scolaire, échec sentimental, acting, expression brutale d’interdits surgissant de l’inconscient, refusant le succès que semble souhaiter le conscient. La pensée devient perturbée, labile, instable, investie par des problèmes névrotiques;
– la morosité, qui n’est ni la dépression ni la psychose, mais un état proche de l’ennui infantile: «je ne sais pas quoi faire, à quoi m’intéresser, à quoi jouer, etc.» C’est un état qui manifeste un refus d’investir le monde, les objets, les êtres plutôt qu’une perturbation thymique véritable. L’important est que «cet état morose paraît la cause prépondérante et dominante du passage à l’acte sous trois formes principales: fugue ou délinquance, drogue, suicide».
Évidemment, un nombre important de réactions de ce type ne relève pas de cette morosité, mais de l’incapacité de supporter le recommencement de la vie quotidienne. Le besoin insatiable de changement, de nouveautés, de prise de distance vis-à-vis de l’enclos familial, caractéristiques de ce cadre, favorisent ici le passage à l’acte. L’expression pulsionnelle par les réalisations érotiques ou par les fantasmes, ne peut être ni vécue directement, ni sublimée. Si la vie se déroule, elle est vécue sans discrimination, en expériences successives, n’attachant d’importance ni à l’objet, ni à la fonction. Au cours de cette crise morose, l’adolescent ne se représente pas le temps. Selon P. Mâle, tout ceci est compatible avec un très bon niveau intellectuel, avec une bonne verbalisation qui constituent une sorte d’écran trompeur pour le clinicien s’il n’approfondit pas ces problèmes.
Ces crises sévères doivent cependant être distinguées:
1) du déséquilibre psychique où l’adolescent perturbé donne l’impression d’être comme enfermé dans son comportement;
2) des aspects dissociatifs où l’image de soi n’est plus acceptée du tout, et où, en plus, on observe parfois une division de la personnalité avec des bizarreries sortant du cadre de la simple originalité.
Pour l’abord psychothérapique de la crise juvénile, le psychothérapeute accepte une série d’attitudes faites de réassurance, de synthèse, d’anticipation, de compréhension directe, en un mot propose «une expérience émotionnelle correctrice». Le psychothérapeute doit toujours laisser disponibles plusieurs possibilités identificatoires afin de s’appuyer sur la force nouvelle que représente l’autonomie croissante portée par la crise pour dégager le sujet de ses positions régressives et infantiles. Ces attitudes thérapeutiques vont permettre aux formes sévères de la crise de voir leur potentiel destructeur s’atténuer, évitant ainsi à l’adolescent de basculer dans les tableaux psychopathologiques fixés, tels qu’une dépression, un déséquilibre, ou une psychose débutante. Évidemment, l’attitude du milieu familial à l’égard de ces différentes formes de crise et de leurs composantes, détermine pour une part non négligeable son déroulement.
Identité, jeunesse et crise (E.H. Erikson)
Bien que psychanalyste, Erik H. Erikson appréhende la crise de l’adolescence sous son aspect psychosocial. L’originalité de son approche réside surtout dans l’intérêt qu’il porte au concept d’identité. «Identité et Crise d’Identité» sont devenues dans l’usage courant et même scientifique des termes qui circonscrivent tantôt des éléments très généraux (exemple: la Crise de l’Identité de l’Afrique), tantôt des repères très spécifiques à une discipline (exemple: l’Identité du Phonème). Il importe de cerner le concept d’Identité et celui de Crise d’Identité au niveau clinique. Comme il est habituel dans l’histoire de la psychanalyse, E.H. Erikson n’a proposé une description et une compréhension de la crise normative à l’adolescence, puis au début de l’âge adulte, qu’après avoir repéré son équivalent pathologique: la confusion d’identité, ou la perte de l’identité du moi (E.H. Erikson, 1968).
La confusion d’identité.
— Sous ce terme, E.H. Erikson décrit divers troubles observés chez des jeunes «incapables d’embrasser les carrières offertes par leur société et de créer ou de maintenir pour eux-mêmes un moratoire spécifique et personnel». Les signes d’une confusion d’identité aiguë apparaissent au moment où l’adolescent se trouve confronté à une série d’expériences qui exigent un choix et un engagement: choix d’une personne avec laquelle partager intimité physique et affective, choix professionnel décisif, engagement dans une compétition énergique, choix d’une définition psychosociale de soi-même. Selon l’enfance de l’individu, la tension ainsi créée est source ou non de troubles en raison du mouvement régressif de la crise, et selon l’histoire de la culture dans laquelle il vit (par exemple: une civilisation qui fournit aux jeunes une perspective temporelle convaincante et compatible avec une image d’un monde cohérent atténue notablement cette tension). La première caractéristique en est l’incapacité à s’engager de façon authentique avec d’autres, à établir une intimité plaisante, qu’il s’agisse d’amitié, de flirt et d’amour, à investir la compétition. L’adolescent recherche alors cette intimité avec les partenaires les plus invraisemblables ou s’isole totalement. Son sentiment de continuité, d’identité intérieure se désintègre et s’accompagne d’un sentiment de honte universelle, d’une incapacité à éprouver une sensation d’accomplissement à travers une activité.
Enfin, ce tableau se complète par le choix d’une «identité négative», c’est-à-dire «une identité perversement établie sur toutes les identifications et les rôles qui, aux stades critiques antérieurs du développement, avaient été présentés comme indésirables ou dangereux». Cette identité négative s’exprime souvent par une hostilité méprisante et prétentieuse à l’égard des rôles que la famille et l’entourage recommandent. Elle représente naturellement une tentative désespérée pour maîtriser une situation dans laquelle les sentiments disponibles d’identité positive s’annulent les uns les autres.
Un état de désespoir, des épisodes de délinquance ou des manifestations frôlant la psychose, peuvent constituer des conduites symptomatiques de cette confusion d’identité. Devant ces manifestations symptomatiques l’intérêt de reconnaître un tableau de confusion d’identité, est de ne pas leur attribuer la même fatale signification que celle qu’elles pourraient avoir à d’autres âges de la vie ou dans un autre contexte.