22. La position du thérapeute. Induction et suggestions
Position du thérapeute
On entend par position du thérapeute son attitude, sa posture, le contexte corporel dans lequel il intervient auprès de son patient. Cette position comporte des aspects non verbaux et des aspects verbaux.
Un certain nombre de notions peuvent aider à comprendre la position de l’hypnothérapeute s’inspirant de l’approche éricksonienne.
– Position haute et position basse : la position haute est par exemple celle de l’orateur devant une assemblée d’étudiants. C’est lui qui agit. Il a un certain pouvoir et est a priori considéré comme celui qui sait. Il s’expose et est dans une position au moins un peu risquée. D’un point de vue pratique, il est contrôlé (au moins un peu) par les étudiants qui l’écoutent. Réciproquement, les étudiants sont considérés comme en position basse : ils observent, sont en position d’apprentissage, ne sont pas exposés mais plutôt protégés (cela sera différent s’ils ont un jour un examen !) et contrôlants. Dans la relation hypnotique, le thérapeute doit être autant que possible en position basse afin de faire en sorte que le patient soit le plus actif possible (et donc en position haute).
– Complémentarité et symétrie : la relation hypnotique doit être une relation de coopération dans laquelle chacun doit donc jouer son rôle de manière complémentaire. Souvent, il est difficile d’obtenir cette complémentarité, le patient restant en position basse malgré les efforts du thérapeute. La relation reste alors symétrique et donc improductive.
– On voit ainsi que l’hypnose comporte une dimension de jeu relationnel dans lequel patient et thérapeute vont prendre un certain plaisir à travailler.
En pratique, on voit que le thérapeute doit donc être dans un état d’esprit d’humilité et de modestie. De plus, il travaille considérablement avec son corps. Il lui est d’ailleurs parfois possible de ne pas parler. L’hypnose est une approche corporelle.
Lorsqu’il parle, ce qui est le plus souvent le cas, le thérapeute essaiera d’utiliser le plus possible un vocabulaire simple, reprenant les mots et expressions du patient (voir ci-après « Utilisation »). Avec ces mots, il essaie de construire une « réalité » qui puisse être utile à ce dernier. Mais il doit être prudent et éviter des mots à connotation trop immédiate (qui risquent trop, en tout cas au début, d’être refusés par le patient). Il doit aussi exclure de son vocabulaire des mots suggérant le doute, l’idée que le travail pourrait échouer.
Le thérapeute devra également être attentif à un phénomène habituel en hypnose : le littéralisme (tendance du patient à prendre les propos du thérapeute « au pied de la lettre »). « Donner un coup de main » peut ainsi devenir dans l’imaginaire du patient en transe une gifle ou un coup de poing !
La synchronisation (pacing) de la parole du thérapeute avec le rythme respiratoire permet un pouvoir d’influence augmenté et reste un « outil » de base de l’hypnose (parler pendant l’expiration du patient, se taire pendant l’inspiration).
Concernant le contenu :
– il est important d’utiliser autant que possible des mots sensoriels ; la dimension évocatrice de l’hypnose est primordiale ainsi que le savent intuitivement les grands conteurs ;
– le discours ne doit pas s’interrompre mais au contraire être continu, comme une rivière qui coule. Le thérapeute utilise abondamment des conjonctions de coordination (« et », « à ce moment-là… », « tandis que… », « alors… ») ;
– le thérapeute aura souvent intérêt à utiliser des mots dont le sens est vague voire flou, ce qui permet au patient de pouvoir lui-même construire le sens de son expérience ;
– il devra savoir que « l’inconscient ignore les négations », c’est-à-dire que, notamment en transe, le patient recevra par exemple le propos « Ne pensez pas à un éléphant rose » en y pensant activement !
Les trois derniers aspects importants sont les suivants.
– La permissivité. Il ne s’agit ici nullement de morale mais de technique. L’hypnothérapeute, afin de garder la position basse et de faire travailler aussi activement que possible son patient, doit faire en sorte, dans son attitude et son discours, que tout ce que peut faire le patient sera validé et validable. En pratique, en utilisant des formules telles que « peut-être… », « il se peut que… », le thérapeute propose du choix au patient dont la tâche est de faire son choix. M. Erickson comparait souvent le contexte de la thérapie à un restaurant avec une carte ou différents menus.
– L’anticipation. Le thérapeute est comme un guide qui marche à côté du patient ou même parfois devant lui. Il doit anticiper ce qui va survenir, penser à l’avance à ce qu’il va évoquer et dire, tout en étant attentif aux réactions du patient. Pour effectuer une telle double tâche, il doit donc avoir une partie de lui-même présente dans l’ici et maintenant de la séance, et une autre partie « ailleurs », d’où la notion suivante.
– Dissociation du thérapeute. Afin que le patient puisse être en transe, il faut que le thérapeute le soit aussi. La notion de dissociation est centrale en hypnose, car elle est recherchée, contrairement à d’autres approches (sophrologie, relaxation, etc.), dans lesquelles elle survient fréquemment mais n’est pas délibérément ni stratégiquement provoquée par le thérapeute. C’est cette dissociation qui va permettre la survenue des phénomènes dits hypnotiques que sont la lévitation, la catalepsie, l’analgésie, l’anesthésie, l’amnésie, l’hypermnésie, la régression, l’anticipation, les distorsions temporelles, l’écriture automatique, les hallucinations, etc.
Induction
Définition. L’approche naturaliste d’Erickson
Le terme d’induction, lorsqu’il s’applique à l’hypnose, désigne à la fois le processus par lequel une transe s’installe et les techniques que l’hypnothérapeute utilise dans ce but. Le terme d’induction est, si on envisage le caractère naturaliste de l’approche éricksonienne de l’hypnose, paradoxal. Dans la perspective d’Erickson, l’hypnose est conçue comme un phénomène spontané, survenant régulièrement à certains moments de la journée et particulièrement dans certaines circonstances (par exemple moments d’ennui ou d’exécution d’une tâche simple ou habituelle).
Lorsqu’il était interrogé sur les techniques d’induction qu’il utilisait dans son travail, Erickson répondait fréquemment qu’il suffisait d’attendre suffisamment et que le patient finirait tôt ou tard par entrer en transe ! Nous verrons que la notion d’attente est primordiale. Par ailleurs, cette réponse avait également pour but de montrer l’importance pour le thérapeute de prendre son temps dans la pratique de l’hypnose comme dans celle des thérapies qui s’en inspirent.
Comme la thérapie (Erickson disait, là aussi paradoxalement, que la vie est une thérapie, thérapie en tant que recherche de solutions pour une adaptation optimale et créative aux contextes traversés), la transe est un phénomène naturellement présent dans la vie des individus en bonne santé mentale.
Rythmes chronobiologiques de l’hypnose
Depuis l’époque d’Erickson, un certain nombre d’études (recensées notamment par Rossi, 1994), ont été effectuées qui laissent penser que des moments hypnotiques semblent survenir de manière régulière tout au long de la journée, selon une périodicité ultradienne de 90 à 120 minutes. Il y aura ainsi des cycles diurnes de moments hypnotiques durant l’éveil sur un mode comparable à la cyclicité des moments de rêve durant le sommeil nocturne. Comme pendant le rêve, le cerveau semble, au vu des examens d’imagerie pratiqués, très actif pendant ces moments hypnotiques. Il est actuellement envisagé que ces moments auraient une utilité à un niveau biologique cellulaire (synthèse protéique dans la maintenance cellulaire et dans la création de nouveaux neurones [neurogenèse]).
Faciliter la transe. La « préparation du terrain »
Le plus souvent, induire une transe consiste essentiellement à la faciliter ou, au minimum, à ne pas empêcher sa survenue.
En pratique, un réflexe possible du thérapeute voyant en cours d’entretien son patient moins attentif (un peu dissocié) peut être, en effet, d’intervenir afin de recapter son attention (le réassocier) : « Dites donc vous m’écoutez ? », s’attirant probablement une réponse du type « Mais bien sûr que je vous écoute ! », réponse, comme il sera vu plus loin, peu utile. Dans une perspective hypnotique, le thérapeute dans un tel contexte se gardera bien d’une telle intervention, considérant plutôt cet état comme une disponibilité particulière possible de son patient pour d’autres types d’interactions (évocation d’anecdotes, récits métaphoriques, etc.).
Généralement, et ce pour un nombre varié de raisons (que cela soit en psychothérapie ou en médecine), le thérapeute a besoin de techniques destinées à hâter l’installation d’une dissociation. Dans ce but, il convient d’abord, comme il est souvent dit métaphoriquement, de « préparer le terrain ». Habituellement, le thérapeute demandera au patient s’il a déjà utilisé l’hypnose thérapeutique et, si c’est le cas, l’utilité que le patient en a retiré. Un précédent positif peut déjà constituer, par la remémoration de celui-ci, une technique d’induction possible.
La « préparation du terrain » comprendra aussi, notamment chez le patient vierge de toute expérience personnelle positive d’hypnose, l’examen des éventuelles croyances que celui-ci a concernant cette approche. Les médias, certains spectacles utilisant l’hypnose (souvent simulée mais non toujours), les « on-dit » véhiculés par certains membres de l’entourage sont de grands pourvoyeurs de croyances inquiétantes et donc susceptibles d’empêcher toute tentative ultérieure d’induction. Le thérapeute sera fréquemment amené à expliquer notamment trois points :