La personnalité passive-agressive

13. La personnalité passive-agressive



Définitions


Peu connue, sans doute moins répandue que d’autres personnalités pathologiques, la personnalité passive-agressive fut décrite en 1945 par les militaires américains qui se trouvaient confrontés à des conscrits immatures et récalcitrants. En 1952, cette personnalité fit son apparition dans le DSM-I. Par la suite, sa nature et sa réalité furent discutées, certains auteurs ne conférant pas à ce qu’ils considéraient comme un simple comportement le statut de personnalité (Malinow, 1981). À l’inverse, MillonMillon (1981) considère que l’attitude d’opposition – essentiellement décrite par les neuf critères du DSM-III – ne suffit pas à définir cette personnalité. Le négativisme, l’irritabilité, l’impulsivité et l’incertitude s’ajoutent à ce symptôme pour lui donner une signification plus riche, moins automatique. Certains ont même proposé d’élargir le concept à celui de personnalité négativiste, incluant alors les personnalités à conduite d’échec et la personnalité sadique (Millon et Davis, 1996). L’attitude d’opposition frappe par son caractère sournois, hypocrite et détourné. Le sujet passif-agressif, maussade, boudeur et persifleur, n’obéit pas vraiment aux consignes, remet au lendemain, agit avec lenteur, fait de l’obstruction sans déclarer de façon officielle son adversité.

Décrite officiellement en 1945, la personnalité passive-agressive correspond à une tradition littéraire et psychiatrique assez ancienne. Bonne observation, Le Misanthrope de MolièreMolière “A est un portrait exemplaire de l’aigri qui allie la critique, la réticence et la timidité. Dans le champ psychiatrique, cette personnalité est décrite aux marges des tempéraments dépressifs. KraepelinKraepelin (1913), avec la « disposition irritable », évoque des sujets qui ont une vision régulièrement négative des événements ; Aschaffenburg (1922) décrit les personnalités insatisfaites, « mécontentes et toujours blessées » ; Hellpach (1920) repère, sous le nom d’amphithymie, des « individus à l’humeur fondamentale insatisfaite de la vie, qui doutent de leur efficacité et ruminent sur le qu’en-dira-t-on ». Dans le cadre plus général des psychopathes dépressifs, Kurt SchneiderSchneider “A (1955) réserve une place pour les dépressifs moroses qui sont « froids, égoïstes, grognons et rageurs, irritables et ronchonneurs, voire pervers et méchants » et « qui se réjouissent presque si cela va de travers » (auteurs cités par Schneider).

La personnalité passive-agressive est assez fréquente. Dans une population générale d’adultes d’Oslo, sa prévalence ponctuelle est de 1,7 % pour Torgersen et coll. (2001). Mais elle est également présente chez les adolescents âgés de treize ans (4 %) et alors volontiers associée à la consommation de drogues (Cohen et coll., 2007). Pour Hopwood et coll. (2009), la personnalité passive-agressive présente une cohérence valide et peut être conçue comme une sous-catégorie de la personnalité narcissique à laquelle elle est volontiers associée, ainsi qu’à la personnalité borderline. Une association avec le déficit de l’attention avec hyperactivité a été retrouvée chez l’adulte par Cumyn et coll. (2009).

Aussi bien MillonMillon et Everly (1985) que BeckBeck et Freeman (1990) ont insisté pour ne pas limiter la personnalité passive-agressive à un simple comportement agressif. Selon ces auteurs, une vision négative de soi-même et du monde va de pair avec l’attitude opposante. Pour Millon, l’hésitation, le doute et le vacillement jouent un rôle central. Il est donc commode de rassembler l’ensemble des symptômes sous les trois termes d’opposition, de négativisme et d’hésitation, lesquels vont se manifester dans différents domaines : comportemental, affectif, cognitif. L’opposition du passif-agressif est sournoise, hypocrite, rampante, utilisant la ligne de moindre résistance, évitant les risques et les conflits ouverts. Elle va de pair avec un désir permanent d’autonomie mal abouti qui alterne avec des comportements de dépendance. L’hésitation imprègne les différents domaines psychologiques, amenant une instabilité de l’humeur et des comportements impulsifs. Les idées et les réflexions sont également alternantes, d’où une mauvaise connaissance de soi et peu d’esprit de synthèse. Le négativisme, généralisé, participe de l’opposition au contexte social mais s’accompagne aussi des sentiments d’envie, d’amertume et de rancune. L’ensemble donne évidemment l’impression d’un ratage, d’une ambition déçue à laquelle le sujet ne peut pas parvenir et qu’il tente d’approcher par des moyens misérables.


Comportement et stratégie interpersonnelle


Le sujet passif-agressif manifeste un comportement d’opposition. Cette opposition est passive, silencieuse, sans heurts ni déclarations hostiles. Elle est particulièrement significative dans le domaine professionnel, mais elle est présente également dans le milieu familial. Le sujet « oublie » certaines tâches, les accomplit avec une lenteur délibérée, les remet au lendemain – ce qui se nomme procrastination. Son activité professionnelle est inefficace, irrégulière, peu investie. Si, finalement, son supérieur le met au pied du mur et l’oblige à s’exécuter, il se met en colère, adopte une attitude cassante. À cette obstruction matérielle s’ajoute une humeur maussade. Le passif-agressif fait du mauvais esprit, critique, se moque et persifle, fait des allusions. S’il est en position de responsabilité ou de direction, cette attitude négative brise l’élan de ses collègues qui ne sont guère gratifiés. À cet ensemble déjà hostile se rajoutent encore des comportements impulsifs qui explosent après des périodes de doute ; elles achèvent de désorienter l’entourage.

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Jun 29, 2017 | Posted by in GÉNÉRAL | Comments Off on La personnalité passive-agressive

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