8. La Maladie de Huntington
Anatomopathologie et Physiopathologie
L’atrophie, la perte neuronale progressive et l’astrocytose intéressent le noyau caudé et le putamen, mais aussi le pallidum, la substance noire réticulée et le cervelet [1]. Avant l’apparition d’anomalies histologiques, en l’absence de perte cellulaire et de signes de gliose, des études immunohistochimiques ont montré une dégénérescence des neurones striataux inhibiteurs projetant sur le globus pallidus externe (voie indirecte). Une perte sélective des neurones pyramidaux des couches III, IV et VI du cortex préfrontal peut aussi être observée. Des inclusions neuronales intranucléaires sont également mises en évidence dans le cortex et à un moindre degré dans le striatum.
La mort cellulaire est très vraisemblablement liée à un mécanisme d’excitotoxicité, les cellules corticales glutamatergiques étant responsables de la mort par apoptose des cellules du striatum sur lesquelles elles projettent. Ce mécanisme serait sous-tendu par un mauvais fonctionnement des récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA) ; l’ouverture du canal calcique lié à ce récepteur entraînerait un phénomène d’excitotoxicité par l’intrusion intracellulaire d’une trop grande quantité de calcium. D’autres facteurs potentiels sont impliqués: agrégats de protéine huntingtine mutée dans le noyau et le cytoplasme des cellules, interaction de la huntingtine mutée avec d’autres protéines, dérégulation de la transcription, dysfonctionnement mitochondrial [2].
Le processus dégénératif qui touche électivement la matrice du striatum entraîne une perte des neurones inhibiteurs GABAergiques et des neurones à métenképhaline [3]. Cette atteinte sélective de la voie indirecte (striatum-pallidum externe-noyau sousthalamique-pallidum interne) est responsable d’une augmentation d’activité de la voie directe inhibitrice entre le striatum et le pallidum interne ; en conséquence l’inhibition exercée par le pallidum interne sur le thalamus est diminuée, libérant la voie thalamocorticale excitatrice responsable des mouvements involontaires choréiques (figure 8.1).
Fig. 8.1 |
Manifestations Cliniques
La maladie se révèle le plus souvent par :
– des modifications de la personnalité: désintérêt progressif, modification du caractère, tendance à l’agressivité, syndrome dépressif ;
– une baisse d’efficience cognitive avec des troubles attentionnels ;
– des mouvements involontaires de type choréique d’installation progressive.
Le tableau clinique typique à la phase d’état comporte différents signes, détaillés ci-dessous.
Mouvements Involontaires
La forme juvénile et infantile, particulière par sa transmission paternelle prépondérante, associe un syndrome akinéto-hypertonique franc, un syndrome pyramidal, un syndrome cérébelleux, des crises convulsives et une détérioration mentale rapide. À l’autre extrémité, la forme à début tardif associe une chorée et une atteinte intellectuelle d’installation lentement progressive restant d’intensité modérée avec une évolution prolongée.
Une échelle de cotation des troubles moteurs, la Unified Huntington Disease Rating Scale (UHDRS) [4] a été développée pour évaluer l’importance des troubles moteurs, permettant un suivi plus précis des malades notamment dans le cadre d’essais thérapeutiques.
Troubles Cognitifs
Les troubles moteurs s’accompagnent d’un déclin cognitif progressif conduisant à un syndrome démentiel de type sous-cortico-frontal. Cependant, en dehors de la démence, des déficits cognitifs existent à tous les stades de la maladie et concernent de nombreuses fonctions cognitives.
Attention et concentration
Malgré un ralentissement psychomoteur général, les systèmes d’éveil semblent préservés ; dans les tâches d’alerte, les patients ayant une maladie de Huntington ont des performances comparables aux témoins. Par contre, le maintien attentionnel est perturbé. Plusieurs études signalent des difficultés de concentration [5]. Dans les tâches de vigilance où le sujet doit maintenir volontairement son attention pendant une période de plusieurs minutes afin de détecter la survenue d’un stimulus dont la fréquence d’occurrence est faible, les patients souffrant d’une maladie de Huntington font un nombre élevé d’erreurs [6]. Les situations d’attention visuelle sont particulièrement difficiles, peut-être en lien avec la présence de troubles oculomoteurs [7].
Camus et coll. [8] ont étudié les troubles attentionnels dans la maladie de Huntington à l’aide d’une version adaptée du paradigme de Posner. Il s’agissait d’une tâche d’orientation de l’attention où un stimulus préparatoire central informait le sujet du côté de survenue d’un stimulus impératif. Dans 75% des cas, le stimulus préparatoire était considéré comme « valide » puisque le stimulus impératif apparaissait du côté annoncé par celui-ci. Dans les autres cas, il était considéré comme « non valide » car le stimulus impératif apparaissait du côté opposé à celui annoncé. Camus et coll. [8] ont utilisé la différence entre les temps de réponse obtenus aux essais non valides et valides pour mesurer un « effet attentionnel » indépendant de la plupart des composantes sensorielles et motrices et mettant en œuvre les composantes endogènes de l’attention. Ils ont observé chez les patients souffrant d’une maladie de Huntington un effet attentionnel beaucoup plus marqué que chez les témoins. L’importance de cet effet était significativement corrélée à la durée de la maladie. Les capacités perceptives d’intégration audiovisuelles étaient préservées ; en revanche, les patients manifestaient un manque de flexibilité dans le contrôle cognitif d’une situation où la réponse dépend de règles complexes et variables d’un essai à l’autre. Selon ces auteurs, ces troubles seraient en relation avec un dysfonctionnement du réseau attentionnel antérieur impliquant le cortex préfrontal (ventromédian et dorsolatéral), les ganglions de la base et le gyrus cingulaire antérieur, réseau sollicité dans les opérations délibérées de contrôle attentionnel.
Mémoire
Mémoire de travail
Peu de travaux se sont intéressés de façon spécifique aux troubles de la mémoire de travail dans la maladie de Huntington. Lawrence et coll. [10] ont rapporté l’existence de troubles de la mémoire de travail dès les stades précoces de la maladie. Ils concerneraient essentiellement la manipulation active des informations spatiales. Ces déficits semblent évoluer avec la sévérité de la maladie, comme le montrent les profils de performance à l’épreuve de mémoire de travail spatiale de la CANTAB. À cette épreuve, les sujets sont invités à rechercher des jetons cachés derrière des portes réparties à la surface de l’écran de l’ordinateur. Chaque fois qu’un jeton est trouvé, il est placé dans une réserve et le sujet doit en chercher un autre, la règle étant qu’aucune porte n’est utilisée deux fois. La réussite à ce type d’épreuve nécessite l’utilisation d’une stratégie de recherche qui consiste à utiliser à chaque essai la même trajectoire et à y intégrer à chaque nouvelle recherche les localisations qui ont déjà permis d’obtenir un jeton et sont donc à éviter. Deux sortes d’erreurs sont généralement commises qui correspondent à deux aspects différents de cette stratégie: les erreurs intra-essai, qui consistent au sein d’un même essai à revenir à une porte dont on a déjà pu voir qu’elle ne cachait pas de jeton, et les erreurs inter-essai qui consistent à rouvrir une porte derrière laquelle on a déjà découvert un jeton lors d’un essai précédent et qui, en conséquence, ne peut plus en cacher. Au début de la maladie, les patients ayant une maladie de Huntington commettent plus d’erreurs inter-essai que les sujets contrôles alors que le nombre d’erreurs intra-essai est identique. À un stade évolué de la maladie, les deux types d’erreurs sont présents en nombre élevé et il existe une forte tendance persévérative responsable de nombreuses erreurs intra-essai. Il semble donc qu’en début de maladie, les capacités de représentation et de maintien actif des informations soient préservées et que les déficits concernent les capacités de contrôle et de manipulation des informations. Avec l’évolution, les deux composantes seraient touchées. Selon le modèle de Petrides [11], les premières seraient sous dépendance de la partie ventrale du cortex préfrontal, alors que les secondes feraient intervenir la région préfrontale dorsolatérale. Ces données sont cohérentes avec l’hypothèse d’une progression dorsoventrale de la mort neuronale au sein du striatum. Le striatum médiodorsal serait touché en premier, alors qu’en début de maladie le striatum ventral et le noyau accumbens seraient relativement épargnés et ne seraient gagnés qu’ultérieurement par la perte cellulaire.
Mémoire déclarative
Ces troubles seraient davantage marqués en modalité visuelle qu’en modalité verbale. L’apprentissage et la rétention de localisations spatiales semblent particulièrement déficitaires [12].
Apprentissage procédural
Depuis la publication en 1984 d’une étude de Martone et coll. [13] mettant en évidence une double dissociation entre mémoire déclarative et mémoire procédurale chez des patients souffrant d’une maladie de Huntington d’une part et d’un syndrome de Korsakoff d’autre part, de nombreux travaux se sont intéressés aux troubles de l’apprentissage procédural dans la maladie de Huntington, afin de valider l’hypothèse selon laquelle le néostriatum serait le substrat neuronal de cette sous-composante mnésique. La plupart des travaux ont utilisé le paradigme des temps de réaction sériels (décrit dans le chapitre 3, page 37), où s’installe de façon implicite l’apprentissage de la séquence selon laquelle un stimulus visuel apparaît.
Knopman et Nissen [14] ont comparé la performance de 17 patients ayant une maladie de Huntington et celle de 21 sujets contrôles à ce type de tâche en veillant à bien scinder la part « procédurale », c’est-à-dire l’apprentissage spécifique de la séquence d’apparition des stimuli et la part « motrice », c’est-à-dire l’apprentissage lié à l’exécution de la réponse motrice, qui correspond à l’entraînement à appuyer sur une clé de réponse et est indépendant du caractère séquentiel d’apparition des stimuli. Ils ont observé chez les patients comme chez les témoins une réduction progressive des temps de réponse au fil des essais, ce qui témoigne d’un apprentissage de la tâche motrice. En revanche, les patients manifestaient un déficit d’apprentissage spécifique de la séquence. En effet, lorsque, après la présentation de plusieurs séries de stimuli se succédant selon la même séquence, on introduisait une série de stimuli selon une séquence aléatoire, le temps de réaction moyen des patients ayant une maladie de Huntington augmentait de façon nettement moins marquée que celui des témoins. Cette différence ne pouvait s’expliquer par une meilleure connaissance explicite de la séquence chez les témoins par rapport aux patients, dans la mesure où aucun des deux groupes n’avait conscience de la séquence apprise.
Willingham et coll. [15] ont obtenu des résultats comparables avec une tâche de poursuite d’une cible en mouvement où, dans une première condition, la cible se déplaçait de façon aléatoire et l’amélioration de la performance au fil des essais était due à un entraînement à manipuler le dispositif de réponse. Dans une deuxième condition, la cible se déplaçait selon une séquence qui se reproduisait régulièrement. Il y avait donc comme dans la première condition un entraînement à manipuler le dispositif de réponse, mais en plus un apprentissage de la répétition de la séquence de mouvements associés à la cible, susceptible de réduire le temps de poursuite au fil des essais. La comparaison des deux conditions permet donc de séparer la part de performance attribuable aux aptitudes perceptivo-motrices de celle qui revient aux aptitudes de séquencement. Ils ont comparé la performance à cette tâche de 13 patients ayant une maladie de Huntington et 13 sujets contrôles. Ils ont observé que, globalement, les patients étaient très ralentis. L’amélioration de leur temps de réponse était cependant comparable à celui des témoins en condition de poursuite aléatoire. Par contre, en condition de poursuite séquentielle, les patients ne tiraient pas bénéfice, à l’instar des témoins, de la répétition des séquences. Il existe donc bien dans la maladie de Huntington un déficit de l’apprentissage des séquences motrices bien que les capacités d’intégration perceptivo-motrices soient préservées. Ce déficit, observé aussi dans la maladie de Parkinson [16], est en faveur d’une implication du striatum dans l’apprentissage de l’ordre temporel des événements.
Ce déficit d’apprentissage procédural est observé dès les stades précoces de la maladie et chez les porteurs asymptomatiques de la mutation génétique. Chez ces derniers, il est associé à des réorganisations fonctionnelles impliquant le noyau caudé et le cortex pariétal dont le métabolisme est réduit, ainsi que le cortex orbito-frontal et le noyau dorso-médian du thalamus dont l’activité est accrue lors d’un apprentissage séquentiel [17].
Fonctions exécutives
Dès les stades précoces de la maladie, les patients ayant une maladie de Huntington présentent des troubles des fonctions exécutives. Dans leur vie quotidienne, ils ont des difficultés à organiser et planifier leur activité et s’adaptent difficilement aux changements et aux événements imprévus. Très rapidement, ils présentent des déficits aux épreuves telles que le test de classement de cartes du Wisconsin, le test de Stroop, les épreuves de fluence verbale et de résolution de problèmes, épreuves largement validées pour l’évaluation des fonctions exécutives et connues pour leur sensibilité aux dysfonctionnements frontaux.
La perte neuronale dans le noyau caudé et le putamen entraînerait en effet un dysfonctionnement des circuits striato-préfrontaux à l’origine de la symptomatologie huntingtonienne.
La morphométrie volumétrique a permis de montrer que la sévérité du syndrome dysexécutif était corrélée à l’ampleur de l’atrophie des noyaux caudés et du cortex insulaire, ainsi que du thalamus dans les tâches chronométrées [18, 19].
Planification de l’action
Il y a donc une progression des déficits de planification dans la maladie de Huntington. Au début, ce sont les processus de haut niveau permettant la sélection des réponses nécessaires à la mise en place de plans d’action complexes qui sont touchés. Avec l’évolution, les processus plus élémentaires permettant la sélection de réponses routinières seront aussi atteints.
Capacités d’alternance
Au test de classement de cartes du Wisconsin classiquement utilisé pour évaluer les capacités d’alternance, des déficits existent dès les stades précoces de la maladie. Ceux-ci concernent principalement les phases d’alternance entre catégories où les patients commettent beaucoup d’erreurs persévératives et continuent d’appliquer une règle de réponse devenue non pertinente. Le test de classement de cartes du Wisconsin mettant en jeu un grand nombre de processus, l’interprétation de ces déficits reste cependant difficile. Lawrence et coll. [20] ont cherché à les caractériser en utilisant une tâche de discrimination visuelle où le sujet doit apprendre à choisir entre deux stimuli visuels selon une règle qu’il doit inférer du feedback donné par l’ordinateur (par exemple, répondre aux stimuli de couleur rouge). Après plusieurs choix corrects, les stimuli se complexifient mais la règle de choix reste la même ; on teste alors les capacités que le sujet a d’alterner sa réponse au sein d’une même dimension. À un certain stade de l’épreuve, un changement de règle est introduit (par exemple, répondre aux stimuli de forme ronde) et on teste alors les capacités du sujet d’alterner entre différentes dimensions du stimulus.
Aux stades précoces de la maladie de Huntington, les difficultés n’apparaissent qu’au moment du changement de règle. Contrairement aux parkinsoniens, les patients ayant une maladie de Huntington n’ont pas de difficulté à sélectionner un critère et établir une règle de réponse. En revanche, ils ont des difficultés à abandonner un critère auparavant pertinent et qu’il faut maintenant ignorer, ce qui entraîne des réponses persévératives. Avec l’évolution, les déficits s’aggravent et la performance à cette épreuve des patients ayant une maladie de Huntington est inférieure à celle des déments de type Alzheimer dont la sévérité de la démence est comparable.
Ce comportement persévératif lié à un défaut d’inhibition des réponses précédemment renforcées constitue une spécificité de la maladie de Huntington. Il est d’ailleurs retrouvé aux stades précliniques de la maladie chez les sujets porteurs du gène ne présentant encore aucun symptôme de la maladie mais considérés comme à risque de la développer.
Plusieurs études longitudinales menées auprès de cohortes de patients relativement larges (entre 22 et 87 patients suivis entre 2 et 6 ans) ont toutes montré que, parmi les domaines de la cognition, les fonctions exécutives étaient les plus touchées par une dégradation précoce et progressive. Cependant, les épreuves évaluant les fonctions exécutives ne subissent pas toutes le même taux de déclin: celles qui dépendent de la vitesse de traitement de l’information (test de Stroop, Trail Making Test, subtest du code de la WAIS-R) subissent le déclin le plus marqué et, ceci, indépendamment du ralentissement moteur, viennent ensuite les épreuves qui requièrent une planification de l’action (test de la Tour de Londres), d’autres épreuves comme le test de classement de cartes du Wisconsin ou les fluences verbales ont une sensibilité au déclin plus variable.